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Fin des années 80, le machin qui devait révolutionner nos oreilles s’appelait fusion. Fusion, on en causait depuis longtemps, mais ça rimait depuis Miles Davis et ses disciples avec jazz (no way donc). Vers 1988, plein de types essayaient de faire rimer ça avec du rock au sens large. En pole position pour rafler la mise, trois groupes : Urban Dance Squad, Living Colour et Fishbone. Deux-trois ans plus tard, les incontestables gagnants de l’affaire seraient Rage Against The Machine et Red Hot Chili Peppers, réduits à leurs acronymes (RATM, RHCP). Et les trois autres ? Aux oubliettes de l’histoire même si bon an mal an, je crois qu’ils existent tous encore …
Fishbone donc. Une bande de potes blacks de Los
Angeles qui à l’époque de « Truth and soul » jouaient ensemble depuis
une dizaine d’années et n’avaient sorti qu’un seul disque ignoré de tous. La
Columbia qui les avait signés allait miser sur eux et les envoyer avec du
budget en studio. Et aux manettes le malin David Khane, qui savait comment
faire sonner un disque pour faire tinter les tiroir-caisse (il venait d’emmener
les Bangles au jackpot avec « Different light », on le retrouvera
bien plus tard derrière les Strokes ou Lana Del Rey).
Résultat : mitigé, très. Sans que les types de Fishbone soient en cause (ils assurent musicalement, sont plusieurs à composer correctement, ont un leader charismatique, …), ni Khane (il a fait son job pour « Truth and soul »), s’impliquant même dans l’écriture de quelques titres). Là où ça coince, c’est que leur fusion musicale, ils l’ont pas faite comme tous les autres. Quand certains comme RATM se sont contentés de mélanger phrasé rap et riffs zeppeliniens jusqu’à plus soif, les Fishbone ont fait des titres ne mélangeant rien, mais s’inspirant chacun d’un courant musical (de la soul, du rhythm’n’blues, du jazz, de la ballade acoustique, du hardcore, de la country, du ska, …). Un peu comme si tu allais chez Deezer, Spotify et leurs semblables épiciers de streaming en mp3, et que tu prennes une lecture aléatoire de leur catalogue … on appelle ça passer du coq à l’âne …
Angelo Moore |
« Truth and soul » part dans tous les
sens, et même au-delà. Ça commence par une bizarrerie, une reprise plutôt
lourdingue de « Freddie’s dead » de Curtis Mayfield (sur la fabuleuse
B.O. du film « Superfly »). Chant viril, ambiance power trio
hendrixien (avec cuivres à la place des violons de l’originale), perso ça me
laisse plus que circonspect, et je me demande si mettre ce machin d’entrée
était un choix judicieux … D’autant que le titre qui suit, « Ma and
Pa », ska festif comme si les Specials avaient bouffé une troupe de
clowns, est plutôt sympa et un des meilleurs morceaux de la rondelle …
Ensuite, les Fishbone, s’évertuent à aligner des titres sans aucun rapport entre eux, même pas la façon de les appréhender au niveau sonore. Certes, on trouve des cuivres, normal, y’en a deux ou trois qui soufflent dedans dans le groupe, dont le chanteur Angelo Moore, symbolique figure de proue de la troupe (d’ailleurs c’est le seul avec un guitariste à assurer depuis quarante ans le line-up original). Globalement, c’est plutôt rythmé (Pink Floyd ou les Cure ne semblent pas être la tasse de thé du groupe), mais c’est tellement ressemblant à des choses déjà entendues (et souvent en mieux) qu’on n’en voit pas très bien l’utilité …
Allez, petit inventaire à la Prévert. Vous aimez le
punk hardcore à la Bad Brains ? « Subliminal fascism » est pour
vous … Un peu de Talking Heads période « Remain in light » ?
« One day » fera l’affaire (tout juste, c’est pas terrible du tout
comme titre) … La soul blanche des Dexys Midnight Runners ? Y’a ça en
stock, ça s’appelle « Mighty long way » … Le disco caraïbe de Kid
Creole ? « Question of life » est pour vous (malheureusement sans les
chœurs sexy des Coconuts) … Un peu de jazz festif à la Luis Prima ? Pas de
problème, rendez-vous piste 7 « I like to hide behind my glasses » …
Les basses slappées des derniers jours du disco vous manquent ? « Bonin’
in the boneyard » va vous ravir … Une jolie ballade acoustique un peu
boursouflée, de celles qui feront la fortune des RHCP ? Faut pousser
jusqu’à la dernière piste, « Change » … Une saugrenue trame
country ? Accrochez vos Stetson avec « Slow bus movin’ » … Vous
rêvez d’entendre Danny (Pas très) Brillant reprendre les Andrews Sisters ?
Précipitez-vous sur « In the name of swing » … Et on pourrait jouer à
ce petit jeu pour l’ensemble des quatorze titres …
Bon, faut être honnête (si, si, ça peut m’arriver),
certains morceaux sont plutôt sympathiques. « Ghetto soundwave »
qu’on dirait sorti de « Sandinista ! » du Clash est pas mal du
tout, le reggae-soul de « Pouring rain » tient la route, en plus des
« Ma and Pa » et « Change » déjà cités …
Conclusion mathématique : un tiers de
réussites, deux tiers sans grand intérêt …