JEAN-JACQUES ANNAUD - LA GUERRE DU FEU (1981)

Western préhistorique
Avant l’assez pénible Luc Besson, Jean-Jacques Annaud fut le golden boy du cinéma français. Une carrière à succès et hautement lucrative (il l’admet lui-même) commencée dans les spots (on ne parlait pas encore de clips) publicitaires, des envies de long format, et coup de bol, un Oscar récupéré pour son premier film, « La victoire en chantant », bide retentissant en France. Guère plus de succès pour le suivant, « Coup de tête », mélo noir et footballistique, devenu plus ou moins culte parce que le suicidé Dewaere y tenait le rôle principal.
Fiers comme des vainqueurs de la Champions League
Annaud, quelque peu mégalo, rêve d’un film qui marquera son époque, une sorte de fresque, de péplum. C’est par hasard, lors d’une discussion avec Gérard Brach, scénariste notamment pour Polanski, que l’adaptation d’un roman à succès de J-H Rosny, « La guerre du feu », est envisagée. Une histoire qui se situe 80 000 ans avant Jacques Chirac. Comme Annaud n’a pas de Raquel Welch au générique (« Un million d’années avant J.C. »), les producteurs ne se bousculent pas. Personne veut foutre des pépètes dans un machin sans dialogues où des types en peau de bête se baladent pendant une heure et demie. Chou blanc en France et timides promesses aux States. Ce qui n’empêche pas Annaud de préparer le film. Des repérages en Islande, des dialogues et des langues inventées par le linguiste Anthony Burgess (c’est son taf, même s’il est beaucoup plus connu comme l’auteur de « Orange mécanique », qui a inspiré à Kubrick le film du même nom), des castings et des répétitions avec des spécialistes de la préhistoire, des mimes, des comportementalistes...
Jusqu’à ce que, patatras, à la suite de jeux de chaises musicales dans les studios américains, les financeurs se désistent. De production américaine, « La guerre du feu » devient finalement une coproduction franco-canadienne. Le film sera tourné au Canada, en Ecosse et au Kenya. Les acteurs seront plutôt des « gueules » (Everett McGill, Ron « pas encore Hellboy » Perlman) que des stars (l’actrice principale, Rae Down Chong, est la fille d’un ami d’Annaud qui débute quasiment devant les caméras).
« La guerre du feu » est un de ces films extrêmes, dans la lignée des « Fizcarraldo » ou « Apocalypse now », sortis quelques années plus tôt. Parce qu’on parle là d’une époque où si tu voulais avoir une image sur l’écran, ben fallait d’abord la filmer. Aussi con que ça puisse paraître aujourd’hui où tu « tournes un film » avec des types bardés de capteurs qui s’agitent devant un mur vert fluo, et après à grands coups de Mac tu rajoutes ce que tu veux pour faire apparaître au cochon de spectateur les choses les plus extravagantes, autant au début des années 80 il fallait de l’imagination, des acteurs, et pour des scènes difficiles, épiques, grandioses, ben y’avait pas droit à l’erreur.
Mammouth va écraser le campement
De tout cela, Annaud s’en explique longuement dans son commentaire du film (pas toujours passionnant, son commentaire d’ailleurs, c’est un peu lou ravi du village qui se la pète). La plupart des scènes sont tournées avec trois caméras (une pour les gros plans des personnages, une pour la vue de groupe, la dernière pour les personnages dans les décors grandioses), souvent dans des conditions météo extrêmes (-10 voire -15° dans les marais d’Ecosse, 40° au Kenya). Il fallait répéter beaucoup avant, parce que la première prise se devait d’être la bonne (cinq heures de maquillage pour chaque acteur, et une fois que t’es passé dans l’eau, s’il faut refaire la prise, faut aussi refaire le maquillage, et quand t’as du mal à trouver les budgets, vaut mieux pas multiplier les prises).
