Affichage des articles dont le libellé est Drame. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Drame. Afficher tous les articles

ANDREA ARNOLD - FISH TANK (2009)

 

California dreaming ...

« California dreaming » est la plus belle chanson des 60’s (avis ferme, définitif et incontestable) et donc forcément aussi des décennies suivantes. Alors si elle est dans la B.O. d’un film, j’ai tout de suite un a priori très favorable, c’est comme ça … Dans « Fish tank », on l’entend trois fois. Bon, dans la version de Bobby Womack, qui vaut pas l’originale des Mamas & Papas, mais qui est très bien tout de même. Et si « California dreaming » était pas dans la B.O., « Fish tank » serait quand même un putain de grand film …

Un grand film … ouais, mais je sais même pas si « Fish tank » est ce que l’on a coutume d’appeler un film. C’est une tranche de vie. On sait pas vraiment ce qui s’est passé avant, et on n’a pas la moindre idée de ce qui va se passer après la dernière image. Peu importe …

Andrea Arnold & Katie Jarvis

On voit souvent cité à propos de « Fish tank » le nom de Ken Loach, le grandmaster du cinéma social anglais. Ce qui n’est pas stupide. Sauf que dans « Fish tank », y’a pas de message, ni directement, ni en filigrane … Plus rarement, on évoque le « Rosetta » des frangins Dardenne. Comparaison pertinente également, surtout si on n’oublie pas de mentionner Emilie Dequenne. Parce que Emilie Dequenne, pour son premier rôle, crevait l’écran et portait « Rosetta » à elle seule …

Dans « Fish tank » y’a encore plus fort. Une parfaite inconnue (repérée par une copine de la réalisatrice alors qu’elle se disputait avec son copain sur un quai de gare) est l’héroïne du film et présente dans toutes les scènes, et sur sa seule prestation fait de ce qui aurait été un film sympa mais un peu plombant un pur bijou. Elle s’appelle Katie Jarvis, et a totalement disparu des radars une fois le tournage terminé. Elle n’était pas au Festival de Cannes où « Fish tank » a récolté le Prix du Jury (elle avait une excuse, elle était enceinte jusqu’aux yeux) et n’est jamais réapparue devant une caméra. Un cas à peu près unique …

La réalisatrice de « Fish tank » c’est Andréa Arnold, adepte du cinéma vérité. Par les thèmes abordés, et la façon de filmer (en extérieurs, y compris dans des logements de 40 m², et caméra à l’épaule). Heureusement, c’est en couleurs, sinon plus austère tu peux pas … et c’est pas une tocade de réalisatrice à la recherche d’un coup d’esbroufe. Tout ce que je connais d’elle (des courts-métrages dont un oscarisé, présents en bonus du Dvd, et l’excellent « American honey ») font passer la rigueur technique aux oubliettes.


« Fish tank », c’est quelques semaines de la vie de Mia, une adolescente d’une quinzaine d’années des quartiers que pudiquement on appelle défavorisés (ici, ceux de l’Essex, banlieue Nord de Londres). Mia est une solitaire, ne va plus à l’école, et passe ses journées dans un logement abandonné à s’entraîner à danser du hip hop, au son de deux minuscules enceintes reliées à un discman, et vêtue de joggings à capuche Prisu informes. Elle a tout juste le sens du rythme, et pour ce qui est des figures acrobatiques, c’est la cata. Mais elle s’obstine, son but c’est de gagner sa vie en dansant … Que ceux qui s’imaginent voir quelque chose ressemblant à « Fame » ou « Dirty dancing » sachent qu’ils sont très loin du compte, les vilains petits canards ne deviennent pas des cygnes gracieux chez Arnold…

Mia a une mère, encore jeune, poivrote et fêtarde, qui peut se permettre de s’habiller moulant et sexy, et une jeune sœur. Ont-elles le même père, on en sait rien, y’a plus d’homme à la maison. La majorité des échanges de ce triangle féminin consiste généralement en une bordée d’insultes. Alors forcément, un tel milieu, ça t’endurcit, et Mia n’est pas vraiment une tendre. Quand elle rencontre d’anciennes copines qui la chambrent, c’est à coups de boule qu’elle met un terme final à l’embrouille … Mia est sauvage, rebelle. Alors quand elle passe à côté d’un terrain vague où campent des roms et qu’elle voit une jument à l’air malheureux enchaînée à un bloc de béton, elle essaie de la libérer. S’enfuit quand les jeunes roms la repèrent. Revient le lendemain, manque de se faire tabasser voire pire, se fait détrousser. Et revient encore récupérer son sac et son discman. Et là, elle sympathise (un tout petit peu) avec un jeune rom.

Jarvis & Fassbender

Ce ne sont pas les occasions de voir du monde qui lui manquent, à Mia. Mais c’est pas son truc, la vie sociale. Quand des amis et amies à sa mère viennent dans leur minuscule appart danser, flirter, fumer des joints et picoler, elle leur pique une bouteille et va se saouler toute seule dans sa chambre. Mia finit quand même par être intriguée par Connor, le nouveau mec de sa mère (un superbe Michael Fassbender débordant de sensualité animale, et seul acteur professionnel du film), commence par lui faire les poches et lui piquer un peu de fric, avant de l’« accepter ». C’est lors d’une balade familiale dominicale qu’elle se laissera un peu « apprivoiser », Connor lui faisant découvrir sur le lecteur Cd de sa bagnole la version de « California dreaming » de Bobby Womack. Mia laissera un peu tomber ses rythmiques rap pour s’entraîner à danser hip hop sur Bobby Womack. Elle s’inscrira à un casting de danseuses la tête pleine de rêves … A partir de là, ça pourrait, comme chez à peu près tout le monde, virer conte de fées dance ou love story à deux balles. Ben pas ici …

Famille dysfonctionnelle ?

Là où réside le talent d’Arnold et de son casting, c’est d’aller explorer la face dark de cette affaire. Parce que chez ces gens-là, tout peut partir en vrille à tout instant. Et tout partira en vrille (mais … normalement, raisonnablement, serait-on tenté de dire, on n’est pas avec « Fish tank » dans l’excès scénaristique aussi improbable qu’incroyable). Les personnages de « Fish tank » sont entiers, mais pas des psychopathes. Il y a toujours une immense justesse plutôt qu’une surenchère lorsque le film flirte avec le glauque ou le sordide. Mais une fois que beaucoup sont passés au bord de l’abîme, il n’y a pas non plus de happy end …

Tout juste si on assiste à la fin du film à une scène fabuleuse, lorsque les chemins de Mia et de sa mère vont se séparer, la mère et la fille ondulent lentement face à face au rythme de la musique sur fond de reggae, la seule façon que trouvent ces deux êtres qui semblent se détester de se montrer réciproquement leur affection, sans échanger le moindre mot…

Des films qui sont peu ou prou basés sur le même scénario que « Fish tank », il en sort trois par semaine. Mais des films aussi bons, il en sort pas trois par décennie … Claque monumentale …




CLINT EASTWOOD - MILLION DOLLAR BABY (2004)

 

Victoire par K.O.

Fondamentalement, Clint Eastwood est un réac (par ses discours, ses prises de position, les personnages qu’il a le plus joués dans ses films qu’il soit metteur en scène ou pas) … Un réac comme il y en a des dizaines de millions aux USA… Mais aussi un réac humaniste, ce qui est quand même moins courant.

