Le petit frère de Ziggy Stardust
1972. Bowie accède au succès après lequel il courait
depuis des années grâce à son disque-personnage-concept Ziggy Stardust
enfonçant le clou du glam-rock en Angleterre. La superstar du genre est le
T.Rex de Marc Bolan. Echaudé par une tournée américaine calamiteuse du temps de
Tyrannosaurus Rex, Bolan va prudemment se cantonner aux Îles Britanniques, tout
juste consent-il à visiter un peu l’Europe. Bowie, ambitieux et bosseur
acharné, va s’attaquer au jackpot du marché américain, et y tourne sans
relâche. Entre deux concerts, il griffonne les chansons qui vont être la base
de son prochain disque.
« Aladdin Sane » paraît au printemps 73 et
doit résoudre une équation compliquée : aller plus loin dans la surenchère
glam, se renouveler tout en restant dans le même créneau. Du strict point de
vue comptable, mission accomplie, Bowie devient une des institutions du
music-business. Bon, « Aladdin Sane » ne vaut pas « Ziggy
Stardust », d’ailleurs rien dans l’interminable discographie de Bowie
n’égalera « Ziggy Stardust ». Mais ce n’est pas un disque anecdotique
pour autant.
En 1972-73, Bowie-Ziggy est devenu quelqu’un qui
compte. On le retrouve sur tous les fronts. Tournées, production pour Lou Reed,
Iggy Pop & les Stooges, Mott The Hoople. Peut-être s’est-il trop dispersé,
peut-être aussi commence t-il à fréquenter de trop près des dealers. La filiation
de « Aladdin sane » avec son chef-d’œuvre « Ziggy
Stardust » est évidente, ne serait-ce qu’au niveau du son, Bowie est
toujours accompagné par les Spiders from Mars et Ken Scott à la production.
Mais l’équipe s’est étoffée. Trois choristes. Un sax, plutôt une bonne
nouvelle, Bowie en jouant plutôt façon corne de brume. Et puis, surtout, parce
que David Jones a souvent eu des intuitions géniales, il est allé recruter un
pianiste jusque-là cantonné au jazz expérimental et d’avant-garde, un certain
Mike Garson. Autant il y aurait fort à dire sur le come-back de Garson il y a
quelques années au sein du Bowie band, et ses accointances avouées avec la
scientologie, autant en 1973, ce pianiste est un alien dans le monde du
pop-rock.
Sans Garson, « Aladdin sane » serait un disque
quelconque. Les parties de piano hallucinées de l’Américain tirent beaucoup de
compositions vers le haut. Un peu l’inaugural « Watch that man », beaucoup
sur « Time », autant marqué par Kurt Weill que par le final de « Hey
Jude ». Mais c’est sur « Aladdin sane » le titre, que Garson
amène cette chanson déjà bien barrée au départ dans une autre dimension grâce à
un solo inouï. Par contre, Garson ne peut rien pour sauver une version pataude
de « Let’s spend the night together » de-qui-vous-savez, ou alors je
vous plains …
Garson, un moustachu, Bowie, Visconti et un fan du New Jersey |
Allez, ouvrons la parenthèse
ragots-potins-anecdotes-légendes. Deux choses sur ce disque. Son titre, jeu de
mots de seconde division, permettant la lecture « a lad insane »
(« un mauvais garçon cinglé » pour ceux qui avaient pris ukrainien en
première langue). Le titre de la chanson, lui, se voit ajouter trois dates
(1913-1938-197?), les deux premières correspondant à l’année précédant une
guerre mondiale, la troisième la prévoyant avant la fin les années 70.
Nostradamus-Bowie s’est trompé … Autre lecture de « Aladdin sane »,
la référence à son demi-frère Terry, interné pour problèmes mentaux. Bowie est
toujours resté discret publiquement sur le sujet, seuls les dissecteurs de son
œuvre ont décelé dans plusieurs de ses chansons des allusions à ce demi-frère,
avec qui la star a entretenu des relations en dents de scie (des années sans le
voir, puis des périodes de visites hebdomadaires). Et puis il y a l’affaire
« Let’s spend the night together ». On a su des années plus tard quand
elle a écrit un bouquin sur lui que l’ex-femme de Bowie avait un matin
trouvé celui qui était alors son mari au lit avec Mick Jagger. Dès lors, le
choix de reprendre cette chanson et pas une autre dans le répertoire des Stones
s’apparente à une private joke. La réponse de Jagger viendra quelques mois plus
tard, lors de la parution de « Goats head soup », avec un titre peu
flatteur à l’adresse d’une petite pute juste intéressée par le pognon. Dans la
chanson, cette fille s’appelle Angie … comme la femme de Bowie, ce qui fait
plus que de simples coïncidences … Fin de la parenthèse.
Revenons au skeud. Si Garson tire la couverture à
soi, il y en a forcément qui sont en retrait. La grosse victime de
« Aladdin sane » s’appelle Mick Ronson. Le flamboyant guitariste des
Spiders n’est vraiment à son avantage que sur deux titres, l’assez quelconque
« Panic in Detroit » (référence à ces Etats-Unis que Bowie rêve de
conquérir) et « Cracked actor » un rock basique, futur cheval de
bataille immuable de nombreuses tournées de Bowie avec mise en scène de
personnage shakespearien (le crâne et la cape de la tournée « Let’s
dance » de 1983 sur ce titre). Autre incontournable et gros hit,
« Jean Genie », référence à Jean Genêt et tout comme « La fille
du Père Noël » de Dutronc, plagiat d’un riff de Bo Diddley (celui de
« I’m a man », lui même pompé sur le « Hoochie Coochie
Man » de Muddy Waters, lui-même … éternelle histoire du rock et de ses
pillards …).
Par contre, ça sent le disque vite fait, avec
quelques titres anecdotiques. « Drive-in Saturday », soul blanchie et
follow-up de la « Soul love » de « Ziggy Stardust », la
ritournelle glam linéaire de « Prettiest star », imitation sans
saveur du T-Rex style qu’un long coulis de notes traînantes et distordues de
Ronson ne parvient pas à sauver, « Lady grining soul », ballade
tremblotante et (un peu trop) lyrique, n’ont jamais été perçus comme des titres
majeurs de Bowie.
Les dernières versions en date de « Aladdin
sane », en version DeLuxe et remastérisées n’apportent pas grand-chose.
« Time » et « Jean Genie » en version single, « John
I’m only dancing », un 45T qui a pas mal marché mais que j’aime pas (ce
qui ne l’empêche pas d’être sur à peu près toutes les compiles de Bowie), la
version de Bowie de « All the young dudes », inférieure à celle de
Mott The Hoople. Plus quelques titre live d’une tournée américaine de 72-73, un
massacre de « Changes », un superbe « Jean Genie » (qu’on
retrouve sur le « Live at Santa Monica », meilleur live de Bowie
longtemps resté un pirate), une curiosité (« Drive-in Saturday »
juste avec une guitare acoustique, c’est courageux, mais Bowie n’a rien d’un
grand folkeux …)
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