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SPIKE LEE - DO THE RIGHT THING (1989)

Fight the power ...

Ce titre de Public Enemy, on l’entend à quinze reprises dans le film (rien qu’une fois en entier, précision pour ceux qui peuvent pas supporter le rap). Pas vraiment par hasard … Public Enemy (ou plutôt leur parolier et principal rappeur Chuck D.) et Spike Lee étaient faits pour travailler ensemble. Pas sûr qu’ils aient anticipé le buzz et le succès qu’ils allaient remporter …
Parce que pour moi, « Do the right thing » est un marqueur, un film condamné à faire date. Dans l’œuvre de Spike Lee d’abord. Parce qu’il n’a jamais fait mieux, ni derrière une caméra, et encore moins devant un micro (voir ses déclarations à l’emporte pièces sur Eastwood et Tarantino ces derniers temps). J’aime pas Spike Lee, le bonhomme, sa façon de souffler le chaud et le froid sur les sujets délicats qui le préoccupent (en gros la situation des Afro-américains aux Etats-Unis), sa façon d’alterner des constats lucides et des discours radicaux … Faut le voir dans les bonus du Blu-ray que j’ai (la réédition dite du vingtième anniversaire) faire un show grotesque lors de la conférence de presse-présentation du film au Festival de Cannes 89, grisé par des applaudissements (mérités) sur ses réparties judicieuses, et se laissant progressivement aller à un gloubi boulga pathétique sur fond de racisme et d’analyse politique et sociale à deux balles … alors qu’avec « Do the right thing », y’a rien à dire, suffit de laisser parler les images …
Dans la pizzeria ...
« Do the right thing » est un projet de Lee qui vient de loin. De sa première trace filmée alors qu’il n’était qu’étudiant à l’Ecole de Cinéma de New York, un court métrage se passant dans le quartier de Bedford-Stuyvesant, à Brooklyn. Un tronçon de rue de ce quartier sera le lieu unique de l’action de « Do the right thing ». Un été de canicule (86 ?) lui inspirera le scénario. Qui se présente comme une tragédie classique, respectant les trois unités, même lieu, une journée, tous les personnages participent à l’action …
C’est à partir de ces postulats que le film et son environnement sont mis en place. L’objectif avoué de Spike Lee est de faire un film sur le racisme, ordinaire, osera-t-on. La démarche est radicale dans tous les sens du terme. L’essentiel du casting est composé de Noirs, au mieux de métèques (les Portoricains) et de quelques Blancs immigrés de fraîche date (l’accent du pays de Dan Aiello). Pareil pour l’équipe technique, Noire en très grande majorité. Avant même le premier tour de manivelle, qu’on le veuille ou pas, l’accent est mis sur le communautarisme. Les visites « de prestige » se succèderont sur le tournage, du gentil Stevie Wonder au vieux coq Melvin Van Peebles (l’ancêtre des films de blaxploitation). Et au niveau du casting, on voit que Lee voue une déférence si ce n’est un culte à deux des acteurs, le couple à la ville Ossie Davis – Ruby Dee, vieux militants de la cause noire à Hollywood …
Premier challenge, filmer en décors naturels dans une rue d’un quartier mal famé. Il faut retaper quelques façades, construire le décor de la pizzeria et de l’épicerie sud-coréenne qui lui fait face à un carrefour (les deux bâtiments n’existent pas et tout un tas de fans du film les recherchent en vain depuis des années). Il faut aussi convaincre les habitants de se plier aux exigences du tournage (beaucoup de billets verts ont circulé, il n’est pas sûr qu’ils aient été comptabilisés dans le budget). Et puis, il faut nettoyer le quartier, repaire de dealers. C’est une « association », émanation de la Nation of Islam du prêcheur radical Farrakhan (dont Spike Lee avoue plus ou moins implicitement être proche intellectuellement) qui se chargera de la besogne. Remercions au passage l’honnêteté de Lee qui a laissé passer dans les très bons et nombreux bonus des avis des locaux très réservés sur les « bienfaits » apportés par son film au quartier et à la « cause » …
Le film se passe par une journée caniculaire, dans un quartier aux façades repeintes de couleurs chaudes (le rouge et l’orangé notamment), et la tragédie se nouera dans la pizzeria de Sal, l’Italo-américain (l’excellent Dan Aiello). Sal est plutôt bonhomme, mais faut pas le faire chier … Il gère son commerce en compagnie de ses deux fils, Pino le raciste terminal (John Turturro), et Vito (Richard Edson) beaucoup plus posé. Mookie est leur livreur de pizzas. Tête à claques, feignasse, toujours en train de rouscailler et de demander sa paye ou une avance à Sal.
Partant certainement du principe que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même (c’est Mookie qui lorsque la situation sera bien explosive, mettra définitivement le feu aux poudres), Spike Lee tient lui-même ce rôle. Et comme on n’est jamais mieux servi également que par ses proches, c’est son père (pianiste de jazz de seconde division) qui fera la musique, sa sœur qui aura un second rôle, et celle qui deviendra sa compagne dans la vraie vie (Rosie Perez) jouera sa femme … Une affaire de famille …
Rosie Perez & Spike Lee
« Do the right thing », c’est avant tout une galerie de portraits et une fresque sociale. Des stéréotypes, souvent, mais c’est voulu et indispensable au scénario (on n’imagine pas des virages politiques ou moraux à 180° dans une journée, fût-elle caniculaire). Il y a le vieux sage pochetron (Ossie Davis), la retraitée gouailleuse (Ruby Dee), le DJ qui derrière sa vitre observe et commente tout ce qui passe dans la rue (Sam Jackson, futur Samuel L Jackson), les trois blacks sous un parasol (retraités ? chômeurs ?) qui se balancent des vannes et font un peu office de chœur de tragédie grecque, le couple d’épiciers coréens que tout le monde jalouse et regarde de travers, les flics du quartier (Blancs bien sûr) qui se la jouent cowboys …
Et puis les protagonistes principaux, Mookie, Sal et ses fils, DJ Raheem (Bill Nunn), jeune Black baraqué qui se balade avec un énorme ghetto blaster crachant du Public Enemy toute la journée, Buggin Out (Giancarlo Esposito), jeune traîne-savates qui se prend pour la conscience politique du peuple Noir. Sans oublier le prédicateur bègue ( ! ) et simplet (Roger Guenveur Smith) qui essaye de refourguer à tout le monde une photo réunissant Matin Luther King et Malcolm X …
Bill Nunn, la nuit du c(h)asseur
Malgré la nonchalance dûe à la canicule, quelques écarts loufoques et drôlatiques, on sent très bien monter la tension et on sait, vu les protagonistes, que ça va forcément finir en sucette … Toute la finesse du scénario étant d’amener le bon prétexte et de faire se confronter les bonnes personnes au bon endroit … Avec un gros boulot d’acteurs derrière. Même s’il demande à tous d’intervenir et de suggérer d’éventuelles modifications au scénario, des lectures préparatoires ont eu lieu, et il très intéressant de voir les acteurs nous décrire comment ils ont appréhendé leur rôle, et Spike Lee leur demander à moment donné à chacun de raconter la vie antérieure de leur personnage, dont il ne sera jamais fait allusion dans le film …
Même si ce qu’il y a entre est excellent, les deux moments du film qui ont le plus marqué les esprits sont les génériques de début et de fin.