Et quand les cinéphiles des prochains siècles (à condition qu’il y ait encore des cinéphiles et des prochains siècles, ce qui n’est pas garanti) se pencheront sur son œuvre, je vous parie que deux films reviendront avec obstination comme faisant partie de ses tout meilleurs, à savoir « Sur la route de Madison » et « Million Dollar Baby ». Pas forcément représentatifs de sa très longue filmographie, mais deux œuvres qui te collent une balle entre les yeux et en plein cœur, beaucoup plus sûrement que si c’était Dirty Harry ou un cowboy taiseux à cigarillo qui tenait le flingue …


Je sais pas ce qu’il avait en tête Eastwood quand il a tourné « Million Dollar … », mais quelque part il voulait certainement faire une œuvre testamentaire sur la vie, l’amour, la passion, la mort, l’humanité, comme « Impitoyable » avait été son western testamentaire. Faire un testament ne veut pas dire qu’on va mourir à l’instant, ça veut juste dire qu’on définit ce qu’on va laisser à ceux qui resteront en vie une fois qu’on sera plus là …

« Million Dollar … » flirte pourtant avec tous les stéréotypes crispants d’Eastwood et du cinéma grand public (américain, pléonasme). On y voit l’accomplissement du rêve dans le pays où tous les rêves sont possibles (en théorie, la pratique est pas aussi simple), on y voit les cœurs de granit se fendre et saigner dans la plus pure tradition des mélos larmoyants, on y voit des tranches et des tronches de vie qui font retomber la pression (ou en rajoutent une couche, au choix). On y voit surtout les déclassés, les tricards, les sans-grades, tutoyer les étoiles, s’approcher du Soleil avec leurs rêves, … et retomber durement sur Terre, leurs rêves caramélisés par la vie, tels des Icare contemporains …

« Million Dollar … » dure quasiment deux heures et quart. Une heure trois quarts sont prévisibles (en gros, la lente ascension vers la success story), la dernière demi-heure est un grand coup de massue sur toutes les certitudes accumulées jusque-là (ben non, il n’y aura pas de happy end, et il n’y a même pas de end pour deux des trois protagonistes principaux, on sait pas ce qu’ils vont vraiment devenir).

Freddie & Maggie : de l'ombre ...

La success story du film, Eastwood la construit sur la boxe. Un bon point, c’est beaucoup mieux que s’il avait choisi le base ball, le foot américain ou le hockey sur glace, sports très populaires aux States mais totalement incompréhensibles pour qui n’a pas passé des centaines d’heures au stade, à la patinoire, ou affalé sur son canapé devant la télé, pack de Bud à portée de main … la boxe, je sais pas si c’est un noble art, mais les règles du jeu sont pas très compliquées, c’est celui qui prend sur la gueule qui a perdu, c’est un concept universel …

Question que l’on peut se poser, « Million Dollar … » est-il (entre autres) une forme de réponse à la série des Rocky, une réponse d’Eastwood à Stallone, et l’image qu’ils ont souvent donnée dans leurs filmographies respectives, celles de castagneurs machos et asociaux invincibles … « Million Dollar … » ne met pas en scène un boxeur, mais une boxeuse.

Cette boxeuse, Maggie Fitzgerald, est joué par Hilary Swank, certes oscarisée en 2000 pour « Boys don’t cry », mais relativement peu connue du « grand public ». Sous la direction d’Eastwood, elle trouvera là le rôle de sa vie. Maggie est issue d’une famille de cas sociaux rednecks du Missouri. Elle les a laissé tomber pour accomplir son rêve et son obsession à Los Angeles, devenir boxeuse professionnelle, alors qu’elle a déjà la trentaine. Elle est serveuse dans un boui-boui, cherche un entraîneur. Elle a choisi un vieux de la vieille, Frankie Dunn (Clint Eastwood), propriétaire d’une salle de boxe miteuse, un solitaire asocial et intransigeant, aux méthodes à l’ancienne. La seule personne avec qui Dunn se montre à peu près humain, et qui l’assiste dans sa salle, c’est un vieux boxeur noir amoché (aveugle d’un œil), Eddie (Morgan Freeman). Dunn n’est pas un cador de la profession, ni un homme d’affaires (son meilleur boxeur le quitte pour un manager ambitieux). Par contre, c’est un génie du rafistolage de museau, qui sait entre deux rounds comment on arrête une hémorragie, comment on remet en place un nez pulvérisé, comment on cautérise une plaie ouverte … on apprendra dans le film comment ses talents lui ont fait « adopter » Eddie dans sa salle de boxe.

... à la lumière ...

Evidemment, il fout à dix mètres Maggie quand elle lui demande de devenir son entraîneur. Son définitif et lapidaire « J’entraîne pas les filles » avec le regard hautain et méprisant qui l’accompagne suffit à ce moment-là à camper le personnage. Tout aussi évidemment, comme « Million Dollar Baby » est au début une succes story, la Maggie va venir au club (aidée par Eddie), s’entraîner seule dans son coin, pour finalement retenir l’attention du boss et entamer avec lui une fulgurante ascension vers le Championnat du Monde. Coïncidence certainement voulue, il y a un parallèle sportif entre la Maggie du film et Mike Tyson. Tous deux détruisent leurs adversaires au bout de quelques secondes, ont l’instinct et la mentalité d’un tueur sur un ring. Pour les deux, même si elle ne se produit pas de la même façon, la chute sera encore plus brutale que l’ascension … ça c’est pour le film sur la boxe.

« Million Dollar Baby » ne s’arrête pas là. Les personnages et leurs relations sont fouillées dans ce triangle (enfin, un triangle à deux et demi, Morgan Freeman, bien qu’excellent, n’a qu’un second rôle).

Maggie, c’est la bonne fille de la cambrousse. Capable de réactions exubérantes enfantines (elle ne cache pas sa joie, fait parfois des caprices genre aller à Las Vegas en avion et en revenir en voiture), totalement obnubilée par la boxe (elle travaille son jeu de jambes même quand elle sert au resto), et souhaitant faire le bonheur de sa famille de bras cassés une fois les dollars arrivés. Voir son obèse abrutie de mère lui faire une scène parce que la maison qu’elle vient de lui offrir (la plus belle du quartier) n’est pas meublée. Voir cette galerie de tronches de rednecks dégénérés se pointer avec un avocat à l’hosto pour tenter de récupérer tout le pognon de Maggie au cas où elle ne s’en tirerait pas …

Premier passage à l'hosto ...

Frankie, lui aussi, vit pour la boxe et peu de la boxe. Son club est assez pourri, sale, mal éclairé (à ce sujet, superbe photo, tous les personnages évoluent le plus souvent dans la pénombre, même quand ils sont dans une immense arena de boxe de Las Vegas). C’est un type qui une morale (parfois élastique, il achète des sparring partners pour Maggie, à un moment où plus personne ne veut boxer contre cette killeuse expéditive des rings), et une stratégie sportive simple : laisser longtemps mariner les boxeurs dans leurs rêves de titres, pour en faire des frustrés avec des envies de se surpasser chaque fois qu’ils montent sur le ring. Et puis Frankie n’est pas qu’un entraîneur de boxe. Il a eu une vie à côté. Il a été marié (il me semble que sa femme est morte) et il a une fille à laquelle il écrit chaque semaine avant de voir revenir quelques jours plus tard ses lettres non distribuées. Frankie a aussi de la religion, mais les épreuves de sa vie l’en ont un peu éloigné, il se contente de harceler le jeune pasteur du coin de questions embarrassantes (« et si on parlait de l’Immaculée Conception », ce genre). La religion, il y reviendra, les larmes aux yeux, pour rencontrer son petit pasteur, au moment où il sera question de vie et/ou de mort. Et Frankie a un péché mignon, il adore les tartes au citron. Et c’est (peut-être) dans une petite bicoque qui en fabrique d’excellentes et que lui a enseigné Maggie qu’il finira … Maggie profitera de l’absence de la fille de Frankie pour la remplacer, elle bénéficiera de ce que les psychologues du dimanche appellent un transfert. Transfert ambigu, on sent fugacement le vieux Frankie hésiter entre amour platonique filial et amour tout court. Et ce Frankie bourru et asocial (le prototype du gars qu’Eastwood incarnera de façon exacerbée dans le ridicule « Gran Torino ») va se muer en chien fidèle de Maggie une fois que les choses auront très mal tourné pour elle … Et pas du tout innocemment, Frankie (à ce moment-là, il ne faire guère de doute que l’acteur et son double derrière la caméra se confondent) va se retrouver face à la problématique de l’euthanasie (la mort est une thématique récurrente de la carrière d’Eastwood, parce que ses personnages la donnent ou y sont confrontés), et ne va pas traiter la chose de façon elliptique, tout sera clair …

