Bienvenue à Frankensteinland ...
1974 sera une année faste pour
Mel Brooks. En début d’année paraît son western parodique « Le shérif est
en prison » (« Blazing saddles » en V.O.). Qui s’en tire pas
trop mal chez les critiques et le public mais ne fait guère tomber de records
niveau box-office. Une comédie correcte, un peu trop en roue libre par moments,
et plutôt bâclée.
Et là, contre toute attente (et surtout la sienne), Mel Brooks va signer son film-référence, celui que retiendront les manuels. Contre toute attente, parce que « Frankenstein Jr » a été mis en chantier sans que Brooks soit concerné. A l’origine du projet, Gene Wilder (on est quand même dans la famille, Wilder est l’acteur fétiche du Mel) qui se met en tête d’écrire une parodie de Frankenstein, d’après le roman de Mary Shelley, mais surtout d’après les deux films référence de James Whale (« Frankenstein » en 1931 et « La fiancée de Frankenstein » quatre ans plus tard). Voyant qu’il arrive à aligner des idées et des gags, Wilder en parle à son agent. Qui ne croit que moyennement à la possibilité de transformer ça en pièce de théâtre ou en film. A tout hasard, les deux hommes conviennent que si quelque chose aboutit, ça se fera avec Wilder of course, mais également Peter Boyle et Marty Feldman. Pourquoi ces deux gars, le premier américain, l’autre anglais, peu connus dans le milieu et au mieux pour quelques seconds rôles. La réponse est simple, ils ont le même agent que Wilder, lequel agent d’emblée pousse ses poulains sur l’échiquier du casting.
Brooks, Boyle, Feldman, Wilder & Garr |
A tout hasard, Wilder montre
son projet de scénario à son pote Mel Brooks. Qui est dubitatif, et met ce
scénario en perspective avec un travail de réalisateur. Et puis, petit à petit,
il commence à remanier le scénario, retranche ou ajoute des scènes, des
situations, et arrivent vite l’idée et l’envie de faire un film.
D’emblée, Brooks en arrive aux
leitmotivs artistiques (le film sera en strict noir et blanc) et budgétaires
(il lui faut un budget de deux millions et demi de dollars). La Columbia, avec
qui il travaille habituellement, lui en donne moins de deux pour un film en
couleurs. Petite visite chez les concurrents de la Fox : deux millions et
en couleurs. Comme Mel Brooks est un juif (il devient pas drôle du tout lorsqu’il
faut causer pognon) et un sacré bonimenteur, l’affaire est conclue non sans
difficulté pour deux millions trois et du noir et blanc. Les choses sérieuses
peuvent commencer, Brooks entend absolument avoir au générique Madeline Kahn
dans le rôle de l’assistante du docteur Frankenstein. Elle viendra, mais
préfèrera prendre le rôle, moins présent à l’écran, d’Elizabeth, la fiancée du
toubib (le rôle de l’assistante sera confié à la moins connue Teri Garr). Et puis
il y aura une surprise au générique. On y voit apparaître le nom de Gene
Hackman, et beaucoup de spectateurs ne l’ont pas vu. Normal, grimé comme jamais
il ne le sera de toute sa carrière, c’est lui qui joue le vieil ermite aveugle
(petit rôle, mais peut-être l’enchaînement de gags le plus réussi du film).
Deux autres seconds rôles crèvent l’écran : la gouvernante rigide, Frau Büchler et l’inspecteur Kemp, respectivement interprétés par Cloris Leachman et Kenneth Mars. La première, très allemande autoritaire pour pas dire pire (rappelons que Brooks est juif) et le running gag qui l’accompagne chaque fois que son nom est prononcé (les chevaux se cabrent et se mettent à hennir), et le second avec ses gestes rigides et sa prothèse de bras souvent récalcitrante ne sont pas pour rien dans le délire qui monte d’un cran chaque fois qu’ils apparaissent.
Boyle & Hackman |
Le point de départ n’est qu’un
prétexte pour le remake loufoque de la créature de Mary Shelley. Le petit-fils
du Dr Frankenstein (Gene Wilder), est prof de médecine aux Etats-Unis. Même s’il
partage la même fascination que son aïeul pour la mort, il tient à s’en
démarquer et insiste pour qu’on l’appelle Fronkonstine. Malheureusement pour
lui, il hérite du château de son grand-père, laisse sa fiancée en pleins
préparatifs de leur prochain mariage, et s’en va en Transylvanie. A noter que
deux séquences (pour plus de dix minutes), ont été supprimées du montage final,
on y voyait la lecture de l’héritage en présence de tous les descendants de
Frankenstein et on comprenait pourquoi son petit-fils se rendait en Europe.
L’héritier, accompagné de sa gironde assistante qui l’attendait à la gare, se rend au château où il est accueilli par l’intendant, Igor. C’est Marty Feldman, anglais avec de gros yeux globuleux qui se regardent et naturellement allumé, qui tient le rôle d’Igor. Et dans le film, en plus, il est bossu (même si sa bosse a tendance à changer de côté). Pour moi, c’est lui qui crève l’écran, et qui fait basculer toutes les scènes où il apparaît de la comédie vers le délire le plus total.
Cloris Leachman |
Bon, évidemment, une fois dans
l’environnement ancestral, Frankenstein Junior va reprendre les expériences de
Papy (avec des décors similaires aux films de Whale recréés par l’équipe de Mel
Brooks), greffer un cerveau de débile sur un frais macchabée (Peter Boyle, a la
carrure aussi imposante que Boris Karloff), et les situations les plus folles
vont avoir lieu (des remakes parfois aménagés de scènes culte des films de
Whale), et se compliquer encore plus avec l’arrivée de la fiancée, lassée d’attendre
son promis à New York. Comme elle finira avec le même look que l’oubliée Elsa
Lanchester, « fiancée » du Monstre dans le film de 1935, je vous
laisse imaginer ce qui va bien pouvoir lui arriver …
« Frankenstein Jr »
est certainement la meilleure façon d’aborder la filmographie de Mel Brooks
(qui s’est souvent perdu en route dans de nombreux films). Mis à part son
premier (« Les producteurs ») qui garde ma préférence, « Frankenstein
Jr » est son film le plus cohérent, comédie déjantée réussissant à travers
son thème imposé à présenter toutes les thématiques chères à Brooks (des personnages
lunaires, des situations « impossibles », des gags qui visent sous la
ceinture, la détestation des nazis, …). Le succès du film, sorti à la toute fin
74 fut immédiat (Mel Brooks n’y était pas vraiment habitué), et relancera la
carrière en salles de son précédent, « Le shérif est en prison ».
L’accroche de la jaquette du
Dvd est « la meilleure comédie de tous les temps ». J’irai certes pas
jusque là, mais je conseille « Frankenstein Jr » et son rythme endiablé
sans aucun temps mort …
Du même sur ce blog :