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HAPPY MONDAYS - PILLS N' THRILLS AND BELLYACHES (1990)

 

Factory & Hacienda ...

Allez, un petit coup de gymnastique neuronale. Toute fin des années 80. Manchester et Madchester, la Factory et l’Hacienda, ça y est vous y êtes ? Pour ceux qui opinent (d’huître) pour faire les malins et pour ceux qui ont un peu zappé – oublié – ignoré tout ce bazar, petit rappel des faits.

Tout commence à la débandade punk (1978) à Manchester. Un animateur de télé locale, Tony Wilson, achète un petit club, Factory, et avec un pote monte un label musical du même nom. Premier album sorti : « Unknown pleasures » de Joy Division. Groupe et album cultes, et d’autant plus que le chanteur du groupe Ian Curtis se suicide avant la parution du deuxième album, un peu moins culte mais intrinsèquement meilleur. Joy Division a permis au label de survivre, de créer grâce à une équipe réduite une imagerie forte (le graphiste Peter Saville) et un son reconnaissable entre mille (le producteur azimuté Martin Hannett).

Happy Mondays, famille nombreuse, famille heureuse ?

La gloire et le fric viendront avec les survivants de Joy Division rebaptisés New Order (leur maxi « Blue Monday » fut le maxi le plus vendu de tous les temps en Angleterre). C’est avec le pognon que lui rapporte New Order que Tony Wilson va investir dans un nouveau club, l’Hacienda (des membres de New Order sont aussi actionnaires). Lancé au début des années 80, l’Hacienda va devenir à partir du milieu des années 80 le repaire de toute la jeunesse branchée de Manchester. Tous ceux qui écoutent de la musique, voire envisagent d’en faire, tous ceux qui viennent danser et gober de l’ecstasy avec en fond sonore les débuts de la house et de la techno, se retrouvent à l’Hacienda, qui acquiert en quelques années une notoriété et une fréquentation internationales.

Parmi cette troupe en party non stop, les frangins Ryder (rien à voir avec le Mitch de Detroit), Paul le bassiste et Shaun, chanteur et compositeur. En plus de se défoncer copieusement, ils envisagent de monter un groupe, baptisé Happy Mondays. Un guitariste, un batteur et un claviers complètent l’affaire, et bien évidemment Tony Wilson les signe sur Factory. La formation va s’agrandir avec l’arrivée d’une choriste-chanteuse, Rowetta, et d’un cas social à peu près désespéré, un type surnommé Bez, plus ou moins percussionniste, mais surtout danseur étrange grâce aux pilules de toutes les couleurs qu’il gobe comme des smarties (les autres ne sont pas en reste).

Les Happy Mondays viennent du rock, sauf que l’environnement de l’Hacienda les a mis au contact de la dance music (qu’elle soit blanche ou noire), et de toute la vague electro naissante. Le matériau de base des Mondays, c’est les Stones mixés à du Chic accéléré. Une paire de disque les installeront dans le paysage mancunien et anglais, et « Pills … » les fera connaître un peu partout ailleurs.

Bez & Shaun Ryder

Tout le monde vous dira que New Order est la référence absolue du Manchester sound, et que le meilleur disque de rock sous substances de l’époque, c’est le « Screamadelica » de Primal Scream. Permettez votre honneur, que je vienne balayer d’un revers de main ces théories de musicologue professionnel. J’ai jamais été fan de New Order et de leur dance à assez grosses ficelles (dans le genre, je trouve les Pet Shop Boys beaucoup plus intéressants et amusants), et au « Screamadelica » de Primal Scream, j’ai toujours préféré les psychédéliques barrés de Spacemen 3. Et pour la référence de Madchester, j’ai tendance à regarder du côté des Stones Roses (les plus « rock » du lot) et des Happy Mondays (le mix le plus réussi de tous les sons « tendance » de l’époque).

Ce qui nous amène à « Pills … », le meilleur de la première époque (ils se sont séparés et reformés encore plus de fois que les Stray Cats ou Guns N’Roses). « Pills … » est leur masterpiece. Parce qu’il est homogène (y’a un son, une idée musicale directrice) et parce qu’il y a leurs hits. Et ce malgré une pochette comment dire … très bariolée (si, si y’a le nom du groupe et du disque écrits dessus, au milieu d’un kaléidoscope très psychédélique, daltoniens s’abstenir …).

« Kinky afro » ouvre le disque. Belle intro, voix légèrement maniérée, groove dansant sur une structure rock. Et de fortes similitudes avec la bombe pré-disco de Lady Marmalade « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? ». Les Mondays ont toujours nié s’être inspirés de ce titre (ils en citent un bien obscur de je sais plus qui), à chacun de se faire son idée. En tout cas gros succès et pas seulement de discothèque. L’autre incontournable de la rondelle c’est « Step on », d’essence nettement rock, titre bien construit, dansant (enfin pour ceux qui en ont envie) et qui pourrait figurer tout en haut dans un best-of d’INXS.


La famille nombreuse des Happy Mondays (sept sur scène), bien aidée par les producteurs Paul Oakenfold (qui deviendra un des DJ’s qui compteront dans les 90’s, et qui entame quasiment avec ce disque sa carrière médiatique) et Steve Osborne, va mettre en place la formule gagnante. De la mélodie (songwriting très surligné par des lignes de claviers de tout type), groove dansant et gros riffs de guitares pour le côté rock de l’affaire. Cette bande de défoncés ne fait pas dans le n’importe quoi (les disques sous substances ont bien souvent tendance à l’autocomplaisance), tout juste si on peut mettre de côté l’assez faiblard « Bob’s yer uncle » malgré son entêtant gimmick de synthé. Le reste est plutôt malin, envoyant plein de signaux plus ou moins subliminaux aux anciens de tout poil.

Dans « God’s cop », il y a plein de tics vocaux de Mick Jagger, le chanteur des Who (c’est juste pour voir ceux qui ont lu jusque là), « Loose fit » a par moments des airs de « Stayin’ alive » au ralenti, la guitare de « Dennis and Lois » fait penser à celle des Cure dans « In between days », la mélodie au début de « Harmony » rappelle la version de « I heard it through the grapevine » de Marvin Gaye, et l’atmosphère de « Harmony » évoque le 3ème Velvet (avec de la guitare slide en plus). Tout ça reste diffus (sinon les avocats concernés auraient dégainé les procédures), il y a réellement une patte Happy Mondays sur les compositions. C’est funky, dansant, indéniablement rock aussi, en prise directe avec les nouveaux courants musicaux et sonores, et assez étrangement, ça a plus que bien vieilli. A tel point que « Pills … » me semble même plus pertinent et évident aujourd’hui que lors de sa sortie.