Au début, on voit Rosie Perez faire un grand numéro de danse hip-hop sur (of course) « Fight the power ». C’est pour son sens du rythme (elle n’avait jamais fait de cinéma, elle était go-go danseuse) et son joli cul (dixit Spike Lee, y’a encore du boulot pour toi, garçon, une fois que t’auras réglé le problème racial, faudra réfléchir au machisme et au sexisme …)
Et à la fin, après la dernière image et avant le générique version expended, apparaissent sur l’écran deux citations. La première de Martin Luther King, plaidoyer pour la tolérance, le pardon et la non-violence. La seconde de Malcolm X, justifiant et encourageant la violence lorsqu’elle répond à une oppression raciale manifeste. Le but recherché de cette juxtaposition étant bien évidemment la polémique, Spike Lee a parfaitement réussi son coup …
C’est parce qu’on en parle beaucoup qu’on reconnaît les grands films. Et là, avec « Do the right thing », mission plus que bien accomplie …


La bande-annonce et le générique d'ouverture

SAM MENDES - LES NOCES REBELLES (2009)

Je t'aime ... moi non plus ...

Avertissement : même si les deux acteurs principaux reforment le duo / couple DiCaprio / Winslet, « les Noces Rebelles » n’a rien d’une suite de « Titanic ». Ou alors il faut jouer avec le sens des mots, car si « Les Noces Rebelles » raconte bien un naufrage, il a lieu à l’intérieur du couple …
Le film (encore une fois doté d’un titre français absurde, c’est quoi une noce rebelle ???) est tiré d’un bouquin de la fin des années 50, « Revolutionary Road », le premier de l’écrivain Richard Yates, auteur bipolaire et alcoolo, contemporain de la Beat generation (Kerouac, Burroughs), mais qui finira beaucoup plus « sagement » comme rédacteur (pour l’alimentaire) des discours de Robert Kennedy (celui qu’aurait pu succéder au frangin flingué de Dallas s’il avait pas lui aussi pris une bastos). Ensuite histoire classique, droits du bouquin rachetés par la Paramount, le scénariste Justin Haythe qui en fait une adaptation pour le cinéma, qu’il retravaillera avec Sam Mendes lorsque celui-ci se déclarera intéressé pour en faire un film.
Mendes, Winslet & DiCaprio
Sam Mendes n’a derrière lui que trois films, dont deux cartons au box-office, « American beauty » et « Jarhead : la fin de l’innocence ». Il est marié avec Kate Winslet, à qui il propose le rôle principal (c’est elle qui la première a lu le bouquin et a mis Mendes sur le coup), tout en espérant (même si c’est pas vraiment affiché) qu’elle fera des pieds et des mains pour amener sur le projet son meilleur ami, Leonardo DiCaprio. Qui est surbooké, hésite, mais finit par donner son accord.
Parenthèse. Un blaireau dont j’ai oublié de noter le nom dans les bonus du Blu-ray plastronne en disant que c’est grâce à ce film que le Leo est passé du statut de jeune premier à celui de grand acteur … ah bon, parce que le type qui venait d’enchaîner en haut de l’affiche trois Scorsese (« Gangs of New York », « Aviator », « Les infiltrés ») et un Spielberg (« Arrête-moi si tu peux ») en donnant entre autres la réplique à Daniel Day-Lewis, Tom Hanks et Nicholson, avait besoin de tourner avec Mendes pour asseoir sa réputation ?? Y’a des coups de pied au cul qui se perdent …
Ce qui ne veut pas dire que DiCaprio et la Winslet soient en roue libre sur ce film. Winslet obtiendra un Golden Globe et « Revolutionary road » (le titre en VO) 3 statuettes aux Oscars, dont une pour le second rôle de Michael Shannon (j’en recauserai plus bas de celui-là). Winslet et DiCaprio sont juste parfaits et crédibles dans ce film d’une noirceur et d’une tension qui vont crescendo …
L’histoire en deux mots, est celle du couple Frank et April Wheeler, trentenaires quelconques (lui bosse parce qu’il faut bien faire quelque chose au siège newyorkais d’une grosse boîte, elle élève leurs deux enfants) de l’Amérique de la fin des années 50 (en plein milieu des Trente Glorieuses, croissance, prospérité et possibilité de réaliser les rêves le plus fous). Et justement, Madame Wheeler (Winslet) s’emmerde. Un premier déménagement dans la « Revolutionary Road » (rue pavillonnaire d’une bourgade de banlieue du Connecticut, à quelques encablures donc de New York) lorsque va arriver le second gosse casse un peu la monotonie de sa vie, elle fait aussi du théâtre amateur dans une compagnie qui enchaîne les bides …
Au début tout va bien
Cette présentation des personnages est à mon sens le seul petit point faible du film, où la scène d’introduction nous montre des années avant que débute l’histoire la rencontre / coup de foudre de Frank et April, à laquelle s’enchaîne la fin d’une représentation théâtrale calamiteuse avec April en tête de distribution ce qui vaut un retour at home avec une monumentale engueulade du couple en bagnole (où apparaissent immédiatement la faiblesse de l’homme et la froide détermination de la femme). Et ensuite va arriver un flashback montrant le couple aménager à Revolutionary Road… on s’y perd un peu, d’autant que sont entrevus des personnages auxquels on ne prête pas forcément attention, mais que l’on retrouvera plus tard dans l’histoire …
On s’aperçoit très vite que le couple modèle, le couple idéal va mal … April ne supporte plus sa morne vie de femme au foyer (un plan superbe et qui en dit long où elle sort la poubelle, et jette un regard circulaire sur une Revolutionary Road sans âme qui vive, avec un alignement impeccable des poubelles des voisins sur le trottoir). Un jour qu’elle fouille dans une boîte de photos de jeunesse de Frank (il a fait le Débarquement et s’est fait tirer le portrait avec un pote soldat devant la Tour Eiffel), elle a l’illumination : elle sait parler français, toute la famille va déménager en France, c’est elle qui va travailler et Frank à qui elle trouve un joli coup de crayon, y deviendra peintre. On sent vite qu’April est une rêveuse borderline, on sait qu’elle est coutumière de pétages de plomb monumentaux, et donc Frank n’ose pas lui dire non, joue sans conviction à préparer leur départ vers cette Terre Promise, en se disant qu’April finira par passer à autre chose … Il continue son morne train-train de scribouillard, saute à temps perdu (et toujours sans conviction) une jeune secrétaire niaise de la boîte. Mais c’est aussi un impulsif, capable lui aussi de monter dans les tours lors des disputes du couple qui ont tendance à se multiplier. Et là, ceux qui savent qu’il y a des gens qui ont fait des bons films avant ceux de Frank Dubosc, trouveront de nombreux parallèles avec le génial « Qui a peur de Virginia Woolf » dans lequel le couple Burton- Taylor rejouait devant la caméra de Mike Nichols les colossales scènes de ménage avinées qui étaient leur quotidien à la ville …

