Trent Reznor, ou Nine Inch Nails si vous préférez, pour
faire simple, c’est pas un abonné de l’almanach Vermot. Pas le genre à
reprendre « Tirelipimpon sur le chihuahua ». Et sa musique lui
ressemble. Il a commencé à la fin des années 80 dans l’étroit créneau du
rock-metal-machin industriel et n’a pas drainé un gros public sur son nom. Par
contre la « chose » de son copain Brian Warner, Marylin Manson, dont
il était pour beaucoup dans le succès (concept + production pour faire simple)
lui a valu des retombées positives. Adoubement suprême, David Bowie s’est
révélé être le fan number one de NIN et l’ancien Mince Duc Blanc et Reznor ont
sillonné ensemble les Etats-Unis en 1995 alternant d’un soir à l’autre la tête
d’affiche … de quoi aider à faire grandir sa notoriété.
Trent Reznor |
La phase bassement matérielle de la carrière étant dès
lors réglée, Reznor a entendu laisser au monde une œuvre destinée à marquer son
époque. Cette œuvre va revêtir la forme d’un double Cd totalisant presque une
heure trois quart de musique. Nom de la bestiole : « The
Fragile ». Le bon peuple s’est rué sur la chose dès sa sortie et puis …
gros coup de frein très vite au niveau des ventes. Que ce soient les premiers
acheteurs ou la critique, ça a froncé du sourcil …
Il y a sur « The Fragile » un boulot colossal
accompli par Reznor. Qui a tout écrit, enregistré, produit, ne tolérant que de
rares apparitions extérieures sur des bribes de titres. Parmi ces invités, deux
noms reviennent sur quelques morceaux, ceux d’Adrian Belew et Mike Garson. En
gros le guitariste à la six-cordes folle du « Stage » de Bowie et le
type au piano cinglé de « Alladin Sane » de … encore Bowie (vous
avais-je dit que Bowie et Reznor avaient tourné ensemble, oui, il me semble
...). Et Reznor s’est retrouvé dans la situation de tous ces types que le monde
entier (ou juste la petite amie, mais ça revient au même) a un jour trouvés
géniaux et qui ont voulu à tout prix montrer à quel point ils l’étaient,
géniaux. Passent ici les ombres aux ailes carbonisées de quelques Icare du rock
qui ont pris un gros melon, genre Brian Wilson des Beach Boys ou Billy Corgan
des Smashing Pumpkins. Qui ont tellement voulu réaliser leur plafond de la
Chapelle Sixtine à eux qu’ils y ont laissé les neurones, Wilson et son
« Smile », Corgan et sa logorrhée en double Cd – tiens tiens –
« Mellon Collie and the Infinite Sadness ».
NIN au complet en studio |
Reznor ne fait pas dès le départ une musique très
abordable, très radiomicale, c’est un fait. Là, sur la durée, il vire souvent
pénible, reproduisant comme on pointe à l’usine les recettes qui ont fait son
succès. Ces sonorités noirâtres, caverneuses, tout en borborygmes saturés et
parasités, comme si l’électricité du studio ne fonctionnait pas bien. Et quel
que puisse être son talent de programmateur en bruits étranges, ses empilages colossaux
de séquences rythmiques, ce raffut qui met les hauts parleurs de la stéréo à
rude épreuve, à la longue ça finit par lasser.
Pour deux raisons principales.
Reznor s’attache à déconstruire ses morceaux, ne veut pas
tomber dans l’écriture « traditionnelle », sauf qu’il utilise
toujours les mêmes recettes, reposant sur des montées en tension qui s’achèvent
invariablement par un mur de guitares saturées tous potards sur onze, et des
paroles braillées. Et Reznor n’est pas un grand chanteur, loin s’en faut.
Et cette alternance quiet / loud, le modèle a été sinon
inventé du moins popularisé par les Pixies et amené en haut des charts par
Nirvana quelques années plus tôt. On a l’impression que NIN surfe sur la vague
grunge alors que celle-ci retombe. Et ce n’est pas l’habillage industriel qui
change quoi que ce soit.
Il y a sur « The Fragile » un problème de compositions.
Sur presque deux douzaines de titres, la moitié aurait gagnée à rester dans les
tiroirs, on a souvent l’impression de redites, de séquences interminables (les
quatre derniers titres, enchaînement de ballades déglinguées et syncopées), une
demi-douzaine d’instrumentaux « atmosphériques » interchangeables.
En concert, NIN se paye un choriste blond anglais |
Il n’empêche que « The Fragile » est un choc
sonore frontal, rendant bien le malaise et l’angoisse existentielle de Reznor à
travers ces plages dévastées et ces scories de métal en fusion. Et puis il y a dans
« The Fragile » deux titres qui sont dans la poignée de ce que Reznor
a fait de mieux. La fantastique chanson d’amour enragée et violente « We’re
in this together » et la revendicative « Starfuckers, Inc. » ou
des couplets rappés sur une rythmique hip hop précèdent un refrain nucléaire
drivé par des riffs de guitare colossaux. Un titre qui renvoie dans les cordes
tous les Red Hot Machin ou Rage Against Bidule de la Terre à leurs études …
Ça ne rattrape pas toutes les longueurs inutiles du disque,
malheureusement … Reznor s’est quelque peu fracassé sur le mur de ses ambitions.
Il en tirera les leçons, devenant plus « classique » et finissant par
signer des disques, qui bien que gardant leur dose d’étrangeté malsaine, seront
beaucoup plus abordables (les B.O. de « The social network » ou « Gone
girl ») …
Tout compte fait, il s’en sortira quand même mieux avec
ce demi-ratage (et je suis gentil) que le type des Smashing Pumpkins …
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