THE BAND - THE BAND (1969)

 

Les profs d'Histoire ...

Le Groupe, l’Orchestre … Traduisez ça comme vous voulez en français, en aucun cas ça va sonner flashy ou sexy … un des patronymes les plus neuneus de la longue aventure du wockandwoll. Pour tout arranger, une des pochettes les plus moches de l’histoire du vinyle. Monochrome vaguement sépia, pas de titre, juste « The Band » au milieu en haut, et une photo des types en bas. Et je vous assure c’est bien eux en 1969, ils se sont pas déguisés, ils étaient vraiment comme ça, avec leur look de Mormons du XIXème siècle, voire de méchant de Tintin (Garth Hudson, le plus barbu du lot, de toutes façons ils sont tous barbus ou moustachus). Pour ne rien arranger, ils sont même pas des U.S.A. (à part Levon Helm, le barbu blond), mais Canadiens, et on sait bien que les Ricains, ils peuvent être bien ouverts d’esprit, mais poussent généralement pas cette ouverture jusqu’à faire entrer dans leur Panthéon des étrangers … et pour finir, The Band a eu droit à une épitaphe cinématographique (pourtant signée par un fan et un pote – de défonce – de Robertson, Martin Scorsese), aussi longue qu’indigeste, pleine d’amis guère concernés invités, « The last waltz » …

Ceci posé, il n’en reste pas moins que cette rondelle sans titre est une des meilleures et des plus cruciales de tous les temps. Et comme dirait Macron, je vais vous le démontrer, et interdit de ne pas être de mon avis …


Faut commencer par remonter dans le temps. Les types du Band ne sont pas nés de la dernière pluie quand ils font paraître ce disque, leur second, à l’automne 69. Les Canadiens du lot ont commencé par accompagner un expatrié américain, Ronnie Hawkins (dont il n’est pas stupide de ne rien savoir) sous le nom de The Hawks (déjà un nom très imaginatif, Hawkins – The Hawks). Cela leur permit de se faire remarquer par Bob Dylan qui en prit une paire en studio, puis tout le reste par copinage. C’est dans le foutoir qu’étaient les séances studio de Dylan qu’ils rencontreront Levon Helm, et l’accompagneront notamment sur la fameuse tournée « électrique » de 65-66. Ils le suivront dans sa convalescence après l’accident de moto du côté de Woodstock, où ils emménageront communautairement dans une ferme, Big Pink. Les types retranchés dans cette ferme (les Hawks + Helm) deviendront The Band, jammeront avec Dylan (les « Basement Tapes » parues en 75), et commenceront à enregistrer leur propre disque.

Leur premier, « Music from the Big Pink », sera sous forte influence Dylan (trois titres écrits ou co-écrits par le Maître) plus un single, « The Weight » devenu d’autant plus culte qu’il sera intégré au soundtrack du road movie hippie « Easy Rider ». Un bon disque, voire plus, mais rien de comparable à « The Band ».

Le principal pourvoyeur de titres est le guitariste Robbie Robertson. Parenthèse. C’est lui qui est crédité des douze titres du disque, ne partageant les crédits que sur quatre (trois avec Richard Manuel, un avec Levon Helm). Aux dires des autres protagonistes, la réalité ne serait pas aussi simple, si Robertson amenait bien l’ossature des morceaux, tout le monde participait à l’écriture. Et donc fatalement, une fois les liens humains quelque peu distendus (assez vite, vers 73-74), les rancœurs et inimitiés sur fond de droits d’auteur vont apparaître, entraîner la dissolution du groupe et de nombreuses tensions lors des tentatives (plutôt bien foirées artistiquement) de reformations. Fin de la parenthèse. Et si on sait pas trop qui a écrit quoi, c’est un peu la même énigme sur qui joue quoi (ils sont à peu près tous multi-instrumentistes et laissent volontiers leur instrument de prédilection à un collègue). Ils chantent aussi (ou font des chœurs) tous, mais là, c’est un peu plus facile à identifier (Manuel, Helm et Danko se partagent à peu près équitablement les voix lead).


S’il fallait définir rapidement « The Band », et pour prendre un point de repère archi-connu, il convient de citer « Déjà Vu » de Crosby, Stills, Nash & Young paru l’année suivante. « Déjà Vu » est un classique incontestable et indépassable. « The Band » est aussi bon, mais va plus loin dans le passé, ne se contentant pas de raccrocher la culture hippie aux racines folk et country. Le Band va y rajouter des sources d’inspiration beaucoup plus antiques, qui remontent à la musique que jouaient les premiers colons non hispaniques du continent. Le Band, c’est pas des types nés vieux qui jouent de la musique pour des vieux, c’est des types nés vieux qui jouent de la musique pour des morts depuis des siècles … Le premier disque de synthèse de toutes les musiques nées sur le continent américain, ce genre passéiste et nostalgique qu’on appellera vingt ans plus tard americana c’est celui-là.

« The Band » est un disque rustique, campagnard. Même s’il a été écrit dans la cambrousse de l’Etat de New York, le disque a été enregistré dans une villa d’Hollywood, ayant eu comme locataires ou propriétaires Sammy Davis et Judy Garland, pas les plus sobres du show-biz. En cela la tradition a perduré avec le Band, qui derrière leur look de prêcheurs baptistes d’un autre siècle, étaient de furieux alcoolos et toxicos.

Le disque commence par un contre-pied, un titre léger, joyeux et festif (« Across the great divide ») qui tranche avec l’aspect tristos de ses auteurs et de la pochette. « Across … » comme à peu près tout ce qui va suivre, est un foutoir total, où le groupe a jeté des bribes de rock, de folk, de funk, de country. Quiconque s’essaie à ce genre de mix finit généralement avec une bouillasse inaudible. Sauf que les types du Band sont des musiciens accomplis et « sérieux » (Hawkins, mais surtout Dylan ne toléraient pas les médiocres et étaient des chefs d’orchestre, savaient ce qu’ils voulaient et attendaient de chacun). Tous les titres de « The Band » sont évidents, on a l’impression de les avoir entendus mille fois, alors que ce sont tous des compositions originales. « Rag mama rag » arrive ensuite, c’est comme son titre l’indique basé sur du ragtime, cet ancêtre du jazz, tout juste actualisé par un accompagnement électrique discret. Titre « difficile » pour l’époque (et ne parlons pas d’aujourd’hui), qui fut étrangement choisi comme single, à croire que les gens de Capitol, qui finançaient la rondelle, voulaient pas gagner d’argent avec …


