Téléphone, faut avoir été lycéen quand ils sortaient
leurs disques. Sinon, c’est un truc un peu surréaliste, incompréhensible, un
phénomène que les moins de … peuvent pas saisir.
Avant Téléphone, le rock français, c’était … la misère.
Pour situer l’ampleur des dégâts, il faut savoir qu’au milieu des seventies, la
grosse affaire par ici, c’était le prog champêtre de Ange. Et puis, à partir de
76-77, des groupes jaillissent de partout, sous influence des vagues punks
anglaises ou américaines. Peu franchiront l’étape du 33T. Quelques-uns (Little
Bob Story, les Dogs) récupèreront un noyau de fans fidèles, s’installeront
durablement, mais vendront des nèfles. Téléphone, c’est deux paires qui se
rejoignent. Aubert et Kolinka d’un côté et à l’origine du groupe, Bertignac et
Corine de l’autre, plus expérimentés (ils viennent tous les deux de Shakin’
Street, et Bertignac commence à être reconnu grâce à de multiples sessions,
notamment pour Higelin, comme un des bons guitaristes locaux). Téléphone n’ont
rien de punk (leurs détracteurs ont eu beau jeu de se gausser d’Aubert, fils de
haut fonctionnaire) et vont d’entrée avec leur premier disque rencontrer un
public jeune et nombreux, et aligner des chiffres de vente
« intéressants ».
Leur label EMI France, met le paquet, subodore une
possibilité de carrière internationale, et envoie le groupe enregistrer son
second disque à Londres, sous la houlette de Martin Rushent (au long passé
d’ingénieur du son et producteur du premier Stranglers). Et à la réécoute de ce
« Crache ton venin » des décennies plus tard, c’est peut-être bien le
disque de Téléphone qui a le mieux vieilli.
Téléphone, c’est du classic rock. sous grosse influence
Stones et Who. Et très vite, quels que soient les disques, on distingue deux
points forts. La technique très au-dessus de la moyenne de Bertignac à la
guitare et de Kolinka à la batterie. « Crache ton venin » est un
festival des deux, Bertignac y aligne riffs sauvages, chorus musclés et solos
efficaces et pas démonstratifs. Kolinka booste sa troupe, et se hisse au niveau
de pousse-au-cul de gens comme Ian Paice ou Keith Moon (il est tellement
impressionnant qu’il signe même un titre, « Regarde moi »). Pour être
honnête, il faut dire que Téléphone a deux points faibles, la voix d’Aubert,
assez limitée et souvent à la limite de la justesse, pour ne pas dire fausse
tout le temps ; et un jeu de basse assez transparent de Corine. Et puis,
il faut quand même dire un mot des textes, lesquels feront la joie d’un public
d’ados (alors qu’il n’y en a pas dans le groupe) mais qui, avec le recul, sont
quand même très moyens, développant thèmes de société traités de façon quelque
peu infantile, et allitérations et rimes assez moyennes, pour être gentil …
Mais avec « Crache ton venin », ce sont les
compos qui tiennent la route. Du classic rock, certes, mais balancé avec une
énergie alors inédite par ici. Des boogies stoniens qui valent bien à cette
époque-là ceux de la bande à Jagger et Richards (« Je sais pas quoi
faire », « Facile », « Crache ton venin » le morceau,
« Je suis parti de chez mes parents », le plus speed du lot). Et à la
fin du disque, les deux derniers titres tentent une percée vers des sonorités
plus funky (« Un peu de ton amour », « Tu vas me
manquer »), et s’ils sont pas vraiment à jeter, peuvent malgré tout
laisser assez dubitatif.
| Sous le calque ... |
Si Téléphone a eu autant de succès (les ventes de ce
disque vont quasiment décupler par rapport au premier, et atteindre des
chiffres qui doivent laisser songeurs les rockeurs ou prétendus tels d’aujourd’hui),
c’est parce que le groupe était excellent sur scène, ne s’économisant jamais
pour un public de plus en plus nombreux au fil des tournées. Et qu’il pouvait
s’appuyer sur des titres que faute de mieux on qualifiera d’hymnes
générationnels. Ici, il y en a trois, « Crache ton venin »,
« Faits divers » (un des meilleurs riffs du groupe), et
l’emblématique scie désenchantée « La bombe humaine », tellement
entendu qu’on ne sait plus quoi en penser.
La plupart des titres sont signés Aubert, Bertignac
collabore sur quelques-uns (signature Aubertignac), on entend Corine Marienneau
chanter lead un couplet de « Ne me regarde pas », « Je sais pas
quoi faire » est un hommage à Godard (le titre est dédié à Pierrot le Fou
et Marianne), la pochette avec son calque transparent est signée d’un jeune qui
va monter (Jean-Baptiste Mondino),…
Et comme tous les autres skeuds du groupe, celui-ci
n’aura aucun impact hors de France. C’est d’ailleurs cette quête de la
reconnaissance internationale (et plus encore quand Branson les signera sur
Virgin), qui ne sera pas pour rien dans les tensions internes (euh, et la
fouteuse de merde Corine aussi, un peu beaucoup) qui finiront par avoir la peau
du groupe au sommet de sa gloire cinq ans plus tard …

