« Spider-Man » premier du nom est le genre
de film dont on sait avant même sa sortie qu’il va avoir un succès
considérable. En tout cas au moins aux Etats-Unis (mais le reste du monde a
suivi, 500 millions de dollars de bénefs). Parce que derrière le film il y a
une culture, une science du marketing bien rodée, et des sommes faramineuses
investies par des majors du cinéma.
Maguire, Raimi & Dunst |
La culture, c’est celle des Etats-Unis. Un peuple
sans Histoire (moins de 250 ans), donc sans trop de héros réels, et qui en a
inventé d’imaginaires. Et tant qu’à faire, comme l’immodeste pays ne fait pas
dans la demi-mesure, tant qu’à avoir des héros, autant que ce soit de
super-héros. Usine à fabriquer les super-héros, la maison d’édition de comics
Marvel, avec à son catalogue tous ces Hulk, Captain America, Iron Man,
Wolverine, les X-Men, le Surfeur d’Argent, et tant d’autres. Perle du
catalogue, Spider-Man, dont les première planches sont parues en 1963.
Personnage créé par le scénariste Stan Lee et le dessinateur Steve Ditko (Lee
scénarisera pendant des années, de nombreux dessinateurs se relaieront pour des
parutions mensuelles encore en cours me semble t-il). Les aventures de
Spider-Man, entre science-fiction et heroic fantasy avec scénarii et
rebondissements abracadabrants, c’est pas du tout ma cup of tee, d’autant plus
que se révèlent en filigrane toute la déplaisante idéologie respectable et les
« saines valeurs » d’une Amérique triomphante, forcément triomphante.
Peter Parker / Spider-Man |
Spider-Man fait partie de la culture américaine, et
faire un film de ses aventures était dans l’air du temps depuis des décennies
(deux essais guère convaincants qui tiennent plus du téléfilm que du cinéma
dans les années 70). Par définition, Spider-Man se doit d’être un film
spectaculaire, à grand renfort d’effets spéciaux. La Columbia, associée à Stan
Lee, y travaille depuis le début des années 80. L’avancée technologique en
matière d’images numériques rendra le film envisageable au début des années
2000. Les billets verts sont engloutis sans compter, pour le film lui même et
tous ses à-côtés (promotion, contrats de sponsoring, campagnes de pub, objets
dérivés, …). Le budget de l’opération « Spider-Man - The Movie »
dépasse très largement les 100 millions de dollars. De quoi en foutre plein la
vue …
« Spider-Man » la BD est une saga
interminable, peuplée de personnages remplis de super-pouvoirs, qui évoluent au
fil des ans, sont amis puis ennemis, meurent et renaissent dans un
embrouillamini total, enfin tout le tremblement habituel de ce genre de
sornettes dessinées. La première étape a consisté à isoler des personnages et
une « histoire » cohérente (entendez compréhensible par un gosse de
douze ans gavé de comics, de burgers et de pop-corn). On a donc les origines du
super-héros (le puceau timide Peter Parker qui se fait piquer par une araignée
radioactive et devient Spider-Man), sa « fiancée » Mary Jane Watson,
et bien sûr son faire valoir maléfique le Bouffon Vert (Green Goblin en V.O.) …
Plus quelques personnages récurrents de la série.
Rencontrer la belle Mary Jane, il en est tout retourné Spider-Man ... |
La caméra est confiée à Sam Raimi, soi-disant fan de
Spider-Man depuis tout enfant. Un Sam Raimi qui met avec ce film un terme à sa
carrière de réalisateur de séries B horrifiques loufoco-gores (la série des
« Evil dead ») pour intégrer le cercle restreint des gens à qui l’on
ne confie plus que des projets colossaux en terme de budget (il réalisera
également les deux épisodes suivants de la saga Spider-Man, avec des budgets
exponentiels). Tobey Maguire est Peter Parker / Spider-Man, il est depuis
longtemps dans le métier, mais c’est le premier grand rôle qu’on lui confie.
Idem pour sa douce et parfois tendre Mary Jane Watson, jouée par Kirsten Dunst.
