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THE VELVET UNDERGROUND - THE VELVET UNDERGROUND & NICO (1967)

Walk on the wild side ...
Le premier Velvet, c’est un des disques les plus mythiques de la maintenant interminable saga du wock’n’woll … un disque qui ne laisse pas indifférent. Soit on le porte au pinacle, soit on ne comprend pas très bien ou pas du tout pourquoi tant de barouf autour de cette rondelle. « Velvet Underground & Nico », c’est le disque qui passe de l’autre côté, qui explore toutes les dark sides de la vie, de la musique … toutes ces choses et ces sons pas très jojos qu’on évacuait jusque là un peu hypocritement.
Nico, Warhol, Tucker, Reed, Morrison, Cale
Du pop-rock qui attaque l’oreille, alors que la mode, la référence ultime, c’était les Beatles, les Beach Boys, les girl-groups, la sunshine pop, tout ce qui était joli, bien fait, bien propre, bien mignon … Alors tu parles quand tu prends le son du Velvet … quasiment l’antithèse. La rythmique du Velvet ? Une batterie (jouée par une meuf, et circonstance aggravante dans un monde de paraître, toute moche) réduite à un kit dans sa portion la plus congrue et jouée debout (hérésie ? non, beaucoup des batteurs des pionniers du rock’n’roll jouaient de la sorte, celui des Forbans aussi d’ailleurs...). La basse ? jouée par celui (Cale ou Morrison) qui avait pas autre chose à foutre. Alors que le règne des sections rythmiques musclées et techniques (les fondations, la base, bla-bla-bla, …) arrivaient, le Velvet faisait quasiment l’impasse sur cet aspect. La guitare ? un type qui moulinait mécaniquement le structure rythmique (Sterling Morrison), un autre qui cherchait pendant ce temps la note qui produise le même effet que les ongles griffant un tableau noir (Lou Reed)… tout çà à l’époque des tags « Clapton is God » sur les murs de Londres, annonçant le culte (stupide) du guitar-hero technique et flamboyant … Un violon ? quoi, un putain de crin-crin dans un groupe de rock ? Le symbole absolu de toute la musique qu’il était de bon ton de mépriser : la classique pour les bobos, la country pour les ploucs … en plus un violon alto (le plus grinçant), entre les pattes d’un type (Cale) qui s’efforçait de le rendre le plus désagréable possible à l’oreille. Et au chant ? alors là, c’est la cerise sur le gâteau … ils étaient deux, le Lou Reed qui parlait, marmonnait, et une femelle blonde (Nico) avec une voix caverneuse, les deux à peu près incapables de chanter juste sur des mélodies pourtant pas très élaborées …
Et ils causaient de quoi, au fait ? Oh, Jésus Marie Joseph, jamais on n’avait entendu çà … pas des pluie dures de bombes (Dylan), et pas de vouloir hold la hand de la pretty little girl (tous les autres). Non, le type, là, qui écrivait quasi tous les textes (en plus de la musique), ce Lou Reed, c’était juste un sale pédé accro à l’héro, qui balançait sur des boogies préhistoriques ou des mélodies macabres ses histoires de putes, de dealers qu’on attend au coin de la rue, de sado-masochisme et de fix à l’héro … la naissance du glauque’n’roll, cherchez pas ailleurs, c’est le 1er Velvet … Petite parenthèse, la vraie vie de Lou Reed n’était pas aussi caricaturale que ce que le prétend l’histoire « officielle », il a été plus longtemps hétéro qu’homo, et ses rapports avec les drogues très dures terminés depuis le début des années 60 (les shoots avec des seringues usagées, l’hépatite C contractée alors, même si Lou Reed a été bien destroy quelques temps, en gros jusqu’à la fin des 70’s, il a également pris quelques sages précautions pour rester en vie, et la légende du junkie agonisant et se fixant sur scène n’est justement que légende et mise en scène …). 
 
Le Velvet, au départ et à la base, c’est pas un groupe de rock comme on l’entendait à l’époque et l’entend aujourd’hui. C’est juste la partie sonore du concept artistique qui se voulait total et global monté par Andy Warhol à New York, The Factory. C’est là, dans cet immense loft que celui qui était en train de devenir le pape du pop art, avait réuni une faune hétéroclite, voire interlope, censée travailler à l’élaboration de nouvelles formes d’expression artistique. De fait, c’était à peu près une party ininterrompue, avec comme figures de proue Paul Morrissey (photographe, futur cinéaste), Joe Dallessandro et Edie Sedgwick (acteurs), Ultra Violet (peintre et plasticienne), Gerard Malanga et Mary Woronow (danseurs), plus quelques figures locales « pittoresques » comme Candy Darling … Le Velvet Underground était avant tout un assemblage hétéroclite ( Reed, Cale, Morrison, Tucker) et cosmopolite (trois Américains et un Gallois, John Cale). Il deviendra encore plus hétéroclite et cosmopolite quand Warhol lui adjoindra (ou plutôt lui imposera) une mannequin et actrice allemande, répondant au surnom de Nico, et remarquée par son Pygmalion pour son apparition (le plus souvent en armure !) dans « La dolce vita » de Fellini. Warhol entend faire de cette sculpturale blonde troublante son égérie et la chanteuse de cette bande de va-nu-pieds qu’est le Velvet Underground. Un spectacle est monté, l’Exploding Plactic Inevitable, le Velvet accompagne Nico, Lou Reed chante quelques titres, Woronow et Malanga dansent (lui met en scène une choquante chorégraphie à base de tenues de cuir et de fouet), Morrissey balance sur un écran des photos et animations psyché-barrées … Les « concerts » sont donnés dans des galeries d’art ou de petites salles à travers les Etats-Unis, divisent la presse très spécialisée, mais n’ont aucun impact réellement populaire.

