Ou plutôt
cent cinquante. C’est à peu près le nombre de versions filmées du mythe de
Dracula (ou Nosferatu, quand les réalisateurs n’avaient pas les autorisations
des ayant-droits de Stoker) déjà tournées quand est sortie celle de Coppola.
Depuis les classiques de chez classique de Murnau ou Browning, en passant par
les innombrables kitscheries de la Hammer, jusqu’aux parodies blaxploitation
(« Blakula »), franchouillardes (« Les Charlots contre
Dracula »), voire kung-fu (le très improbable « The seven brothers
meet Dracula »).
Autrement
dit, même quand on s’appelle Coppola, tourner une énième version, même si c’est
celle qui se veut la plus fidèle au livre de Bram Stoker, constitue en soi un
sacré challenge. Avec en filigrane quand Coppola débute le projet, l’ombre
d’une des plus récentes, celle de l’allumé Werner Herzog avec dans le rôle de
Nosferatu-Dracula rien de moins qu’un autre cramé notoire, Klaus Kinski.
Oldman et Reaves, ombres et lumières |
Pour faire le
grand film dont il rêve (hum, vraiment, n’est-ce pas plutôt un
« divertissement » pour un Coppola qui n’a plus rien à prouver après
les trois volets du « Parrain » et « Apocalypse now »),
s’il a certes un scénario tout écrit depuis des décennies, se doit de trouver
un casting qui tienne la route et de signer une mise en scène qui fasse date. A
ce stade, il y a deux façons de juger ce film. Soit on fait abstraction de tous
ceux d’avant, et le « Dracula » de Coppola est génial. Soit on garde en tête tous ceux qui l’ont précédé, et
là, ça coince quand même un peu (beaucoup ?).
Le casting de
Coppola, c’est l’auberge espagnole, savant mélange de valeurs confirmées
(Hopkins en professeur Van Helsing) et de jeunes premiers « dans le
vent » (Winona Ryder et Keanu Reaves, en amoureux maudits). Pour le
rôle-titre, un acteur-performer, l’Anglais Gary Oldman (Monsieur Uma Thurman à
la ville à cette époque-là). Tous ayant eu les mois précédents des films qui
ont cartonné au box-office (« Le silence des agneaux », « Edward
aux mains d’argent », « My own private Idaho »,
« JFK »). Plus en guest la figure pittoresque de Tom Waits dans une
de ses plus mauvaises performances, et une apparition tous tétons en avant d’une
Italienne débutante, Monica Belucci ... Alors que ce n’était peut-être pas le
but recherché, ce sont les anciens Oldman et Hopkins qui bouffent les minots
Reaves et Ryder. Oldman est étonnant, livrant une performance très « maquillée »,
un moment multi centenaire, la scène d’après en aristo séducteur, plus tard un
loup-garou ou une chauve-souris, voire même un nuage vert (non, là c’est pas
lui …). Du coup Hopkins (qui d’après les bonus m’a l’air aussi allumé à cette
époque qu’un Nicholson des grands jours) y va à fond et campe un Van Helsing
possédé ( ! ) et truculent et crève littéralement l’écran, alors qu’il n’apparaît
pour la première fois à l’image qu’au milieu du film. Les deux minots souffrent
de la comparaison, surtout Keanu Reaves, que l’on sent bien en-dedans, bien
transparent dans cette affaire. Quant à Winona Ryder, elle s’en sort un peu
mieux, en beauté languide diaphane, même si cette performance à la Blanche-Neige (voulue par Coppola ?) me
semble un peu too much …
Winona Ryder |
Malgré son
talent, on sent quand même Coppola gêné aux entournures. Que montrer qui n’ait
pas été vu des dizaines de fois par les cinéphiles et les Dracula fans ?
Du gore à tous les étages ? Même si les jets d’hémoglobine ne le rebutent
pas, c’est pas trop son truc à Coppola. Et puis, malgré cette adaptation qui se
veut fidèle du roman, tout de la saga centenaire de Dracula est déjà connu, vu
et revu. Sauf peut-être les origines de la légende, le combat du comte Dracula
contre les envahisseurs Turcs au XVème siècle. Ce qui donne lieu à une intro de
film très réussie et qui aide pas mal à faire passer la pilule du reste. D’autant
que cette quête éternelle de l’amour perdu va constituer la trame essentielle
du film de Coppola. Le Dracula de Coppola est un vampire amoureux, poursuivant
de ses assiduités l’image de sa fiancée au travers des siècles, un immortel qui
se meurt d’amour. Cet aspect du personnage, rarement mis en avant dans les
films précédents, maintient la production Coppola à flot.
Visuellement,
ce film est décevant. Non pas parce que c’est filmé avec les pieds (pas le
genre de la maison), mais parce qu’il y a là un univers que Coppola ne maîtrise
pas. Faire du gothique, ça marche quand c’est Tim Burton (ou Murnau) derrière
la caméra, mais là on sent vraiment que c’est pas son univers. D’autant que
Coppola reste le cul entre deux chaises, s’aventurant par moments dans des trucages
tout numérique, le coup d’après utilisant des décors ultra cheap très Hammer
style (c’est tellement grossier que c’est évidemment fait exprès), mais
pourquoi ne pas avoir choisi, pourquoi alterner high tech et trompe-l’œil des
années cinquante ? En fait, ce qui s’imprime le plus dans les rétines, ce
sont les costumes (œuvre du créateur japonais Eiko Ishioka), tellement
explosifs en couleurs qu’ils aident à masquer la faiblesse des décors (la
première apparition de Dracula avec sa gigantesque cape rouge, on croirait qu’il
arrive du carnaval de Venise …).
Anthony Hopkins |
Le « Dracula »
version Coppola me laisse une impression mitigée, comme une irruption dans un univers
qui n’est pas le sien, dont il ne maîtrise pas tous les codes (un autre exemple,
la chanson de générique par Annie Lennox, qui force sur le côté gothique théâtral,
alors que c’est pas les « vrais » musicos gothiques qui manquaient à
l’époque). Coppola passe son temps à reprendre les codes des autres (les ombres
démesurées de Murnau, les décors de la Hammer, au milieu d’une surenchère de
fumigènes et autres effets de brouillard…), et même si c’est forcément le
personnage central du film, « sacrifie » son casting au profit de
Dracula. Mais malgré ses efforts et son talent (et celui d’Oldman), je ne suis
pas persuadé que le Dracula de Coppola fasse oublier les interprètes « historiques »
du rôle, les Christopher Lee, Lon Chaney, Bela Lugosi, …
Perso, je
vois ce film comme une récréation un peu bâclée.
Ça n’a pas
été l’avis du public, qui en fait une des grandes réussites commerciales de
Coppola …
Du même sur ce blog :
Le Parrain 2
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