Un des films les plus controversés, sinon le film le
plus controversé de Tarantino…et un de ses meilleurs.
Le bon peuple cinéphile et érudit (les ceusses qui
regardent le film du dimanche soir sur TF1 et Questions pour un champion) s’est
offusqué devant pareille chose. Pour qui se prenait-il ce jeune gommeux
américain de Tarantino, à bafouer l’Histoire majuscule, celle qui est dans les
livres ? A nous montrer tonton Adolph criblé de balles en 44 dans un
cinéma en feu parisien ? Et criblé de balles par, en plus, un commando de
juifs américains plus sauvage que les hordes d’Attila et de Gengis Khan
réunies, ayant auparavant dézingué et scalpé du soldat nazi à profusion dans
des geysers d’hémoglobine ?
Eli Roth & Brad Pitt |
Bon, les constipés, ce que vous avez vu c’est un
film. Pas les archives de l’INA des émissions d’André Castelot. Ça vous est pas
venu à l’esprit que le cinéma c’était fait pour raconter des histoires, faire
rêver, passer du bon temps ? Et que ça n’a pas à être vrai, véridique ou
vraisemblable. Vous avez été troublés de voir les flots de la Mer Rouge
s’ouvrir devant Moïse dans « Les Dix Commandements », et ensuite se
refermer pour engloutir l’armée égyptienne ? Vous croyez que tout dans
« Spartacus », « Ben Hur », ou le « Napoléon »
d’Abel Gance est rigoureusement exact ? Et vous croyez que dans les années
40 en France, c’était comme dans « La grande vadrouille » ou
« On a retrouvé la septième compagnie » ?
En plus, j’ai l’impression que vous tombez mal avec
Tarantino. Parce qu’il a bossé comme un forcené sur son scénario, et qu’il
prouve dans les bonus du BluRay que l’histoire – la vraie – de la Seconde
Guerre Mondiale, il la connaît aussi, beaucoup plus que ce que vous croyez …
« Inglourious basterds », c’est une
comédie. Noire, sordide, macabre, de mauvais goût, si vous voulez. Mais une
fuckin’ géniale comédie, pleine de clin d’œils, d’allusions, … et de non-dits,
même si ça jacasse encore plus vite que les rafales de mitraillette. Un film de
fan (plus encore que tous ceux de la Nouvelle Vague, Tarantino est avant d’être
un réalisateur un dingue de cinéma). Et puis, quand les répliques deviennent
plus posées, on a de grands moments de cinéma. Avec trois scènes de bien vingt
minutes, celle de la ferme qui débute le film, celle du restaurant, et celle de
la taverne (et encore ces deux dernières ont été raccourcies au montage). Des
sommets de suspense, avec une tension qui n’achève jamais de monter. On sent
que ça va mal finir, c’est inéluctable, et dans la ferme ça finit effectivement
très mal. On s’attend donc au pire au restaurant, et … surprise, ça se
« passe » bien. Du coup, dans la taverne, on ne sait plus à quoi
s’attendre, et là, on va en avoir pour notre argent … Clouzot ou Hitchcock, et
encore plus Leone (tant les références à son cinéma sont nombreuses, de la
lenteur des scènes-clés à la musique de Morricone, très présente dans la B.O.)
auraient approuvé, Fincher devra se surpasser …
Christoph Waltz |
« Inglourious basterds », au moins autant
qu’un film d’action sur la guerre (le premier du genre de Tarantino) est un
film sur le cinéma. Et là bizarrement, on a pas lu trop de grincheux
surenchérir sur l’exposé du cinéma d’époque, surtout allemand, les liens que
certains acteurs ou réalisateurs ont eu (ou pas) avec le régime nazi, le cinéma
de propagande de l’époque. Le film c’est pas toujours de l’uchronie, là c’est
la leçon du fan et du connaisseur. Et je suis prêt à parier que l’œuvre de Leni
Riefenstahl n’a pas de secrets pour Tarantino. Le film dans le film (« La
fierté de la Nation ») est un petit bijou (réalisé non par Tarantino, mais
par Eli Roth, celui qui joue dans le film Donowitz, le « bâtard » à
la batte de base-ball). Coupé aux deux-tiers au montage, il pastiche les films
de Goebbels, ceux de la propagande stalinienne, et même avec un landau sur une
place mitraillée le « Cuirassé Potemkine ») Et comme le film est un
fake, on a droit dans les bonus à un génial fake de making-off. Clairement,
« Inglourious basterds » est un film sur le cinéma. Une bonne part de
l’histoire se passe dans un cinéma et y trouve en partie son épilogue. L’agent
double allemand (un des meilleurs rôles de Diane Kruger) est une actrice
allemande, le commando des Bâtards s’infiltre dans le cinéma en se faisant
passer pour équipe technique et un réalisateur italien, …
Diane Kruger & Michael Fassbender |
Et là, dans cette Tour de Babel des nationalités
présentes à l’écran, réside une autre trouvaille assez formidable de Tarantino.