Cette doublette introductive est d’un très bon niveau, mais pas de quoi sauter au plafond non plus. Et là, tout à coup, sans crier gare, le Band va aligner à la suite une demi-douzaine de titres stupéfiants, parfaits … « The night they drove Old Dixie down » a été perçue comme la chanson « engagée » du Band. Ouais … sauf qu’au lieu de parler comme tout le monde à l’époque de la guerre du Vietnam, elle met en scène un soldat sudiste lors de la fin de la Guerre de Sécession, qui en même temps que la défaite voyait la fin d’un monde, de son monde. Chantée par un Américain du Sud et fier de l’être (Levon Helm), certains ont voulu y voir ce qui n’y était pas (un regret des « valeurs » sudistes, notamment l’esclavagisme). Rarement mélancolie et tristesse de la musique ont été aussi raccords avec les paroles. « When you’re awake » semble tout bancal, tout de guingois, hésitant, se mettant progressiveemnt en place. Mélodie géniale que n’aurait pas renié un McCartney de la même époque … « Up on cripple creek », un mid-tempo pépère, déconcertant de simplicité, avec un affolant gimmick d’un prototype de clavinet (cf « Superstition » de Stevie Wonder). Ce titre, bien qu’imparable, ne fera qu’une modeste carrière en single (25 au Billboard). « Whispering pines » clôture la première face vinyle. C’est la ballade sixties en apesanteur, dans la lignée de « Nights in white satin » et « A whiter shade of pale », le côté légèrement pompier des Moody Blues et de Procol Harum en moins. La voix lead aigue est celle de Richard Manuel, tout comme dans « Jemina surrender » chanson triste et nostalgique (les forêts de conifères du Canada) qui louche vers le country & western. « Rockin’ chair » conclut cet enchaînement de titres parfaits, c’est du country folk qui aurait pu figurer sans problème chez C, S, N &Y …

Les quatre derniers titres ne sont pas fabuleux, ils sont juste excellents. « Look out Cleveland » est un rock’n’roll hurlé par Rick Danko, à mi-chemin entre ceux des pionniers et ceux qui sont en train d’être revisités par les premiers groupes de hard à grands coups de Gibson reliées aux amplis Marshall. « Jawbone », parce qu’il en faut toujours un, on dira que c’est le maillon faible de la rondelle, malgré l’originalité du mix sonore entre pop et rhythm’n’blues. « The unfaithful servant », c’est le morceau ensoleillé du disque (écrit par Robertson à Hawaï, ça sent les vacances), chez lequel certains musicologues ont décelé l’influence du jazz de Bill Evans (si les musicologues le disent, amen …). Last but not least, « King Harvest » (has surely come) » est une ruade rock & soul, le seul titre où Robbie Robertson balance des accords et des solos de guitare stridents. Le titre serait inspiré d’un obscur machin des débuts de Stevie Wonder, du temps où la Motown mettait en avant son petit prodige Little Stevie.

Dylan & The Band Isle of Wight 1969

« The Band » ne va pas vraiment conquérir les foules. A sa parution, le groupe vient de jouer en voisin à Woodstock dans l’indifférence générale, tous les hippies présents croyant dur comme fer qu’ils assisteraient à un concert de Dylan accompagné du Band. Evidemment, Dylan, en roi de la pirouette inattendue, n’est pas venu … La suite sera une lente et sûre dégringolade jusqu’au concert d’adieu de 76, pour la dispensable dernière valse …

Forcément, ce disque hors de son temps sera réhabilité et plus tard considéré comme une pierre angulaire du rock américain. Une sorte de disque maudit, que tout le monde cite, mais que peu ont un jour écouté ou acheté …

Belle réédition en 2000, avec un inédit, plus des versions alternatives des meilleurs titres.

Bon, voilà on a fait le tour. On fait quoi, maintenant ? Ben on se repasse le disque, encore et encore …





GUNS N'ROSES - APPETITE FOR DESTRUCTION (1987)

 

Welcome to Sunset Strip ...

1987 … Ça commençait à sentir le sapin … Les joueurs de synthé à un doigt de la new wave retournaient dans l’obscurité d’où ils n’auraient jamais dû sortir, U2 sortait un grand disque pour le marché américain (« The Joshua tree »), laissant plus ou moins au vestiaire guitares et tempos rapides, Simple Minds viraient pompier new age, Cure devenaient joyeux (un comble), … Du côté des Ricains, pas mieux chez Dylan, Springsteen, Neil Young, auteurs de rondelles que pour être gentils on qualifiera d’embarrassantes. Seul Prince sortait avec une régularité de métronome un chef-d’œuvre par an (en 87, c’était « Sign the times », à mon sens le meilleur de sa discographie) …

Ouais, mais voilà, j’aimais bien entendre le son d’une guitare saturée branchée sur un ampli Marshall, et de ce côté-là c’était la soupe à la grimace. Jesus & Mary Chain chez les Rosbifs, Hüsker Dü de l’autre côté de l’Océan, quelques rares autres de moindre niveau un peu partout, le tour du proprio était vite fait … restait les hardos pour envoyer du boucan … sauf que j’avais plus quinze ans, et que les rondelles calamiteuses de Scorpions, Van Halen, Aerosmith ou AC/DC n’étaient pas faites pour ranimer ma flamme. La « fameuse » NWOBHM m’avait toujours gonflé, leur tête d’affiche Iron Maiden en tête, les lecteurs de Bruitos Magazine commençaient à se refiler sous le manteau le nom de Metallica (bâillements) …


Quelques Ricains, maquillés comme des voitures volées (ou comme Bowie à la fin d’un concert en 73) lançaient la mode du glam metal, dans le meilleur des cas un revival Alice Cooper (qui, comme par hasard, n’était pas vraiment au mieux dans les 80’s). Phénomène musical essentiellement californien (Mötley Crüe, Ratt, Poison, Cinderella, Quiet Riot, …), qui se concentra vite sur Los Angeles, et établit son siège social sur une partie de Sunset Boulevard, là où se trouvaient salles de jeux, dealers, boîtes de striptease et jeunesse blanche, Sunset Strip. Et on y voyait parader tous ces groupes, dans une compétition de looks décadents, tous ces types bourrés et/ou défoncés avec à leurs bras des bimbos fortement siliconées, délurées et court vêtues, ce qui faisait fantasmer tous ceux qui ne s’étaient pas encore faits un nom.