Le Velvet et Nico se doivent de laisser une trace. Avant de disparaître, car l’atmosphère est détestable entre Nico, prétendue star parachutée peu diplomatiquement par Warhol dans le groupe et Lou Reed, a priori à cette époque-là le seul capable d’écrire quelque chose qui ressemble plus ou moins à des chansons. Lou Reed, qui commence là sa carrière de joyeux luron et philanthrope rebaptisera d’ailleurs Nico « l’emmerdeuse ». Ce disque sobrement baptisé « The Velvet Underground & Nico », sort dans les bacs début 67, juste avant le fameux Eté de l’Amour. Autant dire que question timing, il est pas vraiment dans l’air du temps. Warhol a conçu une pochette toute blanche, avec une banane au milieu, même pas le nom du groupe mais le sien. Cette banane peut se peler (« Peel slowly and see »), dévoilant une partie comestible … rose. Une symbolique phallique que même les fans de la Comtesse de Ségur pouvaient percevoir. Sur les premiers exemplaires, légende ou anecdote, une fois cette chair rose dévoilée, il fallait passer à l’acte, la gomme adhésive étant parfumée au LSD …
En comptant large, ce disque se vendra à mille exemplaires. Et peu après sa parution, Nico quittera le Velvet. Scénario classique, la galère habituelle du groupe de rock anonyme … L’histoire aurait pu, aurait dû s’arrêter là. En dépit de mésententes de plus en plus grandes chez les « rescapés » (à chaque disque suivant, le Velvet perdra encore un membre essentiel, Cale, puis Lou Reed), trois autres disques officiels estampillés Velvet Underground paraîtront entre 67 et 70, avant la débandade définitive. Deux Anglais, d’abord Brian Eno de Roxy Music et David Bowie de la Ziggy Stardust Incorporated ne vont pas tarir de louanges sur le Velvet. Le premier aura une phrase restée célèbre (« Velvet & Nico s’est vendu à 1000 exemplaires, mais tous ceux qui en ont acheté un ont monté immédiatement leur propre groupe »), l’autre reprendra très fréquemment sur scène le « White light / White heat » de leur second album, avant de décider de faire de Lou Reed une superstar glam …
Edie Sedgwick, Gerard Malanga & The Velvet Underground live
La légende du Velvet, sa réhabilitation et sa sacralisation sont dès lors en route. Même si … le Velvet c’est trop dérangeant, pas assez « confortable ». Il suffisait d’entendre dans les JT officiels et sérieux il y a quelques jours lorsque le vieux Lou  (maintenant archi-reconnu, célébré et décoré) a cassé sa pipe le fonds sonore : toujours « Walk on the wild side », certes pourtant pas bluette inoffesive au niveau du texte, et jamais « Heroin » ou « Venus in furs ».
Car au final, qu’est-ce qu’on y trouve, sur ce « Velvet & Nico » ? La Révolution, tout simplement, la première vraie mutation monstrueuse du rock, qui qu’on le veuille ou pas était jusque là affaire de bisounours, tant ceux qui en faisaient que ceux qui l’écoutaient. Les choses étaient simples : le rock, ça venait de chez les ploucs le bluegrass, la country, le hillbilly (rien que les noms déjà …), le blues (en plus d’être des paysans, ils étaient noirs …), le folk, le rock’n’roll, rien que des campagnards tout çà … La ville, c’était le domaine de la pop, moins sauvage, plus conviviale ? Les Beatles à Liverpool, la Tamla à Detroit, le Brill Building à New York, Spector et Beach Boys à L.A, c’était parfaitement « cadré »… Les hippies qui commençaient à se multiplier, c’était pire, ils partaient de San Francisco pour aller se perdre à Woodstock, Monterey, ou dans le Larzac … en fait ils retournaient chez les ploucs …
Avec le Velvet, le rock, tendance ‘n’roll devient un élément culturel du décor urbain. La rupture est encore plus consommée dès lors qu’il s’agit des textes. Absolument tous (Dylan et quelques autres folkeux de moindre acabit étant l’exception qui confirme la règle) ne parlaient que de meufs (avec plus ou moins d’élégance), de saine amitié virile, de bagnoles et de motos … Lou Reed causait de putes, de travestis, d’homos, de drogués (tous les autres se défonçaient, mais étaient au mieux vaguement allusifs), de dealers, de sado-masochisme, de petits matins blêmes … ça jouait pas dans la même cour de récréation que « Yellow submarine », c’est clair…
Quatre titres sont chantés (ouais, si on veut) par Nico. La ballade mortifère des lendemains qui déchantent (« Sunday morning »), pop perverse, voix grave hautaine qui comme si ça ne suffisait pas est gavée d’écho. La voix de Nico dégage une impression de dominance, un aspect hiératique, solennel, totalement flippant. Même dans le registre girl-group dévoyé (« Femme fatale »), ou la comptine dépravée (« I’ll be your mirror », tout le 3ème disque du Velvet est en gestation dans ce titre). La solennité inaccessible et funèbre de la dame trouvant son apogée dans « All tomorrow’s parties ».
Warhol & Nico
Lou Reed trouve son meilleur rendement dans les lents boogie monolithiques de la première face vinyle (« I’m waiting for my man », le « man » étant le dealer), ou « Run run run », ce dernier se colorant de relents psyché, une des rares concessions à l’air du temps. « Venus in furs » est le titre le plus dérangeant de cette face, par son thème-hommage à Sacher-Masoch, mais aussi parce qu’il fait se confronter dans les discordances et les dissonances l’alto de Cale et la guitare de Reed, sur fond des percussions tribales de Mo Tucker. On entend, on ressent la douleur, la souffrance et la mort que véhiculent ce titre.
Car « Velvet & Nico » c’est aussi un disque organique, qui parle aux sens, tout le contraire d’un boucan arty obtus. On s’en rend compte à l’entame de la seconde face vinyle quand on doit affronter « Heroin », le titre qui a le plus fait pour la réputation malsaine  de Lou Reed. « Heroin » est une description par la parole et la musique d’un fix, cette relation-dépendance entre amour et haine que le junkie porte à sa came. Description portée par un tempo qui s’accélère (le sang qui cogne dans les tempes) et striée par le violon de Cale (la raison qui zigzague). A ma connaissance, personne n’avait encore abordé la drogue et sa dépendance de façon aussi frontale, aussi crue, dans une chanson. Le contraste est saisissant avec la suivante, la plus « légère » du disque, l’enjouée (par le tempo) « There she goes again ». Après le court intermède chanté par Nico (« I’ll be your mirror »), on pourrait penser à un final moins éprouvant. C’est justement là que le Velvet choisit de pousser le bouchon le plus loin. Peut-être lassé de l’hégémonie d’écriture de Reed, Cale fomente un coup d’état et s’arroge la co-écriture pour « The black angel’s death song ». C’est le violon  strident du Gallois qui mène cette danse forcément macabre, et ces trois minutes d’agression préfigurent les 17 de « Sister Ray » sur le disque suivant, « White light / White heat ». Le final du disque « European son » est une longue litanie stridente, résultant de jams bruyantes du temps de la tournée Exploding Plactic Inevitable, signée collectivement. Elle présente dans l’esprit beaucoup de similitudes avec « The end » des Doors sortie quelques semaines plus tôt. Les paroles sont un hommage à Delmore Schwarz, père spirituel de Lou Reed, écrivain « maudit » américain récemment mort dans l’oubli.
« The Velvet Underground & Nico » mettra à peu près cinq ans avant de commencer à être reconnu et cité comme un disque majeur. Son aura n’a depuis fait que croître, des pans entiers du rock (le krautrock, le punk new-yorkais, Sonic Youth et tous ses descendants, tous les frangins Bruitos de la planète, série en cours, …) le citent comme influence majeure. Les autres disques du Velvet en découlent d’évidence. Même si dès le suivant Nico ne sera plus là … On l’a oublié, mais le Velvet n’était à l’origine censé être que son backing-band …
Parmi la multitude de rééditions en version plus ou moins DeLuxe ou Expended parues, celle de 2010 fait la part belle à l’Allemande. Outre les versions mono et stéréo du disque, on y trouve en version single (inutile de dire qu’ils n’ont pas visité le haut des charts) les quatre morceaux qu’elle chante et une bonne part de son premier disque solo « Chelsea girl », écrit par Lou Reed et produit par John Cale, ce qui permet de signaler que malgré le peu de succès rencontré par ses disques en solo, c’est vraiment elle la première « héritière » du Velvet, celle qui est restée toute sa carrière dans « l’esprit » du groupe, responsable d’une discographie assez abrupte, où l’on retrouve toujours cette atmosphère hiératique et glaciale des « All tomorrow’s parties » et autres « Femme fatale ».

« Velvet Underground & Nico » est pour moi un des deux ou trois meilleurs disques du siècle passé, de l’actuel, et de ceux à venir. Depuis sa parution, pillé, imité, plagié … mais jamais égalé …


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P.S. Sur la vidéo de "Wating for my man", l'enfant assis à côté de Nico est Ari, le fils qu'elle a eu avec Alain Delon

JANIS JOPLIN - PEARL (1971)

La dernière séance ...
3 Octobre 1970. Janis  vient de terminer l’enregistrement les parties vocales de « Me and Bobby McGee », puis elle écoute la partie instrumentale d’un autre titre « Buried alive in the blues » que son groupe vient aussi de terminer. Elle trouve ce morceau génial, promet de se surpasser le lendemain pour le chanter, quitte le studio, monte dans sa Porsche fushia peinturlurée. On la retrouvera le lendemain morte (overdose) dans son appartement. Deux semaines pile après Jimi Hendrix, y’a des débuts d’automne meurtriers … Paraît-il qu’alors qu’elle commençait à se ranger des vélos, elle s’était entichée depuis quelques temps, en éternelle croqueuse de mecs au cœur d’artichaut, d’un play-boy dealer qui lui aurait refilé la dose mortelle d’héro …
Ce disque sur lequel Janis Joplin travaillait sortira quelques mois plus tard. Il s’appellera « Pearl », le surnom de Janis. Et sera son plus grand succès. Bon, les morts vendent bien, on le sait, c’est un marché très porteur, le disque posthume. Et qui souvent n’arrive pas à la cheville des autres, ceux réalisés du vivant de l’artiste (voir le cas d’école Hendrix). Sauf que pour Joplin, « Pearl » est son meilleur disque. D’assez loin. Pour au moins deux raisons.

