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MAZZY STAR - SEASONS OF YOUR DAY (2013)

Amazing ...
Quand on pense à ce que sont devenus les héros-triomphateurs des mornes années 90 (quelqu’un pour prendre la défense des derniers disques de Björk, Radiohead, Massive, Smashing Machins ou Oasis ?), on se dit que certains avaient bien fait de disparaître de la circulation, en laissant derrière eux des disques intéressants. Mazzy Star n’a jamais eu la notoriété et le poids commercial des mammouths suscités, mais ils avaient quitté la scène du grand rock’n’roll circus sur une triplette de bons disques.
Et voilà que près de vingt ans après leur dernier skeud (« Among my swan », bon cru du millésime 1996), ils remettent çà. Bon, le groupe n’est pas très difficile à réunir, ils ne sont vraiment que deux. David Roback, au long passé indie-rockeux (il avait commencé dans Rain Parade, ce qui ne rajeunit personne, et surtout pas lui) et Hope Sandoval, voix éthérée sortie d’on ne sait quels limbes, plus connue par ici grâce à une pub pour Air France (« Asleep from day », musique des Chemical Brothers), ou pour avoir été un temps la compagne du bougon boutonneux William ( ? ) Reid, des fabuleux Jesus & Mary Chain.

Forcément, un disque dont on n’attend rien et même pas la parution ne risque pas d’être décevant. Mais là, comme ça, sans avoir pris la peine de réécouter ceux d’avant (je sais c’est pas bien, mais je m’en fous), je dirais que c’est leur meilleur. D’abord, ceux qui caressaient l’espoir que Hope (joke, on rit) aurait conservé sa voix unique seront ravis, on la reconnaît dès la première mesure, et c’est toujours un enchantement.
« Seasons … » à première écoute a tout d’un disque monolithique. On savait le groupe peu enclin à développer des chants de fin de banquet, donnant plus volontiers dans le morose plutôt que dans le rose. La base de Mazzy Star, c’est du folk, qui se teinte parfois de (country)-rock tout en retenue. Résultat, on se retrouve avec un disque totalement hors du temps, qu’on pourrait croire sorti en 1973 et qui ne sonnera pas démodé dans quatre décennies. Passent à mesure que défilent les titres les ombres et souvenirs de Nick Drake (« California », « Sparrow »), Joni Mitchell ou Joan Baez (« Seasons of your day »), du Band quand ils moulinaient derrière les grands disques de Dylan (« In the kingdom »). Bien sûr, un peu partout, quand un fond noisy et bourdonnant vient parasiter la fragilité des mélodies, c’est le Velvet Underground chéri du groupe qui remonte à la surface (« Common burn » et « Spoon », réminiscents des ballades mortifères de la bande à Lou Reed).
Mais finalement, le nom qui revient le plus souvent à mesure que défilent les titres, c’est celui, pourtant assez inattendu, de Ry Cooder. « Seasons … » est une véritable ode à la slide guitar, Roback en met partout, prenant plaisir à étirer ces notes métalliques traînantes, et on pense alors très fort à Nastassia Kinski et son pull-over rouge dans « Paris, Texas ». Et puis, pour en rajouter encore une couche dans le côté rustique et intemporel, de l’harmonica vient parfois se mêler à cette fête sonore.
Sur dix titres, seuls deux sont un peu plus rythmés, le classique country-rock de « Lay myself down » et le très beau et surprenant final (« Flying low »), qui évoque très fortement « The Rover » de Led Zep, un « The Rover » joué un petit matin blême avec une gueule de bois carabinée…

L’automne et la grisaille arrivent. « Seasons of your day » en est la bande-son idéale. Et ce disque est tellement bon qu’il pourrait même passer l’hiver …


BOB DYLAN - SUBTERRANEAN HOMESICK BLUES (1965)

Deux Dylan pour le prix d'un ...
« Subterranean … », il s’appelait à sa sortie « Bringing it all back home ». Pour une raison qui m’échappe et dont je me fous, les deux titres sont indifféremment employés. Le contenu est dans les deux cas rigoureusement identique, les onze même morceaux.
« Subterranean … », c’est un des disques les plus importants, les plus cruciaux des années 60. Aussi un des plus importants et cruciaux de Dylan. « Subterranean … » marque un changement radical dans la façon d’utiliser le support du 33 T. Jusque-là, ces grosses rondelles de vinyle ne servaient qu’à refourguer des titres vite bâclés, organisés autour d’autres déjà parus sous forme de 45T ou de Ep 4 titres. Le succès du 33 T dépendant très fortement de celui acquis précédemment par les morceaux déjà parus. Le 33 T n’était pas envisagé comme une œuvre en soi, mais comme une juxtaposition de titres.

Musicalement, « Subterranean … » est conceptuel. Une face électrique et une face acoustique. Les titres électriques sont déterminants dans la carrière de Dylan. Mais également pour beaucoup d’autres. On entend dans « Subterranean … » un type qui est considéré comme un maître d’un genre (le folk « à textes » avec juste guitare en bois et harmonica), utiliser de la musique venue d’ailleurs (du rock au sens large). Personne, parmi les stars déjà établies (Beatles et Stones au hasard) ne s’était hasardé à çà. Quand on tient le succès avec une formule, on la perpétue, on n’expérimente pas. Dylan s’en foutait un peu de tout ça, malgré sa réputation en béton, il ne vendait guère, ses titres obtenant beaucoup plus de succès quand ils étaient chantés par d’autres. Dernier exemple en date, des fans californiens du Zim, réunis sous le patronyme de Byrds, venaient de claquer un numéro un national avec la reprise d’un titre de lui pas encore paru sous son nom, « Mr Tambourine Man ». Juste en insistant sur le côté mélodique et en incluant des instruments électriques. L’histoire (ou la légende) prétend que c’est l’écoute de la version des Byrds qui aurait poussé Dylan à virer électrique.
1ère de photo de Dylan avec une guitare électrique : 17 Juillet 1965 Newport ?
Des requins plus ou moins anonymes sont embauchés, on se met tous dans le studio, on joue ensemble, « 1,2,3,4 » et c’est parti. On sent que « Subterranean … » est enregistré dans l’urgence, que tout n’est pas maîtrisé. Sur « Bob Dylan’s 115th dream », un énorme fou rire saisit Dylan après un false start comme on dit dans les notes de pochette, ça a été conservé. Dylan ne maîtrise guère le fait de jouer avec un « groupe de rock », il doit lui sembler que tant de vacarme va le faire passer au second plan, alors il hurle littéralement ses textes. Sur le plan strictement musical, il n’y a rien de révolutionnaire en soi, ça mouline gentiment, d’une façon quasi austère (les deux boogies du disque, « Outlaw blues » et « On the road again » - rien à voir avec le titre homonyme de Canned Heat quoi que … - feraient justement passer l’intégrale de Canned Heat pour un manifeste de rock progressif). Cependant, le disque sera assez mal perçu, Dylan sera accusé d’avoir « trahi » la cause du folk pur et dur dont il était le héraut. Dans le meilleur des cas, cette première face de disque électrique sera considérée comme une parenthèse mal venue (les quatre titres acoustiques auraient pu se retrouver tel quels sur n’importe lequel de ses 33T précédents). La suite de l’aventure sera sans équivoque. Dylan va embaucher un jeune guitariste de rock virtuose, Mike Bloomfield, enregistrer un disque quelques semaines plus tard, uniquement électrique, « Highway 61 revisited », et se lancer dans une tournée tous potards sur onze avec une bande de graisseux venus du rock’n’roll tendance garage, les Hawks, anciens accompagnateurs de Dale Hawkins (l’auteur de « Suzie Q »), qui deviendront The Band. Dylan monte dans le train de l’histoire en marche et accélère la locomotive …
Si « Subterranean … » ne peut être considéré comme le meilleur disque de Dylan, surtout à cause d’un backing band sous-mixé et qui sonne baloche, c’est malgré tout pour moi son plus important, celui qui fait exploser toutes les lignes et les chapelles musicales de l’époque. Si l’on enlève les deux boogies déjà cités, restent neuf morceaux qui sont absolument tous des classiques de Dylan (le morceau-titre, « She belongs to me, « Maggie’s farm », « Love minus zero », « Bob Dylan’s 115th dream » pour la face électrique, plus les quatre acoustiques « Mr Tambourine Man », « Gates of Eden », « It’s alright, Ma », « It’s all over now, Baby Blue »). Autant dire qu’avec les musiciens de « Highway … » ou « Blonde … », il n’aurait rien à envier à ces deux-là …
« Subterranean homesick blues » est le premier classique tout-terrain de Bob Dylan, et malgré la bonne trentaine d’albums qui a suivi, reste pour moi dans le quintet majeur de sa carrière …

