Les premiers de la classe ...
Dans le monde très concurrentiel du rock, comme dans une finale olympique de 100 m, c’est jamais bon de prendre un mauvais départ. C’est pourtant ce qu’avaient fait les Def Leppard, groupe de minots de Sheffied (ville industrielle sinistrée du milieu de l’Angleterre, patrie de Joe Cocker, puis plus tard de Pulp et des Arctic Monkeys entre autres) lorsqu’ils avaient débuté au début des années 80, dans ce que l’on a imaginativement appelé la New Wave of British Heavy Metal. Les grands gagnants furent très vite Iron Maiden, Saxon et Judas Priest récoltèrent les accessits, et seuls les complétistes forcenés s’intéressèrent au cas Def Leppard.
Un groupe de potes, boys next door, moulinant
gentiment un hard-rock de série B. Ils auraient pu devenir les Budgie ou les
Wicked Lady de leur génération, jusqu’à ce qu’une bonne fée Clochette (en
l’occurrence celle de « Hells Bell ») se penche sur leur berceau.
Robert John « Mutt » Lange fut le catalyseur et l’accélérateur de la
carrière de Def Leppard. Un producteur très radio friendly (il venait de
« domestiquer » le son d’AC/DC en produisant « Highway to
hell » et « Back in Black », et en faisant passer les
Australopithèques au niveau supérieur question ventes), mais aussi un
producteur « intrusif » (capable de participer à l’écriture et de
« réorienter » le son du groupe).
Dès « High & dry » en 1981, Lange s’était occupé de la production de Def Leppard. Changement de braquet et d’implication avec le suivant, « Pyromania » (1983). Le succès du groupe devient exponentiel (plus de dix millions de copies/monde dépotées), tournées incessantes all around the world, Def Leppard devient une grosse machine qui compte dans le music business. Et puis l’accident industriel. Rick Allen, grand amateur de vitesse au volant de voitures de sports, se plante grave et y laisse un bras. Assez gênant quand on est batteur. Qu’à cela ne tienne, les autres musicos, dans un réflexe plus Spinal Tap que nature, le conservent, il aménage son kit, et après les moins connus garagistes sixties américains Moulty & The Barbarians, Def Leppard devient un groupe avec un batteur manchot …
« Hysteria » sera dès lors mis en chantier
avec le difficile challenge de succéder au multi platiné « Hysteria ».
Pour cela, Lange et Def Leppard vont pousser un peu plus loin le bouchon du son
mainstream. Globalement, on s’écarte du hard rock stricto sensu. Aucun risque
de confusion avec les grands anciens (le Zep, Purple, Le Sab, Aerosmith, …), pas
plus qu’avec les contemporains dans une surenchère de bruit et de fureur
(Maiden, les nouveaux arrivants Metallica, avec tout le speed-trash-machin dans
leur sillage). S’il fallait trouver quelque chose d’approchant, ce serait les
Scorpions de « Love at first sting », et tout le hard FM américain
(Foreigner, la Bénatar, …, ce genre de choses). Intéressant (?) de constater
que sur douze titres (pour plus d’une heure), pas la moindre trace d’un solo de
guitare (quand on veut en foutre plein les oreilles et qu’on a pas de virtuoses
des six-cordes dans le groupe, on a pas vraiment le choix). Rien que ce détail
suffit à montrer que l’on quitte subrepticement le monde du hard … et qu’on
lorgne effrontément vers celui des passages radio.
« Hysteria » en fout plein les oreilles.
Trop à mon avis, mais bon comme personne en a rien à secouer de mon avis …
L’intro accrocheuse, une marque de fabrique de Lange, est minutieusement
travaillée. On n’oublie pas de mettre dans le tracklisting une paire de balades viriles
(l’énorme succès « Still loving you » est passé par là). Et même si
on communique pas là-dessus (quoi que …) en ce milieu des 80’s où les synthés
sont rois, on n’en met pas un seul dans le disque. Tous ces arrangements tarabiscotés,
ces enjolivures sonores sont faites en poussant dans ses derniers
retranchements technologiques le traitement des guitares.
Le succès de « Hysteria » sera équivalent, voire meilleur que celui de « Pyromania » et Def Leppard entrera dans le club très très fermé des gens ayant vendu plus de dix millions de copies de deux albums consécutifs (on parle là de gens comme Michael Jackson, les Eagles, les Spice Girls, Madonna, autrement dit du très beaucoup mainstream). On est avec ce genre de disques dans l’irrationnel le plus complet, ainsi sept (oui, quatre et trois) singles en seront extraits (comme sur « Thriller » de Michou J.), chose inimaginable pour une rondelle sortie sous l’étiquette « hard ». Les boys next door, même s’ils ont pas grand-chose de sexy, vont faire la une des journaux et magazines (spécialisés ou pas), et on verra beaucoup leurs trombines, coiffures chiadées, fringues de bad boys milliardaires, brillants comme une Dacia neuve (ils ont rien de Ferrari du rock, les pauvres gosses).
Bling-bling attitude sur scène ... |
Bon, trente cinq ans plus tard, il faut en retenir
quoi, de cette histoire ? Un son peaufiné à l’extrême, un truc bien
propre, bien joli, et, comment dire, bien ringard aujourd’hui. Tout ce déluge
d’effets sonores, ces montées chromatiques hyper-prévisibles étaient bien là
pour ratisser large, et tant pis pour l’art (l’hard ?).
De la litanie de singles, on peu retenir, par ordre
d’apparition, « Rocket » (hymne, comme la plupart d’ailleurs, de
stade), « Animal » (le plus effrontément FM ?), « Pour some
sugar on me » (très bêtement et méchamment efficace, mix entre « We
will rock you » de Queen et « I love rock’n’roll » de Joan
Jett), et la ballade mid-tempo « Hysteria ». De toutes façons, tout
se ressemble, la recherche de l’hymne à stades semblant être le plus grand
dénominateur commun de tout le tracklisting, mais sur la longueur, tout ce
formatage finit par être quelque peu épuisant …
« Hysteria », c’est le sommet et aussi un
peu le chant du cygne des Def Leppard. Condamnés, comme Sisyphe, à pousser pour
l’éternité leur gros caillou sonore ripoliné. De toute façon, ils étaient cuits.
Les Metallica allaient enclencher la vitesse supérieure, et l’espèce de glam
metal des Leppard, allait se voir copier (Motley Crue et une ribambelle
d’autres), avant de se faire déborder par cinq toxicos teigneux traînant dans
tous les endroits chelous de Sunset Boulevard … On ne remerciera jamais assez
les Guns’N’Roses et leur premier disque d’avoir fait le ménage dans le genre …