On ne sait pas qui avait commencé. Lequel dans son bunker
avait validé le premier l’algorithme de mise à feu des missiles. Tous l’avaient
suivi. Guerre nucléaire totale…
Et contrairement aux prévisions, ce ne furent pas les
scarabées, les rats ou les scorpions qui survécurent. Non, juste des chevelus
en train d’écouter les Stooges au moment du Big Bang terminal. Juste une
poignée de types. Des Finlandais, la plupart faisant autrefois partie d’un
groupe nommé Flaming Sideburns. Et aussi un Argentin bizarre. Au doux surnom de
Speedo Martinez.
C’est lui qui retrouvera les Finlandais, calfeutrés dans
un studio d’enregistrement. Et qui leur dit que puisqu’ils avaient survécu en
écoutant les Stooges, peut-être la vie renaîtrait-elle si on jouait du
rock’n’roll. Comme les Stooges, évidemment … Tous ensemble, ils prendraient le
nom de code et de guerre de Jack Meatbeat & the Underground Society.
Il fallait faire vite, les générateurs menaçaient de
lâcher définitivement… Moins d’une heure d’autonomie. Ça suffirait… on ferait
ça sous forme de jam, on enchaînerait tous les titres …
Et on commencerait par une courte incantation en espagnol
sur un fond de free-jazz. Et puis on continuerait par un blues mutant,
menaçant, très lent, avec plein d’orgue Hammond (« Back in the
Delta ») parce que le blues, y’avait de quoi l’avoir devant la folie des
hommes et que le Delta, c’est là dans le Mississippi que tout avait commencé.
Mais bon, le seul truc capable de faire tenir, de faire oublier tout ce bazar,
d’espérer en une régénération, c’était du rock métallique et violent. Y’avait
qu’à faire un shoot électrique et meurtrier (« Stay and dance »),
d’ailleurs y’avait un gratteux au surnom prédestiné, il se faisait appeler Sky
Williamson, et à temps perdu, mais il y en avait plus beaucoup à perdre, il se
prenait pour Hendrix (à moins que ce soit l’autre guitariste, Mr. Hellstone), les titres étaient pleins de ces notes
sales, distordues, cosmiques, si caractéristiques du Voodoo Chile.
De toutes façons, y’avait pas le choix, fallait jouer,
compact, dru, méchant, dresser des murs de larsens et de feedback, parce que
là, dehors, quelques silhouettes, qui avaient peut-être été des hommes avant,
rendus aveugles et brûlés par les radiations, traînaient près du studio, et
menaçaient de contaminer les survivants (« We are the zombies »).
L’électricité n’allait pas tarder à manquer, les bécanes d’enregistrement
recrachaient des bruits bizarres au gré des micro-coupures, y’avait tout un
bourdonnement, tout un parasitage, des interférences à rendre jaloux Ministry,
Trent Reznor et Marylin Manson s’ils avaient encore été de ce monde (« Cosmic
power », comme une jam entre les Stooges et le MC5 en 1970). Le matos
déconnait de plus en plus, « Granada smokin’ gypsy », on aurait un Cd
d’Aphex Twin passé à l’envers, avec l’Argentin qui venait se lamenter sur le
Mur des larsens …
Tout manquait, les meufs, l’alcool, la came … ils en
étaient réduits à invoquer le nom d’un narco colombien (« Hotel
Escobar »), dans une complainte de junkie en manque, sale et dangereuse
comme une aiguille rouillée avec laquelle on va se faire un shoot. Et puis,
avant que la vision devienne mirage (« Sun eclipse 1999 »), un
dernier hommage au Maître Iggy et à sa bande (« Magnetic KO »)
allusion transparente à un live semi-officiel (« Metallic KO »).
Le compresseur du studio rendait l’âme, la fourniture
d’électricité devenait de plus en plus aléatoire, il y avait sur les
bandes des échos stéréo bizarres, on avait l’impression qu’un type tapait le
blues pendaient que les autres jouaient du métal indus (« Space mountain
blues ») … Bon, là, ça y est, c’est la fin, la lumière clignote, l’oxygène
se fait rare, y’en a qui bougent plus, peut-être qu’eux aussi ils sont morts,
alors les derniers valides balancent un rock’n’roll ultime avant la fin
(« Jack’s ink gone red »).
L’espace-temps était en pleine déconnade, Speedo
Martinez, dernier encore en vie, vient de s’apercevoir que ça a pris trois ans
pour enregistrer ces treize titres, mais de toutes façons on s’en fout, le jour
où quelqu’un écoutera cette musique, Jack Meatbeat lui aussi sera mort depuis
au moins deux ans …
Voilà, c’était quelque part près du cercle polaire,
c’était la fin de la fin du monde, et l’orchestre jouait du rock’n’roll …