Un bon chanteur et un mauvais groupe ...
De quelque côté qu’on l’envisage, ce live est un
pavé. Et un pavé, que tu le prennes sur les pieds ou en pleine poire, ça fait
mal …
Par où commencer ? Des chiffres ? 40
titres, 3 heures et demie … aujourd’hui trois Cds bien pleins. Lors de sa
parution fin 86, cinq vinyles. Personne n’avait été aussi loin dans la
démesure, les funestes live de Santana, Yes et Wings s’étaient arrêtés à trois
rondelles de plastique noir, ce qui faisait déjà beaucoup (trop). Idem en studio pour les
Clash, George Harrison ou le Nitty Gritty Dirt Band (le Nitty qui ? ... pfff, c'est bon, laissez tomber ...). Argument entendu à l’époque : c’est pour être conforme à
la durée des concerts du Boss. Soit …
Derrière tout ça, un plan marketing mégalo de
Columbia-Sony, relayé par le management (l’ambitieux et omnipotent Landau), et
in fine cautionné par un Springsteen pas très bien dans ses baskets à cette
époque-là : un mariage qui part en vrille, et la sortie de sa période
dents refaites – bodybuilding et look Rambo-Stallone-Rocky.
Objectif de ce « Live » : être vendu
à au moins dix millions d’exemplaires sur la lancée du multiplatiné « Born
in the USA ». Pour l’anecdote, il y eut un petit problème de timing. Un
autre label distribué par Sony, Epic, voulait sortir à la même époque le
nouveau disque de Michael Jackson (« Bad »), et comptait, en ces
temps de show-biz triomphant en écouler cent millions de copies. Sollicitées,
les usines de pressage américaines déclarèrent impossible de faire face à une
telle demande, et l’enregistrement de Jackson fut décalé de plus de six mois.
Pour la morale, aucun des deux disques n’atteint ces objectifs …
Par quoi continuer ? Springsteen ? Dont je
ne suis pas fan. Que j’apprécie mais sans plus. Et dont l’essentiel de la
discographie me passe par-dessus la tête. Bon, touchez pas (ou dites pas de
mal) à « Nebraska » et aux deux « Born … », ces trois-là je
les défendrai. Mais comment, entends-je, et …, sans parler de …, ou encore …,
ils sont pas géniaux peut-être ? Si vous voulez, mais moi ils me gavent…
Et l’homme Springsteen me gave aussi, ce centriste perclus de bonnes manières,
de bons sentiments, de bons engagements, défenseur de toutes les causes
validées par l’ONU, l’Unesco et Bono… Je veux bien le soupçonner d’être tout à
fait sincère, mais il y a quand même un monde entre ce pur produit du music
entertainment et le Chevalier Blanc du combat social que certains le voient incarner.
Finalement aussi crédible qu’un diététicien qui mangerait matin et soir chez
MacDo (reproche valable également pour l’immense majorité de ses semblables).
Son succès ? Ben, on peut ni le nier ni le lui
retirer. Phénomène typiquement américain par de nombreux aspects (le fan de
folk, de country, de old rock’n’roll, des films des années 40 en général et de John Ford en particulier, de Woody
Guthrie, Dylan et Steinbeck, le troubadour des classes populaires, plus
américain que tout ça, tu peux pas …) qui a réussi à s’exporter all around the
world, tandis que des contemporains pas plus mauvais et guère différents par
leurs références sont restés beaucoup plus confidentiels hors de chez eux
(Seger, Petty, Southside Johnny, Graham Parker et tant d’autres …) A l’écoute
de ce « Live », il m’est venu un questionnement : le public du
Boss (tout a été enregistré aux States) comprend-il de quoi il retourne dans
ses chansons ? Sans parler du « malentendu républicain » du
morceau « Born in the USA », il y a dans ce « Live » un
titre qui par l’écho qu’il reçoit fait froid dans le dos. C’est la reprise du
classique de Woodie Guthrie « This land is your land ». Springsteen
présente le morceau, sans citer ni le titre ni Guthrie. Silence glacial (alors
qu’absolument tous les autres titres du shows sont couverts par les hurlements
du public au début et à la fin). Version acoustique du titre. Personne ne
réagit aux premiers vers. Timides chuchotements au début du refrain. Fin du titre et applaudissements
très très clairsemés. Chacun en tirera les conclusions qu’il veut, mais il me
semble qu’en France, où les trois-quarts de ses spectateurs ne comprennent pas
les paroles, ils savent qui est Woody Guthrie et la filiation idéologique que
représente Springsteen.