Et on assiste à ce spectacle du couple qui s’enfonce dans l’incompréhension mutuelle, chaque événement qui survient ne faisant qu’en rajouter une couche. Un troisième enfant est mis en route lors d’un tendre moment de réconciliation. Problème, April veut avorter, Frank aimerait bien qu’elle le garde. Parce qu’un boulot bâclé fait dans sa boîte lui a valu à sa grande surprise d’attirer l’attention sur lui du PDG qui propose un gros avancement qu’il accepte sans rien dire à son April toujours en partance pour Paris … Les amis et les voisins ne font qu’envenimer la situation. Le voisin (joué par David Harbour) est dans la troupe de théâtre avec April, en est amoureux, et finit par la sauter vite fait mal fait sur le siège d’une bagnole (faut dire qu’elle l’a bien allumée dans un dancing …), tandis que sa femme est totalement effacée au milieu de sa ribambelle de gosses mais semble avoir des yeux de Chimène pour les beaux April et Frank et semble amoureuse des deux en même temps.
Une autre famille grouillote dans la troupe de théâtre. Le couple commence à être dans l’âge, elle est agent immobilier (c’est elle qui a mené April et Frank à Revolutionary Road), lui n’est relié au monde extérieur que par son sonotone qu’il débranche quand il veut avoir la paix. Ils ont un fils (excellent Michael Shannon), mathématicien de génie bien cinglé qui vient de passer des années en hôpital psy. Ce dernier, chaque fois qu’il est invité avec ses parents à manger chez les Wheeler, avec ses intuitions d’idiot savant, devient le miroir de leurs consciences et les met crûment face à leurs réalités. Les repas tournent dès lors court …
Rien ne va plus ...
Il faut reconnaître que le film est mené de main de maître par Mendes. Qui ne focalise pas la caméra uniquement sur sa bien-aimée (on en connaît qui ne s’en sont pas privés, Godard étant le premier qui me vient à l’esprit), mais tient son histoire en mettant un point d’honneur à tout filmer en extérieurs (on vit vraiment les disputes de l’intérieur dans de vraies pièces nécessairement confinées pour une équipe technique), la fin des années cinquante est minutieusement reconstituée (beaucoup de bagnoles d’époque, des scènes de foule en costumes vintage,… ) de la belle ouvrage …
Et le final est d’une tension et d’une noirceur totales, sans qu’il soit besoin pour Mendes d’agiter de grosses ficelles. On ne voit pas tout, mais le jeu des acteurs nous fait bien comprendre ce que l’on n’a pas vu … Quitte à passer pour un pourfendeur de vérités indiscutables, le couple DiCaprio / Winslet y est bien meilleur que dans « Titanic » (grand et beau film cependant), puisque le fantôme du foutu bateau les poursuivra chaque fois qu’ils seront ensemble devant une caméra …
On peut trouver de nombreux parallèles avec quantité d’autres films (l’histoire d’amour qui finit mal n’a rien d’un thème immensément original), mais plus particulièrement avec ceux de Bergman et Cassavettes (les disputes en vase clos avec montée hystérique dans les tours). Sauf que Mendes se démarque de ces films intimistes aux face-à-face hurlants des acteurs par une histoire élaborée, un portrait d’une époque et d’une société soignées, une distribution remarquable avec d’excellents seconds et deux têtes d’affiche qui ne cabotinent pas, et jouent juste …
« Les noces rebelles » est à déconseiller aux amateurs des super héros Marvel. Par contre ceux qui aiment les bons films y trouveront plus que leur compte …


Du même sur ce blog :



CLINT EASTWOOD - JOSEY WALES HORS-LA LOI (1976)

L'Odyssée de Josey Wales...

Il y a bien sûr le raccourci facile, consistant à dire que dans la vie Clint Eastwood est aussi brutasse que ses personnages de référence (l’Inspecteur Harry, le cow-boy implacable). Evidemment, comme tous les raccourcis à la va-vite, on peut trouver les contre-exemples à la pelle. On peut aussi trouver, et dans la vraie vie et dans ses films, matière à justifier ces raccourcis. Et pour tout dire, les raccourcis ont la vie dure et le Clint n’a rien fait pour les éviter.
Et tout à fait logiquement, lorsque l’on regarde le bilan financier de ses films, on s’aperçoit que le vulgaire « Gran Torino » et ses grosses ficelles ont fait beaucoup plus de fric que tous les autres qu’il a tournés dont notamment l’apaisé « Sur la route de Madison » ou le poignant « Million dollar Baby ». Parce que Eastwood, c’est le taiseux que si tu l’emmerdes il va te le faire fermer pour toujours… Même si derrière ce personnage stéréotypé, il y a de grands films (« Dirty Harry », les westerns de Leone, et ensuite quelques-uns de ceux qu’il mettra lui-même en scène).