Janis n’a jamais aussi bien chanté, ses concerts de l’été 70 sont des triomphes. Elle se défonce (un peu) moins, son entourage artistique essaye de veiller sur elle, et du coup elle a retrouvé cette voix de feu et de sang qui a fait d’elle la reine de Frisco puis du peuple hippy.
Et puis, pour la première fois de sa carrière, Janis Joplin a un backing band qui assure, qui surclasse totalement les bourrins limités (pléonasme) de Big Brother, ou le dilettantisme défoncé du Kozmic Blues Band.
Le groupe qui accompagne maintenant Janis répond au nom de code Full Tilt Boogie Band. Une bande d’anonymes, mais qui sous la conduite de Paul Rotchild (le producteur des Doors), joue précis, lourd et swinguant à la fois. Une formation resserrée (guitare, basse, batterie, claviers). Finies les stupides guitares fuzzy monolithiques de Big Brother, finis les maudits cuivres du Kozmic Blues Band, encore plus insupportables en live qu’en studio. Pour « Pearl », le jeu et l’enregistrement sont basiques, roots, près de l’os. Dès l’inaugural « Move over » la différence saute à la figure, ce rythmn’n’blues au tempo de plomb paraît tout aérien, et puis quand arrive le chant, affaire classée, chef-d’œuvre d’entrée …
Parce que Janis, quelle voix … Joplin, c’est pas la voix la plus technique du monde, genre diva blette à la Dion ou Streisand, ou Castafiore qui promène ses octaves à l’opéra. Janis, elle chante pas, elle parle avec ses tripes, il se dégage de sa voix un charisme et en même temps une animalité que personne avant ou après n’a jamais approché (qui a dit Beth Hart, si encore t’avais dit Nicole Croisille, t’aurais eu l’air moins con …). Janis, plutôt moche (pour être gentil), fringuée avec un mauvais goût bien texan, mettait tout le monde, et surtout les mecs à ses pieds dès qu’elle l’ouvrait, elle avait pas besoin d’être court-vêtue et de simuler des fellations de micro (Tina, si tu me lis …). Suffisait juste qu’elle se mette à chanter, même si ce verbe est bien trop limitatif en ce qui la concerne …
Janis Joplin & Full Tilt Boogie Band
« Pearl » est un déluge vocal, mais pas une démonstration (bon, si, hormis la courte récréation a capella de « Mercedes Benz », titre amusant mais très anecdotique qui allez savoir pourquoi, deviendra emblématique de Joplin). Janis met son incroyable puissance de feu au service de tempos lents ou médium, des bases de soul ou de rythm’n’blues (la musique noire, la seule qui vaille quand on a une voix d’exception), qu’elle incendie de crescendos d’anthologie. Faut être clair, y’a rien à jeter de cette demi-heure. Mais en plus, il y a des sommets. « My baby » est juste énorme, faut avoir entendu ça une fois dans sa vie pour pas crever idiot. « A woman left lonely » on sent que cette chanson est tellement la sienne, tous ces types qui l’ont draguée juste pour la tirer un soir et pouvoir fanfaronner devant leurs potes le lendemain, que le terme de soul n’a jamais mieux portée son nom.
Presque tout dans « Pearl » est prévisible, mais personne n’attendait sur disque Janis à ce niveau et surtout accompagnée de la sorte. Cette bande d’inconnus joue avec une cohésion, une efficacité qui laisse pantois, ils semblent en osmose avec leur chanteuse (et pourtant ils n’enregistrent pas ensemble). Ecouter « Buried alive … », appréciez la machine de guerre, et imaginez ce que Janis en aurait fait. En fait le seul écart à la musique noire, c’est une chanson écrite par un de ses ex, l’auteur country Kris Kristofferson, « Me and Bobby McGee ». Jamais on n’aurait imaginé que la plouc music puisse atteindre une telle intensité émotionnelle.

Janis Joplin était totalement unique dans son rapport avec le chant et la musique. D’innombrables shouteuses, blanches ou noires, plus ou moins douées, essaieront de marcher sur ses traces. Seule à mon sens Amy Winehouse  réussira, allant même, entre autres similitudes, jusqu’à mourir à 27 ans …

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PINK FLOYD - THE PIPER AT THE GATES OF DAWN (1967)