A noter pour les amateurs de symboles et fétichistes divers que la pochette est un vaste puzzle regorgeant de détails (la femme en rouge, les mags, les pochettes de disques, …) sur lesquels les fans du Zim se sont abîmé les yeux et creusé les méninges …

Du même sur ce blog :

BOB DYLAN - OH MERCY (1989)

Le disque à Lanois ...
N’en déplaise aux fans (il en faut, mais leur avis ne vaut rien, ils ne sont pas lucides), depuis sa doublette ô combien magique du milieu des sixties (« Highway 61 revisited » / « Blonde on blonde »), Dylan n’avait sorti en cette fin des 80’s que deux disques dignes de sa réputation (« Blood on the tracks » en 1975, « Infidels » en 1983) … sur au moins une vingtaine de parutions tant en live qu’en studio. Ce qui fait pas une bonne moyenne.
En gros, Dylan était à la rue artistiquement. Il s’en foutait peut-être, il s’en foutait sûrement, mais il était out. Pire, à part des folkeux attardés dans un autre espace-temps, genre Billy Bragg, plus personne débarquant dans le trouble marigot du music-business ne le citait. Ses deux dernières parutions, « Down in the groove » en studio et le live « Dylan & The Dead » avaient été deux flops tant critique que commercial retentissants. Dylan, pas plus sourd ni plus con qu’un autre, le savait. Et comme souvent quand il se sent largué, il va tenter un coup de poker. Va se livrer pieds et poings liés (enfin, pas aussi facilement, les premières prises de contact et séances d’enregistrement ont soi-disant été houleuses) à un jeune producteur canadien, Daniel Lanois, alors sur un nuage. Lanois vient de produire des disques qui ont démesurément cartonné pour Peter Gabriel (« So ») et U2 (« Joshua tree »), bosse sur le « Yellow moon » des Neville Brothers (c’est pendant les séances de ce disque que Dylan viendra l’observer et en profitera pour recruter quelques musiciens). Lanois, c’est le type à total contre-courant de la tendance des 80’s. Non pas qu’il n’utilise pas toutes les technologies high-tech, mais il s’en sert juste pour sonner « rustique ». Les disques produits par Lanois donnent la priorité au feeling et aux instruments en bois.
Daniel Lanois fin des 80's
« Oh mercy » va être salué comme le disque de la (énième) renaissance de Dylan. Lanois y est certes pour beaucoup (il joue aussi, surtout de la guitare sous toutes ses formes, sur pratiquement tous les titres). Mais il faut aussi reconnaître à Dylan le mérite d’avoir sorti on ne sait trop d’où ni comment un paquet de compositions qui tiennent la route.
« Oh mercy » est un disque qui fait semblant de se chercher, d’hésiter entre deux directions. Les quatre premiers titres présentent en alternance des ballades folk d’inspiration très 60’s (« When teardrops fall », « Ring them bells ») et des choses beaucoup plus chaloupées, remuantes, swinguantes, le groove New Orleans revisité par Dylan (l’inaugural « Political world », « Everything is broken »). Le lien entre les deux tendances est assuré par la mise en place sonore de Lanois, ça sonne cool, tranquille, apaisé, la jam à la belle étoile à côté d’un feu de camp, asseyez-vous en cercle, Papy Dylan va vous en raconter une bonne … Le côté « funky » (même si Dylan et funky sont antinomiques, Dylan est tout sauf funky) ne réapparaîtra qu’à l’avant-dernier titre (« What was it you wanted », avant un final (« Shooting star ») plutôt rock (mais le rock revisité par Lanois, c’en est pas vraiment) très dans le son et l’esprit de « Infidels ».
Le cœur de « Oh mercy », c’est la ballade folk tranquille, Dylan retrouve d’ailleurs souvent son harmonica. C’est du Dylan, on peut pas se tromper, mais il y a un aspect détendu peu fréquent chez lui. C’est aussi (le boulot de Lanois est colossal) une façon de chanter, de faire reposer les titres sur sa voix, à laquelle on n’était pas habitué. Dylan, qui n’a jamais eu une voix agréable, et qui se complaisait dans les tonalités (per)sifflantes, arrogantes, commence à avoir cette sonorité très rauque assez pénible qui ne le quittera désormais plus. Là, sur ce « Oh mercy », il n’hésite pas à la mettre en avant. De toutes façons, il a pas vraiment le choix, l’instrumentation est souvent limitée à sa portion la plus congrue, et ça se joue à rien : « What good I am » pour moi ne « passe » pas, la voix de Dylan ne s’appuie sur pratiquement rien, elle agit comme un repoussoir. Il suffit de pas grand-chose (des arrangements d’orgue, un petit solo de guitare bluesy à l’arrière plan) pour qu’un titre très voisin (« Disease of conceit ») apparaisse beaucoup plus réussi.
Et puis, il y a deux titres somptueux, « Man in the long black coat » (la ballade a minima hors d’âge, ça a l’air tout con, beaucoup s’essayent à ce genre d’exercice, peu le réussissent), et « Most of the time » (mélodie calée sur une superbe ligne de basse et des nappes de synthé, c’est évident et original en même temps). Le genre de titres en état de grâce que l’on croyait ne plus entendre de Dylan.

