Les punks avaient démontré que point n’était nécessaire
d’avoir des décennies d’études musicales derrière soi pour faire des disques.
Joe Jackson allait prouver que des années de conservatoire (du piano à la très
sérieuse et très prestigieuse London’s Royal Academy of Music), ça pouvait
aussi aider pour faire de la musique.
Avec pareil background, Joe Jackson n’a forcément rien
d’un punk. Il arrivera avec ce disque, son premier, alors que les punks
commencent à avoir du plomb dans l’aile, dans une Angleterre de la fin des
années 70 qui voit émerger chaque semaine des sons et des gens nouveaux. Le
tout englobé dans le terme générique de new wave, regroupant des artistes aussi
différends que Cure, Siouxsie, Magazine, Police, Madness, Costello …
Scoop : Joe Jackson a eu des cheveux ! |
Costello, justement. L’autre Elvis avec lequel Joe
Jackson a souvent été comparé à ses débuts. Tous les deux ont débuté avec des
chansons sèches, presque austères, nerveuses, avec de nombreuses choses venues
du reggae … et tous les deux ont vite été à l’étroit dans le format qui les
avait fait connaître. Il y a une différence fondamentale entre eux, leur
culture musicale de base. Costello rêve de folk et de country, Jackson de jazz
et de musique classique, et très vite, ils bifurqueront vers ces genres qui les
fascinent …
Mais à ses débuts, Joe Jackson est parfaitement raccord à
l’air du temps, et son talent certain de musicien lui permettra de glisser dans
ce premier disque des titres marquants, qui feront de ce « Look
sharp ! » un bon succès et un des incontournables de l’époque. Un premier
disque carte de visite, en ces temps reculés où l’on ne cherchait pas à tout
prix la rentabilité immédiate, où l’on raisonnait en terme d’œuvre, de
carrière. Joe Jackson sort un disque en prise avec son époque, mais
suffisamment personnel pour qu’on le remarque du lot.
Une chose frappe tout du long de ce « Look
sharp ! ». Tous les morceaux reposent sur un son de basse
caoutchouteuse, ample, tenue par Graham Maby. Que beaucoup s’arracheront pour
leurs disques ou leurs tournées, mais qui toujours restera fidèle à Jackson
tout du long de sa carrière, inamovible piler du Joe Jackson Band … Et Maby, on
l’entend d’autant plus que pas mal de titres de « Look sharp ! »
sont construits à partir de bases reggae (« One more time », avec son
refrain pop, sec et nerveux, « Sunday papers », sur les tabloïds
anglais, « Fools in love », avec un piano jazzy au milieu du morceau,
« Look sharp ! » le titre est un ska sautillant qui évolue vers
des accords tarabiscotés qui eux évoquent
… le prog, nobody’s perfect). La basse est quasiment seule à assurer les
couplets tout en lenteur avant un refrain très mélodique de « Is she
really going out with him », premier hit de Joe Jackson et un de ses
titres fétiches.
Joe Jackson Band 1979 |
Et puis, de temps en temps la petite équipe (guitare,
basse, batterie, Jackson au piano, plus rarement à l’harmonica, et David
Kershenbaum à la production) se lâche, balançant du rock’n’roll (« Throw
it away »), du punk-rock (« Got the time »), deux genres dans
lesquels Joe Jackson ne s’investira plus guère par la suite et ces titres font
un peu figure de curiosités. Ils clôturaient chacun une face du vinyle
original. Un titre saccadé (« Having loving couples ») évoque le
Costello des tout débuts, un autre (« Baby stick around ») fait
penser au Clash de « Give ‘em enough rope », « Pretty
girls » me semble très inspiré par le « Do wah diddy » de
Manfred Mann. Et pour achever le tour du propriétaire, il y a des riffs très
Led Zep sur « Do the instant mash », et sur la réédition Cd deux
titres bonus assez anecdotiques …
« Look sharp ! » sera assez bien perçu
lors de sa sortie, et contribuera vraiment à lancer la carrière de Joe Jackson.
Qui suivra dans la même veine avec « I’m a man » que l’on peut
raisonnablement trouver meilleur. Ensuite, l’Anglais à forte tête (c’est pas
toujours un client « facile » niveau relations humaines, il a des
jours « sans », où il est très soupe au lait), bifurquera vers des
genres pas très à la mode (en gros du swing jazzy très orchestré le temps d’une
paire de disques) avant de revenir à la pop avec ce que beaucoup considèrent
comme sa masterpiece, « Night and day », et à nouveau de repartir
dans d’autres directions musicales, démontrant un talent évident, protéiforme,
mais pas toujours facile à suivre …