« Million Dollar Baby » est adapté d’une nouvelle du même titre, et le scénario est l’œuvre de Paul Haggis, un type qui sait donner de l’épaisseur à ses personnages (voir son très bon « Collision » en tant que réalisateur). Les récompenses vont pleuvoir sur « Million Dollar Baby ». Quatre Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure actrice, meilleur second rôle pour Morgan Freeman). Et un César (meilleur film étranger) alors que notre institution franchouillarde du cinéma n’est pas réputée briller par son bon goût.

Film évidemment incontournable.


Du même sur ce blog :

Josey Wales Hors-La Loi


BERNARDO BERTOLUCCI - PRIMA DELLA RIVOLUZIONE (1964)

 

Stendhal au pays des Soviets ?

Tout le monde connaît Bertolucci. Enfin « Le dernier tango à Paris », un des films les plus sulfureux de l’histoire du cinéma. Parce que le reste de sa filmographie n’est vraiment ni successful ni « grand public » …

Quand il tourne « Prima … » Bertolucci n’a que 23 ans. Il a commencé comme assistant de Pasolini (autre réalisateur italien « difficile ») dont la façon d’aborder le cinéma sous un aspect très politisé fut sa première grande source d’inspiration. Mais c’est en voyant les films de Godard qu’il trouvera sa voie « visuelle ».

Bertolucci

« Prima della Rivoluzionze » (« Avant la Révolution ») d’après une citation de Talleyrand placée en exergue (« celui qui n’a pas vécu au XVIII ème siècle avant la Révolution ne connaît pas la douceur de vivre et ne peut imaginer ce qu’il y a de bonheur dans la vie ») est un des rares films italiens inspiré par la Nouvelle Vague française en général et Godard en particulier. Nouvelle Vague par le choix d’acteurs débutants au jeu souvent inexpressif et désincarné, par des disgressions du scénario ou des dialogues. Godard pour cet art des raccords volontairement mal foutus (ici, quelques fractions de seconde genre rewind sur des plans saccadés), et cette attirance pour le communisme et la Révolution qu’il doit engendrer. Et surtout Godard est présent à travers une discussion après que Fabrizio, Gina et Cesare sortent d’un cinéma où était projeté « Une femme est une femme ».

« Prima … » part dans trois directions.

Un remake squelettique de « La Chartreuse de Parme ». L’action se situe à Parme, les personnages principaux s’appellent Fabrizio, Gina et accessoirement (elle apparaît fugacement au début, et pour une paire de scènes à la fin) Clélia. Pour autant que je me souvienne du bouquin, la similitude ente le livre et le film s’arrête là.

Fabrizio tourne le dos à la Révolution ...

On y cause bourgeois et communistes. Les bourgeois, c’est le milieu de Fabrizio (joué par l’inconnu, et qui le restera, Francesco Barilli), de sa famille, de son pote Agostino, et de la famille de Clélia. Aussi un peu de Gina, même si cette origine sociale n’a aucune importance pour son personnage. Le communisme, c’est Cesare, le prof d’histoire et maître à penser de Fabrizio. Souvent évoqué au début du film, il n’apparaît que dans sa seconde moitié. Le communisme, c’est aussi cette fête, où au milieu des drapeaux rouges, les militant(e)s commentent le suicide de Marylin Monroe qui fait la une des journaux, ce qui permet de situer le film en 1962.

Et puis « Prima … » laisse entrevoir des sujets tabous, le genre de thématiques sur lesquelles on fait rarement des films à l’époque. L’homosexualité est latente dans les relations entre Fabrizio et Agostino, lors des discussions avec Cesare, avec un jeune gars auprès de la rivière … La « décadence » des mœurs, qui fera la « fortune » du cinéma italien des 60’s (Fellini, Pasolini en tête) est évoquée dans le personnage secondaire de Puck, une ancienne « connaissance » de Gina. Quant à Gina, elle est ce que du point de vue freudien on appellerait une hystérique. C’est l’amante mais aussi la tante de Fabrizio, elle ne rechigne pas à se taper le premier type qui passe à portée (celui qu’elle croise dans une librairie), est capable de passer de dominatrice à soumise, et de laisser tomber ses amants comme de vieilles chaussettes.

Gina / Adriana Asti

C’est d’ailleurs Gina, beaucoup plus que le transparent Fabrizio, qui est l’élément moteur du film. Ce personnage troublant et troublé est interprété par Adriana Asti (quelques apparitions fugitives comme dans « Rocco et ses frères »), qui disparaîtra quasiment des radars ensuite, avant de revenir dans les 70’s pour quelques nanars grivois et/ou déshabillés (genre le « Caligula » de Tinto Brass). Elle vampe son neveu, le dépucèle, en fait un soumis qui renonce même à ses utopies communistes (jusque-là l’essence de sa vie). Et elle le largue, non y laisser au passage le peu de santé mentale qui lui reste. C’est cette histoire d’amour qui est la partie du film à laquelle il est le plus facile de se raccrocher. Parce que beaucoup du reste est typique de le nouvelle vague, ces personnages que l’on croit cruciaux et qui ne font qu’apparaître (Agostino le copain à Fabrizio, Puck l’ancienne « relation » de Gina, Clélia la fiancée délaissée puis épousée), ces dissertations souvent absconses sur l’homme et la société. Fabrizio et son mentor Cesare (joué par Morando Morandini, célèbre essayiste et critique du cinéma italien de l’époque), ont ainsi plusieurs face-à-face, où il est question de Proust, Oscar Wilde, et évolution des idéaux communistes (ce dernier échange étant filmé en un superbe champ contre-champ à grande vitesse).

« Prima … » est une œuvre de jeunesse, dans laquelle Bertolucci a voulu mettre beaucoup de choses. Trop peut-être, et c’est le reproche que l’on peut faire au film. Il veut tellement en dire et en montrer que l’on sort de « Prima … » sans réellement saisir quelle est la finalité du film, chose cependant guère répréhensible dans le mouvement (la Nouvelle Vague) auquel il se rattache (dites-moi ce que voulait dire Godard dans les années soixante, lui seul le sait … peut-être). Il n’empêche que « Prima … » s’il part dans tous les sens n’est pas un film bâclé pour autant. Il y a un parti-pris esthétique certain et la technique qui va avec (les cadrages sont parfaits). Et puis, un leitmotiv musical autour d’une mélodie simple et désuète revient sans cesse. Ce thème musical est signé par un quasi débutant, Ennio Morricone. Lorsque « Prima … » sort (au festival de Cannes 1964), Morricone travaille sur la musique d’un western, tourné par un autre quasi-débutant, Sergio Leone, qui a donné le rôle principal à un acteur américain de seconde zone expatrié pour l’occasion, un certain Clint Eastwood …

C’est avec cette génération-là (Pasolini, Fellini, Bertolucci, Antonioni, Scola, Leone, …) que le cinéma italien, jusque-là quelque peu tétanisé par l’ombre des grands anciens déclinants du néo-réalisme (Rossellini, De Sica) va vivre une nouvelle période faste, la transition entre les deux générations étant assurée par l’immense Visconti …


INGMAR BERGMAN - LES FRAISES SAUVAGES (1957)

 

Une journée particulière ...