Parmi ces anonymes, deux types avaient monté chacun leur groupe, L.A. Guns et Hollywood Rose. Le premier fondé par le guitariste Tracii Guns, le second, Hollywood Rose par un certain William Bruce Rose Jr, venu de sa cambrousse de l’Indiana pour profiter de la fête non-stop de Sunset Strip. Cas social à peu près désespéré, il se rebaptisera Axl Rose (anagramme transparent, y’ a que sept lettres …). Les deux groupes fusionnent en Guns N’Roses, les musiciens défilent, certains arrivent, d’autres font leurs valises, dont assez vite, Tracii Guns. Au bout d’un moment, la formation se stabilise. Aux côtés d’Axl Rose, on va trouver trois américains, le guitariste rythmique Izzy Stradlin, le bassiste Duff McKagan, le batteur Steven Adler, et un guitariste anglais, Saul Hudson, auto-rebaptisé Slash. Slash est pour ainsi dire un enfant de la balle, sa mère était conceptrice de tenues de scène, notamment pour David Bowie, qui paraît-il l’a un temps fréquentée pas seulement pour des raisons artistiques …


Ce quintette va se faire une place et un nom sur Sunset Strip. Ils emménagent dans un squat, vite rempli de bouteilles vides, de poussières blanches et de filles consentantes. Et surtout, emmenés par Axl Rose, émérite bagarreur, faire changer toute la concurrence de trottoir quand ils les croisent sur Sunset Strip. Le premier, David Geffen au nez particulièrement creux dès qu’il s’agit de trouver des gens à fort potentiel commercial, les repère et les signe. Et là, miracle …

Les cinq zozos, à longueur de temps dans un état proche du comateux, vont s’atteler à l’enregistrement d’un disque qui va faire date. Parce qu’il va s’en vendre des dizaines de millions all around the world, et parce qu’en plus il est excellent. En gros, « Appetite for destruction » est le dernier grand disque de (hard) rock des seventies sorti alors que la décennie suivante va sur sa fin.

« Appetite ... » est un concentré et un résumé de tout ce que le rock pour les hommes, les vrais, a fait de mieux depuis trois décennies. Du rock’n’roll fifties (Cochran, Petit Richard, …), du British 60’s (Stones, Yardbirds, …), du hard 70’s (Purple, Led Zep, AC/DC, Aerosmith, …), du punk surtout américain, plus « brutal » que les British (Black Flag, Bad Brains, Dead Kennedys, …). Tout ça mélangé à la sauce Guns N’Roses, sans que jamais ça sonne comme un copier-coller. Il y a une trademark Guns avec ce premier disque. Tous les titres ont une longue intro, travaillée (celle, mirifique de « Paradise City » dure 1’20’’ et en est le meilleur exemple), des couplets, des refrains, des ponts, et un vrai final (jamais de shunt brutal ou de fading). Autrement dit, même sous l’effet bulldozer de certains morceaux bien bourrins (« You’re crazy », exemple type), il y a un vrai travail d’écriture.


Avant d’être la chose d’Axl Rose qui imposera ses avis aux autres à coups de baffes, le Guns N’Roses d’ « Appetite … » est le disque d’un vrai groupe, où chacun participe sans chercher à attirer sur soi la lumière. Les trois de la rythmique maintiennent une pression constante, Slash balance de courts solos antithèse de la plupart des guitar-heroes, l’Axl utilise plusieurs tonalités, ne se contentant pas de brailler dans les aigus … Pour faire un grand disque, il faut au moins un titre qui marque les esprits, qui serve de locomotive pour le reste de la rondelle. « Appetite … » ne fait pas les choses à moitié, ou plutôt la moitié des titres sont fabuleux.

Par ordre d’apparition, « Welcome to the jungle » est une entrée en matière idéale, intro marquante, mid-tempo appuyé par une batterie tachycardique, pont qui lorgne vers celui de « Whole lotta love » … « Nightrain » est un des nombreux singles, pas exceptionnel, juste excellent. « Paradise City » est au moins dans le Top 10 des plus grands morceaux de hard, intro fabuleuse, accélération permanente de dragster, faux final avant les deux dernières minutes où tout le monde est à nouveau à fond. Claque monumentale … « My Michelle » n’a rien à voir avec celle de McCartney, mais serait très fortement inspiré d’une copine junkie d’Axl Rose, tempo de punk’n’roll lui aussi en accélération permanente. « Sweet child o’ mine » est l’autre titre d’anthologie, ballade up tempo, le titre qui met le plus Slash en valeur. « Rocket Queen » conclut les cinquante trois minutes du disque en apothéose avec ses deux parties distinctes reliées par des roulements de batterie et les gros riffs de Slash.


Alors forcément le reste souffre un peu de la comparaison, que ce soit le hard tendance FM de « Mr Brownstone », les ponts façon psyché de « It’s so easy », le bourrin « Out ta get me » avec ses chœurs de hooligans et ses faux airs par moments de « Flight of the rat » du Purple. Une paire de titres sont un peu les parents pauvres de la rondelle, plutôt anecdotiques (« Think about you », « Anything goes »), bien qu’ils puissent faire figure de chefs-d’œuvre chez la plupart de la concurrence …

Pour faire retomber les dithyrambes, juste un mot sur la pochette, plutôt très moche, sachant que celle qui était prévue (un dessin représentant un robot qui vient de violer une femme affalée contre un mur culotte sur les genoux), a été jugée trop vulgaire (juste verdict) par Geffen et supprimée assez vite.

Le mystère restera de savoir comment cinq toxicos je-m’en-foutistes ont pu pondre pareille merveille. Parce que la suite sera une assez remarquable chute libre. Axl Rose prendra un melon phénoménal, entre réparties aberrantes, torgnoles à tout-va à tout ce qui passe à portée, nouveau look à base de bandanas et de shorts de cyclistes, admiration sans burnes pour Elton John, etc … Tout ça culminant avec les deux heures et demie de la doublette « Use our illusion », où une poignée de bons morceaux (dont une reprise d’anthologie de « Knockin’ on heaven’s door ») seront noyés sous un déluge de titres à rallonges boursouflés et prétentieux, le tout avant l’inévitable débandade, le nullissime disque en solo d’Axl sous le nom de Guns N’Roses après quinze ans ( ! ) de studio, et les tout autant prévisibles réconciliations, reformations, etc …

« Appetite for destruction » avait suffi pour entrer dans la légende …


DAVID BOWIE - THE RISE AND FALL OF ZIGGY STARDUST AND THE SPIDERS FROM MARS (1972)

 

Passer au niveau supérieur ...