On le sentait à nouveau concerné, capable de refaire de bons disques, les fans y ont cru dur comme fer. Ce sera pour lui l’occasion de partir dans une fuite sans fin en avant (en avant, hum … pas toujours, malheureusement) pour le bien nommé « Neverending Tour », Dylan n’envisageant plus l’avenir que façon baladin (son job c’est être sur une scène quasiment tous les soirs et chanter, jusqu’à ce que mort s’ensuive, et ça fait vingt-cinq ans que ça dure). Par contre dans sa discographie, ce très bon « Oh mercy » restera sans suite digne de ce nom dans les 90’s, avant un virage folk-blues qui n’en finit plus de diviser les dylanmaniacs entamé par « Time out of mind » (moi j’aime bien voire plus, mais comme je suis pas fan de Dylan, mon avis compte pas non plus …).

Du même sur ce blog :


TOWNES VAN ZANDT - TOWNES VAN ZANDT (1969)

50 nuances de noir ?
Curieux cas, que celui de Townes Van Zandt (rien à voir avec le grassouillet court sur pattes qui chantait dans Lynyrd Skynyrd, ni avec le Soprano à bandana guitariste du député du New Jersey). Un type ignoré royalement de son vivant et maintenant célébré comme la huitième merveille du Monde (ou des 60’s –70’s, ce qui revient à peu près au même). Bon, faut relativiser tout çà. Même s’ils oeuvrent dans des genres quasiment  similaires, Townes Van Zandt n’est pas Bob Dylan. Mais ce n’est pas non plus un baltringue folk à la Richie Havens, dont la mort a été annoncée avec figure de circonstance par Pernaut à son JT, alors qu’absolument tout le monde avait oublié son existence depuis son passage braillard et improvisé à Woodstock.
Townes Van Zandt a du talent, c’est sûr. Un talent qui n’a pas besoin du sempiternel couplet sur l’ivrogne introverti qu’on ressert systématiquement dès qu’on l’évoque. En a t-il plus que d’autres oubliés de cette décade folk prodigieuse (en gros 63-73), tous ces Fred Neil, Tim Hardin, Bill Fay, Pete Seeger, Gene Clark (pour les Amerlos), Bert Jansch, John Renbourne, Nick Drake, John Martyn, Richard Thompson (pour les Angliches) ? Débat ardu dans lequel je ne m’aventurerais pas. En tout cas, quelles que soient ses qualités, il me semble à un niveau inférieur à toutes les têtes d’affiche de l’époque, les Dylan, Cohen, Donovan, Stevens.

Van Zandt est un folkeux dépressif (pas forcément un pléonasme), et beaucoup s’accordent pour dire que ses textes sont parmi les plus sombres jamais mis en musique. Le bonhomme vit le plus souvent reclus, quasi dans le dénuement, alors qu’il vient d’une famille très aisée, et ses compagnes les plus fiables seront sur la durée bouteilles (beaucoup) et poudres blanches (un peu). C’est aussi un compositeur de talent, ses musiques sont d’une pureté et d’un classicisme que beaucoup ont cherché à atteindre sans y réussir.
Ce « Townes Van Zandt » est son troisième disque. 33 T et conçu comme tel. Avec ses deux faces bien distinctes. La première est une épure folk. La guitare acoustique jouée en finger picking de Van Zandt est omniprésente, on sent (même sans comprendre forcément les paroles) dans la voix triste toutes les fêlures et brisures de l’homme. Et même quand l’instrumentation s’étoffe, ça reste austère, linéaire. Mais évident de talent. Curiosité et signe du perfectionnisme de Van Zandt, trois titres de ce « Townes Van Zandt » étaient déjà parus sur son premier disque, dont « The sake of the song », le plus « fini », le plus élaboré qui ouvre les hostilités. Une face de vinyle qui débutée de façon quasi guillerette (quoi que) et s’achève par le morceau le plus noir, le plus austère, « Colorado girl ».
La seconde face se teinte de country (une des références « antiques » de Van Zandt est Hank Williams, avec lequel il a bien des points communs, l’anxiété noyée dans l’alccol étant le plus évident), sonne «  contemporain ». Elle débute par « Lungs », country-rock décharné, avant coup sur coup d’aligner deux titres très dylaniens (le petit frisé est la référence « moderne » de Van Zandt). « I’ll be here in the morning » (un autre des trois titres réenregistrés) utilise par moments la même grille d’accords que « I want you » de « Blonde on blonde », et fait figure dans le contexte de titre enjoué, bien qu’étant nettement moins sautillant que son modèle évident. Autre dylanerie « Fare thee well … », tellement bien faite qu’on croirait que c’est le Band qui mouline derrière. Dernière auto-reprise « (Quicksilver daydream of) Maria » est pour moi la masterpiece, classique instantané, et le titre le plus enlevé (ou plutôt le moins sombre) du disque. Qui se conclut sèchement (on ne se refait pas) par la tristesse austère et dépouillée de « None but the rain ».
On l’aura compris , « Townes Van Zandt » n’est pas franchement un disque pour faire tourner les serviettes. Mais c’est ce style sombre qui est indissociable de l’aura d’artiste « maudit » qui entoure la carrière de Van Zandt. Auteur-compositeur pour auteurs-compositeurs, il n’obtiendra (la cherchait-elle d’ailleurs, rien n’est moins sûr) jamais de son vivant (il est mort en 97) une reconnaissance populaire significative. Mais son œuvre sombre et pessimiste continue de traumatiser des générations de gens sombres et pessimistes (ceux qui l’ont le plus cité doivent être les Ecossais de Tindersticks, qui n’ont rien de comiques troupiers).

Un disque à ranger pas très loin de ceux d’Harry Nilsson, les deux hommes, même si leur musique n’a rien de commun, ayant eu une approche artistique très similaire, et une façon d’appréhender l’existence quasi identique … 

VAN MORRISON - MOONDANCE (1970)


Il a demandé à la Lune ...