… dans la vie d’Isak Borg, riche médecin qui doit aller fêter son jubilée (50 ans de diplôme) à la fac de médecine où il a étudié. Et dans cette journée, c’est toute la vie d’Isak Borg qui va défiler …

« Les fraises sauvages » est un tour de force scénaristique (Bergman sera d’ailleurs nommé pour l’Oscar du scénario en 1960, soit deux ans et demi après la sortie du film en Suède), et aussi un grand numéro d’acteurs.

Bon, soyons clair. Bergman, c’est déjà alors que les années cinquante tirent à leur fin (et ça l’est toujours encore, personne ne l’a supplanté ou remplacé) la superstar du cinéma « nordique » (plus que l’austère et « difficile » Dreyer, seul concurrent valable), qui vient d’enchaîner deux merveilles, la comédie « Sourires d’une nuit d’été » et « Le septième sceau », un des plus grands films de tous les temps.

Bergman, Andersson & Sjöström aux fraises ...

« Les fraises sauvages » n’atteint même pas l’heure et demie, et sous son apparente simplicité, c’est un film qui en plus de sa propre histoire, développe toutes les thématiques récurrentes de l’œuvre de Bergman (les études de caractère fouillées, les relations familiales, l’amour et la mort). Avec toujours de sublimes actrices blondes, ici Ingrid Thulin et Bibi Andersson (employées de façon moins perverse que chez Hitchcock). Et un hommage de Bergman à une de ses références, Victor Sjöström. Mais qui est Sjöström, se demande le fan de Gad Elmaleh ? Ben, Sjöström, c’est le premier à avoir placé la Suède sur la carte du cinéma international avec une des masterpieces du cinéma d’épouvante, « La charrette fantôme », il y a pile cent ans.

En choisissant ce metteur en scène retiré du circuit comme acteur principal, Bergman inaugure (peut-être, il me vient pas d’autres exemples antérieurs) une idée qui sera maintes fois reprises par d’autres cadors de la caméra. Au hasard, Spielberg avec Truffaut pour « Rencontres du troisième type », Godard avec « Fritz Lang pour « Le mépris », Polanski avec John Huston pour « Chinatown » …

Isak Borg /Sjöström est le cœur du film. Il est assis à son bureau et se présente en voix off avant le générique. Il a 78 ans, est médecin, veuf, très riche, égoïste et misanthrope et doit se rendre dans la journée à Lund (assez loin de là où il habite, peut-être Stockholm, mais c’est pas précisé) pour être honoré dans son ancienne fac. Après le générique, Borg nous fait revivre un rêve qu’il a fait dans la nuit, où il arpente une ville déserte, rencontre un homme sans visage, regarde l’heure à une horloge sans aiguilles, voit passer un corbillard qui perd une roue, le cercueil tombe et s’ouvre, une main en sort saisit celle de Borg, et le force à se pencher vers l’intérieur où le cadavre, ben c’est lui. La scène du corbillard est très certainement un hommage à « La charrette fantôme » de Sjöström, les autres éléments trouveront leur signification plus loin dans le film.

On s’aperçoit que la seule personne qui relie Borg à la société, voire à l’humanité, c’est sa vieille gouvernante à laquelle il annonce au réveil que son voyage à Lund, il va finalement le faire en voiture, ce qui n’était pas prévu. Sa belle-fille Marianne (Ingrid Thulin) qui vit chez lui depuis quelque temps (on saura là aussi pourquoi vers la fin) se décide à l’accompagner.

Thulin & Sjöström

Dès lors, l’essentiel du film va se passer en voiture, et dans les lieux où ils vont s’arrêter durant leur voyage. Le premier arrêt à lieu dans l’ancienne maison de campagne familiale, inhabitée depuis longtemps. Il faut pour y accéder traverser des sous-bois, où Borg adolescent venait cueillir des fraises sauvages. Et ces fraisiers sauvages vont agir sur lui telle la madeleine de Proust. Ressurgissent alors les repas de famille (nombreuse, Borg était l’aîné de dix enfants, lui seul est encore en vie), et la cour qu’il faisait à Sara (Bibi Anderson), qui lui préfèrera un de ses frères. Et dès lors s’enclenche tout le process du film. Chaque lieu, chaque rencontre, lui remémore un ou des épisodes de sa vie. S’il s’agit d’évocations, un jeune acteur joue son rôle. Lorsqu’il voudrait « réécrire » des événements, agir différemment avec le recul du temps, c’est Sjöström qui joue face à de jeunes acteurs.

Vont se succéder la rencontre de trois jeunes auto-stoppeurs, une fille (elle aussi prénommée Sara, elle aussi jouée par Bibi Anderson) et ses deux soupirants, un couple qui vient d’avoir un accident de voiture et qui passe son temps à s’engueuler, la (très) vieille mère de Borg, encore plus revêche que lui, chaque rencontre appelant des souvenirs passés de la vie de Borg. Le voyage sera aussi l’occasion de faire le point pendant le trajet avec sa belle-fille, et arrivés à Lund et après la cérémonie de son jubilée, de retrouver son fils, l’époux de Marianne, et sa vieille gouvernante qui a fait le déplacement (en train ?). En une journée, Borg aura fait face à son passé, les fantômes qui le hantent et sera prêt à affronter l’avenir, autrement dit vu son âge, la mort …

Sjöström & Andersson, jeux de miroirs et reflets d'existence

Même si une bonne moitié du film se passe en voiture, on est assez loin d’un road movie à la « Thelma et Louise ». Il n’en reste pas moins que raconter les éléments marquants de la vie d’un type en une heure et demie, avec un procédé narratif assez unique constitue une prouesse cinématographique. Sans que ça sonne comme un exercice de style plombant (ce que Bergman fera parfois dans sa carrière). Et sans que ça sonne sinistre. Il y a des scènes plutôt drôles (les deux sœurs jumelles qui pensent et parlent en parfaite stéréo), la mère de Borg qui en quelques minutes à l’écran définit un portrait de mégère insupportable comme on en a rarement vu (une Tatie Danielle puissance dix pour situer), ce couple d’échoués de la route qui finit par se donner des baffes (c’est la femme qui cogne), le trio de jeunes auto-stoppeurs, leur triangle amoureux et leurs disputes futiles … et là aussi, c’est la fille qui mène le jeu. Et on se retrouve donc, alors que le personnage central est un vieux con misogyne, avec un film qui tourne le plus souvent au manifeste féministe.

Bon, comme il s’agit de Bergman, inutile de s’étendre sur le fait que les images, les cadrages et le jeu des acteurs sont d’une précision diabolique.

Allez, un reproche pour finir. « Les fraises sauvages » est un film tellement dense, tellement original dans sa forme, qu’un seul visionnage ne suffit pas à en saisir toutes les subtilités.

Un des très bons du Maître suédois cependant.


ERICK ZONCA - JULIA (2008)


 From L.A. to Tijuana ...