1972 … David Jones rebaptisé Bowie essaie depuis huit ans (« Liza Jane », 1964) de capter la lumière des projecteurs de la célébrité. Il s’est beaucoup dépensé, a suivi beaucoup de courants musicaux, seul ou avec des groupes. Il a même eu un hit, « Space Oddity », surfant sur la vague « 2001, Odyssée de l’Espace ». Il vient de signer un grand disque (« Hunky Dory ») accueilli favorablement par la critique, nettement moins par le public … La preuve, le titre imparable qu'il contenait (« Life on Mars ») a fait un bide en single (ce titre ressortira en 73 et il finira cette fois en haut des charts). Et pire pour l’amour-propre de Bowie, son pote Marc Bolan avec qui il rêvait de conquérir les charts, est devenu l’idole des jeunes anglais (et des très jeunes anglaises) avec ses chansons pour lesquelles on a créé le terme de glam-rock …

David Bowie début 1972

Rétrospectivement, on peut dire que Bowie va tenter un coup de poker fabuleux, de ceux qui peuvent à jamais te ridiculiser ou faire de toi une superstar. Parce que, réfléchissons cinq secondes, comment faire gober a priori un concept fumeux aussi con que celui de Ziggy Poussière d’Etoile et ses Araignées de Mars, à un public anglo-saxon qui a connu les Beatles et voit les Stones au sommet de leur art (pour ne citer que les deux grands groupes de la perfide Albion) ? Bonne question, camarade, j’ai bien peur qu’elle reste à jamais sans réponse … C’est peut-être à ce genre d’intuitions géniales qu’on reconnaît les meilleurs, les plus grands … renverser la table et repartir de zéro …

« Concept » et musique chemineront de pair. Ziggy Stardust est l’antithèse du Major Tom de « Space oddity ». Major Tom partait vers les étoiles dans sa fusée, Ziggy est un alien qui arrive sur Terre. Bon, je vous l’accorde, faut avoir cinq ans ou pris les bonnes drogues pour trouver le concept intelligent voire intéressant (et je vous fais cadeau des paroles des chansons (de l’alligator bisexuel de « Moonage daydream » au temps qui prend une cigarette dans « Rock’n’roll suicide », y’a de quoi se gratter l’occiput …). Le personnage de Ziggy Stardust est un mix improbable de Vince Taylor, (forcément) Iggy Pop, et de l’excentrique countryman Legendary Stardust Cowboy. Bowie se coupe les cheveux, les teint en jaune citron, commence à rechercher des tenues extravagantes en suivant de près les créateurs de mode japonais. C’est ce look qu’il arbore sur la pochette de « … Ziggy Stardust … » (si le pèlerinage londonien des pochettes de disques vous intéresse, après le passage clouté devant les studios au 3 d’Abbey Road, rendez-vous au 23 Heddon Street pour celle de « … Ziggy Stardust … »). Ne pas s’y tromper, le meilleur est quand même ce qu’il y a à l’intérieur de la pochette …

Le même, quelques mois plus tard

« … Ziggy Stardust … » a été enregistré dans la foulée de « Hunky Dory ». Six mois jour pour jour séparent les deux disques (Décembre 71 pour le premier et Juin 72 pour le second, ça on peut pas l’ignorer, tellement les célébrations du cinquantenaire de la parution ont été médiatisées). Et la tournée qui suit la parution de « Hunky Dory » qui débute en Février 72 sera basée sur les titres à paraître … Imagine-t’on de nos jours une quelconque « vedette » issue des télécrochets sortir un disque tous les six mois et tourner avec un tiers d’inédits au répertoire ? Répondez pas tous en même temps, mais quelque part on a les idoles qu’on mérite …

« … Ziggy Stardust … » a une place particulière dans la discographie de Bowie. Tout en haut … alors que la période Ziggy n’a duré que de Février 72 au 3 Juillet 73 (« mort » officielle de Ziggy Stardust lors du concert documenté par un live au Hammersmith Odeon). La raison est toute simple, ce disque est incontournable parce qu’il est excellent, un des marqueurs essentiels du rock seventies et du rock tout court.

Bolder, Woodmansey, Bowie & Ronson : Spiders from Mars

Des points faibles ? En cherchant bien, une paire. Le cœur du disque, « It ain’t easy » et « Lady Stardust » (sur le vinyle dernier titre première face et premier seconde face) est constitué par les deux morceaux qualitativement en retrait par rapport aux autres. Le premier, une reprise du peu connu Ron Davies (compositeur américain « tout-terrain » venu de la country) dénote avec la tonalité générale de l’album et la seconde, ballade bien dans le concept du disque, mais composition prévisible. Ces deux titres ne seront quasiment jamais joués sur scène tout du long de la carrière de Bowie. Autre point discutable, le choix délibéré de Bowie de chanter très haut dans les aigus, alors qu’il a une palette vocale beaucoup plus étendue … bon, fin de la rubrique « cherchons des poils sur les œufs » …

Alors, il y a les compositions dont un bon paquet font partie de ce que Bowie a fait de mieux. Une mise en place sonore qui est un modèle du genre. Captation d’un quatuor « basique » (basse-batterie-guitare-chant) sur lequel les ajouts (sax, piano, orchestre à cordes) semblent couler de source. Le tout en glorieuse stéréo seventies (des effets très clairs entre droite et gauche), une voix de Bowie souvent doublée sur les refrains, et des mises en avant de la guitare de Ronson quand celle-ci prend le jeu à son compte, qu’il s’agisse de riffs ou de solos. Aux manettes, Ken Scott, venu des studios Abbey Road qui a fait ses premières armes comme assistant de George Martin sur les disques des Beatles, ce qui donne quand même quelques idées sur la façon d’utiliser du matériel d’enregistrement. Et nul doute que si officiellement ce sont Bowie et Ronson qui sont crédités aux arrangements, Ken Scott y est aussi pour quelque chose. Quelques exemples, le fade-in de batterie sur l’intro de « Five years », les riffs colossaux de Ronson sur « Soul love », ceux de « Moonage daydream » qui shuntent le fading de « Soul love », le crescendo à apprendre dans les livres d’histoire de « Rock’n’roll suicide ».



Bowie & Ronson live at Santa Monica

« … Ziggy Stardust … » est le disque qui a fait de Mick Ronson un des guitaristes marquants des années 70. Capable de s’effacer, de se faire rythmique et discret, et puis d’exploser dans les tweeters pour des riffs d’anthologie (« Soul love », « Moonage daydream », « Star », « Suffragette City »), ou de solos marquants (le final de « Moonage daydream », celui de « Hang on to yourself »).

Avec ce disque, Bowie règle définitivement son compte à Bolan. Certes, T. Rex sera en Angleterre et en Europe un plus gros vendeur. Mais Bolan se verra dépassé sur son aile gauche. A grands coups de déclarations tapageuses so shocking pour la société de l’époque (« je suis bisexuel »), de maquillages peu discrets, et d’excentricités capillaires et vestimentaires en tout genre, Bowie va pousser le bouchon beaucoup plus loin que son ami-rival. Mais là où Bowie fera la différence, c’est qu’il va aller (alors que commercialement il n’y est rien) « démarcher » le public américain, multipliant les tournées Outre-Atlantique. En une paire d’années, il y deviendra, sinon une superstar (trop clivant, imaginez l’effet du look Ziggy – Diamond Dogs dans le Midwest et le Sud profond), en tout cas quelqu’un de connu …

Comme c’est écrit au verso de la pochette, « to be played at maximum volume » … et le plus souvent possible …


Du même sur ce blog :

GRAVENHURST - FIRES IN DISTANT BUILDINGS (2005)


 Never say never ...