Rares sont ceux qui ont quitté un groupe relativement connu, ont changé assez radicalement leur style musical, et rencontré un succès supérieur. Même si Van Morrison n’a jamais été un gros vendeur …
Irlandais, chanteur au tempérament et au gosier de feu des Them, performance incandescente sur « Gloria », un des près fameux titres des sixties (et qui près de cinquante ans après les faits, est toujours une planche de salut en concert pour les groupes avec un répertoire personnel un peu mou du genou), Van Morrison envoie bouler ses potes, quitte le London pas encore tout à fait swingin’ pour New York. Là, un premier hit « Brown eyed girl », des séances qui n’aboutissent à rien (les bandes sortiront des décennies plus tard). Van Morrison va jouer son va-tout, faire une croix sur tout plan de carrière, tourner le dos au rock et au rhythm’n’blues, et enregistrer avec les moyens du bord et un groupe de jazzeux de studio « Astral weeks », que l’on retrouve vers le haut de toutes les listes des meilleurs disques de tous les temps. Perso, « Astral weeks », avec son joli hermétisme musical dont se délectent les gens prétendus de bon goût me gave assez vite, ça m’accroche pas trop.
« Moondance », on y vient, est le disque suivant. Qui reprend peu ou prou les mêmes recettes, mais avec des musiciens différents, des titres plus concis et une production de Van the Man himself. Moins mignon et plus direct en somme… La poésie onirique de « Astral weeks » se voit traversée par un souffle lyrique qui emporte tout, le jazz, le blues, la soul, le rhythm’n’blues, le rock … Autant pour moi « Astral … » est un disque froid, « éteint », autant « Moondance » est un brasier dans lequel Morrison se consume et nous consume … sans faire rugir guitares et Marshall, sans gueuler comme au temps des Them … pas de technique, pas de physique, du feeling …
Pour moi, il n’y a rien qui arrive à la cheville de « Moondance » dans l’œuvre de Morrison, et pas grand-chose chez la concurrence. Il y a tout dans « Moondance ». La voix qui arrive dès la première seconde du premier titre « And it stoned me ». Une voix facile, toute en retenue et nuances, avec en filigrane une puissance phénoménale en réserve. Les compositions, toutes signées du seul Morrison. De l’écriture dans une sorte d’état d’apesanteur ou d’état de grâce, comme on veut. On passe des ballades éternelles (« Crazy love », la perfection faite chanson, « Brand new day », le « Whiter shade of pale » de Van Morrison, le côté pompier de Procol Harum en moins) aux vapeurs jazzy de « Moondance » le titre, aux parfums baroques de « Everyone », au rhythm’n’blues de « Caravan » sur lequel Van Morrison lâche les watts vocaux au refrain. Il se dégage du disque une impression de calme, de majesté, de fausse simplicité (ça fourmille de trouvailles et d’arrangements).
« Moondance » est totalement anti-commercial, ne se rattache ni ne suit aucune mode (un seul titre « léger », enjoué et sautillant, « Glad tidings »). On y trouve par contre toute la ferveur religieuse et mystique de cette terre d’Irlande qu’a quittée Morrison, sur « Come running » et ses intonations gospel, et surtout sur le sommet de ce disque (et même de la carrière de Morrison ») qu’est le fantastique « Into the mystic », le genre de titre qui rend obsolète tous les machins celtiques enregistrés par tous ces bardes à la petite semaine qui nous les brisent avec leurs binious, leurs renards et leurs belettes …
Tout à fait logiquement, l’audience de ce disque sera famélique, Van Morrison, à l’humeur ronchonne légendaire, n’étant de plus guère enclin à participer à un cirque promotionnel quelconque. Il reste aujourd’hui un des derniers dinosaures en activité, même si sa production a fortement baissé en qualité et originalité depuis le milieu des années 70. Et sans jamais rien qui atteigne le niveau d’exception de ce « Moondance » … 

Du même sur ce blog :

JACCO GARDNER - CABINET OF CURIOSITIES (2013)


Génération psyché ...

Tout le monde (enfin, ceux que ça intéresse) connaît ces disques devenus mythiques de la fin des 60’s, œuvres de types bien bariolés dans leur tête, toujours cités comme fabuleux, et que personne, à l’époque comme plus tard, n’a jamais acheté. Et donc les deux exemples les plus connus doivent être le « Odessey and oracle » des Zombies et le « Walk away Renée » des Left Banke, condamnés au « culte » perpétuel derrière « Good vibrations », « Sgt Peppers », « Forever changes », les 1er Floyd, Hendrix, Doors, Airplane, … Et régulièrement, des hordes de types avec des fleurs dans leurs cheveux en bataille remontent au front en vue d’écrire une nouvelle page de cette pop psychédélique qui les fait fantasmer. Sauf exception, dans l’indifférence un peu générale …
Dernier en date : l’Australien Kevin Parker et son Tame Impala de (faux) groupe. Encensé à juste titre ces temps-ci. Bon, ben oubliez-le, le gars dont au sujet duquel je vais vous causer vient de sortir un disque insensé. « Cabinet of curiosities » il s’appelle le skeud, et le gars en question, Jacco Gardner, vient des improbables Pays-Bas. Improbables quoi que … Cet étrange morceau de terre plus bas que la mer, réputé pour ses habitants à vélo, ses champs de tulipe, son Ajax d’Amsterdam et ses coffee-shops a toujours eu la fibre anglophile. Et donc, dès les sixties, alors que chez nous on s’extasiait sur Sylvie Vartan et Richard Anthony, les Bataves avaient des groupes locaux qui n’avaient rien à envier aux anglais adeptes d’un rock garage énervé, genre Q65 ou Oustsiders. Et aujourd’hui, qui retrouve t-on derrière ce Jacco Gardner ? Un vieillard, Jan Audier, qui a bossé comme ingé-son derrière les mythiques Q65. Pour que la légende soit plus belle, le sieur Gardner fait croire que Audier n’avait pas mis les pieds dans un studio depuis 40 ans, ce qui est faux, il participait de temps à autre à l’enregistrement ou la production de disques.
Jacco Gardner donc. Pas encore 25 ans. Des débuts dans un duo folk électrique (bâillements). Et puis avec l’aide du septuagénaire Audier, ce « Cabinet of curiosities ». Dont la pochette intrigue. Un enfant blond avec un ciré rouge (« Don’t look now », le film de Nicholas Roeg ?) perdu dans une forêt luxuriante où se cache une girafe bleue (« Avatar » ?). Je sais pas quels genres de films il se passe dans sa tête, mais en tout cas son disque sonne comme un flash-back pour continuer dans l’allusion cinématographique.
Compteurs bloqués circa 1967. Encore un, diront les ronchons. Qui auront tort. Celui-là, je sais pas si c’est le bon, mais en tout cas, c’est un bon. Qui ne récite pas ses gammes psychédéliques comme tous les autres, s’appliquant à recopier leurs modèles. Non, lui il sonne comme l’élève récitant sa leçon et qui se hisse au niveau des antiques maîtres, comme s’il était le contemporain de Brian Wilson, Arthur Lee et Syd Barrett. Surtout Syd Barrett. Il est fan du mangeur de space cakes du premier et inégalé disque du Floyd et de ses erratiques disques solo bricolés, et ça s’entend. Mais pas trop. Gardner semble assez doué pour ne pas se ridiculiser à plagier « Lucifer Sam ». D’ailleurs il est pas très rock, Gardner. Plutôt pop et folk. Nombre de titres, en gros la moitié, commencent par des arpèges de guitare acoustique, et dévident le genre de mélodies que ne renieront pas fans de Paul Simon, Donovan ou Nick Drake. Le restant, c’est de la chanson pop haut de gamme qui va lutter sur le même terrain que des « Alone again or », « Wouldn’t it be nice », « Lucy in the sky … », « Time of the season », … Même s’il apparaît totalement improbable que les titres de ce « Cabinet … » fassent des hits. Pas exactement le genre de choses susceptibles d’intéresser les sourds qui trouvent génial le patapouf coréen et son style gnangnan …
Et pourtant, qui ces jours-ci est capable d’écrire avec ce son délicieusement vintage (cette batterie qui n’est pas putain de compressée et mise tout en avant est un régal, on dirait que c’est Ringo Starr ou Hal Blaine qui en jouent, ce son de claviers (en fait des samples de Mellotron), cette voix aérienne doublée et chargée d’écho, …) une douzaine chansons originales dans tous les sens du terme dont aucune, je dis bien aucune, n’est à zapper ? Répondez pas tous ensemble …
C’est « dans l’esprit », et totalement original à la fois. Tout au plus peut-on noter sur l’intro de « The Riddle » un gimmick entendu sur « Good vibrations », ou cette montée de la batterie sur le refrain de « Chameleon » qui ressemble au rythme du « White rabbit » de l’Airplane. Pour le reste, le Gardner a trouvé des mélodies irréelles, des constructions simples mais magiques, déjà perceptibles sur les deux singles (« Clear the air », « Where will you go ») de l’année dernière repris sur ce Cd, et qui avaient commencé à alimenter le buzz.
Vu l’état actuel du « marché » et du « public », il serait surprenant que Jacco Gardner vende des disques par millions, fasse un hit (bien que « Help me out » dans un monde idéal devrait squatter le haut des charts). Il est trop à l’écart des modes et tendances, tellement « ailleurs » dans un univers intemporel où seuls les très grands ont su se hisser dans leurs meilleurs moments.
D’ailleurs, d’une façon peut-être prémonitoire et en tout cas lucide, il envisage plutôt de se tourner vers la production des disques des autres que de continuer à en sortir sur son propre nom. Il ne reste plus qu’à espérer qu’il change d’avis, car là, il a pondu un truc tellement fantastique que ça mériterait bien une suite … 

