Avant l’assez pénible Luc Besson, Jean-Jacques
Annaud fut le golden boy du cinéma français. Une carrière à succès et hautement
lucrative (il l’admet lui-même) commencée dans les spots (on ne parlait pas
encore de clips) publicitaires, des envies de long format, et coup de bol, un
Oscar récupéré pour son premier film, « La victoire en chantant »,
bide retentissant en France. Guère plus de succès pour le suivant, « Coup
de tête », mélo noir et footballistique, devenu plus ou moins culte parce
que le suicidé Dewaere y tenait le rôle principal.
Fiers comme des vainqueurs de la Champions League |
Annaud, quelque peu mégalo, rêve d’un film qui
marquera son époque, une sorte de fresque, de péplum. C’est par hasard, lors
d’une discussion avec Gérard Brach, scénariste notamment pour Polanski, que
l’adaptation d’un roman à succès de J-H Rosny, « La guerre du feu »,
est envisagée. Une histoire qui se situe 80 000 ans avant Jacques Chirac.
Comme Annaud n’a pas de Raquel Welch au générique (« Un million d’années
avant J.C. »), les producteurs ne se bousculent pas. Personne veut foutre
des pépètes dans un machin sans dialogues où des types en peau de bête se
baladent pendant une heure et demie. Chou blanc en France et timides promesses
aux States. Ce qui n’empêche pas Annaud de préparer le film. Des repérages en
Islande, des dialogues et des langues inventées par le linguiste Anthony
Burgess (c’est son taf, même s’il est beaucoup plus connu comme l’auteur de
« Orange mécanique », qui a inspiré à Kubrick le film du même nom),
des castings et des répétitions avec des spécialistes de la préhistoire, des
mimes, des comportementalistes...
Jusqu’à ce que, patatras, à la suite de jeux de
chaises musicales dans les studios américains, les financeurs se désistent. De
production américaine, « La guerre du feu » devient finalement une coproduction
franco-canadienne. Le film sera tourné au Canada, en Ecosse et au Kenya. Les
acteurs seront plutôt des « gueules » (Everett McGill, Ron « pas
encore Hellboy » Perlman) que des stars (l’actrice principale, Rae Down
Chong, est la fille d’un ami d’Annaud qui débute quasiment devant les caméras).
« La guerre du feu » est un de ces films
extrêmes, dans la lignée des « Fizcarraldo » ou « Apocalypse now »,
sortis quelques années plus tôt. Parce qu’on parle là d’une époque où si tu
voulais avoir une image sur l’écran, ben fallait d’abord la filmer. Aussi con
que ça puisse paraître aujourd’hui où tu « tournes un film » avec des
types bardés de capteurs qui s’agitent devant un mur vert fluo, et après à
grands coups de Mac tu rajoutes ce que tu veux pour faire apparaître au cochon
de spectateur les choses les plus extravagantes, autant au début des années 80
il fallait de l’imagination, des acteurs, et pour des scènes difficiles,
épiques, grandioses, ben y’avait pas droit à l’erreur.
Mammouth va écraser le campement |
De tout cela, Annaud s’en explique longuement dans
son commentaire du film (pas toujours passionnant, son commentaire d’ailleurs,
c’est un peu lou ravi du village qui se la pète). La plupart des scènes sont
tournées avec trois caméras (une pour les gros plans des personnages, une pour
la vue de groupe, la dernière pour les personnages dans les décors grandioses),
souvent dans des conditions météo extrêmes (-10 voire -15° dans les marais d’Ecosse,
40° au Kenya). Il fallait répéter beaucoup avant, parce que la première prise se
devait d’être la bonne (cinq heures de maquillage pour chaque acteur, et une
fois que t’es passé dans l’eau, s’il faut refaire la prise, faut aussi refaire
le maquillage, et quand t’as du mal à trouver les budgets, vaut mieux pas multiplier
les prises).
