Déjà moi j’suis au Sud (ouais, je sais, et parfois à
l’Ouest). Ben les Limiñanas, ils sont encore plus au Sud que moi. Cabestany,
banlieue de Perpignan. Et encore plus à l’Ouest que moi aussi…
Et assez bizarrement, parce qu’on s’est (enfin, on
c’est les ceusses et ceux qui font les tendances, les modes, le buzz …) pendant
des lustres gargarisés de jeunots parisiens se prenant pour les Libertines, les
Limiñanas semblent avoir le vent médiatique en poupe. Et pourtant les Limiñanas
n’ont rien de glamour ni de sexy. Ils sont deux, Lionel et Marie, la
quarantaine, lui sorte de Chabal catalan, elle rousse timide. Circonstance
aggravante, ils se situent hors du temps et des modes. N’envisagent pas un
morceau en commun avec Louane. Ni avec Kanye West. Et pourtant, ils sont connus
et cités sur la planète entière.
Le poète musical Comelade est évidemment de la
partie sur ce disque (catalanité mais surtout atomes crochus musicaux obligent),
de même que Peter Hook, le bassiste star des feu ( ? ) New Order, et
l’azimuté Anton Newcombe (Brian Jonestown Massacre) ne tarit pas d’éloges sur
eux (et quand on a lu des interviews de lui, il ferait passer les frères
Gallagher ou Mark E Smith pour des types zen et adorables pour leurs
congénères).
Lentement, et peut-être sûrement, les Limiñanas
sortent de l’ombre. Et quand on écoute ce disque, on se dit qu’il ne serait
guère étonnant qu’ils finissent vraiment par faire parler d’eux. Et tout ça
sans compromis ni concessions. Leur aventure a commencé par la gestion d’un
magasin de disques (à l’heure où même dans la cambrousse la plus reculée
d’Hexagonie tu télécharges gratos un cd en trois clics et trente secondes,
c’est dire leur sens des affaires et du commerce, mais leur démarche ne se
situait pas à ce niveau-là) évidemment voué à la banqueroute, et ce couple à la
ville comme à la scène est resté fidèle quand il s’est agi de faire paraître
ses disques aux labels indépendants microscopiques (même si maintenant ils sont
chez Because, chaînon manquant entre les petits et les majors).
Limiñanas & Comelade |
Leurs premiers disques étaient pour la
« famille », comprendre les amateurs de rock garage, de rock
psychédélique, de guitares couplées à des pédales fuzz, et d’une façon générale
à tous les vieux fans des Cramps. Mais de ce genre de machins, y’en a plein les
pages de ton putain de blog, entends-je. Certes, mais les Limiñanas sont
capables de s’extraire du carcan, aller voir ailleurs. Même si, faut pas
déconner quand même, on reste quelque part entre 66 (non, pas le département)
et … 66. Mais là où le restant du troupeau s’abreuve jusqu’à plus soif aux
compiles Nuggets (garage américain donc), là où les plus téméraires citent
« … Satanic Majesties …» ou le Floyd de Barrett, les Limiñanas
revendiquent et assument les sixties françaises. Gainsbourg et ses muses, mais
aussi la vague yéyé (plutôt côté Ronnie Bird que Cloclo évidemment).
Résultat « Malamore » est un disque qui
ratisse large sans faire aucun calcul mercantile. D’ailleurs, les Limiñanas ont
l’idée saugrenue de raisonner en termes d’art, d’œuvre et font commencer leurs
skeud par un court instrumental, avant que le Lionel déclame d’une voix grave
parlée (les deux se revendiquent non-chanteurs, et quand il y a un truc à
vraiment chanter, c’est systématiquement Marie qui s’y colle), qui tant par le
débit que par le texte (chiadé, riche) évoque irrémédiablement Gainsbourg.
C’est pas la seule fois dans « Malamore »
qu’on pensera à l’amateur de pastaga. « Dalhia rouge », tuerie
mélodique et pour moi masterpiece du machin, c’est du Bardot (ou Jane) –
Gainsbourg là aujourd’hui en 2016. Sans qu’une seule seconde on pense au
plagiat. C’est l’esprit du truc qui est capturé, et c’est pas la chose la plus
facile à réaliser, beaucoup ont essayé, nombreux ont été ceux qui s’y sont
cassé les dents. Les Limiñanas réussissent, comme Burgalat auquel on pense
aussi quelquefois dans les titres les plus « naïfs », les plus pop,
ou la comète Vanessa & the O’s (quelqu’un sait-il ce qu’elle est devenue,
y’a rien à gagner).
« Malamore » réussit à être varié. Deux
voix qui se relaient au fil des morceaux, des titres instrumentaux, de la
mélodie ou des trucs envoyés en écrabouillant la pédale fuzz, des pyramides
sonores avec final hypnotique qui doivent tout arracher en live
(« Zippo » ou la référence au énième degré « The train creep
a-loopin’ »), des morceaux qu’on devrait entendre à la radio toutes les
heures (« Prisunic », « Garden of love » le truc avec Hook
et sa basse éléphantesque, ou la quasi instrumentale « Paradise now »
plus 60’s yéyé que nature).
Conclusion : et si le meilleur groupe français
d’aujourd’hui était un couple de plus tout jeunes perpignanais ? Si on
tenait avec eux nos White Stripes (d’ailleurs ça m’étonnerait pas qu’ils
finissent par sortir un vinyle chez Third Man, le label de Jack White) ? Possible
…
Faudra juste que certains « connoisseurs »
arrêtent de dire que non, vous avez rien compris, les Limiñanas c’était bien mieux
avant … Non, les Limiñanas, ils sont bons maintenant …