Warp … c’est le label de Gravenhurst … Vous connaissez pas les trucs du label Warp ? Vous avez bien raison … Originellement dédié à de la musique électronique expérimentale (ça fout les jetons, n’est-il pas…), révéré par quelques malentendants adorateurs de Broadcast (Portishead du pauvre), Boards of Canada (Pink Floyd des sourds), Aphex Twin (Boulez pour trisomiques), j’en passe et des pas meilleurs, le label s’est comme tous, ouvert à l’économie de marché, comme disent les ultra-libéraux qui veulent se faire passer pour progressistes … Et donc a signé des gens susceptibles de vendre (un peu) de disque, pour faire bouillir la marmite.

Au mitan des années 2000, Warp signe le dénommé Nick Talbot (originaire de Bristol, c’est pas non plus rendez-vous en terre inconnue quand on donne dans la musique électronique), folkeux minimaliste et dépressif se cachant sous le nom de Gravenhurst … Le gars fait ses disques tout seul, et se fait accompagner par quelques comparses en live, le tout pour une célébrité qui ne lui a, on s’en doute, jamais valu la une des JT …

Nick Talbot

Tout ça pour dire, que ce « Fires in distant buildings », jeté sans la moindre once de conviction dans la gueule du lecteur de Cd, j’en attendais rien … tu parles, un folkeux lo-fi sur le label roi des joueurs de disquette …

Mea culpa, errare humanum est, and so on … Parce que sur ce « Fires in distant buildings », ben, y’a rien à jeter (ouais, bon, la pochette si on veut). Le titre de la rondelle, on le dirait trouvé par David Byrne et Brian Eno (« More songs about buildings and food » des Talking Heads). Ça tombe bien, le Brian est une des références de Talbot, et ça s’entend … enfin le Eno des disques des mid seventies, pas celui ambient ou des musiques d’ascenseur. Mais plus encore que le dégarni bidouilleur de sons et de mélodies, moi Gravenhurst, ça m’évoque Nick Drake. Du timbre voilé à la pureté mélodique des compositions, le triste barde folk à la musique féérique est présent tout le long des titres. Mais chez Talbot, les chansons ne sont pas uniquement à base d’arpèges acoustiques ou d’arrangement de cordes. Gravenhurst, on dirait souvent Nick Drake accompagné par les Yardbirds époque Beck-Page.

Parce que de temps en temps (et pas tout le temps, sinon la formule serait vite éventée), le Talbot balance de grands riffs sursaturés tous potards sur onze, et va même sur une reprise hallucinée (on y reviendra) de « See my friends » jusqu’à partir dans un rave-up acide que ne renieraient pas les fans de Quicksilver Messenger Service … Les titres de Gravenhurst prennent leur temps (huit pour plus de cinquante minutes) sans qu’une seule fois on pense remplissage ou délayage. Sur le coup, le Talbot n’a pas tout enregistré et produit tout seul, il s’est adjoint les services d’un vrai batteur (et il le fallait, une boîte à rythmes ou un séquenceur, ça l’aurait pas fait du tout sur l’intro de « Song from under the arches », cette batterie lointaine et qui semble à la dérive, avant de prendre en main le morceau, faudrait apprendre ça dans les écoles de musique). Talbot pour le reste se débrouille plutôt bien, sur tout ce qui a des touches blanches et noires (pas trop de synthés, de vrais orgues ou pianos, ou alors c’est plus que bien imité) et même à la guitare (le guitar hero chez Warp, c’est lui, et me dites pas que c’est pas difficile, que c’est le seul à en jouer sur le label …).


« Fires … », faut juste passer les trente premières secondes du disque qui donnent pas envie d’aller plus loin. Sur ce titre (« Down river », référence au millième degré à Neil Young ?), après une intro donc désolante, s’immisce une mélodie jazzy sophistiquée qui rappelle Steely Dan, avant que le final, entamé avec de gros riffs qui font planer l’ombre royale cramoisie de Robert Fripp (ou de ses quelconques imitateurs contemporains genre Black Midi).

« The velvet cell » suit, et là, avec la voix nonchalante et la mélodie power pop, on se croirait sur le premier Strokes. Une merveille de truc sautillant de trois minutes. Et alors qu’on croit que tout est dit, un break, et Talbot sur un final instrumental sur un tempo totalement différent. Bien joué … C’est ce final qui servira de base quelques titres plus loin à la bien nommée et très rock « The velvet cell reprise ». Entre temps, changement de décor sonore, le folk très Nick Drake de « Animals » et la lenteur dépouillée de « Nicole » (esprit de Leonard Cohen, sors de ce corps …) sont là pour démontrer qu’on peut encore faire du neuf et du beau avec des formules pourtant déjà ressassées à l’infini …

« Cities beneath the sea » est construit sur une base folk crépusculaire, et amène une autre preuve de l’aisance mélodique du sieur Talbot, avant qu’il fasse décoller ce titre par une partie d’orgue et une redescente rythmique où s’entrecroisent synthés discrets et arpèges de guitare (ou le contraire). Tout ça conduit à la pièce montée du disque (plus de dix minutes), « Song from under the arches ». J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de son intro avec cette espèce de batterie flottante, mais on n’est jamais au bout de ses surprises avec ce titre, où l’on trouvera des passages avec guitares lentes et lourdes (genre Black Sabbath), une partie très apaisée avant un final tout en riffs dévastateurs digne du meilleur de King Crimson. Par sa construction, ce titre n’est ni plus ni moins que du prog, mais du prog comme n’en ont même pas envisagé en rêve les Genesis ou Yes de sinistre mémoire …


Last but not least, la reprise de « See my friends » des Kinks (précision à l’usage des auditeurs habituels des productions Warp). Le titre est ici quasiment méconnaissable (ne subsiste que la mélodie très ralentie), traité comme Jojo Harrison l’aurait fait de retour de son ashram indien quand il avait la tête dans les bâtons d’encens (très psyché-orientale donc). Et le final du morceau (de moins de trois minutes dans sa version originale, on arrive ici à neuf) devrait ravir comme j’ai dit plus haut tous les amateurs de Cippolina …

Ce « Fires … » est parfait. Assez loin en termes de qualité avec tout ce qu’a produit avant ou après Nick Talbot / Gravenhurst. C’est ce que dit la rumeur publique et ce qu’il m’a semblé après l’écoute de quelques titres au hasard du reste de sa discographie.