Eastwood et western, ça rime. Il a réellement lancé sa carrière avec la série télé « Rawhide » et le colt et le canasson ne l’ont vraiment quitté qu’à un âge respectable (« Impitoyable » en 92, il a plus de soixante balais, et comme il le dit lui-même, le western faut arrêter quand t’arrives plus à monter à cheval). Et même si dans ses jeunes années il rêvait de s’attaquer à de « grands » films, c’est pour faire bouillir la marmite qu’il est parti en Europe tourner avec Sergio Leone, en se disant que ça allait faire un bide mais comme c’était très loin de Hollywood, ça ne pénaliserait pas sa carrière aux States … On connaît la suite … Et Don Siegel n’aura plus qu’à enfoncer le clou pour que le « peuple » américain tienne son héros grande gueule et redresseur de torts. Parce qu’en plus d’avoir une gueule (plus d’un mètre quatre-vingt-dix, le visage émacié, la barbe naissante, le cigarillo au coin du bec, et ce rictus malsain qui montre que putain ça va chier …), Eastwood (ou du moins ses personnages tant qu’il n’est pas derrière la caméra) s’adresse aux « gens d’honneur » partisans de l’ordre … ce qui donnera ses prises de position en faveur des Républicains (même s’il les nuancera) et son soutien du Second Amendement (même s’il n’a jamais soutenu la NRA). En clair, Clint Eastwood n’est pas aussi réac que ses films le laissent croire …
Par contre, Eastwood est un drogué. Au cinéma. On en connaît tellement qui une fois le succès atteint n’ont pas bougé un orteil de peur de le voir disparaître, ce succès. Tandis que Eastwood, touché « tardivement » par les dollars (la trentaine bien sonnée et largement entamée) n’a dès lors eu de cesse de se multiplier devant mais aussi derrière la caméra, et nul doute qu’il finira comme le Portugais Manoel de Oliveira qui a tourné des films jusqu’à sa mort (à bien plus de cent ans …).
Chief Dan George, Sondra Locke & Eastwood
Avec « Josey Wales … », Eastwood s’est challengé. Et surpassé. Alors qu’il avait contribué au renouveau du western avec Leone, il n’était pas au casting du plus grand western de tous les temps (n’en déplaise aux fans de Ford, Hawks, Mann et autres) « Il était une fois dans l’Ouest » (en fait Leone l’avait contacté pour jouer un des trois types qui attendent le train au début, ce qu’il avait refusé, il commençait à être très connu et n’avait pas envie de se faire tuer à la première bobine …). « L’homme des hautes plaines » avait été en quelque sorte le brouillon du Eastwood acteur-réalisateur de westerns. Avec « Josey Wales … », Eastwood livrera son meilleur du genre, et un immense classique.
Avec rien de nouveau sous le soleil quant à la thématique générale, qui est celle de la vengeance et de la justice qu’on fait soi-même. Au début du film, Eastwood – Josey Wales est un brave paysan qui voit sa femme et son fils se faire massacrer gratuitement par des mercenaires Nordistes (le film commence pendant la Guerre de Sécession) sous la direction d’un sadique, Terrill (joué par Bill McKinney), qui le laisse pour mort. Dès lors, Wales n’aura plus qu’une raison de vivre, se venger de ce simili gradé en bottes rouges. Il s’engagera dans une escouade de francs-tireurs Sudistes commandés par Fletcher (John Vernon), et refusera de déposer les armes à la fin « officielle » de la guerre. Dès lors, il sera pourchassé dans tout le Sud des Etats-Unis par Terrill et ses hommes aidés par le plus ou moins traître Fletcher, ainsi que par tous les chasseurs de primes des coins qu’il traverse …
Pacte de sang ...
Une remarque en passant : même si le scénario n’est pas de lui (il est tiré d’un roman d’un certain Forrest Carter), Eastwood fait la guerre du côté des Sudistes (les réacs pro-esclavagistes). Il s’en explique dans les bonus du film, les gens faisaient la guerre pour le pays dans lequel ils habitaient (Wales vit dans le Missouri, il sera donc combattant Sudiste). Et pour info, les temps ont bien changé, puisque les Nordistes étaient Républicains (Lincoln) et les Sudistes Démocrates. Et Wales travaille seul, n’a pas d’esclaves … en résumé, Clint Eastwood joue Josey Wales, il n’est pas Josey Wales … et d’ailleurs, il n’aura de cesse tout au long du film de jouer avec son « image ».
Le justicier solitaire finit (involontairement) à la tête d’une troupe aussi hétéroclite qu’encombrante. Il commence par « récupérer » un vieil Indien (Dan George, vrai Indien dans la vie, déjà en haut de l’affiche dans « Little Big Man »), un chien bâtard, efflanqué et peureux, une Indienne plus ou moins esclave d’un tenancier de relais de poste, une grand-mère et sa petite fille (Sondra Locke), ainsi que deux vieux traîne-savates anciens ouvriers agricoles. Cette étrange colonie finira par exploiter une ferme, ayant eu à faire face à tous les bandits et autres comancheros, « occupants » Nordistes et chasseurs de primes qui vont croiser sa route. Verdict laconique de Wales : « Plus on est de fous … ». Avant évidemment la rencontre finale avec le « capitaine » Terrill et un épilogue avec son ancien chef Fletcher.
Les retrouvailles ...
Au moins deux choses montrent le démarquage d’Eastwood avec son image. Une certaine forme d’humour très pince-sans-rire et somme toute très british (quand Wales glaviote, ses colts ne vont pas tarder à sortir, à une exception près, sa rencontre avec le chef Comanche). Et puis, le traitement réservé aux Indiens. Gentiment moqués, comme les relations dans cet étrange triangle originel (Wales, Dan George et la squaw), mais quand ça devient « sérieux » (la bataille qui s’annonce avec la tribu du Comanche Ten Bears), c’est une affaire « d’hommes » et d’honneur, il y a égalité entre les Blancs et les Indiens. A noter que cette confrontation tribu comanche – « tribu » de Wales donnera lieu à une des plus grande (et belle) scène du film, ce face-à-face entre Wales et Ten Bears (Will Sampson, vrai descendant d’Indiens lui aussi, remarqué dans « Vol au-dessus d’un nid de coucous »). Ce face-à-face plaidoyer humanitaire et quasi liturgique de Wales pour la paix, le respect et la fraternité entre les hommes, sera l’occasion pour Eastwood de débiter ce qui est certainement la plus longue réplique de toute sa carrière cinématographique …
« Josey Wales … » est un film abouti. Même si fidèle à ce qui sera quasiment sa trademark, Eastwood filme vite (deux mois pour tout mettre en boîte dans un périple à travers cinq Etats), avec une première prise qui sera souvent la bonne. Tout en composant avec certains particularismes tout personnels, notamment les scènes avec Dan George, acteur intuitif mais vieillissant, souvent incapable de se souvenir de son texte, et donc avec qui il faudra improviser …
Au rayon grincements de sommier, il faut signaler que Eastwood et Sondra Locke entameront à l’occasion du tournage de « Josey Wales … » une liaison qui durera plusieurs années. Au vu des ragots du Net qui parle d’une séparation en très mauvais termes, on comprend qu’elle ne soit pas présente dans la section bonus du Blu-ray, dans lequel Eastwood et l’essentiel du casting font le job et livrent quelques infos et anecdotes de tournage. Un Blu-ray de bonne qualité, même si comme tous les Blu-ray il n’est guère flatteur pour les scènes tournées en nuit américaine.
« Josey Wales … » nous montre un personnage qui vit une odyssée. A l’envers par rapport à celle d’Homère, où Ulysse perdait au fur et à mesure de ses pérégrinations ses compagnons d’armes et de voyage pour finalement rentrer seul à Ithaque. Ici, Wales, à mesure que le temps passe, devient le leader de suiveurs de plus en plus nombreux. Et même si le final est équivoque, un départ à la Lucky Luke poor lonesome cowboy sur fond de soleil couchant, on peut s’apercevoir qu’il n’a pas chargé son barda sur son canasson …
Western d’anthologie en tout cas …


Du même sur ce blog :



OLIVER HIRSCHBIEGEL - LA CHUTE (2004)

La Bête Humaine ...

