FRANCIS FORD COPPOLA - DRACULA (1992)

Sang cinquante ...
Ou plutôt cent cinquante. C’est à peu près le nombre de versions filmées du mythe de Dracula (ou Nosferatu, quand les réalisateurs n’avaient pas les autorisations des ayant-droits de Stoker) déjà tournées quand est sortie celle de Coppola. Depuis les classiques de chez classique de Murnau ou Browning, en passant par les innombrables kitscheries de la Hammer, jusqu’aux parodies blaxploitation (« Blakula »), franchouillardes (« Les Charlots contre Dracula »), voire kung-fu (le très improbable « The seven brothers meet Dracula »).
Autrement dit, même quand on s’appelle Coppola, tourner une énième version, même si c’est celle qui se veut la plus fidèle au livre de Bram Stoker, constitue en soi un sacré challenge. Avec en filigrane quand Coppola débute le projet, l’ombre d’une des plus récentes, celle de l’allumé Werner Herzog avec dans le rôle de Nosferatu-Dracula rien de moins qu’un autre cramé notoire, Klaus Kinski.
Oldman et Reaves, ombres et lumières
Pour faire le grand film dont il rêve (hum, vraiment, n’est-ce pas plutôt un « divertissement » pour un Coppola qui n’a plus rien à prouver après les trois volets du « Parrain » et « Apocalypse now »), s’il a certes un scénario tout écrit depuis des décennies, se doit de trouver un casting qui tienne la route et de signer une mise en scène qui fasse date. A ce stade, il y a deux façons de juger ce film. Soit on fait abstraction de tous ceux d’avant, et le « Dracula » de Coppola est génial. Soit on  garde en tête tous ceux qui l’ont précédé, et là, ça coince quand même un peu (beaucoup ?).
Le casting de Coppola, c’est l’auberge espagnole, savant mélange de valeurs confirmées (Hopkins en professeur Van Helsing) et de jeunes premiers « dans le vent » (Winona Ryder et Keanu Reaves, en amoureux maudits). Pour le rôle-titre, un acteur-performer, l’Anglais Gary Oldman (Monsieur Uma Thurman à la ville à cette époque-là). Tous ayant eu les mois précédents des films qui ont cartonné au box-office (« Le silence des agneaux », « Edward aux mains d’argent », « My own private Idaho », « JFK »). Plus en guest la figure pittoresque de Tom Waits dans une de ses plus mauvaises performances, et une apparition tous tétons en avant d’une Italienne débutante, Monica Belucci ... Alors que ce n’était peut-être pas le but recherché, ce sont les anciens Oldman et Hopkins qui bouffent les minots Reaves et Ryder. Oldman est étonnant, livrant une performance très « maquillée », un moment multi centenaire, la scène d’après en aristo séducteur, plus tard un loup-garou ou une chauve-souris, voire même un nuage vert (non, là c’est pas lui …). Du coup Hopkins (qui d’après les bonus m’a l’air aussi allumé à cette époque qu’un Nicholson des grands jours) y va à fond et campe un Van Helsing possédé ( ! ) et truculent et crève littéralement l’écran, alors qu’il n’apparaît pour la première fois à l’image qu’au milieu du film. Les deux minots souffrent de la comparaison, surtout Keanu Reaves, que l’on sent bien en-dedans, bien transparent dans cette affaire. Quant à Winona Ryder, elle s’en sort un peu mieux, en beauté languide diaphane, même si cette performance à la  Blanche-Neige (voulue par Coppola ?) me semble un peu too much …
Winona Ryder
Malgré son talent, on sent quand même Coppola gêné aux entournures. Que montrer qui n’ait pas été vu des dizaines de fois par les cinéphiles et les Dracula fans ? Du gore à tous les étages ? Même si les jets d’hémoglobine ne le rebutent pas, c’est pas trop son truc à Coppola. Et puis, malgré cette adaptation qui se veut fidèle du roman, tout de la saga centenaire de Dracula est déjà connu, vu et revu. Sauf peut-être les origines de la légende, le combat du comte Dracula contre les envahisseurs Turcs au XVème siècle. Ce qui donne lieu à une intro de film très réussie et qui aide pas mal à faire passer la pilule du reste. D’autant que cette quête éternelle de l’amour perdu va constituer la trame essentielle du film de Coppola. Le Dracula de Coppola est un vampire amoureux, poursuivant de ses assiduités l’image de sa fiancée au travers des siècles, un immortel qui se meurt d’amour. Cet aspect du personnage, rarement mis en avant dans les films précédents, maintient la production Coppola à flot.
Visuellement, ce film est décevant. Non pas parce que c’est filmé avec les pieds (pas le genre de la maison), mais parce qu’il y a là un univers que Coppola ne maîtrise pas. Faire du gothique, ça marche quand c’est Tim Burton (ou Murnau) derrière la caméra, mais là on sent vraiment que c’est pas son univers. D’autant que Coppola reste le cul entre deux chaises, s’aventurant par moments dans des trucages tout numérique, le coup d’après utilisant des décors ultra cheap très Hammer style (c’est tellement grossier que c’est évidemment fait exprès), mais pourquoi ne pas avoir choisi, pourquoi alterner high tech et trompe-l’œil des années cinquante ? En fait, ce qui s’imprime le plus dans les rétines, ce sont les costumes (œuvre du créateur japonais Eiko Ishioka), tellement explosifs en couleurs qu’ils aident à masquer la faiblesse des décors (la première apparition de Dracula avec sa gigantesque cape rouge, on croirait qu’il arrive du carnaval de Venise …).
Anthony Hopkins
Le « Dracula » version Coppola me laisse une impression mitigée, comme une irruption dans un univers qui n’est pas le sien, dont il ne maîtrise pas tous les codes (un autre exemple, la chanson de générique par Annie Lennox, qui force sur le côté gothique théâtral, alors que c’est pas les « vrais » musicos gothiques qui manquaient à l’époque). Coppola passe son temps à reprendre les codes des autres (les ombres démesurées de Murnau, les décors de la Hammer, au milieu d’une surenchère de fumigènes et autres effets de brouillard…), et même si c’est forcément le personnage central du film, « sacrifie » son casting au profit de Dracula. Mais malgré ses efforts et son talent (et celui d’Oldman), je ne suis pas persuadé que le Dracula de Coppola fasse oublier les interprètes « historiques » du rôle, les Christopher Lee, Lon Chaney, Bela Lugosi, …
Perso, je vois ce film comme une récréation un peu bâclée.

Ça n’a pas été l’avis du public, qui en fait une des grandes réussites commerciales de Coppola …

Du même sur ce blog :
Le Parrain 2