Erick Zonca est un réalisateur peu prolixe. Quatre films en plus de vingt ans, on n’a pas affaire à un stakhanoviste des plateaux … et encore un de ses films, son second (« Le petit voleur »), était pour la télévision et n’est sorti que confidentiellement en salles. Zonca, c’est aussi un peu des espoirs déçus. Son premier film « La vie rêvée des anges » avait récupéré une Palme à Cannes (prix d’interprétation féminine pour ses deux actrices Elodie Bouchez et Natacha Régnier), et dans la foulée raflé des Césars l’année suivante. Et ensuite Zonca a quasiment disparu des radars, cachetonnant parfois dans la pub.

Tilda Swinton & Erick Zonca

« Julia » est son troisième long métrage, dix ans après « La vie rêvée des anges ». A cheval entre deux mondes. L’équipe technique est essentiellement française, les acteurs anglo-saxons, et les lieux de tournage sont aux Etats-Unis et au Mexique en anglais et en espagnol. « Julia » mélange les genres, entre polar, road movie, et dissection psychologique de son personnage principal.

Julia, c’est l’actrice anglaise Tilda Swinton qui trouve certainement là le rôle de sa vie. Présente dans toutes les scènes, elle porte le film sur ses épaules et livre une performance habitée qui marque les esprits. Un jeu très « animal » pour mettre en scène une alcoolo paumée qui va basculer dans un engrenage dont les rouages lui échappent totalement…

Une interprétation à la Gena Rowlands … A double titre. Par l’approche du personnage et parce que « Julia » présente beaucoup de similitudes avec « Gloria » de Cassavettes et Rowlands dans le rôle-titre. Zonca a réfuté le remake … ouais, mais la base du scénario (la cavale d’une femme solitaire et d’un gamin qui vaut très cher) est la même, et la tension omniprésente de la même façon …

Julia au réveil ...

La première scène nous montre Julia bien imbibée en boîte de nuit, vidant force verres et se trémoussant au son de « Sweet dreams » d’Eurythmics. Elle allume férocement un inconnu qui passait par là et ils finissent la nuit sur le siège arrière d’une bagnole. On se rend compte que c’est le quotidien de Julia, la picole forcenée et les coups d’un soir. Evidemment, c’est un mode vie peu compatible avec métro-boulot-dodo. Et son boulot, elle s’en fait virer (pas à l’heure, toujours bourrée de la veille) malgré l’intercession auprès de son boss d’un collègue de bureau (lui aussi pas mal cabossé par la vie), qui l’a faite embaucher et en est plus ou moins amoureux, on le verra par la suite (mais ils couchent pas ensemble).

La perte du boulot, les factures qu’on peut pas payer et qui s’accumulent, c’est pas ça qui va modifier le comportement de Julia. Toujours clope au bec et verre à la main, elle tente sans conviction une séance aux Alcooliques Anonymes. C’est là qu’elle rencontre une petite bonne femme mexicaine assez perturbée (mais Julia ne semble pas s’en apercevoir), qui finit par la brancher sur un kidnapping de gosse. Le sien, soi-disant séquestré par un grand-père très riche qui l’empêche de le voir. Combat éthique dans le cerveau envapé de Julia, qui finit par accepter parce qu’il y a un peu de fric à se faire (c’est la mexicaine qui doit le lui donner) et que du fric, Julia en a bien besoin. Julia prépare donc le kidnapping avec sa copine de circonstance (mais bon, ça s’improvise pas, surtout quand on est rarement à jeun), achète un flingue à une petite frappe qu’elle connaît. Au moment de passer à l’acte, elle s’aperçoit que la mexicaine est totalement dérangée et mytho, et que si l’essentiel de son histoire est vraie, elle voulait enlever son fils pour demander une rançon au grand-père … Julia voit là beaucoup plus de pognon à se faire et passe à l’action toute seule …

Opération réussie. Julia kidnappe le petit-fils du plein aux as. Et à mesure que les enchères montent (ça va finir à deux millions de dollars pour qu’elle rende l’enfant), Julia contrôle de moins en moins la situation. Parce que ce n’est pas une délinquante qui a minutieusement préparé son plan, et qu’elle n’a pas la moindre idée, n’ayant jamais été mère, de la façon dont on gère un gosse de huit ans qu’on vient d’enlever. Julia est volontaire, tente d’amadouer le bambin et en même temps de se sortir à l’arrache et en totale improvisation des situations de plus en plus compliquées qui se présentent. Il y a dans « Julia » du Cassavettes-Rowlands, évidemment, mais aussi du « Fargo » des Coen Bros, la canicule du désert du Nouveau-Mexique remplaçant les étendues enneigées du Minnesota, avec en filigrane ce kidnapping foireux fait par des branquignols et qui tourne mal… et comme Julia évacue la pression bouteille à la main, tout va de pire en pire …

Le périple de Julia et du gosse avec les flics au cul genre « Thelma et Louise » se finira au Mexique, dans la ville frontière de Tijuana, censée être la plus dangereuse du monde. Pas compliqué d’imaginer que les emmerdes encore plus gravissimes vont dès lors se multiplier.

Tijuana, tout se complique encore plus ...

Il y a du rythme dans « Julia ». Par le parti-pris de Zonca de filmer au plus près des personnages, caméra sur l’épaule. Tout en évitant un montage épileptique avec changement de plan toutes les trois secondes. Il y a de la tension, du suspense, mais surtout une interprétation fabuleuse de Swinton. Elle joue un personnage paumé affectivement, sans repères sociaux ou moraux. Julia est une grande bringue rousse qui boit comme un trou, et raisonne évidemment comme un pilier de bar aviné. Et on est loin des personnages d’ivrognes de comédie, c’est pas « Boire et déboires » if you know what I mean, on a même l’impression que Julia-Swinton est réellement bourrée, alors qu’en fait dans la vraie vie Tilda Swinton ne boit jamais une goutte d’alcool …

Et petit à petit, on voit se transformer cette solitaire instable en une femme déterminée, se rendant peu à peu compte que ce petit minot qu’elle a enlevé, c’est pas seulement un paquet de pognon. C’est à ce moment-là, quand elle va découvrir qu’elle aussi peut avoir quelque chose qui ressemble à de l’instinct maternel qu’elle va arrêter de subir, de raconter et de se raconter des bobards de comptoir, et prendre en main leur destin commun, alors que la situation est totalement cataclysmique.

« Julia » est prenant, passionnant assez souvent. Avec aussi les défauts de ses qualités. A vouloir centrer deux heures et quart sur une seule personne (tous les autres acteurs y compris le bambin sont scénaristiquement parlant, au mieux des seconds rôles), on ramène tout le reste du casting à de l’accessoire. Tout juste si on comprend qui est ce gosse, qui sont ses parents et son grand-père. Le collègue de boulot amoureux de Julia qu’on voit au début réapparaît de façon saugrenue à la fin sans apporter quoi que ce soit à l’intrigue ou à son dénouement (en fait dans les bonus du Dvd il y a des scènes coupées au montage qui permettent de mieux cerner tous ces seconds rôles). Et la partie mexicaine de l’histoire présente des acteurs plutôt énigmatiques, on voit bien qu’ils sont pas très nets, mais on a du mal à situer une hiérarchie (qui commandite, quel est le rôle des flics, du gros chauffeur de taxi, du play-boy latino amant d’un soir ?). Bon, vous allez me dire, y’a plein de bons polars ou assimilés légendaires où on comprend strictement rien de la première à la dernière image (que quelqu’un me fasse un exposé clair et synthétique sur l’intrigue du « Faucon maltais » ou de « Mulholland drive », allez, pas tous en même temps …).

Beaucoup plus de positif que de négatif. Film à voir.