Il a toujours fallu de tout pour faire un monde (immonde). Et l’histoire de notre morceau de caillou et d’eau qui se réchauffe est pleine de tristes figures qui ont passé l’essentiel de leur vie à répandre le sang de leurs semblables. Et il y en a un dont le nom clignote plus fort que tous les autres, celui qui incarne le Mal absolu, Tonton Adolf … Le sale type de tous les records (des millions de types morts à cause de lui, d’un de plus dégueulasses régimes politiques mis en place, …), celui qui a servi à l’invention du point Godwin …
Hirschbiegel, Lara & Ganz
Il a fait des choses pas bien du tout, Hitler … et en plus il sert de paravent à tout un tas de gugusses qui valaient pas mieux que lui, mais que l’Histoire (ou ceux qui nous la racontent) ont jugé moins pires… Fantômes de Staline, Pol Pot, César, Napoléon, Hussein, …, dormez en paix … fantômes des dieux au nom desquels on s’entretue depuis trois mille ans, continuez de siéger dans vos paradis … fantômes de tous les colonialistes des cinq derniers siècles, contemplez les ruines de vos empires… et il faudra un jour faire le compte de tous ceux qui ont péri pour que la Chine affiche aujourd’hui sa richesse arrogante … sans oublier ceux qui deviendront pas vieux parce qu’ils vont crever de faim ou d’autre chose parce que d’autres qui ont déjà tout en veulent encore plus …
Alors quand arrive en salles ou dans la télé « La Chute », qui est certainement le film définitif mettant en scène Hitler, tous les donneurs de leçons y vont de leur couplet, faisant la moue, hésitant entre enthousiasme et malaise (voir les forums, blogs, revues d’acheteurs, …). What ? ce dictateur nazi serait un homme, un type capable de sourire, de pleurer, de se montrer aimable parfois ? Ben, a priori, c’est pas l’Alien de Ridley Scott et Giger, il avait des parents comme vous et moi, et s’il avait eu des enfants il les aurait aimés et aurait joué avec je suppose … ceux qui me connaissent (ou me lisent) savent que j’ai aucune admiration pour ce sale type ni pour ses idées nauséeuses qui s’offrent un revival et plaisent beaucoup en Europe et ailleurs ces temps-ci …
« La Chute » n’est pas un documentaire. Ni un film. C’est une leçon d’Histoire. Et pas l’histoire d’Hitler, ce que beaucoup oublient lorsqu’ils causent du coup d’éclat de Oliver Hirschbiegel. « La Chute » est centré sur la secrétaire d’Hitler, Traudl Junge, recrutée en novembre 1942, et qui fera son job auprès de lui jusqu’à la mort de son patron le 30 avril 1945.
Eva Braun & Hitler
Et la vraie Traudl Junge (morte en 2002), parle au début du film. Avec la rhétorique habituelle des exécutants de base du régime nazi (voir leurs témoignages dans le vrai documentaire « Shoah » de Claude Lanzmann), en gros « on était jeunes, on savait pas, on obéissait, on aurait dû se poser des questions … ». Il y aurait beaucoup à dire sur ce genre d’argumentaire, mais c’est pas le sujet … en tout cas pas celui du film …
Novembre 1942. Les nazis campent devant Stalingrad, ils n’iront pas plus loin vers l’Est. Dans son bunker berlinois, Hitler auditionne des candidates pour un poste de secrétaire personnel. La jeune Junge (22 ans) a droit à un essai dans le bureau du führer parce qu’elle est bavaroise (on voit que ça rappelle plein de souvenirs à Hitler). Evidemment, toute émotionnée, elle se montre incapable de taper un texte lisible. Très calmement, Hitler lui propose de reprendre, et elle est finalement embauchée. Traudl Junge est incarné par l’actrice roumaine Alexandra Maria Lara et c’est un peu le maillon faible du casting, ne quittant jamais son air soumis, souriant et ébahi, alors que l’histoire du monde s’écrit sous ses yeux ou sort de sa machine à écrire …
Faut dire qu’en face, il y a une performance énorme et habitée de Bruno Ganz. Il est Hitler, et non pas un acteur qui joue Hitler. Le mimétisme physique, même si c’est juste une affaire de bon maquillage est là poussé dans ses moindres détails (ces tremblements parkinsoniens de la main qu’il tient toujours derrière le dos), des terribles crises de colère entrecoupées de séquences de calme et d’apaisement, des certitudes totalement folles dans le contexte assénées devant une cour de dévoués qui ne pipent mot … Hitler par Ganz est un être humain et non pas la caricature à laquelle on l’a toujours par facilité et paresse intellectuelle réduit. Mais un être humain terrifiant, perdu dans ses rêves de grandeur et de domination fous, prêt à sacrifier jusqu’au dernier Allemand pour la poursuite de ses chimères … Pour aussi extraordinaire que soit le Hitler de « La Chute », le réalisateur Hirschbiegel (quasi inconnu jusque-là, et même après d’ailleurs …) ne tombe pas dans la facilité en faisant reposer le film sur lui. « La Chute » n’est pas (seulement) la fin d’Hitler, mais l’écroulement d’un monde et d’un système qu’il avait mis en place. D’ailleurs le suicide d’Hitler a lieu trois quart d’heure avant la fin du film (qui dure quand même deux heures et demie).
Et ce film est génial, parce qu’il s’attache certes à raconter l’histoire des derniers jours du Führerbunker (ce terrier fortifié au cœur du Berlin, poumon du régime nazi) et de ses occupants, mais aussi nous permet de suivre quelques personnages secondaires, dont l’Histoire n’a pas retenu le nom (le gamin des Jeunesses hitlériennes, décoré par l’Adolf au milieu de la débâcle berlinoise – qui est la dernière apparition historique publique d’Hitler – qui finit par traverser les lignes russes avec Junge).

La fiction
et l'Histoire ...
L’essentiel du film se passe au printemps 1945 alors que Berlin est sous un tapis de bombes anglaises et américaines, sous le feu de l’artillerie russe et que les soldats russes avancent rue après rue vers le centre névralgique de la capitale allemande. Dans son bunker, Hitler au milieu des dignitaires du régime, est le seul à croire à un retournement de situation. Il faut le voir, cet ancien caporal dont l’audace militaire a failli lui faire conquérir le monde, penché sur ses cartes, ordonner des offensives ou des contre-offensives alors que les troupes en question n’existent plus, ce que tout le monde se garde bien de lui dire pour ne pas essuyer ses terribles (et parfois mortelles) colères. Il faut le voir rêver encore devant des maquettes du centre-ville de Berlin qu’il avait en projet de réaménager, alors que la ville n’est plus qu’un champ de ruines où les dernières troupes nazies essayent de résister en tuant tous ceux qui refusent (ou pourraient peut-être refuser) cette ultime boucherie. Il faut voir Hitler, quand il comprend que tout est perdu, refuser de capituler et souhaitant à tous les Allemands de crever parce qu’ils n’ont pas su réaliser son rêve idiot de suprématie mondiale … Tiens, en passant, certains ont noirci des feuillets pour s’indigner que jamais il ne soit fait mention de la Shoah dans le film. D’abord c’est pas le sujet du film, et ensuite il me semble bien que la « solution finale » était un secret assez bien gardé y compris au sein des plus hautes sphères nazies, tout le monde ne savait pas et ceux qui savaient n’en parlaient pas …
Il y a dans « La Chute » comme un air de déclin de l’Empire romain, avec ses scènes de beuverie dans le bunker (pas l’Adolf, il était strictement végétarien et ne s’accordait que quelques gorgées de vin), et ses fêtes (je vois pas d’autres mots) dont l’instigatrice principale était Eva Braun, la maîtresse qui deviendra sa femme la veille de leur suicide commun. Personnage étonnant (elle était bien plus jeune que lui, insouciante et gaie d’apparence, passant son temps à fumer, picoler et danser et entraînant les militaires de garde ou les dignitaires de passage dans ses folles sarabandes que n’interrompaient pas les déflagrations assourdies des bombes …).
La famille Goebbels
Mais les scènes les plus saisissantes sont celles qui mettent en scène la famille Goebbels. Lui est joué par Ulrich Mattes, un acteur dont le seul fait d’armes si j’ose dire était des apparitions récurrentes dans la série policière au ralenti Derrick. Goebbels est austère, taiseux, et chacune de ses apparitions fait froid dans le dos. Il sera l’héritier d’Hitler après les défections (trahisons dit-on dans le bunker) des guère reluisants Himmler et Goering. Son royaume en ruines ne survivra que de quelques jours à la mort d’Hitler, le temps de la scène la plus effrayante du film, sa femme tuant (en leur faisant gober une ampoule de cyanure alors qu’ils sont sous sédatifs) leurs six enfants avant que le couple ne se donne la mort (il la tue d’une balle en plein cœur avant de se faire exploser la tête). Une scène d’infanticide interminable, exécutée avec une froideur et une lenteur hallucinantes.
L’atmosphère sinistre et sordide (les décors d’un bunker, fait de béton armé, ne donnent certes pas un air de fête foraine au film) est renforcée par la quasi absence de musique (des gros plans, des paroles, des actes, au milieu de scène de guerre et de boucherie militaires plutôt réalistes).
On a vu quantité de films sur la Seconde Guerre Mondiale, le régime nazi et Hitler. Dont quelques-uns d’excellents. Personnellement, je n’en ai vu que deux qui retournent les tripes et qui reviennent me hanter alors que le Dvd est depuis longtemps rangé. « La Chute » est l’un des deux. L’autre, c’est « Requiem pour un massacre » de Klimov …



