Et pic et colegram … Parce que « Le retour du
Roi » est autant une prouesse (technique, technologique, une prouesse de
tout ce qu’on voudra) qu’un machin infantile. Qui à part Robert Plant et
quelques demeurés chanteurs dans des groupes de prog s’intéresse aux balivernes
de Tolkien ? Je vais vous faire un aveu, j’ai du temps de mon adolescence
délurée, lu dix pages du bouquin. Pas plus. Plus con que çà, y’a que la lecture
d’un discours de Dupont-Aignan ou celle de la notice d’un presse-agrumes traduite
du coréen. Y’a quelque part dans les bonus un éminent ( ? ) universitaire
qui nous explique que si Tolkien a eu du succès en Angleterre en particulier et
chez les Anglo-Saxons en général, ben c’est à cause des Normands. Parce que ces
cons ont envahi et colonisé les British, faisant passer aux oubliettes les contes
autochtones. Et donc quand Tolkien s’est mis à écrire ses balivernes, ça a
remplacé toutes les épopées et légendes moyenâgeuses que les Anglais avaient
pas. Soit …
Un caméo de Peter Jackson |
Tolkien, comme quelques autres auteurs de sci-fi ou
d’heroic fantasy était réputé inadaptable à l’écran. Qu’à cela ne tienne, il
s’est levé aux Antipodes un petit gros barbu frisé répondant au patronyme
passe-partout de Peter Jackson qui a dit : « Moi je peux ». Avec
le succès que l’on sait, merci pour lui. La trilogie du Seigneur des Anneaux a
battu tous les records imaginables par l’industrie du cinéma, et Dieu sait que
l’industrie du cinéma a de l’imagination, surtout quand il s’agit de vendre
comme un chef-d’œuvre une grosse daube. Il faut voir le jour de la première
mondiale du « Retour du Roi » (à Wellington, Nouvelle-Zélande),
l’hystérie (et je pèse mes mots) qui s’est emparée de la ville et du pays (les
centaines de milliers de All Blacks entassés sur le trajet hôtel-cinéma pour
voir passer sur un tapis rouge de plusieurs kilomètres l’équipe du film en
limousine). Plus fou encore, lors de la dernière date de la tournée de
promotion au Danemark (pays du bellâtre transparent Aragorn-Mortensen), des
centaines d’acteurs du dimanche ont « joué » dans le cinéma et recréé
avant la projection des scènes des deux épisodes précédents (avec quelques
vrais blessés lors de la reconstitution des batailles). A tel point que
quelqu’un du film avoue avoir mis le doigt sur ce que doit être un quotidien de
rock-star.
Dès le départ, « Le Retour du Roi » dure
plus de trois heures. J’ai l’édition « ultime » (avant la prochaine,
certaines répliques dans les bonus laissent entendre qu’il y a des bobines 3D
du film) qui dure une heure de plus. Deux BluRay en 4K rien que pour le film.
Plus trois Dvd de bonus, plus les commentaires de Jackson et des scénaristes
sur les BluRay. A la louche, seize heures de « Retour du Roi » (et
pareil pour les deux autres de la trilogie). Un package démesuré, qui a
commencé à être mis en vente alors que le matériel dédié (lecteurs et télés
supportant la UHD 4K) coûtait une vraie fortune. Aujourd’hui que le matos a vu
ses prix divisé par dix en dix ans, on peut regarder le bestiau dans son salon.
Visuellement (et même si une téloche haut de gamme ne vaudra jamais une séance
au cinoche), c’est forcément impressionnant, d’une netteté absolue. Et avec une
heure de plus, c’est quasiment un autre film. Même si l’ossature scénaristique
et la conclusion restent les mêmes. De toutes façons, c’était couru d’avance.
Sans parler de ceux qui avaient lu le bouquin, qui aurait pu imaginer que
Frodon se loupe et n’arrive pas à détruire l’anneau après dix heures de
film ? Qui aurait pu penser que les zozos de la communauté de l’Anneau
allaient se retrouver décimés (même si Frodon part à la toute fin en bateau
vers une mort prochaine programmée), que les méchants allaient gagner ? En
d’autres termes, c’est pas le final qui compte, c’est la façon dont on y arrive
et comment Jackson nous le montre… Parce qu’il y a au moins quatre temps forts
à mettre en images, les deux batailles géantes (le siège de Minas Tirith, celle
devant la Porte Noire), l’attaque de l’araignée géante, la destruction de
l’anneau et du monde de Sauron. Ben là, on en a pour ses euros… des scènes de
fou, possibles grâce à un déchainement hors normes d’effets numériques.
Une armée numérique |
Parce que les acteurs, on peut pas dire qu’ils
crèvent l’écran. Ils font le job, c’est tout, la plupart du temps devant un
rideau bleu, et certains bardés de capteurs (notamment Andy Sirkis, celui qui
joue Sméagol/Gollum). Le seul à ressortir du lot est à mon sens John Noble (Dénethor,
régent du Gondor, le seul humain méchant du film) qui donne vraiment une
« épaisseur » certaine à son personnage. Tout le reste est né de
l’imagination plutôt féconde de Jackson et de ses scénaristes (sa femme Fran
Walsh et Philippa Boyens) qui doivent respecter autant que faire se peut le
bouquin. A leur service, la WETA (société créée par Peter Jackson scindée en
deux départements, Whorkshop et Digital) est chargée de rajouter maquettes,
costumes, prothèses, maquillages divers et une quantité astronomique d’effets
spéciaux en tous genres (près de 1500,
soit le double de l’épisode précédent « Les Deux Tours », qui battait
déjà des records). A noter que Jackson, Walsh, Boyens et tous ceux qui bossent
chez WETA sont néo-zélandais, joli pied de nez à la toute puissance des studios
et entreprises américaines. On a droit ainsi à la visite guidée par son
directeur de WETA Digital, avec le gars très fier de ses batteries de
microprocesseurs nous expliquant qu’il a dans ses murs deux fois plus de
puissance de calcul que la NASA (un peu d’intox, peut-être ?) et bien plus
que ses rivaux américains de LMI.
