Highway to Hell ?
Aronofsky est un pointilleux, et un réalisateur qui tourne peu (huit films en vingt cinq ans). Gage de rareté, et de moins en moins malheureusement pas gage de qualité pour autant. Après un quart de siècle, il reste quoi qui vaille le détour ? L’étrange « Pi », le défoncé « Requiem for a dream » (soit ses deux premiers), un peu de « The Wrestler » et « Black swan » … Quand aux autres, le pensum biblique « Noé », le mystique « The Fountain », le lourdingue, forcément lourdingue « The Whale », on peut les zapper. Et « Mother ! » ? Voilà, voilà, j’y viens …
Jennifer Lawrence & Darren Aronofsky |
Premier plan : un visage en gros plan au milieu
des flammes. Second plan : Lui (Javier Bardem, il n’a ni nom ni prénom
dans le film) pose une sorte de gros bijou cristallin sur son socle, et un
vaste manoir où tout est calciné se reconstruit à neuf (merci le numérique). Troisième
plan : Elle (ni nom ni prénom également) se réveille dans un lit, se tourne
et appelle : « Bébé ? », mais il n’y a personne à côté d’elle
dans le lit.
Elle, c’est la future « Mother »,
interprétée par Jennifer Lawrence. Certes fort mignonne, et au milieu des
années 2010 l’actrice la mieux payée du monde, mais dont les succès
filmographiques se résument à une litanie de navrantes daubes à suites (« Hunger
games », « X-Men »). Autant préciser que cette incursion dans le
cinéma plus ou moins d’auteur de Aronofsky en lieu et place des
superproductions hollywoodiennes a certainement beaucoup à voir avec le fait qu’elle
partage depuis quelques mois la vie du Darren … Fin de la parenthèse people …
Et donc, Elle part à la recherche de son Bébé dans le vaste manoir octogonal au milieu de la nature. Ce qui nous vaut quelques plans de sa jolie anatomie grâce à la transparence de sa nuisette en contre-jour. Un conseil, faut savourer chaque instant de ces plans parce que la suite sera beaucoup moins glamour … Et quand Bébé se pointe, il s’agit de Javier Bardem, qui rentre d’une ballade champêtre à la recherche de l’inspiration. On apprend assez vite qu’il fut écrivain à succès mais qu’il n’arrive plus à aligner trois mots sur une page blanche. On voit aussi que c’est Elle qui fait tout dans la gigantesque baraque (la menuiserie, la plomberie, la peinture, la bouffe, le ménage, la lessive, …), préservant son mec des basses besognes matérielles afin qu’il se consacre entièrement à sa création littéraire en panne. Une femme comme on aimerait tous en avoir une (ou plusieurs, ayons de l’ambition) à la maison. Bon, les meufs, on se calme avant d’envoyer les hashtags dénonciateurs et de lâcher les avocats, je blague … quoique l’idée me paraisse bien intéressante … Faut bien alléger l’atmosphère avec des vannes lourdingues, parce que « Mother ! » est un film où on va pas trop se bidonner…
Ed Harris & Michelle Pfeiffer |
Parce que passées quelques scènes de la joie de
vivre bucolique et amoureuse du couple, les choses ne vont pas tarder à se
gâter. La nuit tombée, un type (Ed Harris) se pointe. On sait pas trop ce qu’il
vient foutre là, il prétend qu’il est chirurgien, mais Lui l’accueille fort
bien et lui propose de passer la nuit chez eux, malgré la gêne qu’Elle affiche.
D’autant que le mec semble pas aller très fort, il fume, semble prêt à cracher
ses poumons, bouffe des médocs, et la nuit semble près de claquer. Lui s’est
levé pour l’aider et Elle aperçoit fugitivement une plaie béante dans son dos.