Psychédélisme Version 1.0
Il y a quatre groupes différents qui s’appellent Pink Floyd. Le premier, celui de Syd Barrett, dont au sujet duquel il va être question quelque part plus bas. Le second, celui avec Gilmour à la pace de Barrett, adoré par tous les progueux. Le troisième, celui sous la coupe de Waters, adoré par les progueux et les hi-fi maniacs, « Dark side of the Moon » assurant la transition. Quatrième et on l’espère dernière formule du groupe, la configuration dite «  de tribunal » sans Waters. Cette dernière sans le moindre intérêt, à boire et à manger dans les deux précédentes. Et la meilleure pour commencer.
Syd Barrett
Pas la plus populaire, la courte période Barrett, en terme de ventes. Mais la plus folle, la plus innovante, la plus mythique aussi. Tout ça à cause de Barrett, évidemment. Le lutin psychédélique trop vite cramé par le LSD, la tête pensante, chercheuse (et trouveuse) de sa bande potes d’étudiants en beaux-arts. D’entrée, le groupe est différent de ceux de l’époque, en majorité composés de prolos londoniens. Le Floyd vient de la province chic (Cambridge), ses membres de la petite bourgeoisie.
Pink Floyd délaissera vite l’influence majeure de l’époque, le British blues boom, qui lui a valu son nom de baptême, hommage à deux bluesmen déjà (et encore plus aujourd’hui) oubliés, Pink Anderson et Floyd Council. Le Floyd est le groupe de Barrett, qui très vite va s’intéresser de près à une musique et un way of life venus de San Francisco, et que l’histoire rangera sous l’étiquette de psychédélisme. En gros, une libération de toutes les barrières mentales et sociales, et une drogue de synthèse (alors en vente libre), le LSD, comme vecteur. Le monde hippy est en route …
Et la plupart des disques qui ont compté dans ces deux années 66 et 67, fortement influencés par cette culture, sont tout peinturlurés de ce fameux psychédélisme. Et « The piper … » du Floyd est pour moi le meilleur de tous. C’était pas gagné d’avance, les Californiens semblaient avoir une longueur d’avance, et chez les Rosbifs, tout le monde s’y mettait (même Clapton, le jésuite du blues roots), y compris les très grosses têtes d’affiche Stones et Beatles. Le tri dans toute cette production psychédélique est assez facile. Les pionniers du Grateful Dead ne valaient que live, leurs disques de l’époque sont des pensums avachis, les Doors étaient trop blues, l’Airplane trop pop et trop tiraillé entre trop de leaders, Joplin braillait avec des baltringues comme backing band, semblant se contenter de son titre de Reine des Hippies, … Stones et surtout Beatles n’ont fait qu’essayer le LSD et sont restés discographiquement bien raisonnables, les 13th Floor Elevators sont arrivés trop tôt, Sly Stone, trop occupé à se poudrer le nez, trop tard. Il n’en restait plus que quatre susceptibles de sortir le disque-référence. Quatre groupes emmenés par des leaders à l’évidence totalement ailleurs, qui avaient un peu trop forcé (dans une époque pourtant peu avare en camés notoires) sur les buvards et les space cakes. Brian Wilson et ses Beach Boys, Arthur Lee et son Love, Hendrix et son Experience et l’outsider Barrett avec son Floyd. Outsider parce que vomi du néant, placé sur le devant de la scène londonienne où le groupe s’était expatrié, donnant des concerts-performances sur fond de projections mouvantes lumineuses, sortant 45T  et 33T en rafales. En trois mois, les deux singles, l’objet sonore non identifié « Arnold Layne » et la comptine spatiale « Emily play », et leur premier Lp, ce « Piper … ». A côté duquel « Pet sounds », « Forever changes » ou  « Are you experienced ? » étaient des oeuvres de gens « établis », déjà célèbres (les Boys) ou influents (Lee, Hendrix) depuis longtemps (longtemps étant synonyme de quelques mois, il y a des époques où tout va beaucoup plus vite).
Mason, Barrett, Waters, Wright, Pink Floyd 1967
« The piper … » est pour moi le disque le plus novateur de son temps. Parce qu’il n’extrapole pas à partir de choses déjà connues, plus ou moins entendues, il crée de toutes pièces ses propres territoires sonores. Avant l’été 67, on n’a jamais rien entendu de semblable à « Astronomy domine » ou « Interstellar overdrive ». Des wagons de disques publiés par des multitudes de groupes dérivent de ces deux titres. Tout le space rock, le krautrock, et le funeste prog sont en germe dans ces deux titres. Et en ces années où le mixage stéréo prend le pas sur l’antique mais efficace mono, tous ces effets spatiaux, ces sons qui passent de droite à gauche, s’assourdissent ou deviennent hurlants, ces claviers tournoyants, serviront de référence à des myriades de producteurs et de maniaques sonores (si le premier Floyd n’est pas la matrice de choses qui en paraissent  a priori très éloignées comme le shoegazing en général et My Bloody Valentine en particulier, je veux bien passer le reste de mes jours à écouter en boucle les Boards of Canada). Le son des premiers Floyd est attribué à l’oublié Norman Smith. Soit. Mais les anecdotes d’un Syd Barrett, totalement sous substances, montant et descendant à vitesse supersonique tous les boutons de la console apparemment au hasard, sont légion, et il ne fait guère de doute que c’est lui, intuitivement, qui est responsable de ce bouillonnement sonore alors inédit, Smith n’ayant fait que nettoyer ou rationaliser le résultat de ce joyeux foutoir bruyant.
Pink Floyd live 1967
Barrett et les autres (ne pas oublier les autres, le drumming de Mason est totalement atypique, en perpétuelle déconstruction, la basse de Waters est très en avant, ronde et menaçante à la fois, et Wright au toucher venu du classique évite dans l’immense majorité des cas les archi-entendus Hammond et Farfisa) ne s’arrêtent pas au rock planant. Il est curieux de constater que tous les garage bands les plus radicaux mettront souvent dans leur répertoire le démoniaque « Lucifer Sam » et son riff de guitare d’anthologie. Barrett assure le chant et la guitare, a composé seul la quasi-totalité de l’album, Waters ne signant que « Take up thy stethoscope … », paradoxalement le titre le plus à l’Ouest, le plus barré du disque, et le groupe au complet n’est crédité que sur « Interstellar … » issu de jams sur scène. Barrett réussit à lier on ne sait trop comment des choses aussi éloignées et disparates que du rock down tempo comme « Matilda mother » avec des comptines (« The gnome »), faire cohabiter des sons qui fleurent bon l’encens et le séjour à l’ashram (« Matilda … » encore) avec des fanfares très Sergent Poivre (« Bike »). Ce dernier aspect sonore trouvant peut-être son explication dans le fait que Floyd et Beatles enregistraient en même temps aux studios Abbey Road. Et des gimmicks, notamment les bruits enregistrés et réinjectés sur les bandes qui seront une des marques de fabrique des disques du Floyd suivants, sont déjà présents (les horloges sur « Flaming », les mécaniques rouillées et les sonnettes de vélo sur « Bike »).
Le succès de « The piper … » sera tout relatif auprès du public, Pink Floyd a eu d’emblée l’étiquette de groupe branché, arty, élitiste. Et même en 67, année faste pour cerveaux en capilotade, Barrett et son oeuvre restaient assez insaisissables. La lente macération de ce disque dans les esprits et une large reconnaissance ne viendront que plus tard.
Le coup de génie de Barrett restera sans suite. Tout le problème des drogues, tu peux pas savoir l’effet qu’elles te feront avant d’en prendre. Barrett n’était pas Lemmy ou Keith Richards, il finira totalement électrocuté au LSD, et c’est un copain à lui, le guitariste Gilmour qui le remplacera au sein du Floyd … On connaît la suite.

« Piper … » est le disque d’un homme et d’une époque. Curieusement, il a beaucoup mieux vieilli que d’autres jalons sonores de cette époque. La dernière version mise sur le marché en 2011 à l’occasion de la énième remastérisation de la disco du Floyd propose en trois Cds la version stéréo, la version mono, les singles « Arnold … » et « Emily … », ainsi que quelques versions alternatives. Sur l’ensemble, la version stéréo (celle qui était sortie à l’origine) est à privilégier, même si logiquement les titres les plus rock comme « Lucifer Sam » sont plus directs en mono …

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THE BEACH BOYS - PET SOUNDS (1966)