Ils sont grands les éléphants |
Et il leur en fallait du matos… et une certaine
forme d’abnégation aussi. Faut voir tous ces responsables, chefs de projets, …
promettre à Jackson que ce qu’il imaginait, ils pouvaient le faire sans
problème, alors que ces gars et ces nanas passaient des nuits blanches à se
demander comment ils pourraient y arriver. Un exemple : lors de la plupart
des plans de la bataille des Champs du Pelennor (une heure, un quart du film), seul le sol est réel. Les
montagnes environnantes sont « vraies », mais situées ailleurs et
rajoutées numériquement. Minas Tirith est une maquette (de dix sept mètres tout
de même). Il y a 350 000 soldats et 6000 chevaux numériques animés quasiment
individuellement. Sans compter les éléphants géants, les Trolls de dix mètres, le
Roi Sorcier et son T.Rex volant, les catapultes et béliers gigantesques, et une
armée de morts vivants arrivant en renfort… Les 250 vrais cavaliers et leurs
montures (et c’était déjà un exploit de réunir autant de chevaux au pays des
moutons rois) en action (record en la matière) font vraiment détail minime. Au
rayon des détails (mais suffisant pour que des types chez WETA s’arrachent les
cheveux), le sommet des montagnes néo-zélandaises est sacré pour les peuplades
maories. Il fallait donc toutes les « raboter » et leur rajouter un
sommet numérique. Un perfectionnisme démesuré souvent invisible. Ainsi, tous
les costumes (certains sont tissés avec de vrais fils d’or), armures et armes
diverses ont été conçus uniquement pour le film, contiennent gravés dans la
masse des symboles et écritures runiques respectant les langues créées par
Tolkien pour ses bouquins, et qu’on ne distingue absolument pas à l’écran.
Résultat : une perpétuelle course contre la montre
pour achever de filmer, rajouter les effets numériques, faire la post-synchro,
rajouter la bande-son et la musique (Howard Shore, avec grand orchestre à
Londres, qui fait jouer et rejouer ses musicos au gré des changements et
nouveautés du pré-montage, merci internet …). Plus la date fatidique de la
première à Wellington approche, plus les gens sensés de l’équipe pensent que
les délais ne seront pas tenus. Les dernières semaines, huit ( ! ) équipes
tournent des scènes additionnelles ou de raccord (certains acteurs donnent la
réplique à d’autres qui ont tourné la scène sans eux quatre ans auparavant…).
Le puzzle à reconstituer est gigantesque, et à voir Jackson tout cool,
sempiternellement en sweet-shirt informe et pantacourt (même sous la neige), on
imagine mal la pression qu’il doit supporter, alors qu’autour de lui, tout le
monde craque. Pour la petite histoire, il terminera le montage (qui ne respecte
pas la chronologie du film, il monte les scènes à mesure que les effets
numériques sont finalisés), juste à temps pour qu’on puisse fabriquer les
bobines de la première projection. Et c’est seulement lors de cette
représentation qu’il verra, lui le réalisateur, son film terminé pour la
première fois … D’ailleurs cette version, celles présentées lors de la tournée
de promotion dans quelques capitales, ou celle montrée à l’Académie des Oscars
(onze statuettes, record absolu égalé), seront légèrement différentes de celle
que pourra voir le public lors de la sortie en salles.
Bien mal acquis ne profite jamais ... |
Une dernière anecdote pour la route (y’en a des
centaines dans les bonus, parfois redondants, il faut aussi le signaler). Dans
la version longue, on a droit à la mort du sorcier Saroumane, interprété par
Christopher Lee, qui finit poignardé dans le dos avant de tomber dans le vide
et de s’empaler sur une énorme roue pointue (il a souvent fini comme ça, quand
il jouait Dracula, plaisante t-il). On voit dans la préparation de la scène
Jackson lui expliquer comment il doit « jouer » quand il a reçu son
coup de canif. Réponse ferme de Lee, qui lui dit qu’il sait parfaitement comment
on meurt quand on a reçu un coup de couteau dans le dos. Petite précision, que
certains sur le plateau connaissaient : Christopher Lee avait servi durant
la Seconde Guerre Mondiale dans les Forces Spéciales anglaises. Silence gêné et
glacial sur le plateau, où les protagonistes se rendent compte que cette scène
va avoir vraiment quelque chose de vécu …
« Le Retour du Roi » est une machine
tellement démesurée, un truc tellement fou, que les points de repère du
cinéphile volent en éclats. D’ailleurs, tiens, je crois que c’est çà : «
Le Retour du Roi », c’est pas un film, c’est un spectacle … Un spectacle
assez exceptionnel, faut bien admettre …