Et ce tas de skeuds ? T’en causeras un
jour ? Enervez-vous pas, ça vient … Qui dit musique, dit musiciens. Et là,
surprise … autant on sait que Springsteen bâcle pas le boulot en studio, que
ses prestations live ravissent forcément les fans, autant un concert ou des
bribes de shows différents accolées les unes aux autres comme c’est ici le cas,
on est vite amené à se gratter l’occiput. Le son d’abord. Très correct, voire
excellent, rien à dire, et l’on sait Springsteen particulièrement méticuleux de
ce côté-là. Sauf que je subodore que tout a été remixé avec le fameux
« Born in the USA sound », à savoir claviers très présents et
batterie très très en avant de Weinberg. Et là, comment dire, misère … Weinberg
est un batteur d’une médiocrité étonnante, inattendue à ce niveau … et on
n’entend que lui. Un autre qu’on est obligé d’entendre, c’est le « Big
Man », le pote de base du Boss dans le groupe, Clarence Clemons. Qui ne
joue pas du saxophone, mais souffle dedans, ce qui n’est pas exactement la même
chose … Reste le cas Miami Steve Van Zandt. Auquel, plutôt que son look assez
souvent consternant, on peut reprocher d’être un guitariste effacé, bon
accompagnateur rythmique, mais manquant de « présence, d’attaque ».
Pas un hasard si sur certaines tournées, Nils Lofgren, pourtant pas un
guitar-hero au sens seventies du terme, vient renforcer le E-Street Band. Qui
reste un gang soudé (les types jouent ensemble depuis des siècles), mais techniquement
assez limité …
La grosse bonne surprise, elle vient de Springsteen
… qui en tant que chanteur me laisse assez froid et sceptique en studio, où je
trouve qu’il a souvent tendance à en faire trop, à « surchanter ».
Là, dans le cadre de concerts de plus de trois heures, il peut pas se
permettre de gueuler tout le temps, il faut tenir la distance, et donc y aller
plus au feeling qu’au physique, suivre la mélodie et pas brailler. Les titres
essentiellement acoustiques sont pour moi les meilleurs. « Thunder
Road », juste piano guitare et voix en entrée est fabuleux, de même que le
« Jersey girl » repris à Tom Waits qui conclue symétriquement le
tracklisting. Et entre, tous les titres sur lesquels le E Street Band reste
discret, (tous ceux issus de « Nebraska », plus « Racing in the
streets », « Independence day », « I’m on fire », et
mentions particulières à un excellent « My hometown » et un
fantastique « No surrender »), surnagent nettement du reste.
Le reste, justement … il y a des classiques springsteeniens
(je suis beau joueur, il en a quand même écrit queqlues uns) qui s’en
sortent mieux que d’autres, comme «Hungry hearts » (grande chanson pop,
une des rares du Boss dans ce domaine) ou « Born to run » pour moi à
jamais son meilleur titre. A l’inverse, ça fait mal aux oreilles de voir
successivement sabotés « Badlands » par une intro calamiteuse et des
arrangements catastrophiques, « Because the night » par un solo de
guitare affligeant, et sur la lancée « Candy’s room » malmenée par un
E Street Band à la ramasse … Curieusement, alors qu’avec quarante titre son
répertoire est largement balayé, on n’a pas droit à « Glory days »,
un de ses plus gros succès en simple et ... et ces sagouins ils ont aussi oublié « Jungleland », faut pas déconner, « Jungleland » quand même ...
On a par contre droit à tous ces twists étriqués et
ces rocks centristes plus ou moins entraînants, tous ces « Paradise by the C »,
« Cadillac ranch », « You can look … »,
« Darlington County », « Working on the highway », mais qui
manquent tellement de substance, de tripes, d’adrénaline … et j’aurais préféré
que sur un « Rosalita » de dix minutes, au lieu de la présentation
interminable du Band, on ait droit à un medley de classiques rock’n’roll ou de
Mitch Ryder, comme en contenaient parfois certaines versions live de ce titre …
Ce « Live 1975 / 85 », c’est un peu une
version DeLuxe d’un « Greatest hits live ». Et du côté des fans, on a
pu lire plus souvent que prévu des réserves ou de la déception par rapport à ce
pavé. Et quand on cause grands disques en public, peu de téméraires se hasardent
à le citer. L’occasion était bonne, Springsteen était au sommet de sa
popularité, encore plus au sommet au niveau artistique (il n’a pas sorti depuis
cette date un disque qu’on puisse qualifier de majeur). Mais bon, là, pour le
coup, c’est un peu trop … un truc beaucoup plus concis aurait certainement
eu une autre allure ...
Du même sur ce blog :
Born To Run
Darkness On The Edge Of Town
Nebraska