BEYOND THE FRONT LINE - INTRODUCING THE FRONT LINE ALL-TIME REGGAE CLASSICS (1990)


Pour dépasser les têtes d'affiche ...

Il y en a pour qui le reggae s’arrête à « Could you be loved » de Marley, « Reggae night » de Jimmy Cliff, ou pire, « Stand the ghetto » de Lavilliers. Ceux là sont bien à plaindre, les pôvres … Dans un élan de générosité et de mansuétude peu habituels, Lester Gangbangs va initier ses milliers de lecteurs à quelques éclats sonores jamaïcains, qui bien que peu connus du profane, ont apporté leur pierre à l’édification de la musique la plus cool du monde civilisé …
Un petit rappel des faits … aux débuts étaient le ska et le rock steady, musiques jamaïcaines, déformations locales des standards soul ou pop anglo-saxons. La musique jamaïcaine était une affaire de chanteurs ou de formations vocales. Les débuts du business musical (les premiers studios et sound systems, les premiers dubs sur lesquels s’escrimaient les toasters, respectivement ancêtres des remixes et des rappeurs), le « durcissement » idéologique et religieux (les premiers « rastas » des campagnes, les « rude boys » des quartiers les plus mal famés de Kingston, Trenchtown en particulier), et l’arrivée des multinationales du disque (premier à rafler la mise, Chris Blackwell, Jamaïcain exilé en Angleterre, patron de Island Records, et qui signera Bob Marley, ou plus exactement son trio vocal les Wailers, pas forcément à ce moment le plus connu de l’île), vont installer au milieu des années 70 le reggae comme une musique diffusée mondialement, et qui générera avec Marley la première ( et la dernière ?) star globale venue du « Tiers-Monde ».
Comme beaucoup d’autres genres ou sous-genres musicaux (on peut établir beaucoup de parallèles avec le rap ou les musiques électroniques), le reggae sera une affaire de labels. A Island les stars, à Trojan tout le « patrimoine » historique des années 60, à Virgin (comme Island un label basé en Angleterre, la communauté jamaïcaine y étant nombreuse) les seconds couteaux qui selon la formule consacrée, auraient mérité meilleur sort.
Cette compilation, « Beyond the front line », est un florilège de quelques artistes signés par Front Line, sous-division de Virgin. Les titres sont issus des années 70, et correspondent à l’âge d’or (du moins commercial, artistiquement, ce serait plutôt la fin des années 60) du reggae. Sur les quatorze titres, alternent formations vocales (Gladiators, Mighty Diamonds, Twinkle Brothers), figures de proue du dub (Prince Far I, Big Youth, U-Roy qui se taille la part du lion avec trois titres), un morceau de Culture, seul « très grand » groupe de cette compilation, deux de la star du lover’s rock (où croyez-vous que les Clash allaient pêcher leurs titres de morceaux) Gregory Isaacs, plus la présence des rude boys (les rudies en argot, cf « Rudie can’t fail » des … Clash) Johnny Clarke, Keith Hudson, Delroy Washington.


Il y a du hit certifié, « Civilization » de Keith Hudson, « Behold » de Culture (même si on aurait préféré le plus connu « Two seven clash »), « Wear you to the ball » de U-Roy (dont UB40 feront un encore plus gros hit en le reprenant sur « Labour of love II »), … Mais pas seulement, cette compilation intelligente s’attachant surtout à mettre bien en évidence les grands courants du reggae seventies, et pas seulement le « classic reggae » copyright Marley.
Il y aurait des anecdotes à raconter sur chaque titre, chaque interprète … le reggae est une musique où le « vécu » tient une part prépondérante, le tout saupoudré quelquefois d’un étrange mysticisme pour les rastafariens purs et durs. La plupart des gens présents sur ce disque viennent du lumpenprolétariat de l’île, et sous des airs faussement cool, cachent un monde de danger et de violence. Peu de reggaemen meurent dans leur lit, et leur vie pourrait fournir bien de la matière à des scénaristes en panne d’inspiration.
Allez pour la route, quelques mots sur Gregory Isaacs, mort en 2010 d’un cancer. Il s’est autoproclamé séducteur number one de la Jamaïque, a revendiqué des milliers de conquêtes féminines, a consommé des tonnes de cocaïne. Il aurait participé à l’enregistrement de plus de 500 disques (sous son nom ou comme choriste), et la plupart des séances avec juste comme objectif de se fournir sa dose quotidienne de poudres blanches… Et malgré cette hygiène de vie apocalyptique, il a gardé pratiquement jusqu’à la fin de ses jours cette voix de miel qui faisait littéralement fondre les filles.