Elle aussi est en proie à des malaises, des angoisses, et ressent parfois une
sorte de présence dans le manoir, qu’elle calme en prenant une poudre soluble
orange. Déjà, là, arrêt sur image. Pourquoi nous montrer ça, alors qu’on ne
saura jamais d’où vient cette blessure (stigmate ?) du type ni quelle est
cette poudre orange et pourquoi à moment donné elle s’en débarrasse dans la
cuvette des WC …
Bon, c’est le genre de questions qu’on a pas
vraiment le temps de se poser, parce très vite tout part en vrille. Au petit
matin, la femme du toubib (Michelle Pfeiffer) débarque. Plutôt flippante et très
intrusive. Lui semble ravi de la venue de ces visiteurs, Elle beaucoup moins. L’avenir
lui donnera pas tort, quand arrivent les deux fils du couple, qui font comme s’ils
étaient chez eux, se disputent pour des histoires d’héritage, puis se foutent
salement sur la gueule, jusqu’à ce qu’un des deux tue l’autre en lui fracassant
le crâne avec un pommeau de porte. Autre arrêt sur image. Pour certains, Harris
et Pfeiffer, c’est Adam et Eve, et la rixe des deux enfants, c’est Caïn qui tue
Abel.
Arrêt sur image (ter). Dans au moins trois de ses films (« The Fountain », « Noé » et donc « Mother ! ») Aronofsky met le mystique, l’ésotérique, au cœur du scénario. En gros, y’a du « message » derrière les images. A condition d’être très ouvert d’esprit pour suivre les circonlocutions, les ellipses, les allusions cryptiques du Maître. Bon, en ce qui me concerne, j’aime pas regarder un film avec une palette de Doliprane à portée, et me forcer à me flinguer mes derniers neurones valides pour comprendre quel est le message, la signification profonde … Entre les Tuche et Aronofsky y’a certes un monde, mais à quoi bon en rajouter dans le cryptique ?
Javier Bardem, Jennifer Lawrence et quelques invités |
Parce que la suite du film est un maelstrom irréversible.
Ça commence avec la veillée funèbre du fiston à Harris et Pfeiffer, plein de
gens arrivent, il commence à y avoir un sacré boxon dans la baraque et entre Elle
et Lui. Une brève réconciliation fait qu’Elle se trouve en cloque et Lui,
galvanisé par cette paternité inattendue, traverse une frénésie créatrice qui lui
fait écrire un chef-d’œuvre, succès immédiat le jour de sa sortie. Qui coïncide
avec le départ prévu pour la maternité. L’éditrice, les journalistes, des
lecteurs, toute une foule genre secte adoratrice venue interviewer et voir le
génie littéraire envahissent la maison. Dès lors, on se pose une question :
est-ce qu’il va encore y avoir une surenchère dans le glauque, le sordide, la
violence ? La réponse est claire, les scènes cauchemardesques s’enchaînent
graduellement, saccage, bagarres, émeutes, exécutions sommaires, explosions de
têtes, démembrements, cannibalisme, apothéose en feu d’artifice terminal, et
arrachage de cœur sur moribond. Et le final recycle les trois premières scènes
qui prennent dès lors tout leur sens.
Je vais vous dire, ce film m’a gonflé, avec toute
cette escalade apocalyptique, cette hyperviolence gratuite au service d’un
scénario somme toute bien rachitique. Au crédit de « Mother ! »,
une superbe mise en images. Tout le film est en huis-clos dans cette grande
bâtisse où beaucoup de pièces communiquent, et Aronofsky tire tout le parti des
plans à travers les embrasures de porte et suit au plus près les acteurs dans
ce train fantôme hystérique de violence inarrêtable. Jennifer Lawrence s’en
sort bien voire plus. Et Bardem est flippant à souhait, un mix nihiliste entre
ses rôles de tueur glacial dans « No country for old men » et de
méchant dans James Bond (« Skyfall »).
« Mother ! » mérite d’être vu, bien
que fortement desservi par son aspect scénaristique primaire (« ils osent tout,
c’est à ça qu’on les reconnait »). On est quand même assez éloigné d’une œuvre
majeure …
Du même sur ce blog :