VITTORIO DE SICA - LE VOLEUR DE BICYCLETTE (1948)

 

Faits divers ...

Imaginez aller voir un film où le héros serait un péquenot accompagné de son moutard qui passerait son temps à chercher dans Rome une putain de bicyclette qu’il s’est fait piquer … à l’heure où tout ce qu’on vous montre c’est des super-héros qui essayent de sauver l’humanité et la galaxie en luttant de tous leurs super-pouvoirs contre les forces du Mal, aidés de gadgets qui feraient passer les iPhone 12S à 1500 euros pour des silex  préhistoriques … Bon, ça c’était il y a déjà une éternité, quand on pouvait aller au cinéma, dans le monde d’avant … alors que le monde de maintenant et celui d’après, ils sont ou seront pires que celui d’avant … Eh oh les super-héros, vous foutez quoi? On aurait bien besoin que vous fassiez quelque chose, là, tout de suite, y’a tout qui part en sucette, vous voyez pas ?

De Sica et ses acteurs

Autant dire qu’avec « Le voleur de bicyclette », on est vraiment dans un autre monde. Un monde où l’on n’avait pas besoin de millions de dollars et de technologie high-tech pour faire un film. Et si vous voulez mon avis, c’était vraiment mieux avant … parce que « Le voleur … » c’est un des plus grands et des plus beaux films de tous les temps (y’a pas que moi qui le dit, y’a aussi Woody Allen, et il doit y en avoir quelques autres aussi qui pensent la même chose).

« Le voleur … » c’est tourné dans Rome en 1948. Dans une ville sinistrée par des années de fascisme et de guerre. Une ville qu’il faut reconstruire et agrandir, parce que la misère elle est encore pire partout ailleurs dans l’Italie, et que les gens viennent essayer de (sur)vivre, habiter, et si possible de travailler dans la capitale. Le film commence d’ailleurs par une scène où des dizaines de types attendent le matin pour voir s’il n’y aurait pas du boulot pour eux, devant une sorte de bâtiment d’aide sociale ou de Pôle Emploi. Parmi eux, Ricci, qui se tient à l’écart, et n’y croit plus. Mais voilà qu’on l’appelle, y’a du travail pour lui. Il est embauché pour coller des affiches. Seule condition à remplir, il lui faut un vélo. Et à le voir hésiter, on devine qu’il y a un problème, il finit par avouer qu’il a bien une bécane, mais elle est gagée, mais promis, il aura un vélo le lendemain pour aller bosser …


Et le décor est posé. Dans ces terrains vagues qui s’urbanisent à marches forcées, on est au cœur de l’Italie d’en bas. On a appelé ça le néo-réalisme, une façon de faire du cinéma sans pognon et sans acteurs (tout le casting est composé de non-professionnels) avec juste une caméra qui tourne (en extérieur, pas les moyens de créer des décors dans un studio, d’ailleurs il n’y en avait plus, la Cinecitta étant devenue un camp de déplacés ou de déportés). Une technique et une philosophie artistiques héritées du cinéma russe des années 20. Le côté propagande du régime en place en moins côté italien, même si les deux « stars » du néo-réalisme (Rossellini et De Sica) ont entretenu durant leurs premiers tours de manivelle des rapports assez ambigus avec Mussolini et sa clique fasciste. Et même si au final, un des films dont « Le voleur … » est le plus proche, ce serait « Les raisins de la colère » de John Ford.

Searching in the rain ...

« Le voleur … » c’est en même temps un film qui raconte une histoire (une journée dans la vie d’un Romain à la recherche de sa bécane), mais c’est aussi un formidable document(aire) sur l’Italie de l’immédiate après-guerre. Qui en dit plus en 86 minutes chrono sur l’état d’un pays et sa société que le tocard franchouillard Pernaut, ce héros (?) de l’information télévisée en a dit en plus de trente ans de JT. On visite cette banlieue romaine où commencent à s’aligner de nouvelles constructions (des barres HLM) plus ou moins finies (les bâtiments sont neufs, mais l’eau potable tu fais la queue pour en avoir à une pompe au pied des immeubles). On voit un pays qui se libère du joug du fascisme (les caves où se côtoient répétitions des « artistes » du quartier, et réunions syndicales, des communistes forcément). On y voit ces intérieurs de logements sans meubles, le crédit municipal où s’amoncellent (ces vertigineuses piles de draps et de linge) ce que toutes ces familles pauvres viennent gager pour avoir en échange quelques billets grands comme des feuilles A4 qui leur permettront de payer le loyer et de manger quelques jours, ces églises délabrées où contre une messe, le Secours Catholique te donne une gamelle de nourriture (cette lutte d’influence entre cocos et bigots pour la mainmise morale sur le peuple). On y voit tous ces petits trafics en tout genre qui permettent de profiter de la misère de ses semblables (la file d’attente dans la cuisine de la voyante, ces amoncellements de vélos entiers ou en pièces détachées sur des marchés très tôt le matin où quelques aigrefins viennent vendre des engins qu’aujourd’hui on dirait tombés du camion). On y voit ce peuple qui va s’entasser dans les stades pour nourrir une véritable dévotion aux équipes de foot (c’est aux abords du stade où s’affrontent Rome et Modène que va se conclure l’histoire). On y voit ces policiers et ces gendarmes qui se foutent de tous les petits larcins dont on vient se plaindre (en gros dis-nous le si tu la retrouve ta putain de bicyclette, nous on va pas la chercher), qui font semblant de faire leur boulot (la « perquisition » chez la mère du voleur). On voit aussi ceux qui sont en train de monter à toute blinde l’ascenseur social (les grosses dondons bourges et leur progéniture tête à claques au restaurant), et une parenthèse assez hallucinante et prémonitoire de plein de hashtags d’aujourd’hui, cet élégant gommeux qui propose une glace au fils de Ricci sur le marché aux bécanes à condition qu’il le suive discrètement (pour le kidnapper ? pour le sauter ?).

On trouve aussi dans « Le voleur … » une étude poussée de caractère du cocon familial. La femme de Ricci n’apparaît qu’au début, mais on devine que c’est elle qui porte la culotte, qui est énergique, qui agit (la vente des draps pour racheter le gage sur le vélo). Dans le reste du film, on voit les rapports qui se nouent entre le père et le fils. Ce dernier d’abord traité comme une aide, puis comme un poids mort, avant une crise d’amour paternel qui fait lâcher à Ricci ses derniers billets pour l’amener au restaurant, une fois qu’il l’a cru noyé. Et le dernier plan les voit partir main dans la main après une journée fertile en émotions et rebondissements.


« Le voleur … » (encore une fois, traduction hasardeuse, c’est « Les voleurs … » en V.O. et c’est beaucoup plus en relation avec la réalité du scénario), c’est une sorte de bicyle-movie avec courses-poursuites désespérées (l’obscur objet du désir à portée de main, ça se joue à quelques mètres, et puis ça bascule). Evidemment, on est assez loin des scènes d’ouverture des Indiana Jones, mais il y a toujours en filigrane cette quête du Graal à deux roues, qui va permettre de survivre, puis de vivre et pourquoi pas de s’élever dans la société (ces alignements de chiffres sur la nappe du restaurant, comme un mirage là aussi de la « fortune » à portée de main si on arrive à retrouver cette foutue bécane).

A la marge, on trouve aussi dans « Le voleur … » un hommage au cinéma. Quoi de plus normal de la part de De Sica, véritable stakhanoviste du septième art, en tant que scénariste, réalisateur et même acteur (il a tourné dans des dizaines de films). Le boulot de Ricci, c’est coller une affiche de film sur les murs. C’est celle de Rita Hayworth dans « Gilda », déclaration d’amour du metteur en scène italien fauché au cinéma hollywoodien. Lequel le lui rendra, décernant à De Sica l’Oscar du meilleur film étranger pour « Le voleur … ».