N’empêche, un des grands disques de rock de ce siècle qui en a pas produit foule … et tout ça chez Warp … ce monde fout vraiment le camp …


NICK CAVE & THE BAD SEEDS - NO MORE SHALL WE PART (2001)

 

Sad songs ...

Au bout de presque soixante-dix ans de rock, combien sont ceux qui se peuvent se vanter d’avoir laissé une œuvre irréprochable ? Déjà, pour qu’on parle d’œuvre, faut être vieux ou au moins plus très jeune et avoir sorti pas mal de disques. Nick Cave a quasiment l’âge du rock, et une vingtaine de rondelles (trois avec Birthday Party, les autres avec les Bad Seeds) à son actif, sans compter quelques projets « récréatifs » (Grinderman …) … et puisqu’on commence à employer des termes de bilan comptable, rien à son passif … Bon, je veux pas dire par là que tous ses disques sont absolument parfaits de la première à la dernière plage, mais j’ai beau chercher, je vois pas qui d’autre n’a pas fait quelque galette chelou (voire plusieurs), n’a pas traversé quelques déserts à l’inspiration aride, n’a pas fini par s’auto plagier ou s’auto caricaturer … Et là, je parle que des plus grands, des plus célèbres … Je vais pas balancer de noms, mais on peut tous les mettre dans une case (ou plusieurs) …

Nick Cave, Bad Seeds & Mc Garrigle Sisters

Et pourtant Nick Cave n’a pas inventé une formule, à laquelle il s’accrocherait depuis des lustres. Ecoutez Birthday Party, et puis son dernier à ce jour, « Ghosteen », et montrez-moi les points communs musicaux … Aucun … alors les fâcheux qui disent que Cave (parce que ce soit Birthday Party ou les Bad Seeds, c’est Cave le chef, l’auteur quasi sans partage et le chanteur exclusif de ses projets musicaux), c’est toujours pareil, ben, no comment … parce que oui, on n’est pas obligé d’aller glisser un titre de reggae, de funk, de rock celtique, de techno ou de zumba ou que sais-je pour montrer qu’on est inspiré ou dans l’air du temps …

Cave a une voix et une présence vocale. Une voix grave, de baryton, à la Johnny Cash … et le countryman n’apparaît pas par hasard, c’est une des références de Cale, et pas seulement par le registre vocal ou l’appétence pour les fringues noires, mais par les thématiques abordées. Ils regardent tous les deux la mort en face et la chantent souvent, la religion tient une grande place chez eux, bien qu’ils ne l’abordent pas de la même façon. Mais en plus, Cave écrit … des bouquins, mais aussi des chansons. C’est ici qu’il convient de glisser l’allusion à Bob Dylan, autre grosse influence de Cave. Mais à la différence du Nobel de littérature Cave est aussi un performer sur scène, où il se plaît à triturer sa grande carcasse efflanquée (esprit d’Antonin Artaud, es-tu là …), sans parler des prestations « dangereuses » à la Iggy Pop de ses débuts …

Nick Cave 2001

Je vais pas jouer les encyclopédistes, les disques de Cave je les ai pas tous (une moitié à la louche, et je suis pas sûr d’avoir écouté tous les autres), mais c’est un panier dans lequel on peut puiser les yeux fermés sans risque d’être déçu … d’ailleurs, selon à qui on a affaire, il n’y a aucun consensus pour désigner le meilleur disque de Nick Cave (si ça vous intéresse, pour moi c’est « Tender Prey » à la fin des 80’s), quasiment chacune de ses rondelles a ses fervents partisans …

Alors ce « No more … », tu vas en causer ou quoi ? Voilà, voilà … On va dire qu’il est caractéristique de sa période « apaisée ». Entendez par là que Cave met de côté l’électricité rageuse et stridente qui était une marque de famille de ses débuts. Seuls le final de « Fifteen feel of pure » et « Sorrowful life » envoient la sauce, mais à l’issue d’un crescendo pour le premier, et d’un break pour le second. Nick Cave n’est plus dans le truc rock’n’roll-punk. Par contre, tous les titres sont construits autour d’une mélodie au piano, instrument omniprésent sur ce disque. Et c’est Cave qui en joue. Les mélodies sont épurées mais travaillées (on n’est pas Chez Lang Lang, ni chez Elton John d’ailleurs).

Autour du piano et de la voix de Cave, les usual suspects habituels, les Bad Seeds. Dont on a l’impression que ce sont les mêmes types depuis un éternité … ben non, on passe en général beaucoup de temps dans les Bad Seeds, mais on finit par en partir. Ici, les anciens historiques Mick Harvey et Blixa Bargeld seront bientôt sur le départ, Warren Ellis et Jim Sclavunos font quasiment figure de bleubites, alors que Thomas Wilder et Conway Savage, rarement cités comme des rouages essentiels seront finalement ceux qui auront passé le plus de temps au sein du groupe. Les Bad Seeds ne sont pas seuls derrière Cave sur ce disque. Des cordes classiques sont présentes sur de nombreux titres et les sœurs Mc Garrigle viennent en renfort aux backing vocaux. Ce qui au total fait du monde … mais tous restent discrets, quasiment effacés (par exemple les frangines folkeuses ne se font vraiment remarquer que sur le final de « Hallelujah » où leurs voix à l’unisson finissent par se substituer à celle de Cave…). Tout le monde est au service des titres et de la vision qu’en a son auteur, pas d’ego surdimensionné chez ces gens-là … Et pas non plus d’ego chez Nick Cave, « No more … », on dirait un disque solo qui se cache derrière un groupe, et c’est une tendance qui ne fera que se renforcer avec les parutions suivantes, mais Nick Cave a besoin d’être accompagné dans tous les sens du terme.

