BEASTIE BOYS - PAUL'S BOUTIQUE (1989)

Sales gosses doués ...

Avec leur premier disque « Licensed to ill », les Beastie Boys avaient été dans l’œil du cyclone (et de la critique), ayant suscité autant de louanges que d’interrogations. Trois blancs-becs, fils de bonnes familles juives de Brooklyn (multiples pléonasmes), tellement limités qu’ils étaient incapables de jouer du punk-rock ( !! ), ont sorti un disque de rap, truffé de grosses guitares zeppeliennes par-dessus lesquelles ils braillaient leurs slogans crétins. Tout juste capables de se produire sur scène, qu’ils arpentaient de long en large en ouvrant force cans de bière, ils ont déchaîné les passions et les débats au milieu des eighties. Crédibilité et technique zéro, assurèrent tous les niggaz. Putain de génial s’exclamèrent tous les gamins white trash et tous les rockers à guitares qui trouvaient là un rap « supportable ». Carton commercial en tout cas …
Les Beastie Boys, ils ont eu l’occasion de largement le démontrer par la suite, étaient beaucoup plus malins et intelligents que ce qu’ils laissaient croire. Et ils ont vite vu les limites de leur attitude potache. Et ils ont décidé d’aller de l’avant. Et en l’espace d’un seul disque, ce « Paul’s boutique », ont fait faire un pas de géant au rap. Tant et si bien que certains, prompts à s’enflammer, les ont qualifié de Beatles du rap. Bon, on se calme …
Certes « Paul’s boutique » constitue une avancée plus que notable et spectaculaire. Les trois garnements ont pris tous les risques. Lâché leur premier producteur et leur première maison de disques (on parle pas de rien, de Rick Rubin et de Def Jam), signé pour une grosse boîte mainstream (Capitol) et engagé deux DJ quasi-inconnus (les Dust Brothers) à la production.

Résultat des courses : un feu d’artifice(s), un disque qui part dans tous les sens, multipliant les gimmicks et les trouvailles à l’intérieur de chaque titre, tout en restant bien dans la trademark installée par « Licensed … ». Parce que, contrairement à l’idée reçue, les Beastie Boys sont des bosseurs forcenés. Cet assemblage de trois voix qui s’interpellent, se répondent, s’apostrophent, font des chœurs décalés, faut travailler pour les mettre en place. Et puis faut avoir des cojones, alors que l’on se sait plus qu’attendu au tournant, pour prendre une sacrée tangente par rapport à tout l’aspect sonore du rap alors de mise. Qui est alors dominé par les rythmiques sèches, martiales et austères (Run DMC et Public Enemy, les deux références majeures d’alors), venant pour faire simple du funk métronomique 70’s en général et de James Brown en particulier. Les Beastie et les Dust Brothers vont partir dans des choses beaucoup légères, swinguantes, chaloupées, jazzy, les entrelaçant sans répit dans les titres, aller chercher des samples inattendus (de country par exemple, bien le dernier genre musical auquel on aurait penser associer le rap). Il y a au final plus d’idées dans un seul titre de ce « Paul’s boutique » que dans beaucoup de disques de la concurrence. Les samples ratissent plus que large, de Johnny Cash à Kool & The Gang en passant par les Beatles, Hendrix, Pink Floyd et Led Zeppelin, au sein de morceaux en perpétuelle évolution. Les Beastie Boys désossent, dissèquent le rap pour voir comment c’est foutu à l’intérieur, ils sont les premiers à le faire, avec une longueur d’avance sur Dr Dre.
Les premiers titres restent en terrain connu, mais plus le disque avance, plus les repères avec « Licensed to ill » s’estompent. De nouveaux chemins musicaux sont tracés, dans lequel des gens comme Beck (lui aussi produit par les Dust Brothers et grand adepte des mélanges « contre nature »), les tenants du trip-hop (flagrant sur « 3 minute rule »), voire Daft Punk (les basses compressées de « Shadrach »), iront quelques années plus tard se servir. « Paul’s boutique », comme « Follow the leader » des stars du moment Eric B & Rakim, se termine par une collection de beats et riddims (« B-Boy bouillabaisse »), comme une invitation pour la concurrence à aller piocher quelques idées qui sortent de l’ordinaire.
La prise de risque artistique est maximale, et malgré le bon parcours dans les charts du single « Hey ladies », ce « Paul’s boutique » se vendra peu. La réhabilitation sera tardive, et il est maintenant perçu comme un des disques majeurs du rap toutes époques confondues.

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