La vie de Brian ...
Malgré l’image policée, sympathique et festive donnée par les Beach Boys, elle devait pas être marrante tous les jours, la vie de Brian … Le plus doué du groupe familial Wilson  avec la pression qui va avec (des singles, des skeuds pour Noël, des inédits pour les 33T), bien entretenue par un père maquereau de sa progéniture dans la grande tradition show-bizz du « on achève bien les chevaux » …
Le fiston idéal, Brian, cependant pas très bien dans ses baskets, et qui commençait à (gentiment) se défoncer pour aller un peu mieux dans sa tête au milieu des années 60. Peut-être un peu à l’Ouest (non, je parle pas de la Californie), mais passionné par l’écriture de chansons, le travail en studio (la scène, pas son truc, il se faisait souvent porter pâle quand les Boys tournaient). Et aussi ambitieux, avec les oreilles grandes ouvertes sur le monde merveilleux ( ? ) de la pop, il voulait toujours faire mieux … que tous les autres en fait.
Seulement voilà, en cette fin 65, quatre types qu’il surveillait de près, issus des brumes de Liverpool, venaient de mettre dans les bacs un disque appelé « Rubber soul », et là, tout d’un coup, Brian se rendait compte que Lennon, McCartney, Harrison et Martin (oui, j’ai bien écrit Martin et pas Starr, si vous savez pas pourquoi, je peux plus rien pour vous …) étaient en train de placer la fuckin’ barre très haut. « Rubber soul » était pensé, construit, cohérent, d’un déroulement qui lui apparaissait logique, évident … fini les collages de bric et de broc de six titres disparates sur chaque face de plastique noir, fini le disque, place à l’album.
Les Beach Boys 1966 : bientôt, Brian va voir des éléphants roses
Et Brian Wilson, pour qui les Beatles étaient les seuls concurrents valables, se mit en tête de faire le disque parfait, celui qu’il imaginait devenir le plus grand disque de pop jamais réalisé. Il lui fallait non seulement écrire une douzaine de chansons parfaites, mais surtout les lier en un bloc, en faire un ensemble indissociable devant lequel le Monde se prosternerait. Et Brian Wilson, ce challenge un peu fou, il l’a réussi. Quand au mois de mai 1966 paraît « Pet sounds », rien de comparable n’existe …
« Pet sounds » n’est pas un album gai, d’ailleurs cette forme de tristesse, de mélancolie, ne quittera plus l’écriture de Brian Wilson. Fini le « Fun, fun, fun » des ados surfeurs, leur sunshine pop est quelque peu ombragée, voilée. Et l’entraînant « Wouldn’t it be nice » (le titre imparable qui ouvre « Pet sounds », les autres sommets seront placés tout à la fin avec « Caroline no » et pile au milieu avec « Sloop John B » / « God only knows ») n’est qu’un trompe-l’œil, la tonalité globale du disque est assez sombre, nettement moins enjouée que sur ceux du passé.
Alors que les Beatles sont de fait quatre pour créer leurs disques, Brian Wilson est lui à peu près seul. Inutile de compter sur les frangins, bringueurs peu concernés par l’écriture, et pas trop sur le cousin Mike Love, qui ne cherche qu’à placer une note ou trois mots de temps en temps, juste pour empocher des droits d’auteurs. Parenthèse : ce crétin ultra-républicain de Love intentera moult procès pour se faire créditer sur quantité de titres des Beach Boys, il réussira devant les tribunaux à récupérer le nom du groupe, et c’est maintenant ce pitoyable vieillard mesquin qui tourne avec quelques employés menés à la trique sous le nom de Beach Boys. S’ils donnent un concert près de chez vous, faites-vous plaisir, n’y allez pas … Fin de la parenthèse … De fait, le seul complice de Brian (uniquement pour les textes, lui se réserve toute la musique) sera le parolier Tony Asher.
Wilson s’aperçoit que les Beatles s’inspirent de la musique classique pour les mélodies et les arrangements. La musique classique, lui n’y connaît rien. Il va se tourner vers les maîtres américains de la comédie musicale (Bernstein, Gershwin, Berlin, …), et aussi vers ce génie de la pop qui dévastait les charts du début des années 60, Phil Spector. Comme d’habitude (Brian Wilson est au piano et divers claviers le seul des Beach Boys à jouer sur les disques, dans une moindre mesure frangin Dennis à la batterie), il va s’appuyer en studio sur le Wrecking Crew, le groupe attitré des sessions de Spector. Ce sont donc les Hal Blaine, Carol Kaye, Leon Russell, Steve Douglas et consorts que l’on entend sur « Pet sounds ». Brian Wilson pourra aller au bout de ses idées, car Spector est en train de devenir furieusement cinglé et son label Philles commence à prendre l’eau de toutes parts …
Il y a dans « Pet sounds » une unité sonore assez frappante. Il y a un rythme, une ambiance générale, des tics de construction, d’utilisation des voix (là, c’est vraiment la tribu Wilson qui est à l’œuvre pour les parties vocales, Brian se réservant souvent la voix lead) communs à tous les titres. On retrouve partout ces voix de cristal portées par des crescendos mathématiques (la leçon retenue de Spector), ces mélodies qui vont plus loin que le binaire du rock, qui font la jonction entre les grands musiciens américains du passé et la « variété » des années 60 …
Brian Wilson va devenir complètement chèvre ...
Même si les quatre titres évoqués plus haut se dégagent du lot et sortiront en single (aucun n’atteindra cependant la première place des charts), Brian Wilson a sorti avec « Pet sounds » une œuvre sans point faible (même pas les deux instrumentaux). Le disque se retrouve systématiquement listé dans les tous meilleurs jamais parus (malgré sa pochette, putain qu’elle est horrible …), McCartney déclarera que « God only knows » est la plus belle chanson jamais écrite. Quand paraît « Pet sounds », Brian Wilson oublie son surmenage et est sur un petit nuage (qu’il commence à parfumer au LSD).
Cette plénitude (ça y est, il l’a réussi, son immense grand disque) ne durera pas. Moins de deux mois après « Pet sounds », les Beatles lâchent « Revolver ». Wilson estime qu’ils ont fait mieux que lui, mais ne s’avoue pas vaincu. Il va s’attaquer à un projet pharaonique, que cette fois personne ne pourra égaler ou surpasser. L’entreprise « Smile » est mise en chantier. Brian Wilson commence à perdre pied mentalement, fait paraître ce qui est pour moi de très loin son meilleur morceau « Good vibrations ». Quand il entendra quelques semaines plus tard la « réponse » des Beatles, le 45T avec « Penny Lane » en face A et « Strawberry fields forever » en face B, Brian Wilson va craquer psychologiquement, il estime qu’encore une fois, qu’encore et toujours, les Beatles ont fait mieux que lui ... La parution de « Sgt Pepper’s » va finir de le détruire. Le « Smile » en chantier ne sortira jamais …

Ne reste que « Pet sounds » comme preuve tangible du génie trop vite calciné de Brian Wilson… 

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THE STRANGLERS - FELINE (1982)

Trans Europe Music ...
« Feline » c’est une énigme musicale pas encore résolue. En gros, le disque après lequel vont courir tous les petits barons de la pop à synthés des années 80, sans réussir à s’en approcher. Plus étonnant encore, le fait que ce disque soit signé par les Stranglers. La plupart de leurs fans ne s’en sont pas encore remis.
The Stranglers
Pensez, le disque le plus raffiné de la décennie mis en rayon par le groupe le plus destroy de l’époque n’a pas encore fini de susciter des controverses. Musicalement, les Stranglers ont fait avec « Feline » de la dentelle sonore, de quoi décontenancer leurs fans punks de base, déjà passablement interloqués à l’écoute de leur dernier single, la comptine « Golden brown » réminiscente de la musique classique. « Golden brown », à côté de « Feline », c’est une maquette craspec. Les Doors du punk (c’est comme ça qu’on résumait un peu stupidement le groupe à ses débuts) se transforment en Kraftwerk new wave. Totalement incompréhensible. Sauf que les Stranglers, ce sont les rois de l’équivoque, du malentendu, de la provoc, du concept (souvent fumeux, voir les « Men in black »), mais du concept quand même.
« Feline » est un concept, poussé à l’extrême. Un rejet d’une culture et d’une musique anglo-saxonne hégémoniques en Europe. Les Stranglers, bien avant que la notion d’Europe (communautaire ou pas) soit à la mode, en faisaient le cœur de leur disque. Burnel, le bassiste du groupe, est le théoricien de cette époque. Evidemment, comme tout ce qui touche aux Stranglers à l’époque, il faut faire le tri, laisser de côté les provocations, les poses totalitaires qui étaient le quotidien du groupe. « Feline » est de fait le successeur spirituel de « Euroman cometh », le premier disque du bassiste karateka, une œuvre insécable à donc appréhender comme un tout qui veut poser les fondations d’une musique contemporaine européenne. Et qui passe dès lors obligatoirement par la mise à l’écart de tout ce qui a trait au rock (par définition américain) au sens large du terme.
Les Stranglers : Noir Mécanique ?
Il y a dans « Feline » toutes ces guitares acoustiques venues de la culture ibérique, toute cette langueur automnale de l’Europe centrale (l’influence du krautrock, lui aussi rejetant en son temps le rock (‘n’roll) est partout palpable, évidente). Difficile de savoir où les Stranglers veulent en venir, les paroles sont comme toujours cryptiques à souhait, le disque ne contient aucune information (sur le lieu d’enregistrement, les techniques utilisées, la production). Et il fallait pas compter sur les quatre de Guilford pour donner les clés de leur démarche … Tout dans « Feline » est à prendre au énième degré (mais lequel ?), multiplie les double-sens ou les sous-entendus. Des exemples : la typographie du titre évoque un acronyme, mais que signifie t-il ? Mais d’abord est-ce un acronyme ? Rien n’est moins sûr. Un titre comme « Let’s tango in Paris », c’est une blague salace, oui, mais c’est vraiment un tango qui sert de base musicale au morceau. « All roads lead to Rome » qui succède à « Paradise », religion or not ? On pourrait continuer longtemps …
Mais la musique, elle a tellement surpris que certains ont même accusé les Stranglers de ne pas jouer, d’être remplacés par des échantillonneurs, des samplers et des claviers. Sauf que non, le groupe a tout joué, mais tout a été repassé par des synthés pour donner cet aspect clinique, désincarné, cette ambiance de braises qui couvent sous la glace, cette musique qui sonne électronique sans en être. Si la partie cérébrale doit beaucoup à Burnel, pour la partie sonore, c’est Dave Greenfield qui a pris les commandes. Et permettez-moi de vous dire que quand un pianiste de formation (il me semble qu’il a même tâté du Conservatoire) se met en tête de créer des mélodies, ça place la barre haut. Trop en tout cas pour tous les new-waveux et techno-poppeux de l’époque (« All roads lead to Rome » est en Décembre 82 quand paraît « Feline » le meilleur titre de New Order que les New order n’écriront jamais … les Depeche Mode, ou OMD non plus, d’ailleurs …).
Stranglers live 1983
Des synthés, dans « Feline », il y en a partout. Et en grosses quantités. Mais utilisés avec un sens de la mesure, du discernement, dont bien peu (hors Kraftwerk) ont été capables. Des synthés qui jouent sans arrêt les proverbiales madeleines de Proust, jonglant finement avec musiques traditionnelles, folkloriques, baroques, classiques. Toutes les intros sont longues, lentes, aériennes (mention particulière à celle de « Midnight summer dream », chef-d’œuvre de finesse absolue). Cornwell, qui n’est pas de ceux que l’on qualifie généralement de grand chanteur trouve dans ces ambiances vaporeuses un écrin unique, oubliant parfois de chanter pour parler (« Midnight summer dream » encore) et allant souvent chercher un registre loureedien qui fait l’évidence. Souvent secondé dans les chœurs par Burnel (c’est Burnel qui chante lead sur le plus gros succès du disque « European female »), exceptionnellement par des voix féminines forcément angéliques sur le refrain de « Paradise » …
« Feline » est un bloc, réussit l’exploit de répéter à chaque titre les mêmes bases, les mêmes recettes, sans qu’on ait l’impression de copier-coller (c’est la mélodie, ça change tout, une mélodie …). Le public des premiers jours boudera le disque, mais le groupe, qui à partir de ce moment mettra pas mal d’eau dans son vin provocateur, commencera à « vendre du disque ». Et pas mal en France (patrie de naissance de Burnel, mais surtout lieu du « dérapage » le plus célèbre, avec son concert incendiaire dans tous les sens du terme à la fac de Nice, chez le truand-maire Jacques Médecin). « Feline » est un disque de rupture, qui restera sans suite et sans équivalent dans la discographie conséquente du groupe qui publie et tourne encore (même s’il manque la moitié du quatuor original).