Du même sur ce blog :

NEIL YOUNG - AFTER THE GOLD RUSH (1970)


Une pépite ...

Neil Young doit avoir le don d’ubiquité. Pour le même prix, vous pouvez tomber sur un disque du Roi des hippies (« Harvest » au hasard), ou sur un du Parrain du rock lourd (« Ragged glory » tout aussi au hasard). Sachant que la plupart du temps vous risquez de vous retrouver avec un mélange des deux.
« After the gold rush » est le troisième disque en solo de Neil Young, paru juste après sa collaboration à (très gros) succès avec Stills et les deux boulets Crosby et Nash. La pochette est sombre, le contenu un peu moins. Triste et mélancolique, c’est bien le moins … En tout cas dans mon tiercé des préférés du Canadien.
« After the gold rush », c’est le disque des mélodies en or massif, les plus délicates et souvent les plus dépouillées de sa carrière. Et même si on trouve au casting trois guitaristes (Young, Danny Whitten et Nils Lofgren), c’est le piano qui est l’instrument roi du disque. Les accompagnateurs historiques de Young sont là (le Crazy Horse, et David Briggs à la production).
Alors bien sûr il y a toutes ces ballades portées par la voix fluette, plaintive et inimitable de Neil Young, qui donnerait envie de chialer tellement c’est beau rien que s’il lisait le bottin. Des sommets de feeling que l’on croyait intouchables ou inaccessibles surgissent de partout. L’irréelle « After the gold rush » (juste piano et voix), « Only love can break your heart » (une des plus belles mélodies de Young qui dépasse largement le côté baba-cool dans laquelle on pourrait la réduire), « Don’t let it bring you down » (même verdict que la précédente), la petite bluette sautillante d’à peine plus une minute (« Till the morning comes »), ou encore « Birds » et « I believe in you » qui évitent tout pathos lyrique dégoulinant … Grosso modo, ces titres représentent la moitié du disque.
Il y a encore d’autres choses fabuleuses. « Oh lonesome me », c’est un blues mais avec l’approche toute particulière qu’a toujours eu Neil Young pour le genre rustique. « Tell me why » placé en ouverture est un country-rock cool et pépère, peut-être le maillon faible du disque, le genre de morceaux qu’on a l’impression d’avoir entendu mille fois depuis, et qui ne laisse pas vraiment présager de la qualité de ce qui suit. Dernier titre, « Crippple creek ferry » est un hillbilly antidéluvien, qui ravira ceux qui ont été scotchés par la B.O. de « O’Brother ».
Et puis avec parcimonie (un titre sur chaque face du 33T original), et parce qu’il faut bien occuper les trois gratteux, deux déflagrations électriques. Oh, pas des tord-boyaux tout en larsens, non, plutôt des titres sournois, puissants mais bridés, reposant sur de gros riffs semblant joués au ralenti, « When you dance you can really love », et le fameux « Southern man ». Fameux parce que c’est un classique youngien qui fait chauffer les Marshall, et aussi parce que ça en a énervé quelques uns, des hommes du Sud. Faut dire que Young a souvent oublié qu’il avait un passeport canadien et s’est mêlé de ce qui se passait dans la vie sociale et politique aux Etats-Unis, souvent de façon bizarre et incompréhensible. Mais avec « Southern man » pour le coup c’est très clair, c’est une dénonciation de tous les culs-terreux réactionnaires qui ont tendance à pulluler à mesure que le soleil donne comme dirait l’autre. Un titre qui avec son quasi-siamois par le propos « Alabama » (sur « Harvest »), fera voir rouge à quelques-uns, les plus célèbres étant les par ailleurs excellents graisseux Lynyrd Skynyrd qui répliqueront avec leur « Sweet home Alabama » (genre par chez nous, c’est très bien, c’est juste que c’est pas un bled pour les chochottes, et que si le Sud des USA te plaît pas, tu retournes dans ta cabane au Canada).
« After the gold rush » sera un gros succès pour Neil Young, qui va avec ce disque continuer la période la plus florissante commercialement parlant de sa carrière, entre les cartons planétaires de « Déjà vu » (avec Stills et les deux boulets sus-cités)  et de « Harvest ».

Du même sur ce blog :
Everybody Knows This Is Nowhere
Harvest 
On The Beach


RYAN ADAMS - HEARTBREAKER (2000)


Suicide ...

