N’en déplaise aux fans (il en faut, mais leur avis
ne vaut rien, ils ne sont pas lucides), depuis sa doublette ô combien magique
du milieu des sixties (« Highway 61 revisited » / « Blonde on
blonde »), Dylan n’avait sorti en cette fin des 80’s que deux disques
dignes de sa réputation (« Blood on the tracks » en 1975, « Infidels »
en 1983) … sur au moins une vingtaine de parutions tant en live qu’en studio.
Ce qui fait pas une bonne moyenne.
En gros, Dylan était à la rue artistiquement. Il
s’en foutait peut-être, il s’en foutait sûrement, mais il était out. Pire, à
part des folkeux attardés dans un autre espace-temps, genre Billy Bragg, plus
personne débarquant dans le trouble marigot du music-business ne le citait. Ses
deux dernières parutions, « Down in the groove » en studio et le live
« Dylan & The Dead » avaient été deux flops tant critique que
commercial retentissants. Dylan, pas plus sourd ni plus con qu’un autre, le
savait. Et comme souvent quand il se sent largué, il va tenter un coup de
poker. Va se livrer pieds et poings liés (enfin, pas aussi facilement, les
premières prises de contact et séances d’enregistrement ont soi-disant été
houleuses) à un jeune producteur canadien, Daniel Lanois, alors sur un nuage.
Lanois vient de produire des disques qui ont démesurément cartonné pour Peter
Gabriel (« So ») et U2 (« Joshua tree »), bosse sur le
« Yellow moon » des Neville Brothers (c’est pendant les séances de ce
disque que Dylan viendra l’observer et en profitera pour recruter quelques
musiciens). Lanois, c’est le type à total contre-courant de la tendance des
80’s. Non pas qu’il n’utilise pas toutes les technologies high-tech, mais il
s’en sert juste pour sonner « rustique ». Les disques produits par
Lanois donnent la priorité au feeling et aux instruments en bois.
Daniel Lanois fin des 80's |
« Oh mercy » va être salué comme le disque
de la (énième) renaissance de Dylan. Lanois y est certes pour beaucoup (il joue
aussi, surtout de la guitare sous toutes ses formes, sur pratiquement tous les
titres). Mais il faut aussi reconnaître à Dylan le mérite d’avoir sorti on ne
sait trop d’où ni comment un paquet de compositions qui tiennent la route.
« Oh mercy » est un disque qui fait
semblant de se chercher, d’hésiter entre deux directions. Les quatre premiers
titres présentent en alternance des ballades folk d’inspiration très 60’s
(« When teardrops fall », « Ring them bells ») et des
choses beaucoup plus chaloupées, remuantes, swinguantes, le groove New Orleans
revisité par Dylan (l’inaugural « Political world »,
« Everything is broken »). Le lien entre les deux tendances est
assuré par la mise en place sonore de Lanois, ça sonne cool, tranquille,
apaisé, la jam à la belle étoile à côté d’un feu de camp, asseyez-vous en
cercle, Papy Dylan va vous en raconter une bonne … Le côté « funky »
(même si Dylan et funky sont antinomiques, Dylan est tout sauf funky) ne
réapparaîtra qu’à l’avant-dernier titre (« What was it you wanted »,
avant un final (« Shooting star ») plutôt rock (mais le rock revisité
par Lanois, c’en est pas vraiment) très dans le son et l’esprit de
« Infidels ».
Le cœur de « Oh mercy », c’est la ballade
folk tranquille, Dylan retrouve d’ailleurs souvent son harmonica. C’est du
Dylan, on peut pas se tromper, mais il y a un aspect détendu peu fréquent chez
lui. C’est aussi (le boulot de Lanois est colossal) une façon de chanter, de
faire reposer les titres sur sa voix, à laquelle on n’était pas habitué. Dylan,
qui n’a jamais eu une voix agréable, et qui se complaisait dans les tonalités
(per)sifflantes, arrogantes, commence à avoir cette sonorité très rauque assez
pénible qui ne le quittera désormais plus. Là, sur ce « Oh mercy »,
il n’hésite pas à la mettre en avant. De toutes façons, il a pas vraiment le choix,
l’instrumentation est souvent limitée à sa portion la plus congrue, et ça se
joue à rien : « What good I am » pour moi ne « passe »
pas, la voix de Dylan ne s’appuie sur pratiquement rien, elle agit comme un
repoussoir. Il suffit de pas grand-chose (des arrangements d’orgue, un petit
solo de guitare bluesy à l’arrière plan) pour qu’un titre très voisin
(« Disease of conceit ») apparaisse beaucoup plus réussi.
Et puis, il y a deux titres somptueux, « Man in
the long black coat » (la ballade a minima hors d’âge, ça a l’air tout
con, beaucoup s’essayent à ce genre d’exercice, peu le réussissent), et
« Most of the time » (mélodie calée sur une superbe ligne de basse et
des nappes de synthé, c’est évident et original en même temps). Le genre de
titres en état de grâce que l’on croyait ne plus entendre de Dylan.
On le sentait à nouveau concerné, capable de refaire
de bons disques, les fans y ont cru dur comme fer. Ce sera pour lui l’occasion
de partir dans une fuite sans fin en avant (en avant, hum … pas toujours,
malheureusement) pour le bien nommé « Neverending Tour », Dylan
n’envisageant plus l’avenir que façon baladin (son job c’est être sur une scène
quasiment tous les soirs et chanter, jusqu’à ce que mort s’ensuive, et ça fait
vingt-cinq ans que ça dure). Par contre dans sa discographie, ce très bon
« Oh mercy » restera sans suite digne de ce nom dans les 90’s, avant
un virage folk-blues qui n’en finit plus de diviser les dylanmaniacs entamé par
« Time out of mind » (moi j’aime bien voire plus, mais comme je suis
pas fan de Dylan, mon avis compte pas non plus …).
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