JIM JARMUSCH - DEAD MAN (1995)

Western poétique ...

Jim Jarmusch est bien le dernier type qu’on aurait vu tourner un western … il était plutôt une figure de proue du cinéma indépendant américain dont les œuvres se retrouvaient systématiquement cataloguées dans la rubrique des films d’auteur. Soyons clair, « Dead Man » n’est pas un western qui revendique l’influence de John Ford. D’ailleurs « Dead Man » n’est pas vraiment ou pas seulement un western. C’est … autre chose.
Jim Jarmusch comme Calegero, face à la mer ...
« Dead Man », c’est l’histoire d’un jeune gars bien sous tous rapports de Cleveland qui après un éprouvant voyage en train arrive bans un bled minier du trou du cul de l’Ouest sauvage pour y trouver un job de comptable. La trame du film « classique » tient dix minutes (même si dans le train on a eu droit à une galerie de portraits assez bizarre). « Dead Man » part dans une autre dimension quand le jeune gars rencontre le patron de l’usine censé l’embaucher. Le boss tout-puissant et qui terrifie tout le monde, c’est Robert Mitchum pour son dernier rôle au cinéma, dans une composition d’un type totalement frappadingue, dont la folie suinte par tous les pores. A côté on peut penser que son personnage dans « La nuit du Chasseur » est un Bisounours. En face, le petit gars de Cleveland sapé comme un citadin pour qui il n’y a plus de boulot, c’est  Johnny Depp. Ou plutôt William Blake, le nom de son personnage. Rappelons pour ceux qui avaient pris console Nintendo au lieu de littérature au lycée que William Blake est un poète anglais du XIXème siècle … Parenthèse, c’est pas le seul nom « réel », William Blake va croiser la route de deux sheriffs Lee et Marvin ( !! ) et tuer un dénommé George Drakoulias (le producteur des Black Crowes, alors au sommet de leur popularité …).
Jusque là, tout allait bien ...
L’apparition de Mitchum (et ses conséquences sur l’avenir de Blake) offre déjà une bifurcation étrange au scénario. Rien cependant à côté de ce qui va suivre. Du western ne va subsister qu’une galerie de portraits faisant se succéder des personnages hauts en couleurs (bien que le film soit dans un superbe et strict noir et blanc), et tous plus barrés les uns que les autres.
L’autre personnage central du film est un Indien solitaire (grosse performance de Gary Farmer) qui se nomme Personne (plutôt qu’une référence au western italien, je pense qu’il s’agit d’une allusion à Homère, Personne étant le nom qu’Ulysse donne au cyclope avant de lui crever l’œil) qui prend en charge Blake, retrouvé touché d’une balle près du cœur sur un chemin. Dès lors va se mettre en place un étrange attelage, un Indien philosophe et cultivé, et un minot tendance efféminé lâchés dans le wild wild West. Personne est le seul du casting à penser que son compagnon est la réincarnation du poète anglais, parce que c’est le seul du casting à connaître le poète anglais. Ou quasiment. Le seul autre qui a entendu parler de William Blake est une sorte de vagabond travesti aimant citer poètes et philosophes (Iggy Pop dans un rôle lui aussi plutôt inattendu), qui, comme la plupart de ceux qui vont croiser l’improbable duo y laissera la peau.
Mitchum
On garde tout de même une trame de western, avec la fuite du duo ayant à ses basques tout ce que le coin compte de chasseurs de prime (Blake a tué par hasard et en état de légitime défense comme on dirait au tribunal un des fils de Mitchum qui lance à ses trousses un trio de tueurs à gages). En fait, Blake, grièvement blessé, ne fuit pas, il est en route pour un autre monde, guidé par son compagnon de fortune. « Dead Man » est un film mystique, dans lequel les considérations plus ou moins ésotériques prennent le pas sur l’instinct de survie (Personne qui prend du peyotl, et qui conduit Blake dans un village bizarre ou des chamans prépareront Blake pour son dernier voyage en canoë).
Mais, tour de force de Jarmusch, « Dead Man » n’est pas un film prise de tête. Il règne toujours un humour noir féroce, voire sordide, avec des scènes totalement loufoques (Mitchum qui au lieu de s’adresser à ses interlocuteurs parle à un ours empaillé, Blake qui  à mesure que son état de santé empire devient un manieur de flingue redoutable, l’improbable trio de chasseurs de primes dont l’un dort avec son nounours mais qui finissent évidemment par s’entretuer et se bouffer réellement - on parle là de cannibalisme - entre eux, …)
Sans oublier les aphorismes, sentences et maximes diverses de Personne, qui valent bien celles que Godard distillait dans ses films des sixties. Au hasard (Balthazar), « On n’arrête pas les nuages en construisant un bateau », « Tu as tué l’Homme Blanc qui t’a tué ? » « Quel nom t’a-t-on donné quand tu es né, pauvre con de Blanc ? », chaque répartie de Personne est quasiment de l’Audiard dans le texte.
Personne & William Blake
On n’oubliera pas une grosse prestation de Johnny Depp, qui en plus de sa belle gueule est un grand acteur, faisant passer tous les sentiments et émotions possibles par d’infimes mouvements du visage (il est très souvent cadré en gros plan), et jouant l’ébahi blessé (sa dégaine à cheval !) engoncé dans un ridicule costard à gros carreaux avec un naturel bluffant. A moment donné il finit la frimousse barrée d’éclairs comme Bowie sur la pochette d’« Alladin Sane ». Transition facile avec la musique, parce que « Dead Man » bénéficie d’une bande-son extraordinaire due à Neil Young. Jarmusch a collé le Loner devant les rushes du film et lui a demandé d’improviser sur sa vieille pelle en fonction de ce qu’il voyait à l’écran. Cette prestation économe de notes mais toute en saturation et larsens divers contribue à accentuer l’aspect irréel et fantomatique du film … Et ces notes égrenées lentement sont tout à fait raccord avec le rythme très lent du film, parce que quand il est question de mourir, pas besoin d’y aller au sprint … Jarmusch a dû apprécier la prestation du Canadien, puisque l’année suivante il le suivra en tournée et en sortira le documentaire « Year of the Horse » (comme il est aussi fan d’Iggy Pop, il travaillera plusieurs années sur le « Gimme danger » censé être définitif sur la carrière des Stooges).
« Dead Man »  recevra un accueil mitigé, genre film incompris mais appelé à devenir culte. Pour moi, ç’est le chef-d’œuvre de Jarmusch, loin devant le très surestimé « Broken flowers » ou ses premiers essais pourtant magnifiques comme « Stranger than Paradise » et « Down by law » …



RIDLEY SCOTT - THELMA ET LOUISE (1991)

Un petit tour en Thunderbird décapotable ?