Ryan (ne pas confondre avec Bryan, le Canadien vérolé et ses infâmes ballades FM) Adams était à la fin du siècle dernier un des noms promis à un bel avenir. D’indéniables talents d’auteur, jugés mal exploités dans un groupe de country alternative (Whiskeytown) réservé aux initiés.
Et quand il annonça son départ du Whiskeytown et le début d’une carrière solo, les rotatives s’emballèrent, et les rumeurs de disques merveilleux à venir se répandirent. « Heartbreaker », paru en 2000, est le premier d’une copieuse discographie solo d’Adams. Et là tout le monde (enfin ceux qui sont censés acheter les disques, vous et moi, quoi) déchanta.
Quoi, ce type, au lieu de caresser l’auditeur potentiel dans le sens du poil, de faire un joli disque d’americana à la Springsteen-Petty-Seger-etc …, balançait un truc rêche et austère. Tiens et puisqu’on parlait de Springsteen, « Heartbreaker », c’est un peu à Adams ce qu’est le « Nebraska » au prétendu Boss. Le genre de disques qui plomberait même une veillée funèbre… attention, j’ai pas dit qu’il était mauvais, d’ailleurs « Nebraska » est pour moi au moins dans le tiercé de tête du gars du New Jersey. Mais bon, pour lancer une carrière sur les chapeaux de roue avec passages radio, clips joyeux et tout plein colorés en heavy rotation, c’est pas vraiment l’idéal …
L’explication, y’en a une, vient du fait qu’Adams venait de se faire larguer par sa meuf (prénommée Amy, un titre porte son prénom), et que vite fait bien fait, il a torché ce disque tout plein de ses idées noires, de ses rancœurs, de son blues d’amoureux éconduit …
« Heartbreaker » n’est pas un disque acoustique, mais c’est tout comme. L’instrumentation est souvent minimale, et dans tous les cas toujours très discrète, on accompagne, on suit la mélodie, on cherche pas à se faire remarquer … En résultent quelques titres quand même bien plombants et austères (« Cal me on the way back home », « To the one », « Don’t ask for the water », …), que n’arrivent pas contrebalancer deux ruades électriques, « To be young » (imitation de Dylan circa 66 ?) et « Shakedown on 9th Street », rockabilly mutant et rageur. Le reste est du country-rock traînard de bon aloi, entendez par là, bien fait, pleurnichard mais pas gnan-gnan.
Parce que le sieur Adams sait écrire, c’est sûr. Tous les titres, quel que soit l’enrobage, sont assemblés à partir de mélodies first class, et bien que guère « bruyants », ont recours à tous les instruments du genre (guitares de toutes sortes, piano, Hammond, …) qui moulinent sobrement au fond du mix. Et quand par hasard la voix d’ange d’Emmylou Harris vient contrechanter sur un « Oh my sweet Carolina », c’est tout simplement magique, et on en arriverait à confondre Ryan Adams avec Gram Parsons …
Evidemment, pareille chose n’a pas affolé les compteurs des chiffres de vente, des disques comme celui-là, il en sortait à la pelle depuis une quarantaine d’années. Le résultat est dans la « ligne du parti », même si perce en filigrane des talents d’auteur et de mélodiste bien au-dessus de la moyenne. Le suivant « Gold », sera plus énergique, plus « consensuel », et sera la meilleure vente de Ryan Adams. Sa propension pour la dive bouteille et autres substances moins licites feront de son auteur un artiste assez ingérable commercialement parlant qui devra se contenter selon la formule consacrée de « succès d’estime » …

BEIRUT - GULAG ORKESTAR (2006)


Le temps des Gitans ?

Beirut, c’est un sacré truc zarbi. Un concept, ou au choix un faux groupe, derrière lequel se cache un ado américain, Zach Condon. Condon est un minot qui tout seul dans son coin, en utilisant une kyrielle d’instruments dont certains plutôt exotiques (accordéon, trompette, ukulelé, plus toute une panoplie de claviers et synthés), a fait le meilleur disque manouche depuis (qui a dit Thomas Dutronc ? attention, je vais me fâcher, là) … depuis, j’en sais foutre rien (ça y est, j’ai réussi à placer foutre et Condon dans le même paragraphe, j’suis content de moi, là …), parce que c’est pas le genre de trucs que j’écoute (qui a dit Kusturica ? n’aies pas peur, tu dois avoir raison …).
Bon, je reprends, et faudra que pense à arrêter de picoler avant d’écrire des coms, ça va finir par se voir que je suis pas à jeun … Donc, le gamin Condon, qui avait pourtant largement de quoi satisfaire ses goûts pour le folk antique dans son Amérique natale, est parti pendant plusieurs années tracer la route en Europe, et plus particulièrement dans cette région que l’on appelait autrefois Mitteleuropa (l’Autriche-Hongrie, la Prusse), poussant des pointes vers les Balkans et une visite en Irlande. Et c’est la vieille musique de ces endroits-là qu’il nous ressert. Qui n’a rien à voir avec les chansons populaires ( ? ) des teutons à quelque fête de la bière, mais une musique remplie des sonorités les plus plébéiennes, rurales, de ces contrées. En gros, les tziganes, roms, et autres gitans.
Evidemment, personne n’attendait ce disque. A l’origine de onze titres, très rapidement les versions Cd ont rajouté les cinq titres d’un EP (« Lon Gisland ») paru dans la foulée, et qui n’apporte pas grand-chose, si ce n’est un instru celtisant qui semble un peu perdu et hors-sujet dans le contexte.
Dès les premiers titres, on se dit que « Gulag Orkestar » est génial, avec ses ambiances tziganes, ses chœurs lancinants (« The Gulag Orkestar » le titre), ses ambiances bavaroises tristes (« Prenzlauerberg »), et ses mélodies parfois enjouées (« Brandeburg », et surtout « Postcards from Italy », pour moi d’assez loin meilleur morceau de l’album).
Au bout de quelques titres qui ont tendance à furieusement se ressembler (mêmes tempos, mêmes orchestrations, mêmes arrangements, même façon pour Condon de placer sa voix, …) on se dit que c’est quand même un peu toujours pareil, et que ça commence à devenir lassant.
On est finalement soulagé quand ça s’arrête, parce que ce bousin finit par gonfler grave, toutes ces variations infimes sur le même thème …
Un disque finalement révélateur d’une époque, où il semble que tout a déjà été dit et entendu mille fois, et où la moindre idée, la moindre trouvaille, le plus petit gimmick, sont montés en épingle pour qu’ils apparaissent au pékin d’auditeur qui ne sait plus où donner du conduit auditif, comme la trouvaille du siècle émanant d’un génie en devenir de la chose musicale. Et même si le rendu n’a pas grand-chose à voir, je trouve le résultat assez proche dans l’esprit de ce que font quelques autres hâtivement qualifiés de surdoués, comme les surfaits Sufjan Stevens ou Kevin Barnes, le type de Of Montreal … des gars qui semblent avoir tout dit après un enchaînement de quelques bons titres, et qui se répètent jusqu’à l’écœurement…


JOAN BAEZ - IN CONCERT PART 1 (1962)