Pour moi, « La guerre du feu » est un très
grand et très bon film. Même si comme d’habitude, les ronchons le dézinguent. Les
ronchons, ici, sont les historiens spécialistes de la préhistoire. Foutaise que
« La guerre du feu », invraisemblances à tous les étages. D’ordre
chronologique (de tels événements ne dateraient pas de 80 000 ans, mais de
800 000, vous saisissez la nuance, moi pas …), d’ordre linguistique (ces
tribus-là ne parleraient pas et d’une façon générale ne communiqueraient pas
comme ça, pfff …), d’ordre social (les tribus ne fonctionnaient pas comme ça,
re pfff …), et en veux-tu en voilà des précisions d’érudits … Bon, les rats de
bibliothèque, on se calme, z’avez jamais lu Rahan, le guerrier des âges
farouches quand vous étiez minots ? Ben il faudrait. Parce que je vais
vous dire, on s’en cogne de l’exactitude. Dans un film, ce qui compte, c’est l’enchaînement
des images qui racontent une histoire, et l’émotion ou les émotions que cette
histoire te procure. Et pas vos putains de ratiocinations sur les costumes, les
armes, les dialectes, etc etc … Tiens, et tant que j’y suis, tant qu’à avoir
cité Rahan, autant préciser ici que l’auteur de l’affiche du film pour la France
est Druillet, un des grands de notre BD.
« La guerre du feu » part d’un postulat
simple. En des âges lointains, le feu est synonyme de vie. Faut soit savoir le
faire, soit le conserver précieusement. Le film raconte les pérégrinations de
trois « guerriers » d’une tribu qui savait pas faire du feu et se l’est
fait « voler » lors d’une attaque d’une tribu hostile, des types plus
simiesques, plus cons, mais plus balèzes. Parce que tout est là, et comme
aurait dit La Fontaine, la raison du plus fort est toujours la meilleure.
Quoique, c’est grâce à une tribu de maigrichons peinturlurés, que les solutions
et le progrès arriveront. Et donc les trois Pieds Nickelés en peau de bête
doivent pour sauver leur tribu, ramener du feu.
Le repos du guerrier ... |
C’est leur périple en milieu hostile, forcément
hostile, que le film nous raconte. Il leur faudra éviter de se faire bouffer
par des lions à grosses canines, par une tribu de cannibales, apprivoiser des
mammouths (Annaud nous raconte la galère pour transformer des éléphants en mammouths
et les faire « jouer », pour finalement qu’ils foncent là où c’était
pas prévu et détruisent plus ou moins le campement de l’équipe du film), se
battre avec des ours (ce qui donnera une autre idée de film à Annaud), s’enliser
dans des sables mouvants, régler quelques problèmes avec un trio de jaloux de leur
propre tribu, … Mais ces hommes découvriront aussi la solidarité, le rire, l’amour
et toutes les situations vaudevillesques qui peuvent aller avec.
Parce que, et c’est tout l’art et toute la réussite
du film, n’importe qui pourvu de quelques neurones en état de marche suit. « La
guerre du feu », film sans dialogues (ou plus exactement des dialogues auxquels
on ne comprend rien), est d’abord et surtout un grand film d’aventures au
milieu de paysages grandioses. L’émotion et un humour sous-jacent sont toujours présents,
même dans les situations les plus difficiles et scabreuses. Grande scène du
film : les larmes de Naoh (Everett McGill), lorsque qu’un homme de la
tribu de sa dulcinée lui montre comment « fabriquer » du feu. Là moi
j’aurais mis dans le soundtrack « Allumer le feu » de Johnny. Bon,
Annaud a des excuses, le morceau était pas sorti. Mais c’était pas une raison
pour foutre en bande-son les trucs pompiers de Philippe Sarde (« c’est beau
comme du Stravinsky » dit en substance Annaud à propos de sa bande-son.
Moi j’aurais dit aussi chiant que du Wagner, mais bon, on va pas chipoter …).
Une anecdote pour finir. « La guerre du feu »
a été un film très compliqué à financer, le projet a pris cinq ans avant de
voir le jour. Une fois terminé, c’est la Fox qui a hérité, à la suite de
tractations à base de dollars, de sa distribution. Le Président de la Fox ne
croyait pas du tout en ce film, et Annaud pensait qu’il ne sortirait pas. En dernier
recours, le gars de la Fox le montre à un de ses copains et lui demande son
avis. Le type est emballé, le film sort. Ce type était Frank Sinatra …