Sergio Leone face à Ricci

Enfin, on peut signaler qu’il y a non crédité au générique dans « Le voleur … », un des ténors à venir du cinéma italien, Sergio Leone, même pas vingt ans à cette époque. Il a participé au scénario et fait de la figuration.

« Le voleur … », c’est le genre de très grand film construit sur des petits riens et des gens ordinaires. Il y en a quelques-uns, et pas des moindres (Sautet et Ken Loach sont les deux premiers noms qui me viennent à l’esprit) qui passeront leur vie à filmer des gens ordinaires et à nous les rendre intéressants, voire captivants. Sans jamais faire aussi bien que De Sica avec « Le voleur de bicyclette ».



 


ORSON WELLES - LE CRIMINEL (1946)

 

Le glaive de la Justice ...

Le plus mauvais film d’Orson Welles. C’est pas moi qui le dit, mais Orson Welles lui-même …

Comme j’ai pas vu tous ses films, je vais pas le suivre ou dire le contraire. Même si effectivement, « Le Criminel » n’est pas son meilleur. Evidemment, quand a tourné « Citizen Kane » (à 25 ans !), tout le reste a toutes les chances de souffrir de la comparaison. « Citizen Kane » c’est le « Sgt Pepper’s » du cinéma, il y a dans le septième art un avant et un après, et quatre-vingts ans après sa sortie, le film est toujours cité comme un des meilleurs, si ce n’est le meilleur jamais tourné …

C’est un peu tout le problème de Welles, trop jeune et trop génial dans une forme d’expression (le cinéma) en pleine expansion, et que quelques studios et financeurs entendent gérer comme une affaire qui tourne et rapporte de plus en plus, l’Art devant s’accommoder des montagnes de dollars déjà en jeu. Welles en fera très rapidement les frais avec le successeur de « Citizen Kane », « La splendeur des Amberson ». Film charcuté au montage (trois quarts d’heures supprimés et détruits à jamais), final rejeté et retourné, la RKO n’y va pas avec le dos de la cuillère …

L'épilogue : Robinson, Young & Welles

Welles est un boulimique, qui a toujours plusieurs projets sur le feu, dont l’essentiel se retrouvent avec un veto hollywoodien. « Le Criminel » (« The Stranger » en VO) est un projet que Welles voulait de toute façon bâcler, sa priorité d’alors étant de tourner avec son épouse légitime Rita Hayworth.

L’histoire a pourtant de la gueule. En 1946, faire un film sur la traque des nazis enfuis à l’étranger relevait de l’actualité brûlante. C’est semble-t-il aussi la première fois que seront montrées au grand public des images (réelles) de reportages sur l’holocauste et les camps d’extermination … sauf que Welles mélange tout, réalité et cruauté historiques, et scénario en totale roue libre. Pour ne rien arranger, Welles interprète un des deux rôles principaux, cabotinant devant la caméra (on se demande s’il joue dans un film ou donne une représentation théâtrale, tant il en rajoute des tonnes). Ce n’est pas le seul problème du casting. Loretta Young, qui joue sa femme dans le film est certes une stakhanoviste des plateaux (elle a commencé à trois ans !), mais est ici totalement dénuée de charisme (de talent ?) et sa (longue) carrière n’est qu’une litanie sans fin de séries B.

Le seul rôle majeur à tirer son épingle du jeu est Edgard G. Robinson (l’inoubliable interprète de Rico « Le Petit César »), en enquêteur (l’inspecteur Wilson) traqueur de nazis (il n’a pas dû avoir besoin de trop forcer, tout dans sa biographie laisse à penser qu’il détestait Hitler, son régime et ses sbires).

« Le Criminel » commence pourtant bien. Robinson veut retrouver Franz Kindler, un des théoriciens et acteurs de la « solution finale », disparu sans laisser de traces lors de la chute du Reich. Il fait libérer un de ses lieutenants (Meinike), et le fait suivre pour qu’il le conduise à son ancien chef. C’est ainsi que nous nous retrouvons à Harper, petit bled du Connecticut, dont le seul centre d’intérêt est une église dotée d’un clocher comportant un mécanisme d’horloge sophistiqué avec procession de personnage symboliques qui marquent les heures.


Et au bout d’un quart d’heure, on a retrouvé Kindler (Orson Welles) qui est devenu enseignant sous le nom de Charles Rankin et vient d’épouser la fille du notable du coin, un juge de la Cour Suprême à la retraite. La ficelle est un peu grosse, mais pourquoi pas … Dès lors, ce coupable que l’on connaît va faire ou tenter de faire disparaître tous ceux qui le relient à son passé où l’ont découvert (Meinike, le chien de sa femme, sa femme, …).

Le film ne sera que la tentative de l’inspecteur pour le confondre. Faut dire qu’il prend son temps et ne se montre guère perspicace. Une phrase de Rankin / Kindler lors d’un dîner (« Karl Marx n’est pas un Allemand, mais un vulgaire juif ») le laisse sur le coup de marbre, il ne percutera que des heures plus tard …

L’épilogue ne fait guère de doute (sans même évoquer le code Hayes) y compris dans sa scène finale qui se veut choc, mais qui nous est amenée plutôt lourdement. Comme Louis XVI, Rankin / Kindler est passionné d’horlogerie, et passe son temps libre à retaper l’horloge récalcitrante du clocher. C’est bien évidemment dans ce clocher que se dénouera l’intrigue …

Il y a quand même des détails qui agacent, et qui montrent le je-m’en-foutisme de la réalisation. Dans le bar du patelin, tous les clients jouent aux dames avec le patron. Sauf que le jeu de dames est un jeu d’échecs (64 cases au lieu de 100), lors d’une partie ce sont les noirs qui commencent (alors que ce sont toujours les blancs), lors d’une autre partie Rankin et son adversaire avancent tous les deux le même pion … On peut aussi déduire que Welles n’est guère bricoleur, ou tout au moins guère porté sur la menuiserie. Lorsqu’il scie un barreau de l’échelle qui mène au haut du clocher, il utilise une scie à métaux et non une scie à bois …

En fait, la seule chose qui sauve (un peu) « Le Criminel » c’est le génie de Welles derrière une caméra. Des angles de vue inventifs (plongée, contre-plongée, …), des panoramiques bien choisis, des gros plans quand il faut. Et surtout un travail phénoménal sur les éclairages, ces jeux d’ombre et de lumière avec ces ombres démesurées et omniprésentes, qui renvoient bien évidemment aux films expressionnistes allemands des années 20.

Ce qui ne suffira tout de même pas pour réhabiliter « Le criminel ».





SPIKE LEE - DO THE RIGHT THING (1989)

Fight the power ...