Mais celui qui survole la distribution, seule vraie « star » du casting
au départ, c’est Willem Dafoe pour son double rôle Norman Osborn / Bouffon
Vert. Les acteurs, surtout Dafoe, ont assuré eux-mêmes la plupart des scènes
d’action, bagarres et cascades, les doublages physiques ou numériques étant peu
nombreux (par exemple, la scène où Parker rattrape tous les plats à la cantine
n’est pas truquée, elle a nécessité des dizaines de prises). Par contre, les
effets numériques sont omniprésents dans les décors (un New York retouché,
Times Square numérisé lors de la première confrontation Spider-Man / Bouffon
Vert, et évidemment, toutes les ballades aériennes de Spider-Man). D’où
l’importance de la coopération entre Raimi et le responsable des effets
spéciaux John Dysktra.
La « patte » de Raimi tel que le
connaissaient les fans de « Evil dead » est quasi-invisible. Tout au
plus faut-il noter un de ses plans typiques (le bras du Bouffon qui sort
lentement des décombres façon zombie lors de la baston finale), et la présence
au casting de quelques-uns de ses acteurs attitrés, le plus en vue étant
logiquement Bruce Campbell en présentateur de combats de catch. On sent
derrière ce « Spider-Man » toute la pression et la force de la
Columbia-Sony et un cahier des charges extra-cinématographique tellement
colossal qu’il éclipse toute velléité d’originalité. Raimi a le budget, certes,
mais est entouré d’une pléiade de producteurs (tout court, exécutifs, …). On
est prié de rester sérieux avec les millions de dollars.
Le résultat est visuellement remarquable, sans que
le film, avec son scénario et ses rebondissements cousus de fil blanc, soit
réellement intéressant et encore moins captivant. Ce qui n’empêche pas quelques
jolis plans (le baiser « à l’envers » entre Spider-Man et Mary Jane),
quelques scènes bien vues (notamment celle du dialogue devant le miroir entre
Dafoe/Osborn et son double maléfique).
Miroir, dis-moi qui est le plus méchant ... |
Plus gênants sont quelques postulats véhiculés par
le film. Passe pour le côté positif, le Bien qui triomphe du Mal, c’est assez
commun. Mais si Spider-Man est conçu comme une vitrine, c’est aussi une allégorie
de la « bonne » Amérique qui triomphe des méchants, et à ce titre, un
des derniers plans du film qui montre Spider-Man accroché à la hampe d’un
gigantesque drapeau américain a de quoi laisser perplexe sur le côté cocardier
et subliminal de cette affaire. La morale du film et le credo de Spider-Man,
qui revient plusieurs fois genre mantra c’est la saine maxime :
« avoir un grand pouvoir donne de grandes responsabilités ». Tu
parles Charles, suffit de donner du pouvoir à un type pour qu’il se foute royalement
de ceux qui le lui ont donné … Il est aussi assez édifiant d’entendre
(fugacement, ils s’étendent pas trop sur le sujet) les responsables des effets
spéciaux évoquer la retouche numérique de toutes les marques des objets anodins
utilisés pour les besoins évidents du film (les boîtes de céréales, les
canettes, les paquets de clopes, les affiches, les écrans publicitaires sur les
immeubles) dans le but de remplacer la marque d’origine par celle des sponsors
ayant amené leurs dollars au projet. Rien n’est neutre, laissé au hasard, tous
ont payé pour être visibles à l’écran. Business
is business …
Les produits dérivés du film ont évidemment été
déclinés à l’infini, même si la plupart existaient de longue date. Il en va de
même pour les supports physiques du film, les Dvd, Blu-ray sont cesse réédités
sous de nouvelles formes vendues à chaque fois comme « définitives »
(même s’il manque encore la director’s cut et la version 3D). Je me suis
enquillé (d’occase, 1,5 euro plus frais de port, tout se brade, crise quand tu
nous tiens …) une édition « collector » double Dvd avec des heures de
bonus plus ou moins intéressants (et plutôt moins que plus d’ailleurs). J’y ai
appris deux choses. La première, c’est qu’il n’y a rien de plus pénible qu’un
film commenté par les types qui ont fait les effets spéciaux, jamais ils
parlent de la scène en cours, ils anticipent celle d’après ou reviennent
interminablement sur celle d’avant. La seconde concerne Kirsten Dunst. Si elle
est rousse dans le film, c’est en fait une vraie blonde. Elle le démontre avec
ses commentaires audio du film (en direct live semble t-il) qui sont d’une
banalité, voire d’une bêtise affligeantes. Par contre, dans les exercices
imposés des interviews de service après-vente où là elle semble réciter de conventionnelles
leçons bien apprises, elle est un peu plus à son avantage … Fuck Mary Jane …
quoi, faut faire gaffe à Spider-Man ? Pff, même pas peur …