« Thelma et Louise » c’est l’histoire de deux mecs qui partent un weekend à la pêche …
Euh non, on la refait … C’est pas deux mecs, mais ça aurait pu. On a tellement l’habitude de voir des mecs dans ce genre de situation…
Ridley Scott face à Thelma & Louise
Louise (Susan Sarandon) est serveuse dans un diner de l’Arkansas. Elle a un mec cool, Jimmy (Bernie Madsen), un peu gauche, taiseux et fruste, qui sait pas trop comment s’y prendre avec elle, mais qui l’aime. Elle a aussi une copine, Thelma (Geena Davis), grande nunuche mariée à un crétin macho terminal, Darryl (Christopher McDonald). Pour se sortir de son train-train de burgers à la chaîne, Louise propose à Thelma une virée (la pêche est un prétexte), manière de se retrouver entre nanas, de s’éclater un peu en oubliant les deux plus ou moins lourdauds qu’elles doivent se fader au quotidien …
Avec un sujet pareil, tu fais un téléfilm fauché, obligatoirement fauché, de France 3 Limousin. Ou un putain de grand film. Parce que « Thelma et Louise » est un putain de grand film. Bon, y’a Ridley Scott à la caméra, ça aide. Le Ridley Scott de « Alien » et « Blade Runner », icelui même … Qui peut s’appuyer sur une merveille de scénario (Callie Khouri, qui obtiendra le seul Oscar attribué au film, alors que Scott, Davis et Sarandon étaient nommés).

Le génie de Khouri, c’est d’avoir fait d’une histoire a priori de mecs un film féministe. Certains sont allés plus loin, ayant voir dans « Thelma et Louise » une ode à l’homosexualité ( ? ), voire du sexisme à l’envers ( ?? ). Mais « Thelma et Louise » survole tellement de genres …
Un western moderne ? Affirmatif. On y voit, à la limite de l’anachronisme, un cowboy habillé comme il y a cent ans sur son canasson attendant devant un bar, la Thunderbird traverse à un moment un troupeau de vaches, la bagnole emprunte des chemins de travers(e) dans des flots de poussière, le premier bar où les deux nanas ont la mauvaise idée de s’arrêter ressemble à un saloon, la scène avec le camionneur obscène qui pense qu’il se va se taper les deux nanas, c’est filmé comme du Sergio Leone… Et que celui qui me dit que le plan final et l’issue fatale de « Thelma et Louise » ne sont pas calqués sur ceux de « Butch Cassidy et le Kid » se fasse connaître, il gagne un bon de réduction chez Ooooptic 2000 …
Un flic, Pitt & Keitel
Un road movie ? Affirmatif. Au moins la moitié du film se passe dans la Ford Thunderbird verte, qui part de l’Arkansas avant de terminer son périple en Arizona (le Grand Canyon du Colorado), en évitant soigneusement le Texas (on comprend pourquoi vers la fin). Parce que les autres héroïnes du film, non citées au générique, ce sont les highways du Sud des USA, et les paysages grandioses les entourant.
Un drame ? Affirmatif. Parce qu’il y a du sang, des larmes et des morts et que ça commence mal, et que ça pourrait assez bien finir, mais que ça finit (très) mal …
Une comédie ? Affirmatif. Parce Thelma est une gaffeuse candide qui n’en loupe pas une, que son type est une caricature de beauf, parce que les scènes en parallèle dans lesquelles Thelma et Louise font leurs valises nous montrent bien qu’il va y avoir choc de caractères … Parce que le braquage d’une épicerie par Thelma filmée par la vidéosurveillance contient un vocabulaire totalement lunaire pour la circonstance, parce que le braquage du flic par Thelma avec une Louise qui confond radio et autoradio n’engendre pas la tristesse … sans parler du rasta cycliste et la tête de Thelma après sa nuit folle au motel avec Brad Pitt (dans le rôle d’un jeune playboy détrousseur, rôle qui lancera sa carrière).
Et puis (surtout ?), il y a toutes ces scènes dont beaucoup se seraient pas encombrés et qui tirent le film vers le haut. Les personnages sont fouillés, on prend le temps d’expliquer pourquoi Louise, au début la plus calme et posée des deux, flingue un type qui la traite comme une pute, on a un long tête à tête entre Jimmy et Louise au milieu du film qui précise leurs deux personnages, on assiste à la lutte d’influence entre un brave flic qui veut éviter le pire (excellent Harvey Keitel, jusque-là confiné dans des rôles de brute) et les bourrins du FBI qui veulent régler l’affaire au plus vite et de préférence de façon expéditive …

Avec « Thelma et Louise », on en prend plein les mirettes. Parce que Scott sait tenir une caméra, ça on commençait à le savoir, et que sa référence c’est Kubrick, peut-être pas de façon aussi ostentatoire qu’à ses débuts, mais ça continue de se voir, avec ce sens du cadrage millimétré, et ce soin maniaque apporté à la lumière et aux éclairages.
Et s’il ne fallait qu’une raison (ou une preuve) pour montrer qu’on a affaire à un film majeur, il y a dans « Thelma et Louise » la meilleure utilisation jamais faite de « The ballad of Lucy Jordan » de Marianne Faithfull dans une B.O., et Dieu sait cette chanson a été utilisée dans le cinéma. Là, raccord avec un trajet nocturne (comme d’hab lorsqu’on s’en sert), mais avec les paroles totalement en phase avec la situation de Thelma et Louise (en gros la crise mélancolique de la quarantaine). Sans pour autant zapper le reste de la partition musicale (Hans Zimmer, pas exactement n’importe qui), avec un autre raccord parfait (le rasta cycliste, complètement envapé avec son joint XXL qui écoute – évidemment – le « I can see clearly now » de Johnny Nash) …
Version Blu-ray du 20ème anniversaire superbe, netteté absolue, malgré le commentaire du film par Ridley Scott non sous-titrée.

Du même sur ce blog :
Robin des Bois



ARTHUR PENN - BONNIE & CLYDE (1967)

Et bien écoutez l'histoire de Bonnie and Clyde ...

