3 Octobre 1970. Janis
vient de terminer l’enregistrement les parties vocales de « Me and
Bobby McGee », puis elle écoute la partie instrumentale d’un autre titre
« Buried alive in the blues » que son groupe vient aussi de terminer.
Elle trouve ce morceau génial, promet de se surpasser le lendemain pour le
chanter, quitte le studio, monte dans sa Porsche fushia peinturlurée. On la
retrouvera le lendemain morte (overdose) dans son appartement. Deux semaines
pile après Jimi Hendrix, y’a des débuts d’automne meurtriers … Paraît-il
qu’alors qu’elle commençait à se ranger des vélos, elle s’était entichée depuis
quelques temps, en éternelle croqueuse de mecs au cœur d’artichaut, d’un
play-boy dealer qui lui aurait refilé la dose mortelle d’héro …
Ce disque sur lequel Janis Joplin travaillait sortira
quelques mois plus tard. Il s’appellera « Pearl », le surnom de
Janis. Et sera son plus grand succès. Bon, les morts vendent bien, on le sait,
c’est un marché très porteur, le disque posthume. Et qui souvent n’arrive pas à
la cheville des autres, ceux réalisés du vivant de l’artiste (voir le cas
d’école Hendrix). Sauf que pour Joplin, « Pearl » est son meilleur
disque. D’assez loin. Pour au moins deux raisons.
Janis n’a jamais aussi bien chanté, ses concerts de l’été
70 sont des triomphes. Elle se défonce (un peu) moins, son entourage artistique
essaye de veiller sur elle, et du coup elle a retrouvé cette voix de feu et de
sang qui a fait d’elle la reine de Frisco puis du peuple hippy.
Et puis, pour la première fois de sa carrière, Janis
Joplin a un backing band qui assure, qui surclasse totalement les bourrins
limités (pléonasme) de Big Brother, ou le dilettantisme défoncé du Kozmic Blues
Band.
Le groupe qui accompagne maintenant Janis répond au nom
de code Full Tilt Boogie Band. Une bande d’anonymes, mais qui sous la conduite
de Paul Rotchild (le producteur des Doors), joue précis, lourd et swinguant à
la fois. Une formation resserrée (guitare, basse, batterie, claviers). Finies
les stupides guitares fuzzy monolithiques de Big Brother, finis les maudits
cuivres du Kozmic Blues Band, encore plus insupportables en live qu’en studio.
Pour « Pearl », le jeu et l’enregistrement sont basiques, roots, près
de l’os. Dès l’inaugural « Move over » la différence saute à la
figure, ce rythmn’n’blues au tempo de plomb paraît tout aérien, et puis quand
arrive le chant, affaire classée, chef-d’œuvre d’entrée …
Parce que Janis, quelle voix … Joplin, c’est pas la voix
la plus technique du monde, genre diva blette à la Dion ou Streisand, ou
Castafiore qui promène ses octaves à l’opéra. Janis, elle chante pas, elle
parle avec ses tripes, il se dégage de sa voix un charisme et en même temps une
animalité que personne avant ou après n’a jamais approché (qui a dit Beth Hart,
si encore t’avais dit Nicole Croisille, t’aurais eu l’air moins con …). Janis,
plutôt moche (pour être gentil), fringuée avec un mauvais goût bien texan,
mettait tout le monde, et surtout les mecs à ses pieds dès qu’elle l’ouvrait,
elle avait pas besoin d’être court-vêtue et de simuler des fellations de micro
(Tina, si tu me lis …). Suffisait juste qu’elle se mette à chanter, même si ce
verbe est bien trop limitatif en ce qui la concerne …
Janis Joplin & Full Tilt Boogie Band |
« Pearl » est un déluge vocal, mais pas une
démonstration (bon, si, hormis la courte récréation a capella de
« Mercedes Benz », titre amusant mais très anecdotique qui allez
savoir pourquoi, deviendra emblématique de Joplin). Janis met son incroyable
puissance de feu au service de tempos lents ou médium, des bases de soul ou de
rythm’n’blues (la musique noire, la seule qui vaille quand on a une voix
d’exception), qu’elle incendie de crescendos d’anthologie. Faut être clair, y’a
rien à jeter de cette demi-heure. Mais en plus, il y a des sommets. « My
baby » est juste énorme, faut avoir entendu ça une fois dans sa vie pour
pas crever idiot. « A woman left lonely » on sent que cette chanson
est tellement la sienne, tous ces types qui l’ont draguée juste pour la tirer
un soir et pouvoir fanfaronner devant leurs potes le lendemain, que le terme de
soul n’a jamais mieux portée son nom.
Presque tout dans « Pearl » est prévisible,
mais personne n’attendait sur disque Janis à ce niveau et surtout accompagnée
de la sorte. Cette bande d’inconnus joue avec une cohésion, une efficacité qui
laisse pantois, ils semblent en osmose avec leur chanteuse (et pourtant ils
n’enregistrent pas ensemble). Ecouter « Buried alive … », appréciez
la machine de guerre, et imaginez ce que Janis en aurait fait. En fait le seul
écart à la musique noire, c’est une chanson écrite par un de ses ex, l’auteur
country Kris Kristofferson, « Me and Bobby McGee ». Jamais on
n’aurait imaginé que la plouc music puisse atteindre une telle intensité
émotionnelle.
Janis Joplin était totalement unique dans son rapport
avec le chant et la musique. D’innombrables shouteuses, blanches ou noires,
plus ou moins douées, essaieront de marcher sur ses traces. Seule à mon sens
Amy Winehouse réussira, allant même,
entre autres similitudes, jusqu’à mourir à 27 ans …
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