The Voice

Joan Baez, on l’a tellement confondue avec son engagement militant, elle a été de tellement de combats plus ou moins perdus d’avance (et elle continue encore à plus de 70 ans à s’investir dans tout un tas de causes généralement bonnes), qu’on a oublié que c’était une chanteuse. Une chanteuse folk.
Pas la première, pas la plus célèbre (pour ces deux aspects, voir plutôt du côté d’Odetta), mais certainement la plus emblématique, en tout cas de la période cruciale lors de laquelle tout s’est mis en place, les années soixante. Une décennie pour elle commencée par des enregistrements secs, austères et brûlants, et conclue, enceinte jusqu’aux yeux, par une prestation qui file le frisson au festival de Woodstock.
Parce que Joan Baez, c’est une sacrée chanteuse. Une voix de cristal comme on en entend peu en général, et dans le « rock » en particulier. Que ce soit dans le murmure ou le chant à pleine voix, Joan Baez impressionne, et plus encore par le feeling irréel qu’elle dégage que par sa technique irréprochable.
Un exemple ? Pas besoin de chercher loin. Il suffit de prendre le premier titre de ce Cd, enregistré comme son nom l’indique en public dans une austérité absolue (Joan Baez, sa guitare acoustique, et le public droit dans les yeux, c’est tout). Ce titre, « Baby, I’m gonna leave you » tout le monde ( ? ) le connaît par Led Zeppelin sur son premier disque. Bon, faut oublier l’interprétation de Plant (pourtant pas n’importe qui derrière un micro), et surtout pas la comparer à celle de ce disque, le verdict serait sans appel. Victoire par KO au bout de trois mesures pour l’Américaine.
Qui n’a qu’un seul point faible, elle n’est pas une grande compositrice, ne signant que quelques titres (et pas toujours) sur ses albums, et là, en 1962, n’ayant encore rien mis dans son répertoire de Bob Dylan, dont elle reste sur la durée la meilleure interprète (qui avait dit Hugues Aufray ? bon, tu sors …), sans parler d’autres aspects de leur relation qui tiennent du domaine privé … Alors il n’y a sur ce disque que des reprises, des chants traditionnels pour la plupart (qui a dit que c’était un disque de scout ? tu dégages aussi …), venant du patrimoine musical américain en majorité, certes, mais piochant aussi chez les Anglais (le final « Matty Groves »), chez la mère nourricière Afrique via le gospel (« Kumbaya », repris étonnamment en chœur par le public pour un résultat grandiose), voire chez les Brésiliens (« Ate Amanha », chanté en portugais). Mieux, alors que Joan Baez a pourtant déjà sorti deux disques, aucun des titres de ce « In Concert » n’y figurait. Choisis évidemment pour leurs textes, ou alors pour rendre hommage aux figures tutélaires du folk américain (« Pretty Boy Floyd » écrit par Woody Guthrie, et repris par Pete Seeger, à qui la version de Joan Baez est dédiée).
Chanteuse d’exception, d’une justesse totale tant sur le fond que sur la forme (juste quelques bribes « castafioresques » sur « Black is the color … »), Joan Baez est lentement mais sûrement en route pour devenir l’icône engagée des années 60. Le succès un peu inattendu de ce disque donnera lieu à une suite l’année suivante, aussi magnifique, l’effet de surprise en moins, mais une paire de titres de Dylan en plus …





TIM BUCKLEY - GOODBYE AND HELLO (1967)


L'explorateur de l'inouï ...

Avec son premier album sans titre, Tim Buckley avait signé une œuvre profondément originale. « Goodbye and Hello » va encore plus loin dans l’inouï, au sens premier du terme.
Il y a tout d’abord la voix. Unique, exceptionnelle, elle suffirait à elle seule  à tirer n’importe quelle composition vers des sommets célestes. Mais il y a aussi la musique, totalement à contre-courant de ce qui se faisait à l’époque. Certes la base est du folk mélodique teinté de psychédélisme, mais se rajoutent surtout des touches classiques et jazzy. Assez proche dans l’esprit de ce que fera plus tard Robert Wyatt, avec Soft Machine ou en solo.
Comme un air de famille ... Tim Buckley 1967
D’entrée, « No man can find the war », fait penser à Love, de l’autre génial inclassable Arthur Lee (un peu le Mr Loyal du Los Angeles psychédélique, artiste choyé du label Elektra, qui a fait signer les Doors et le MC5 à son patron Jac Holzman ; Buckley est également chez Elektra, et l’ingé-son de tous les artistes du label Bruce Botnick est présent sur tous leurs disques, ceci expliquant les nombreuses similitudes sonores entre tous ces gens), et installe la voix irréelle de Tim Buckley. Et cette voix se balade littéralement avec une facilité écœurante sur un véritable patchwork sonore, chaque titre ouvrant son propre univers. « Carnival song » a des airs de fête foraine dévastée et triste, « Hallucinations laisse entrevoir un folk médiéval et arabisant. Une influence orientale que l’on retrouve sur « I never asked to be your mountain » (chanson adressée à son tout jeune fils Jeff alors qu’il vient de se séparer de sa mère, un Jeff qu’il ne verra pratiquement jamais), et qui pourrait être décrite comme le « Kashmir » psychédélique … « Phanstasmagoria in two » porte bien son nom, il s’agit d’une véritable fantasmagorie sonore et vocale, et last but not least « Goodbye and Hello » le morceau, laisse entrevoir avec un lustre d’avance ce qu’aurait pu être du rock progressif intéressant …
Ce disque est le premier chef-d’œuvre de Tim Buckley, et pour moi son plus facile d’accès, celui qui ne s’éloigne pas trop des chemins connus, qui laisse à l’auditeur des repères. Les suivants jusqu’à sa mort en 1975 seront aussi beaux, mais plus hermétiques, Buckley créant un univers sonore très personnel …

Du même sur ce blog : 
Tim Buckley

SUZANNE VEGA - 99.9 F (1992)


Chaud devant, son meilleur !