J’adore ce « Feline », pour moi sans conteste l’œuvre majeure du groupe. Alors quand il est sorti une version Cd avec six inédits, pensez si je me suis précipité … Las, rien dans ces bonus ne présente le moindre intérêt, quatre titres grossiers avec synthés et arrangements vulgaires, un sabotage (y’a pas d’autre mot) de deux titres live enchaînés de « Feline » (à ce niveau de nullité, soit les Stranglers sont allés tellement loin en studio que c’est injouable sur scène, soit c’est du total foutage de gueule ce qui n’aurait rien de surprenant quand on les connaît un peu). Le dernier titre bonus, un machin déclamatoire prétentieux et pédant au possible fait le lien avec le disque studio suivant, l’assez minable « Aural scuplture ».

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Rattus Norvegicus

STEVIE WONDER - INNERVISIONS (1973)

Wonder Man ...
« Innervisions » est le troisième disque du quintet magique consécutif de Stevie Wonder (de « Music of my mind » à « Songs in the key of life »). Autant dire qu’on peut y aller … à l’aveugle (sorry Stevie…).
Plus que tous les autres dinosaures des 70’s (pas de noms, hein je suis un gentil moi, mais enfin j’ai dit tous …), Wonder est celui qui a le plus sombré artistiquement dans les décennies suivantes. Faut dire qu’il avait placé la barre tellement haut, pour moi c’est l’auteur black essentiel des années 70. Un touche-à-tout de génie, et pas un hasard s’il a été souvent comparé à un autre aveugle, Ray Charles, le Genius himself.
Stevie Wonder, sur ce « Innervisions », il se ballade littéralement, posant à chaque coup des jalons définitifs dans les styles qu’il aborde. Enfin, presque, il y a bien un maillon faible dans ce disque, la lente roucoulade amoureuse baveuse et molle, un genre dont il tartinera ses skeuds dans les décennies suivantes. Ici, c’est « Golden lady », on passe sans en dire tout le mal qu’elle mérite …

Le reste, c’est juste parfait. On commence par « Too high », c’est du jazz-funk qui groove mille fois plus que Herbie Hancock (qui a dit Jamiroquai, tu te casses et vite, et pourquoi pas Gilbert Montagné tant qu’à faire, il est aveugle lui aussi, comme quoi ça suffit pas …), et Wonder ressort dans le final l’harmonica du Little Stevie qu’il fut chez Motown, dressant un pont entre son passé et le futur qu’il est en train d’écrire. Le jazz, Stevie Wonder connaît et apprécie (nobody’s perfect), mais chez lui, ça sert de garniture, c’est pas une obsession. Et surtout grâces lui soient rendues, il ne cherche pas à tout prix la fusion, ou pire, le fuckin’ jazz-rock. Par contre, quand ça peut apporter quelque chose à la musicalité d’une chanson, il n’hésite pas, quitte à oser les mariages les plus improbables, sur « Visions », où un fonds jazzy sert d’écrin à une ballade folk très dépouillée, tout juste agrémentée de quelques notes de guitare acoustique. L’occasion de souligner que Wonder arrive à faire des disques fabuleux en jouant de tous les instruments (à l’exception des guitares sous toutes leurs formes, mais il se débrouille pour s’en passer le plus souvent), et notamment d’une panoplie de synthés pour l’époque très high-tech (comme quoi, si dans les disques à synthé, ça déconne souvent, c’est pas la faute à l’instrument, mais à ceux qui en jouent …).
Le premier choc musical arrive en troisième position sur le disque, c’est « Living in the city » et ça sonne comme du … Creedence (le jeu de batterie, la voix), c’est un immense blues-rock (sans guitares, et non, c’est pas une hérésie …) dans lequel Stevie se fout les cordes vocales minables, dans un style très Fogerty, jusque dans le texte (le rêve du mirage citadin vu par les campagnards noirs). De la pulsation rock, il y en a, et pas qu’un peu, dans « Higher ground », c’est le meilleur titre des Red Hot Chili Peppers (alors que la bande à Kiedis était à la maternelle), avec les fameuses cocottes funky (jouées ici au synthé) des milliards de fois copiées. Pas un hasard si les RHCP le reprendront sur leur premier disque à avoir un certain succès (« Mother’s milk ») dont il sera bien évidemment le single extrait.
Sesame Street featuring Stevie Wonder, 1973
Et puis, il y a les choses dans l’air du temps, que Wonder arrive à transcender. Et il faut plus que du talent pour éviter le centrisme guimauve quand on s’attaque à des choses aussi éculées et entendues que le groove medium funky (« Jesus children of America »), la lentissime ballade soul (« All in love is fair »), ou le machin caraïbe chaloupé (« Don’t you worry ‘bout a thing »). On en connaît, et pas des foncièrement mauvais, qui se sont couverts de ridicule dans ce genre d’exercices …
Last but not least, au final, manière de montrer que s’il est aveugle, il n’est pas pour autant sourd à ce qui se passe dans la société où il vit, mine de rien, en se livrant à un pastiche-hommage de l’une de ses idoles (Beatle Paulo McCartney), il se lance dans un pamphlet vitriolé adressé à Richard Nixon (« He’s mistra know-it-all »), qui Watergate aidant, le méritait bien.

Au dos du disque, il y a écrit (comme sur ses autres disques des 70’s) « written, produced & arranged by Stevie Wonder ». Ce type, que l’on a trop facilement réduit dès les mauvais disques arrivés à un soulman neuneu, fleur bleue et variétoche, c’est quand même et avant tout un des plus grands artistes et génies de la musique populaire, tous genres confondus …

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Talking Book


LOUD, FAST & OUT OF CONTROL - THE WILD SOUNDS OF 50's ROCK (1999)

La compile du siècle ...
Parce que là, mes biens chers frères, mes biens chère sœurs, c’est du lourd. Du très très lourd. Une box de 4 Cds, 104 titres, plus de quatre heures de musique.