Live 2001

Ceux qui ont eu la patience de lire jusqu’ici doivent se poser une question : du piano et une grosse voix grave en avant, y’a déjà un autre rachitique longiligne qui fait ça, il s’appelle Tom Waits. Oui, M’sieur, bien vu, mais les univers n’ont rien à voir. Waits, c’est le type bourré, le pif dans le verre, qui raconte des histoires à son voisin de comptoir. Cave, c’est le toxico en voie de sevrage qui raconte ses combats intérieurs entre Bien et Mal à son psy … Et le plus dépressif des deux n’est pas celui que l’on croit …

Alors les titres de ce « No more … » égrènent les peurs (de la mort, de la souffrance, de la solitude, …) mais de façon onirique, elliptique (Nick Cave et Robert Smith ont bien des points communs, et pas seulement par le fait de l’étiquette gothique de leurs débuts). « No more … » est un bloc homogène. Les titres sont longs (presque une heure dix pour douze morceaux), il y a incontestablement une unité de ton et musicale. Mais plus que jumeaux, les titres sont cousins. Certains sont plus épurés (quasiment piano-voix comme « Love letter »), d’autres donnent l’impression d’être surchargés (« Oh my Lord »), les plus « noirs » sont pour le final (« Gates to the garden », « Darker with the day »). Difficile de trouver des morceaux faibles, et tout autant d’en trouver qui se détachent du lot. Ceux que je préfère sont l’introductif « As I sat sadly by her side » qui donne le ton de tout ce qui va suivre, « Hallelujah » (pas celui de Leonard Cohen), avec ses couplets en forme de prière et son refrain en forme de prière, et « God in the house « (à rapprocher du « With God on his side » de Dylan ?), qui nous sert la plus belle mélodie du disque …

Un indispensable de plus de Nick Cave, et un indispensable tout court …


Des mêmes sur ce blog :




THE VELVET UNDERGROUND - THE VELVET UNDERGROUND (1969)

 

Le calme après la tempête ...

Après le déluge sonique de « White light / White heat », le Velvet ne pouvait pas aller plus loin dans l’agression bruitiste et prend avec ce disque, le plus calme et le plus apaisé de sa discographie, le contre-pied total. D’ailleurs, comment aurait-il pu en être autrement ? Le Velvet n’a jamais eu de plan de carrière, même à ses débuts sous la tutelle de Warhol (qui depuis s’en est désintéressé totalement), n’a jamais été à la mode ou dans l’air du temps … et n’a jamais cherché à l’être.

Pire, le Velvet est un groupe peau de chagrin. Après le premier disque, exit Nico (« l’emmerdeuse » comme aimait à la qualifier Lou Reed), et après « White light … » exit John Cale. Trop peu américain (il est Gallois), trop bon musicien, et prié de laisser toute velléité d’écriture ou de direction musicale au vestiaire ? Cale préfèrera suivre et produire sa copine Nico et entamer une carrière solo certes captivante, mais aussi très euh … étrange …

Yule, Reed, Morrison & Tucker

« The Velvet Underground » est donc le troisième disque du groupe. Ne restent de la formation initiale que Mo Tucker, Sterling Morrison et Lou Reed. Un quatrième larron, Doug Yule, est embauché avec la bénédiction de Lou Reed (le Doug est plutôt beau gosse, joue de plein d’instruments et est capable de chanter convenablement, et deviendra assez vite calife à la place du calife, mais c’est une autre histoire …).

Lou Reed écrit tous les titres. Il produit et arrange, même si très généreusement (ou diplomatiquement), c’est le groupe en entier qui est crédité. Et si l’on se base sur les titres les plus connus de Lou Reed, c’est « The Velvet Underground » qui de toute sa discographie en compte le plus. Cinq de ses incontournables sont ici : « Candy says », « What goes on », « Pale blue eyes », « Beginning to see the light » et « After hours ». Excusez du peu …

Côté pull de Morrison, la couleur n'arrange rien

Le disque débute avec « Candy says », premier et pas dernier d’une série de «  … says » (Stephanie, Caroline, Lisa), et premier et pas dernier de titres faisant allusion à Candy Darling, l’égérie transgenre de la Factory, celle qui « never lost her head even when she was giving head » sur « Walk on the wild side ». « Candy says » est chanté tout en douceur par Doug Yule, sur l’insistance expresse de Lou Reed, et donne la direction, musicalement acoustique et apaisée de l’ensemble du disque.

« What goes on », c’est The Velvet Underground playing boogie-woogie. Dans la tradition Velvet du genre (« I’m waiting for my man », « Run run run » sur leur premier disque), c’est-à-dire assez loin de Canned Heat et consorts. On ne garde qu’un accord mouliné ad lib, et on remplace les solos de guitare par de la recherche sur la structure sonore (toutes les guitares de Television sont dans « What goes on »).

« Pale blue eyes », c’est la chanson d’amour romantique, ultra dépouillée (Mo Tucker, qu’on ne risque déjà pas de confondre avec Ginger Baker, laisse même tomber ses trois toms pour agiter un tambourin). Les spécialistes es-Reed assurent que le titre est adressé à une fille, premier grand amour d’adolescence du Lou …

« Beginning to see the light », c’est du classic Velvet. Trame boogie tranquille, paroles introspectives laissant plusieurs portes ouvertes : rédemption ? « vraie vie » ? émancipation ? Elle succède sur le disque à « Jesus », chanson mystique désabusée, le recours à la religion quand tout part en vrille (« Help me in my weakness, ‘cos I’m falling out of grace »).

Dernier classique du disque et qui le clôture, une courte bluette de deux minutes (brouillon mélodique du « Goodnight ladies » de « Transformer » ?), comptine chantée-murmurée par Mo Tucker …

Et le reste ? Rien de renversant, entendez par là rien qui n’ait déjà mis en chantier par le Velvet. « Some kinda love » aurait pu se retrouver sur n’importe quel autre disque, le phrasé de Lou Reed, le minimalisme, la façon d’aborder parties de guitares et de batterie, … sont reconnaissables immédiatement. « I’m set free » et « That’s the story of my life » se répondent d’une certaine manière. La première est la plus « travaillée » (enfin, la moins monolithique, on est tout de même assez loin de Spector), et la seconde est la plus « légère » (la plus facile ?) du disque.

Velvet live in Chicago, 1969

Enfin, un mot sur « The murder mystery » (presque neuf minutes), sorte de mix entre les deux sommets abrasifs de « White light / White heat ») qu’étaient « The gift » (les parties parlées-scandées à quatre voix Yule – Reed d’un côté de la stéréo, Tucker – Morrison de l’autre) et « Sister Ray » (en guitares nettement moins abrasives et par force sans le violon alto de Cale).

Le succès de « The Velvet Underground » sera colossal … euh, non, pas du tout, en fait, il s’en vendra autant que des deux précédents, c’est-à-dire quelques centaines all over the world. Sera-ce le déclencheur de la retraite de Lou Reed, qui retournera se « ressourcer » chez ses parents, ou juste la fin d’un cycle (le Lou sera quand même coutumier de virages artistiques en épingles à cheveux durant toute sa vie) ? En tout cas, une fois le disque paru, Reed annoncera qu’il quitte le groupe, non sans lui avoir laissé de quoi remplir un nouveau disque du Velvet (« Loaded »), avec notamment celles qui sont pour moi les deux meilleures chansons du groupe (« Sweet Jane » et « Rock’n’roll ») …

Mais c’est encore une autre histoire …



Des mêmes sur ce blog :