Je sais pas comment il faut appeler ça. Rock’n’roll suicide c’est déjà pris, et puis c’est pas de rock’n’roll dont il s’agit. Folk suicide, peut-être … Parce que qu’est-ce qui a bien pu piquer Suzanne Vega, folkeuse centr…, enfin classique quoi,  vaguement concernée (son gros hit de 87 « Luka » sur l’enfance maltraitée), pour sortir un disque comme ce « 99.9 F » ? Tellement bon, tellement en avance sur son temps, que personne ou presque ne s’en est aperçu, les mêmes qui sont passés à côté s’extasiant par la suite sur les minauderies electro de Björk  ou le boxon sonore de Beck.
Suzanne Vega 1992, total relooking
Ce disque résulte d’un pari artistique totalement fou. Certes, la gentille Suzanne avait pris un bide assez retentissant avec son précédent, on l’avait quelque peu oubliée et le risque commercial n’était pas démesuré, mais l’évolution présentée ici est assez unique, un virage radical comme très peu ont osé en prendre, et comme encore moins l’ont réussi… Suzanne Vega avait dans sa manche une carte maîtresse, son compagnon et futur mari Mitchell Froom, producteur déjà en vue (Crowded House, Lobos, American Music Club, …) et futur gourou des studios (Sheryl Crow, McCartney, Costello, Pearl Jam, …). Froom grâce à son carnet d’adresses bat le rappel de ses connaissances, et on trouve au casting de ce « 99.9 F » David Hidalgo des Lobos, le bassiste Jerry Scheff  (Presley, « L.A. Woman » des Doors, …), Jerry Marotta (requin de studio et batteur longtemps attitré de Peter Gabriel), et même sur un titre le légendaire virtuose de la guitare folk anglais Richard Thompson. Et ces fines mouches-là ne s’attrapent pas avec du vinaigre, il n’y a pas que de l’enrobage sonore, les bonnes compositions sont de sortie, ce disque ne se réduit pas seulement à un travail d'arrangement imaginatif en studio.
Le patchwork sonore est total. Si la plupart des titres utilisent les sons et techniques de boucles chers aux joueurs de disquettes alors en vogue, d’autres sont tout à fait roots (« Blood sings », ambiance feu de camp et guitare sèche, « Bad widsom », comme du Suzanne Vega d’avant), l’électricité est parfois coupée (« Song of sand » avec un quatuor à cordes). Il n’y a pas non plus que du folk relooké et mis au goût des machines du jour, « As a child » mélange ambiances celtiques et electro, « Fat man » un des titres les plus surprenants limite psychédélique, « As girls go » et sa ligne de basse funky quasi disco se voit enjolivé par un solo de Richard Thompson.
Et puis il y a quelques titres d’une classe folle, d’une justesse de ton et de son assez impressionnants, qui surnagent d’un ensemble pourtant de très haut niveau. Le très classique « In Liverpool », le « 99.9 F » qui donne son titre à l’album, l’énorme chanson pop à la Go-Go’s – Bangles « When heroes go down ». Que ces trois titres-là n’aient pas hanté les hit-parades, relève de l’injustice, ou de la surdité collective, voire des deux …
Il faut quand même préciser que Suzanne Vega n’a que modérément apprécié le succès de « Luka », et les contraintes très show-biz qui vont avec. Elle est toujours restée un peu à l’écart du cirque médiatique, et après ce « 99.9 F », a mis sa carrière en pointillé, préférant être une mère au foyer que se griller sous les sunlights d’une vie people. Elle n’en est que plus respectable …

SIMON & GARFUNKEL - PARSLEY, SAGE, ROSEMARY AND THYME (1966)


Un jardin (presque) extraordinaire

Ce disque au titre aromatique est le successeur de « Sounds of silence » qui avait installé le duo aux sommets du folk à tendance pop. C’est au niveau du son celui qui est le plus travaillé, le plus fin, le plus subtil des gendres idéaux de l’Amérique des années 60.
Car même si conformément aux canons du genre l’ensemble peut paraître dénudé, austère, une écoute au casque fait apparaître une multitude et une luxuriance d’arrangements (dus au producteur Roy Halee) peu évidents de prime abord. Le plus étonnant étant sans conteste la place qu’occupent la batterie et les percussions dans le mixage, jamais au centre, tantôt à gauche ou à droite. Et toute une kyrielle de sonorités acoustiques dosées infinitésimalement rajoutent sans cesse de nouvelles caresses sonores.
Les mélodies finement ciselées de Simon sont là (« Scarborough Fair / Canticle », « Homeward Bound », « For Emily … » et le final, le traditionnel « Silent Night » parasité par des flash d’infos pas vraiment réjouissants).
Pour moi, ce « Parsley … » n’a rien à envier au niveau de la richesse sonore au « Revolver » des Beatles paru en cette même année 1966.
Le seul reproche qu’on puisse faire aujourd’hui à ce Cd est son ancrage irréversible en ces temps de pré-flower power. Tout sonne joli, mais un brin daté, vieillot, suranné. Et les textes, dont beaucoup sont tirés de l’actualité des mid-sixties, font appel à des sujets ou des thèmes dont on se contrefout plus de 40 ans après.
De la belle dentelle musicale. Juste un peu jaunie.
Réédition de bonne qualité, mais chiche en bonus (juste deux démos en plus par rapport à l’édition originale).

Des mêmes sur ce blog :
Bridge Over Troubled Water

LEONARD COHEN - SONGS FROM A ROOM (1969)


C'était mieux avant ...

« Songs from a room » est le deuxième disque de Leonard Cohen et rien qu’à voir la pochette, sinistre, on se doute bien qu’il n’y a pas là des chansons de fin de banquet. Cohen ne réfléchissait pas encore en terme de carrière, il avait des textes, des bribes de mélodie, fallait que ça sorte, et c’était livré comme ça, sèchement, brutalement.
Alors évidemment, pour écouter ce genre de galettes, il faut un certain nombre de pré-requis. Ne pas être allergique à un folk tout ce qu’il y a de plus austère, à faire passer Woody Guthrie pour la Bande à Basile. Supporter les chanteurs sans voix, et de toutes façons, manière d’aggraver son cas, Cohen ne chante pas, il parle dans le meilleur des cas, mais généralement marmonne ou bredouille.

Il n’empêche que ce Canadien venu sur le tard (la trentaine largement sonnée lors de la parution de son premier « Songs of Leonard Cohen ») à la musique, après des débuts de poète et d’écrivain, sera étrangement, lui, le jésuite du folk, assimilé au Rock’n’Roll Circus de cette fin des années 60, et on le retrouvera  tête d’affiche au festival de l’Ile de Wight en 70.
Je vais vous faire une confidence, il me gonfle passablement aujourd’hui Cohen, pathétique vieillard s’accrochant à sa réputation de séducteur moche, et sortant depuis une éternité des disques dont je me contrefous. Pleins à la nausée de chœurs angéliques, boursouflés de claviers et de cette langueur monotone, violons compris, qui semble être sa trademark, depuis quasiment le « Songs of love and hate » de 1974, c’est dire si ça fait un bail.
Mais là, avec ces deux premiers disques, il avait fait fort, avec son folk en noir et blanc, alors que tous les autres essayaient de le colorier façon psychédélique, ou le mélanger à de la country, du rock, ou que sais-je encore. « Songs from a room », c’est back to the roots et take no prisoners. Aucune concession aux modes ou à l’air du temps. Et ce n’est pas un hasard si la moitié des titres de ce disque, comme du précédent, d’ailleurs, se retrouvent sur les compilations de Cohen. C’est de très loin ce qu’il a produit de mieux, quand bien même la tendance serait à considérer « Songs of Leonard Cohen » comme son meilleur. Pour moi, ces deux premiers disques sont indissociables, siamois et complémentaires. Des titres comme « Bird on a wire », qui a traumatisé le clown triste Murat, « The story of  Isaac », océan de tristesse, « The Partisan » avec son passage chanté en français sur les Résistants, « The butcher », voyage au bout de la nuit musicale, la superbe mélodie austère de « You know who I am », et l’éclaircie finale limite enjouée dans pareil contexte de « Tonight will be fine », il faut faire l’effort de les apprivoiser, de les dompter, pour que derrière ce Mur des Lamentations musical, apparaisse la beauté de ces textes et de ces orchestrations (oui, il y en a, des orchestrations, planquées au fin fond du mix).
« Songs from a room » est un beau disque de Leonard Cohen. Ceux qui suivront, dans le meilleur des cas, ne seront plus que jolis …


Du même sur ce blog :