Et le tout signé Rhino, le label haut de gamme de la réédition. Ce qui veut dire, un son dantesque à partir des masters d’origine nettoyés et boostés, et quand la compile est parue à la fin du siècle dernier, personne n’avait mis sur le marché quoi que ce soit qui ressemble à çà. Ajoutez un livret épais comme l’annuaire de Mexico City, et un casting où sont présents … ben tous en fait, c’est contenu dans le titre du coffret, tous les pionniers dans leurs titres les plus agités du rock’n’roll des années 50. Le tracklisting est impressionnant et intelligent. Pour la première (et la seule fois) avec un son (rigoureuse mono droit entre les yeux évidemment) pareil, se côtoient toutes les légendes (oui, oui, fait rarissime dans ce genre d’entreprises, les ayants droit de Presley ont donné leur accord pour deux titres, dont le nucléaire « Jailhouse rock »), mais aussi une multitude de seconds couteaux, voire d’anonymes qui un jour d’inspiration ont sorti le titre qui tue, celui que de plus célèbres ont repris, celui qui retrouvé dans une brocante des années après, a donné des idées au nerd qui l’avait acheté. Un exemple : The Phantom ( ? ), pseudo d’un certain Jerry Lott à la discographie plus que rachitique, mais qui, en 1’30 chrono a sorti un titre (« Love me »), qui contient toute la carrière des Cramps. Un autre ? Kid Thomas avec son « Rockin’ this joint tonight » a fait dix ans plus tôt aussi fort qu’Alvin Lee à Woodstock, la rythmique de son titre étant la même que celle de « I’m goin’ home », et la guitare supersonique étant ici remplacé par une … trompette ultra-speed. Encore un ? Pas de problème, écoutez le « Stagger Lee » de Lloyd Price, c’est lui qui a créé en musique ce personnage de souteneur filou, que l’on retrouvera dans multitudes de reprises (Wilson Pickett, Dr John, Clash, …).

Cette compile c’est la revanche des sans-grades, des oubliés de l’Histoire. Traités ici avec tous les honneurs qu’ils n’ont pas eus à l’époque. Le coffret a la lumineuse idée de ne pas être une juxtaposition de mini-compiles des grands noms. Même les plus illustres, les Presley, Chuck Berry, Little Richard, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, Carl Perkins, …, n’ont droit qu’à deux ou trois titres. Ce qui permet de réévaluer la carrière de quelques-uns. Des noms ? Allez, OK, c’est jour de fête. Le Johnny Burnette Trio est essentiel, ils ont créé le premier sous-genre répertorié du rock’n’roll des origines, à savoir le rockabilly et leur « Train kept-a-rollin’ » a été repris des millions de fois. Fats Domino, cet encombrant (par la corpulence) pianiste de La Nouvelle-Orléans a eu par son sens du swing et du groove inné, une influence énorme. Et last but not least, l’égal des très plus grands (trois de ses titres ont été repris par les Beatles sur leurs premiers 33T, personne n’a eu droit à autant d’honneur il me semble), le sieur Larry Williams, seul concurrent valable de Little Richard (le cureton est pour moi LE plus grand chanteur de rock’n’roll des tente derniers siècles), qui a eu le malheur d’être signé sur le même label que lui (Ace / Specialty) et qui a été plus ou moins maintenu au second plan pour ne pas faire de l’ombre à la diva embagouzée …
Cette compile maousse aurait pu avoir un côté pensum anthropologique. Les types derrière tout çà ont évité cet écueil. En construisant un tracklisting thématique plutôt que chronologique. On a des suites d’une poignée de titres entrecoupés de quelques méga-classiques, explorant tantôt des gens ayant les mêmes influences et produisant le même genre de titres, d’autres fois c’est le thème des chansons (des morceaux parlant du diable, d’autres des animaux de la jungle, des titres rigolos, d’autres salaces, …).

L’ensemble permet de s’apercevoir de plusieurs choses, qui vont plus loin que le résumé à la hache souvent de mise pour la musique de ces roaring fifties. La première, c’est que si « That’s alright, Mama » de l’Elvis a tout déclenché, bien des choses depuis des années lui ressemblaient. Certes, le rock’n’roll est né du mélange du blues et du rhythm’n’blues noir avec la country et le hillbilly blanc, les exemples après Presley sont innombrables, mais d’autres avant lui avaient effleuré le genre (Jackie Brenston et son guitariste un certain Ike Turner avec « Rocket 88 », « Big Joe Turner avec « Shake, ratlle & roll », …) la liste est longue et ces titres sont présents en nombre dans le coffret. Curieusement, et un paquet de titres le démontrent, certains venus du jazz façon big bands festifs et jovials arrivaient à peu près au même résultat (Louis Prima, Amos Milburn,…). Plus curieux encore, un gars comme Thurston Harris était parti du gospel pour arriver à quelque chose de très très proche du rock’n’roll.
Tiens, le rock’nroll, puisqu’on en parle, qu’on le met à toutes les sauces, et qu’on a un peu trop tendance à le réduire et le confondre à des chevelus énergiques à guitares électriques s’appuyant sur des batteries éléphantesques, et ben aux origines, la guitare et la batterie, elles étaient tout au fond du mix, le son reposait sur la basse (ou la contrebasse) et plus encore sur le piano omniprésent ou le sax, plus rarement sur l’harmonica. L’heure de la guitare électrique viendra au tournant de la décennie, avec les premiers guitar-heroes et leurs instrumentaux (Link Wray, Duane Eddy).
Et puis, le rock’n’roll est encore à ce jour le seul genre musical répertorié dont les plus grandes vedettes étaient indifféremment blanches ou noires.

Pas chiens, les gars de Rhino ont ouvert (enfin un peu entrouvert) la porte aux Rosbifs (Vince Taylor, Johnny Kidd), l’ont heureusement refermée aux honteux français fournis en textes réacs par Vian (Jean Yanne, Henri Salvador, et leurs pastiches crétins qui nous vaudront un retard musical pas encore rattrappé à ce jour). Les femmes, peu nombreuses à rocker et roller, même si au centre de bien des préoccupations des textes, n’ont pas été oubliées (Janis Martin, LaVern Baker et l’immense Wanda Jackson).
Un seul regret, mais vu la somme affichée, on va pas faire la fine bouche, il manque Hank Williams (si « Move it on over » en – mais oui – 1947, c’est pas du rock’n’roll je veux bien changer d’oreilles) et aussi Johnny Cash (‘tain, Johnny Cash quand même, l’écurie Sun, le Million Dollar Quartet, …).

Y’a juste un problème, ceux qui étaient passés à côté de la parution de ce mausolée du binaire, peuvent pleurer toutes les larmes de leur corps. Fidèle à sa stratégie d’alors (avant le rachat par Warner), Rhino sortait des rééditions mirifiques, mais en assez petites quantités, et ne les repressait pas. Donc aujourd’hui, à moins de cent euros d’occase, vous le trouverez pas ce « Loud, fast & out of control ». Logiquement, vu la qualité de ce pavé, le juge devrait vous acquitter si vous avez piqué le sac à une vieille pour vous l’offrir …


MAZZY STAR - SEASONS OF YOUR DAY (2013)

Amazing ...
Quand on pense à ce que sont devenus les héros-triomphateurs des mornes années 90 (quelqu’un pour prendre la défense des derniers disques de Björk, Radiohead, Massive, Smashing Machins ou Oasis ?), on se dit que certains avaient bien fait de disparaître de la circulation, en laissant derrière eux des disques intéressants. Mazzy Star n’a jamais eu la notoriété et le poids commercial des mammouths suscités, mais ils avaient quitté la scène du grand rock’n’roll circus sur une triplette de bons disques.
Et voilà que près de vingt ans après leur dernier skeud (« Among my swan », bon cru du millésime 1996), ils remettent çà. Bon, le groupe n’est pas très difficile à réunir, ils ne sont vraiment que deux. David Roback, au long passé indie-rockeux (il avait commencé dans Rain Parade, ce qui ne rajeunit personne, et surtout pas lui) et Hope Sandoval, voix éthérée sortie d’on ne sait quels limbes, plus connue par ici grâce à une pub pour Air France (« Asleep from day », musique des Chemical Brothers), ou pour avoir été un temps la compagne du bougon boutonneux William ( ? ) Reid, des fabuleux Jesus & Mary Chain.

