Bad Religion ?
Tout commence avec les Sex Pistols … ou plutôt tout
commence avec la fin des Sex Pistols. Le plus célèbre – provocateur – vendu
(rayer la ou les mentions inutiles) orchestre punk, une fois paru son manifeste
« Nevermind the bollocks » part vite en sucette (merci au crétin
ingérable Sid Vicious, et aux divagations managériales de Malcolm McLaren), de
toute façon, comment aurait-il pu en être autrement, les Sex Pistols par
définition et essence n’étaient pas faits pour durer …Walker, Levene, Wobble & Lydon : Public Image 1978
Le premier à claquer la porte (il ne supportait pas
McLaren) et signer de fait la mort du groupe est Johnny Rotten. Qui reprend son
état-civil (John Lydon), et entend montrer à la Terre entière que son génie n’a
pas besoin d’un groupe de bras cassés et de McLaren pour éclater à la face du
monde … Lydon étant quelque peu connu, il n’a pas trop de mal à monter un
groupe. Et tant qu’à faire, il choisit pour l’accompagner des gens qu’il
connaît depuis longtemps. Keith Levene à la guitare. Pote de Vicious et ayant
fait partie d’une des formations du Clash avant qu’ils enregistrent leur
premier disque pour CBS. Jah Wobble tiendra la basse. Lui et Lydon se
connaissent depuis des années, il a appris la basse de façon autodidacte parce
qu’il est fan de reggae et de dub, et n'a pas la réputation d’un type commode,
ses poings étant son principal outil de communication … Le batteur (Jim Walker)
sera recruté via une petite annonce.
Au départ et encore plus une fois la machine Public
Image en marche, il sera évident que c’est le groupe de Lydon. Il faut des
envies de généalogiste pour recenser tous ceux qui participeront au groupe,
censé être encore en activité, même si ses parutions sont très épisodiques
depuis le début des années 90. La première formation n’échappe pas à la règle
du turn-over. Le batteur ne fera qu’un album, Jah Wobble se fera virer en 1980,
et Keith Levene en 83, ces deux-là gardant une rancune certaine à Lydon …
« Public Image » le single inaugurera la carrière de Public Image le groupe. Et assure la transition avec les Pistols. On est en terrain sonore connu (la voix de Lydon, la pulsation rock brute de décoffrage), avec un petit côté grinçant et répétitif en plus. Ce titre ouvrira la seconde face du vinyle original.
Qui atteint pile les quarante syndicales minutes. Au
prix de quelques délayages. Faut dire que le budget alloué par Branson et
Virgin a surtout servi en « remontants » divers et variés, et que
cette bande d’ingérables n’est pas forcément la bienvenue dans un studio d’enregistrement
(la légende – mais en est-ce une – prétend que Jah Wobble démolira un ingé-son
tatillon et pas convaincu de sa technique à la quatre-cordes). D’où des titres
à rallonge (quatre titres sur huit flirtent où dépassent les six minutes, voire
les neuf pour « Theme »), assez loin des formats punks de 2’30 alors
de rigueur, des mixages étonnants (« Attack » beaucoup plus mat et
étouffé que ce que l’on avait entendu jusque-là, ou « Fodderstompf »
le reggae-dub expérimental et mutant final) montrent que du personnel qualifié
et compétent n’est pas inutile en studio, surtout quand le trio a eu l’idée
saugrenue de produire la rondelle …
Il n’en reste pas moins que « Public
Image » constituera une déflagration non négligeable dans le landernau musical
londonien. Par facilité linguistique, on appellera ce nouveau son post-punk,
étiquette facile et qui permettra de ranger tous ceux qui s’en inspireront (…
ou pas, il suffira qu’ils ne respectent pas les « règles »
originelles du punk pour s’en trouver affublés).
« Public Image » n’invente rien, mais
pioche et assemble des choses que l’on n’avait pas l’habitude de voir frayer
ensemble (un peu de musique industrielle, de rock, de krautrock, de punk-rock,
de prog même, le Johnny est très fan de Peter Hammill le chanteur de Van der
Graaf Generator, et ça s’entend parfois). Technique musicale rudimentaire
oblige, on est dans le lancinant, le crissant, le grinçant et le répétitif.
Hormis des schémas de batterie saccadés, l’approche musicale est assez souvent
celle du reggae, avec basse en avant et guitare à contre-temps (mais jouée
façon tronçonneuse). Maintenant on a entendu des millions de groupes (pas
forcément les plus doués) jouer comme ça, mais force est de reconnaître qu’en
1978, c’était plutôt novateur.
Et puis, ne surtout pas oublier que Lydon, en plus d’une technique de chant assez particulière, genre muezzin qui appelle les fidèles à la prière, est un type qui n’a pas la langue dans sa poche (avoir affaire à lui en interview ou en conférence de presse était un exercice attendu – et redouté – par tous les journaleux rock), et un certain sens des punchlines qui dépasse largement les capacités de Praud, Bouleau, Salamé ou Polony.
Sur « Public Image » le thème central est
la religion (chrétienne en l’occurrence, mais Lydon les déteste toutes). Le
Paradis est appelé à aller se faire foutre dès le premier titre
(« Theme »), titre noirâtre sur la mort (le verbe « to
die » revient bien une vingtaine de fois). C’est encore pire sur les deux
« Religion ». Le « Religion I » est juste un court speech
ultra-violent (1’25) contre l’Eglise catholique. Et manière d’enfoncer le clou
dans les paumes des mains ou la plante des pieds de ceux qui auraient pas
saisi, les mêmes paroles sont mises en musiques sur « Religion II ».
Et cerise confite sur l’hostie rance, « Annalisa » sur une trame de
rock assez simple et basique, donne le point de vue de Lydon sur Anneliese
Michel, jeune allemande prétendument possédée et exorcisée 67 (!) fois, jusqu’à
ce qu’elle meure la vingtaine à peine dépassée …
Pour être tout à fait exhaustif, mentionnons
« Low life » qui ne vaut que pour les psalmodies nasillardes de
Lydon.
Lequel, quoi qu’il ait pu en dire, n’a pas atteint
avec Public Image l’aura naturellement indépassable des Sex Pistols. Livré à
lui-même, avec des comparses extatiques aux ordres, Public Image (qui
s’appellera selon les circonstances Public Image, Public Image Ltd, ou P.I.L.)
deviendra vite une carricature de son premier disque (« Metal Box »
est aussi bon, la suite ne sera que dégringolade artistique), n’obtenant son
seul vrai succès qu’avec le single bâclé et (donc forcément) répétitif
« This is not a love song » …