Pour moi, « La guerre du feu » est un très grand et très bon film. Même si comme d’habitude, les ronchons le dézinguent. Les ronchons, ici, sont les historiens spécialistes de la préhistoire. Foutaise que « La guerre du feu », invraisemblances à tous les étages. D’ordre chronologique (de tels événements ne dateraient pas de 80 000 ans, mais de 800 000, vous saisissez la nuance, moi pas …), d’ordre linguistique (ces tribus-là ne parleraient pas et d’une façon générale ne communiqueraient pas comme ça, pfff …), d’ordre social (les tribus ne fonctionnaient pas comme ça, re pfff …), et en veux-tu en voilà des précisions d’érudits … Bon, les rats de bibliothèque, on se calme, z’avez jamais lu Rahan, le guerrier des âges farouches quand vous étiez minots ? Ben il faudrait. Parce que je vais vous dire, on s’en cogne de l’exactitude. Dans un film, ce qui compte, c’est l’enchaînement des images qui racontent une histoire, et l’émotion ou les émotions que cette histoire te procure. Et pas vos putains de ratiocinations sur les costumes, les armes, les dialectes, etc etc … Tiens, et tant que j’y suis, tant qu’à avoir cité Rahan, autant préciser ici que l’auteur de l’affiche du film pour la France est Druillet, un des grands de notre BD.
« La guerre du feu » part d’un postulat simple. En des âges lointains, le feu est synonyme de vie. Faut soit savoir le faire, soit le conserver précieusement. Le film raconte les pérégrinations de trois « guerriers » d’une tribu qui savait pas faire du feu et se l’est fait « voler » lors d’une attaque d’une tribu hostile, des types plus simiesques, plus cons, mais plus balèzes. Parce que tout est là, et comme aurait dit La Fontaine, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Quoique, c’est grâce à une tribu de maigrichons peinturlurés, que les solutions et le progrès arriveront. Et donc les trois Pieds Nickelés en peau de bête doivent pour sauver leur tribu, ramener du feu.
Le repos du guerrier ...
C’est leur périple en milieu hostile, forcément hostile, que le film nous raconte. Il leur faudra éviter de se faire bouffer par des lions à grosses canines, par une tribu de cannibales, apprivoiser des mammouths (Annaud nous raconte la galère pour transformer des éléphants en mammouths et les faire « jouer », pour finalement qu’ils foncent là où c’était pas prévu et détruisent plus ou moins le campement de l’équipe du film), se battre avec des ours (ce qui donnera une autre idée de film à Annaud), s’enliser dans des sables mouvants, régler quelques problèmes avec un trio de jaloux de leur propre tribu, … Mais ces hommes découvriront aussi la solidarité, le rire, l’amour et toutes les situations vaudevillesques qui peuvent aller avec.
Parce que, et c’est tout l’art et toute la réussite du film, n’importe qui pourvu de quelques neurones en état de marche suit. « La guerre du feu », film sans dialogues (ou plus exactement des dialogues auxquels on ne comprend rien), est d’abord et surtout un grand film d’aventures au milieu de paysages grandioses. L’émotion et  un humour sous-jacent sont toujours présents, même dans les situations les plus difficiles et scabreuses. Grande scène du film : les larmes de Naoh (Everett McGill), lorsque qu’un homme de la tribu de sa dulcinée lui montre comment « fabriquer » du feu. Là moi j’aurais mis dans le soundtrack « Allumer le feu » de Johnny. Bon, Annaud a des excuses, le morceau était pas sorti. Mais c’était pas une raison pour foutre en bande-son les trucs pompiers de Philippe Sarde (« c’est beau comme du Stravinsky » dit en substance Annaud à propos de sa bande-son. Moi j’aurais dit aussi chiant que du Wagner, mais bon, on va pas chipoter …).

Une anecdote pour finir. « La guerre du feu » a été un film très compliqué à financer, le projet a pris cinq ans avant de voir le jour. Une fois terminé, c’est la Fox qui a hérité, à la suite de tractations à base de dollars, de sa distribution. Le Président de la Fox ne croyait pas du tout en ce film, et Annaud pensait qu’il ne sortirait pas. En dernier recours, le gars de la Fox le montre à un de ses copains et lui demande son avis. Le type est emballé, le film sort. Ce type était Frank Sinatra …