On passe sans arrêt d’une langue à l’autre, et évidemment, les polyglottes
finissent par paraître tenir les atouts maîtres de l’action. Et le personnage
central du film, à peu près le seul lien entre des histoires dans l’histoire menées
en parallèle, est le formidable acteur allemand Christoph Waltz. Qui incarne le
colonel nazi Landa surnommé le « chasseur de Juifs », raffiné,
sadique, machiavélique et cruel, qui jongle entre allemand, anglais, français
et italien, tout en assurant un jeu plein d’acteur, tout en regards, poses,
mimiques, et gestes d’une justesse absolue. Quasiment inconnu, c’est lui
l’acteur de premier plan du film. Il éclipse à mon avis un Brad Pitt pourtant
concerné et intéressant en leader du commando juif. C’est pourtant Pitt qui est
en avant sur toute la promo du film (les affiches notamment), à la tête d’un
casting international très fourni en second rôles. Et ce sont ces seconds rôles
qui font toute la richesse du film, sans obscurcir l’intrigue. Dans les bonus,
Pitt et Tarantino (interview plus souvent en roue libre que réellement
intéressante) ne tarissent pas d’éloges sur un autre quasi inconnu qui ne va pas le
rester (Michael Fassbender, dans le rôle d’un officier anglais qui rejoint les
Bâtards). Mais on trouve également dans la distribution Myke Miers, pote de
déjante de Tarantino, et toujours au rayon hommage (hommage et vengeance sont
les deux moteurs du cinéma tarantinien), la participation de Bo Svenson et Enzo
Castellari, respectivement acteur principal et réalisateur d’un nanar italien
de série Z (y’a Michel Constantin qui y joue, c’est dire …) dont s’est inspiré
Tarantino (en fait d’une seule scène) pour le scénario de « Inglourious
… ». Anecdote : Castellari a fait cadeau de ses droits à Tarantino à
la condition d’avoir une réplique dans le film, c’est lui l’officier nazi au
premier rang du cinéma qui crie « Au feu ! » quand l’écran
s’embrase …
En fait, la seule dans ce casting qui me semble un
peu en dedans, c’est Mélanie Laurent (Soshana, jeune juive dont la famille a
été massacrée par Landa et ses hommes). Même si elle incarne la vengeance
implacable, quasi rituelle (la scène du
maquillage en forme de peinture de guerre indienne, avec en fond sonore le
« Cat people (Putting out fire) » de Bowie et Moroder), on a
l’impression qu’elle ne « s’amuse » pas sur ce film, alors que tous
les autres semblent s’en donner à cœur-joie …
Mélanie Laurent |
« Inglourious basterds » est un film qui
fourmille de détails qui eux-mêmes peuvent renvoyer à d’autres thématiques.
L’une d’entre elles, qui revient comme un fil rouge subliminal a trait aux
Indiens d’Amérique (Raine – Brad Pitt a
un peu de sang indien, le rituel du scalp des Bâtards, le maquillage de Mélanie
Laurent, une carte à deviner dans une scène coupée de la taverne porte le nom d’un
chef Indien). D’autres détails des personnages restent sans réponse :
pourquoi la cicatrice autour du cou de Raine ? Pourquoi à tout prix
identifier par des flèches et des incrustations à l’écran les hauts dignitaires
nazis dans le cinéma alors qu’à ce moment on est en totale fiction
historique?
« Inglourious basterds » (l’orthographe
bizarre du titre vient de l’accent en V.O. de Pitt, mais aussi pour éviter la
confusion avec le film italien de Castellari, sorti aux States sous le nom de
« Inglorious bastards ») fait pour moi partie du quarté majeur de
Tarantino avec « Reservoir dogs », « Pulp fiction » et le
Volume I de « Kill Bill ».
Un film à visionner obligatoirement en V.O.
sous-titrée pour prendre la mesure de tout le jeu de langage des acteurs. Il
existe un coffret métal à prix dérisoire contenant le film en BluRay et en Dvd,
ainsi que le Dvd du film italien de Castellari. Qualité du BluRay excellente,
mais bonus de l’ensemble un peu chiches …
Du même sur ce blog :
Kill Bill Vol. 2