Clyde a une petite amie, elle est belle et son prénom c’est Bonnie … Gainsbourg avait une petite amie, elle était belle et son prénom était Brigitte … et elle fermait sa gueule à l’époque, causait pas écologie ou politique … N’empêche le tombeur moche lui a écrit une putain de bien belle chanson, inspirée par un film américain.
Beatty, Dunaway & Arthur Penn
Juste retour des choses … A l’origine du film, deux jeunes scénaristes du pays de l’Oncle Sam,  Robert Benton et David Newman, inspirés par un bouquin historique sur un gang de braqueurs ayant sévi une petite poignée d’années dans le sud-est américain au début des années 30. Gang constitué d’un ramassis de bras cassés parfois juste de passage, mais responsable de quelques drive-by-shootings sanglants sous la conduite d’un couple de jeunes délinquants, Bonnie Parker et Clyde Barrow. Problème, un tel scénario a peu de chances d’aboutir dans l’Amérique du milieu des années 60, réactionnaire et engluée dans le conflit du Viet Nam autour duquel la nation est censée se fédérer dans un respect strict de valeurs saines et patriotiques.
La première mouture du scénario est inspirée par les films de la Nouvelle Vague française. Benton et Newman voient bien Truffaut ou Godard derrière la caméra. Truffaut est contacté, étudie l’affaire, et décline. Un peu plus tard, il rencontre un peu par hasard Warren Beatty, lassé de jouer les play-boys neuneus et qui entend désormais produire les films dans lesquels il joue pour donner une autre image de lui. Beatty est intéressé et va chercher à monter le film aux Etats-Unis. Il lui manque à peu près tout : un réalisateur, un casting, et une distribution qui accepte de compléter la partie financière.
Tous ceux qu’il va contacter vont y aller à reculons. Arthur Penn, avec qui Beatty a tourné récemment (dans « Mickey One », un joli bide), qui est vaguement intéressé mais verrait bien Bob Dylan dans le rôle de Clyde. La jeune Faye Dunaway, au physique plutôt grassouillet qui se voit prescrire un régime pour avoir le rôle et n’aime guère Beatty. La Warner qui veut prendre les bénefs s’il y en a, mais ne veut pas essuyer les plâtres en cas d’échec commercial …
Un casting qui a de la gueule ...
La situation sera souvent tendue, humainement et financièrement. Le producteur et l’acteur auront des discussions interminables pour quasiment toutes les scènes, ce qui gavera passablement le reste de l’équipe et du casting. Il faudra pas se louper, pas refaire cinquante fois la même prise (pour la fusillade finale, il n’y a que deux voitures à cribler de balles, donc deux prises, et la première ne sera pas évidemment pas la bonne …). Sans compter Benton et Newman qui bataillent avec Beatty et Penn pour que leur scénario ne soit pas dénaturé. Par exemple, pour eux Clyde Barrow est bisexuel. Il est finalement hétéro impuissant dans le film, mais Bonnie et Clyde ont toujours comme compagnon de chambre Salomon (Michael J. Pollard, qui décroche là le rôle de sa vie). Penn doit également composer avec son chef opérateur, Burnett Guffey, un vieux de la vieille qui déteste tout ce qu’on lui demande de faire, mais récoltera un Oscar pour son boulot …
Il faut dire que « Bonnie & Clyde » est un film novateur. Le couple tueur de flics est glamour, sympathique, drôle et attachant, alors que le cinéma, code Hayes oblige, n’a pas du tout l’habitude de présenter les truands de cette façon. Sans parler de la sexualité équivoque de Clyde, d’une p’tite pipe bien suggérée lors d’une scène, et d’une conception du braquage de banques quasi communiste (on pique le pognon aux banquiers parce qu’on est pauvre et que c’est à cause d’eux, voir la scène du paysan exproprié qui dégomme les vitres de sa ferme, ou du plouc en train de déposer quelques billets à une banque que Clyde lui dit de remettre à la poche).

Le film est assez loin de la vraie histoire de Bonnie & Clyde, à tel point que quelques membres des familles Barrow et Parker intenteront des procès (une fois le succès commercial – qui fut long à se dessiner – acquis). Il n’en demeure pas moins que le « Bonnie & Clyde » de Penn fait partie de ces œuvres qui font date, qui vont marquer leur époque. Témoin l’anecdote de Faye Dunaway, stupéfaite lors de la tournée promo en Europe (où le film a tout de suite bien démarré) de ces troupes de filles longilignes fringuées rétro et coiffées d’un béret. Parenthèse, si le cinéma s’est souvent inspiré de « la rock attitude », ça a quelques fois fonctionné dans l’autre sens. Il suffit de voir les photos de Joni Mitchell ou Rickie Lee Jones dans les seventies pour savoir qu’elles ont longuement disséqué le look de Bonnie / Faye Dunaway …
Parce que la Dunaway, elle crève l’écran … et pas qu’un peu … dès la première scène, où elle s’emmerde ferme, mais à poil, ce qui change tout pour le spectateur, dans sa chambre avant de s’intéresser au petit manège de Clyde qui essaie de piquer la bagnole de sa mère, on  peut dire qu’un sex symbol est né (là non plus, pas un hasard si une certaine Deborah Harry en tentera dix ans plus tard une imitation, plutôt convaincante il faut dire, au sein de Blondie …). Si Clyde est davantage dans l’action, c’est Bonnie qui dirige et influence ses actes, elle est pas la poule du gangster, mais son alter ego … A côté de la Dunaway, Beatty par une sorte d’effet radioactif, livre ce qui est certainement sa meilleure prestation devant une caméra.
D'après une vraie photo de Bonnie Parker ...
Et le reste du casting est à l’avenant. Composé essentiellement de seconds ou troisièmes couteaux (budget serré), il révèle une  superstar en devenir (Gene Hackmann en frère un peu neuneu de Clyde) et offre un premier rôle pour une courte apparition à Gene Wilder. Plus expérimentée est Estelle Parsons, en belle-sœur hystérique de Clyde, prestation furieuse qui lui rapportera le second Oscar que glanera le film (une relative déception, alors que les pronostics prévoyaient à « Bonnie & Clyde » une véritable razzia de statuettes…).
Arthur Penn en profitera aussi pour donner un second souffle à une carrière jusque-là quelconque et poussive (« Little Big Man » est à venir). Parce que « Bonnie & Clyde » est un film spectaculaire, violent, novateur (les impacts de balles et les giclées de sang sont commandés par tout un tas de fils qui donnent un effet réaliste jamais atteint jusque-là). Les costumes, pas vintage mais inspirés de ceux de l’époque, sont superbes, la reconstitution du Texas et des états avoisinants crédible (si la fusillade finale a été tournée en Californie, tout le reste est en « décors naturels », Penn ayant été stupéfait de découvrir  que sans rien toucher, les petits patelins du milieu des années 60 étaient identiques à ce qu’ils furent trente ans plus tôt).
Même la « gauche » américaine (oxymore) a vu dans « Bonnie & Clyde » une critique sociale et économique de l’Amérique des années 30, traumatisée par la crise de 1929, qui généra des millions de types pauvres et ruinés …
Enfin, de là à imaginer Sophia Chikirou et Jean-Luc Mélenchon en Bonnie & Clyde contemporains …