Forcément, un disque dont on n’attend rien et même pas la parution ne risque pas d’être décevant. Mais là, comme ça, sans avoir pris la peine de réécouter ceux d’avant (je sais c’est pas bien, mais je m’en fous), je dirais que c’est leur meilleur. D’abord, ceux qui caressaient l’espoir que Hope (joke, on rit) aurait conservé sa voix unique seront ravis, on la reconnaît dès la première mesure, et c’est toujours un enchantement.
« Seasons … » à première écoute a tout d’un disque monolithique. On savait le groupe peu enclin à développer des chants de fin de banquet, donnant plus volontiers dans le morose plutôt que dans le rose. La base de Mazzy Star, c’est du folk, qui se teinte parfois de (country)-rock tout en retenue. Résultat, on se retrouve avec un disque totalement hors du temps, qu’on pourrait croire sorti en 1973 et qui ne sonnera pas démodé dans quatre décennies. Passent à mesure que défilent les titres les ombres et souvenirs de Nick Drake (« California », « Sparrow »), Joni Mitchell ou Joan Baez (« Seasons of your day »), du Band quand ils moulinaient derrière les grands disques de Dylan (« In the kingdom »). Bien sûr, un peu partout, quand un fond noisy et bourdonnant vient parasiter la fragilité des mélodies, c’est le Velvet Underground chéri du groupe qui remonte à la surface (« Common burn » et « Spoon », réminiscents des ballades mortifères de la bande à Lou Reed).
Mais finalement, le nom qui revient le plus souvent à mesure que défilent les titres, c’est celui, pourtant assez inattendu, de Ry Cooder. « Seasons … » est une véritable ode à la slide guitar, Roback en met partout, prenant plaisir à étirer ces notes métalliques traînantes, et on pense alors très fort à Nastassia Kinski et son pull-over rouge dans « Paris, Texas ». Et puis, pour en rajouter encore une couche dans le côté rustique et intemporel, de l’harmonica vient parfois se mêler à cette fête sonore.
Sur dix titres, seuls deux sont un peu plus rythmés, le classique country-rock de « Lay myself down » et le très beau et surprenant final (« Flying low »), qui évoque très fortement « The Rover » de Led Zep, un « The Rover » joué un petit matin blême avec une gueule de bois carabinée…

L’automne et la grisaille arrivent. « Seasons of your day » en est la bande-son idéale. Et ce disque est tellement bon qu’il pourrait même passer l’hiver …


THE HARDER THEY COME - SOUNDTRACK (1972)

Le reggae pour les nuls ...
Cette notule pédagogique s’adresse à tous ceux dont les conduits auditifs ont été sérieusement malmenés par une écoute prolongée de choses aussi insignifiantes que la country, le blues, la pop, le rock, le trash-doom metal, le drum’n’glitch ou autres sonorités bruyantes affligeantes …
Pour ceux dont la morne existence a été rythmée ( ? ) par du jazz, du classique, du prog-rock, Christophe Obispo ou Pascal Maé, … une prophylaxie éradicante de type vangoghien reste malheureusement la seule solution connue à ce jour.
Bienvenue donc pour une introduction aux merveilles chaloupées et ensoleillées du reggae…
Cette compilation est idéale pour débuter. Et pour plusieurs raisons…
Jimmy Cliff
C’est la première qui a mis la Jamaïque sur la carte du monde musical. Bande sonore d’un nanar de série B de Perry Henzel, (« The harder they come »,  « Tout, tout de suite » en France) version caraïbe des films US de blackploitation, relatant les tribulations d’un paysan jamaïcain confronté au milieu gangstérisé de la production musicale locale. Jimmy Cliff y tient le rôle principal d’une manière assez comique (voire tragique), démontrant que pour faire une carrière d’acteur, l’Actor’s Studio peut s’avérer utile.
Cette compilation est parue en 1972, qui est aussi la fin de l’âge de l’or du reggae. La révélation l’année suivante de la comète Marley signée par un label à vocation internationale, Island de Chris Blackwell, Jamaïcain exilé en Angleterre, marquera la fin de la créativité musicale inouïe locale, le formatage (de qualité, certes, mais formatage quand même) devenant dès lors de mise…
On voit sur cette B.O. toute l’évolution, qui s’effectuait alors à une vitesse prodigieuse, menant du rocksteady et du ska de la fin des 60’s, au reggae tel qu’il a été popularisé par la suite…
Sur les douze morceaux (deux sont en deux versions, « You can get it if you really want » et « The harder they come ») neuf font partie du patrimoine incontournable du reggae, dans cette compilation où surtout Jimmy Cliff est à l’honneur (la moitié des titres).
Toots & The Maytals
« You can’t get if you really want » est un reggae de Cliff de facture très pop, sous influence américaine du genre, avec durant le pont, l’apparition d’une section de cuivres très Stax. C’est en poursuivant dans cette voie-là que Jimmy Cliff obtiendra de gros succès populaires, délaissant au passage la qualité artistique de ses débuts.
« Draw your breaks » (comprendre brakes (freins), les Jamaïcains entretenant de curieux rapports avec l’anglais, tant parlé qu’écrit …) est un des classiques du reggae, par l’oublié 3ème couteau Scotty. Ce morceau contient une mélodie et une phrase récurrentes (« Stop that train », le train représentant le progrès, la civilisation occidentale, Babylone, …) que l’on retrouvera dans des centaines d’enregistrements par la suite.
« Rivers of Babylon », par les Melodians (et non les Melodions comme écrit sur le livret et la jaquette du Cd), est lui aussi très connu … dans la version Boney M. Evidemment, la version originale, beaucoup plus lente, est mille fois fois supérieure à la scie disco… Ce titre représente un des sommets d’un genre à part entière, celui du groupe vocal (généralement un trio) dans le reggae. Tous ces groupes vocaux sont fortement influencés par la musique noire américaine avec comme noms qui reviennent le plus souvent dans leurs références, les Drifters et les Impressions de Curtis Mayfield.
The Melodians
Avec « Many rivers to cross », coup de bol, vous récupérez sur une compilation de reggae une ballade soul définitive, l’égale des « It’s a man man’s world » ou « When a man loves a woman ». Un classique indémodable.
« Sweet and dandy » des Maytals , est typique du rocksteady, combinant un phrasé lent sur  un rythme rapide issu du rock américain fifties. Les Maytals ont pour leader Toots Hibbert, qui deviendra un des quatre ou cinq plus grands noms du reggae dans les 70’s (Toots & The Maytals).
« The harder they come », à nouveau Jimmy Cliff, avec un reggae toujours agrémenté d’une mélodie pop. Un des titres dont raffoleront les punks anglais (Joe Strummer & The Mescaleros), ou américains (Rancid), qui le reprendront. A noter une reprise risible par Eddy Mitchell (« Le maître du monde »), que Schmoll est allé enregistrer au milieu des 70’s à Memphis ( ? )…
Autre merveille d’un groupe vocal oublié, le « Johnny too bad » des Slickers. Repris lui aussi par les anciens punks reconvertis gothique-synthés Lors of the New Church (Cd « Is nothing sacred ? ») qui avaient « oublié » de créditer les vrais auteurs, s’appropriant sans vergogne la paternité du titre …
Desmond Dekker
« Shanty town », sur un rythme rocksteady, a fait de son interprète Desmond Dekker l’archétype du « rude boy », le stéréotype du rasta dur-à-cuire (cf le titre du film des Clash)…
« Pressure drop » est un autre titre des Maytals, un des plus connus du reggae en général, lui aussi énormément repris (Clash bien sûr, mais aussi Robert Palmer, Izzy Stradlin, Specials, …).
Il fallait sur cette compilation un titre pas terrible, c’est Jimmy Cliff qui s’y colle avec l’anecdotique morceau influencé par la soul « Sitting in limbo » …


Bon, vous avez à portée de conduit auditif la meilleure compilation reggae en un Cd. Avant d’aller plus loin dans l’apprentissage, il est conseillé de se laisser pousser les dreadlocks, les ongles du pouce et de l’index, se munir de quelques barrettes (non, non, pas pour se coiffer), de papier fin (non, non, pas pour prendre des notes)… Vous serez dès lors prêts pour appréhender le plus grand groupe reggae de tous les temps, Sting & The Police … euh non, pardon, Bob Marley & The Wailers…