Ce titre de Public Enemy, on l’entend à quinze reprises dans le film (rien qu’une fois en entier, précision pour ceux qui peuvent pas supporter le rap). Pas vraiment par hasard … Public Enemy (ou plutôt leur parolier et principal rappeur Chuck D.) et Spike Lee étaient faits pour travailler ensemble. Pas sûr qu’ils aient anticipé le buzz et le succès qu’ils allaient remporter …
Parce que pour moi, « Do the right thing » est un marqueur, un film condamné à faire date. Dans l’œuvre de Spike Lee d’abord. Parce qu’il n’a jamais fait mieux, ni derrière une caméra, et encore moins devant un micro (voir ses déclarations à l’emporte pièces sur Eastwood et Tarantino ces derniers temps). J’aime pas Spike Lee, le bonhomme, sa façon de souffler le chaud et le froid sur les sujets délicats qui le préoccupent (en gros la situation des Afro-américains aux Etats-Unis), sa façon d’alterner des constats lucides et des discours radicaux … Faut le voir dans les bonus du Blu-ray que j’ai (la réédition dite du vingtième anniversaire) faire un show grotesque lors de la conférence de presse-présentation du film au Festival de Cannes 89, grisé par des applaudissements (mérités) sur ses réparties judicieuses, et se laissant progressivement aller à un gloubi boulga pathétique sur fond de racisme et d’analyse politique et sociale à deux balles … alors qu’avec « Do the right thing », y’a rien à dire, suffit de laisser parler les images …
Dans la pizzeria ...
« Do the right thing » est un projet de Lee qui vient de loin. De sa première trace filmée alors qu’il n’était qu’étudiant à l’Ecole de Cinéma de New York, un court métrage se passant dans le quartier de Bedford-Stuyvesant, à Brooklyn. Un tronçon de rue de ce quartier sera le lieu unique de l’action de « Do the right thing ». Un été de canicule (86 ?) lui inspirera le scénario. Qui se présente comme une tragédie classique, respectant les trois unités, même lieu, une journée, tous les personnages participent à l’action …
C’est à partir de ces postulats que le film et son environnement sont mis en place. L’objectif avoué de Spike Lee est de faire un film sur le racisme, ordinaire, osera-t-on. La démarche est radicale dans tous les sens du terme. L’essentiel du casting est composé de Noirs, au mieux de métèques (les Portoricains) et de quelques Blancs immigrés de fraîche date (l’accent du pays de Dan Aiello). Pareil pour l’équipe technique, Noire en très grande majorité. Avant même le premier tour de manivelle, qu’on le veuille ou pas, l’accent est mis sur le communautarisme. Les visites « de prestige » se succèderont sur le tournage, du gentil Stevie Wonder au vieux coq Melvin Van Peebles (l’ancêtre des films de blaxploitation). Et au niveau du casting, on voit que Lee voue une déférence si ce n’est un culte à deux des acteurs, le couple à la ville Ossie Davis – Ruby Dee, vieux militants de la cause noire à Hollywood …
Premier challenge, filmer en décors naturels dans une rue d’un quartier mal famé. Il faut retaper quelques façades, construire le décor de la pizzeria et de l’épicerie sud-coréenne qui lui fait face à un carrefour (les deux bâtiments n’existent pas et tout un tas de fans du film les recherchent en vain depuis des années). Il faut aussi convaincre les habitants de se plier aux exigences du tournage (beaucoup de billets verts ont circulé, il n’est pas sûr qu’ils aient été comptabilisés dans le budget). Et puis, il faut nettoyer le quartier, repaire de dealers. C’est une « association », émanation de la Nation of Islam du prêcheur radical Farrakhan (dont Spike Lee avoue plus ou moins implicitement être proche intellectuellement) qui se chargera de la besogne. Remercions au passage l’honnêteté de Lee qui a laissé passer dans les très bons et nombreux bonus des avis des locaux très réservés sur les « bienfaits » apportés par son film au quartier et à la « cause » …
Le film se passe par une journée caniculaire, dans un quartier aux façades repeintes de couleurs chaudes (le rouge et l’orangé notamment), et la tragédie se nouera dans la pizzeria de Sal, l’Italo-américain (l’excellent Dan Aiello). Sal est plutôt bonhomme, mais faut pas le faire chier … Il gère son commerce en compagnie de ses deux fils, Pino le raciste terminal (John Turturro), et Vito (Richard Edson) beaucoup plus posé. Mookie est leur livreur de pizzas. Tête à claques, feignasse, toujours en train de rouscailler et de demander sa paye ou une avance à Sal.
Partant certainement du principe que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même (c’est Mookie qui lorsque la situation sera bien explosive, mettra définitivement le feu aux poudres), Spike Lee tient lui-même ce rôle. Et comme on n’est jamais mieux servi également que par ses proches, c’est son père (pianiste de jazz de seconde division) qui fera la musique, sa sœur qui aura un second rôle, et celle qui deviendra sa compagne dans la vraie vie (Rosie Perez) jouera sa femme … Une affaire de famille …
Rosie Perez & Spike Lee
« Do the right thing », c’est avant tout une galerie de portraits et une fresque sociale. Des stéréotypes, souvent, mais c’est voulu et indispensable au scénario (on n’imagine pas des virages politiques ou moraux à 180° dans une journée, fût-elle caniculaire). Il y a le vieux sage pochetron (Ossie Davis), la retraitée gouailleuse (Ruby Dee), le DJ qui derrière sa vitre observe et commente tout ce qui passe dans la rue (Sam Jackson, futur Samuel L Jackson), les trois blacks sous un parasol (retraités ? chômeurs ?) qui se balancent des vannes et font un peu office de chœur de tragédie grecque, le couple d’épiciers coréens que tout le monde jalouse et regarde de travers, les flics du quartier (Blancs bien sûr) qui se la jouent cowboys …
Et puis les protagonistes principaux, Mookie, Sal et ses fils, DJ Raheem (Bill Nunn), jeune Black baraqué qui se balade avec un énorme ghetto blaster crachant du Public Enemy toute la journée, Buggin Out (Giancarlo Esposito), jeune traîne-savates qui se prend pour la conscience politique du peuple Noir. Sans oublier le prédicateur bègue ( ! ) et simplet (Roger Guenveur Smith) qui essaye de refourguer à tout le monde une photo réunissant Matin Luther King et Malcolm X …
Bill Nunn, la nuit du c(h)asseur
Malgré la nonchalance dûe à la canicule, quelques écarts loufoques et drôlatiques, on sent très bien monter la tension et on sait, vu les protagonistes, que ça va forcément finir en sucette … Toute la finesse du scénario étant d’amener le bon prétexte et de faire se confronter les bonnes personnes au bon endroit … Avec un gros boulot d’acteurs derrière. Même s’il demande à tous d’intervenir et de suggérer d’éventuelles modifications au scénario, des lectures préparatoires ont eu lieu, et il très intéressant de voir les acteurs nous décrire comment ils ont appréhendé leur rôle, et Spike Lee leur demander à moment donné à chacun de raconter la vie antérieure de leur personnage, dont il ne sera jamais fait allusion dans le film …
Même si ce qu’il y a entre est excellent, les deux moments du film qui ont le plus marqué les esprits sont les génériques de début et de fin.

Au début, on voit Rosie Perez faire un grand numéro de danse hip-hop sur (of course) « Fight the power ». C’est pour son sens du rythme (elle n’avait jamais fait de cinéma, elle était go-go danseuse) et son joli cul (dixit Spike Lee, y’a encore du boulot pour toi, garçon, une fois que t’auras réglé le problème racial, faudra réfléchir au machisme et au sexisme …)
Et à la fin, après la dernière image et avant le générique version expended, apparaissent sur l’écran deux citations. La première de Martin Luther King, plaidoyer pour la tolérance, le pardon et la non-violence. La seconde de Malcolm X, justifiant et encourageant la violence lorsqu’elle répond à une oppression raciale manifeste. Le but recherché de cette juxtaposition étant bien évidemment la polémique, Spike Lee a parfaitement réussi son coup …
C’est parce qu’on en parle beaucoup qu’on reconnaît les grands films. Et là, avec « Do the right thing », mission plus que bien accomplie …


La bande-annonce et le générique d'ouverture