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SPIKE LEE - DO THE RIGHT THING (1989)

Fight the power ...

Ce titre de Public Enemy, on l’entend à quinze reprises dans le film (rien qu’une fois en entier, précision pour ceux qui peuvent pas supporter le rap). Pas vraiment par hasard … Public Enemy (ou plutôt leur parolier et principal rappeur Chuck D.) et Spike Lee étaient faits pour travailler ensemble. Pas sûr qu’ils aient anticipé le buzz et le succès qu’ils allaient remporter …
Parce que pour moi, « Do the right thing » est un marqueur, un film condamné à faire date. Dans l’œuvre de Spike Lee d’abord. Parce qu’il n’a jamais fait mieux, ni derrière une caméra, et encore moins devant un micro (voir ses déclarations à l’emporte pièces sur Eastwood et Tarantino ces derniers temps). J’aime pas Spike Lee, le bonhomme, sa façon de souffler le chaud et le froid sur les sujets délicats qui le préoccupent (en gros la situation des Afro-américains aux Etats-Unis), sa façon d’alterner des constats lucides et des discours radicaux … Faut le voir dans les bonus du Blu-ray que j’ai (la réédition dite du vingtième anniversaire) faire un show grotesque lors de la conférence de presse-présentation du film au Festival de Cannes 89, grisé par des applaudissements (mérités) sur ses réparties judicieuses, et se laissant progressivement aller à un gloubi boulga pathétique sur fond de racisme et d’analyse politique et sociale à deux balles … alors qu’avec « Do the right thing », y’a rien à dire, suffit de laisser parler les images …
Dans la pizzeria ...
« Do the right thing » est un projet de Lee qui vient de loin. De sa première trace filmée alors qu’il n’était qu’étudiant à l’Ecole de Cinéma de New York, un court métrage se passant dans le quartier de Bedford-Stuyvesant, à Brooklyn. Un tronçon de rue de ce quartier sera le lieu unique de l’action de « Do the right thing ». Un été de canicule (86 ?) lui inspirera le scénario. Qui se présente comme une tragédie classique, respectant les trois unités, même lieu, une journée, tous les personnages participent à l’action …
C’est à partir de ces postulats que le film et son environnement sont mis en place. L’objectif avoué de Spike Lee est de faire un film sur le racisme, ordinaire, osera-t-on. La démarche est radicale dans tous les sens du terme. L’essentiel du casting est composé de Noirs, au mieux de métèques (les Portoricains) et de quelques Blancs immigrés de fraîche date (l’accent du pays de Dan Aiello). Pareil pour l’équipe technique, Noire en très grande majorité. Avant même le premier tour de manivelle, qu’on le veuille ou pas, l’accent est mis sur le communautarisme. Les visites « de prestige » se succèderont sur le tournage, du gentil Stevie Wonder au vieux coq Melvin Van Peebles (l’ancêtre des films de blaxploitation). Et au niveau du casting, on voit que Lee voue une déférence si ce n’est un culte à deux des acteurs, le couple à la ville Ossie Davis – Ruby Dee, vieux militants de la cause noire à Hollywood …
Premier challenge, filmer en décors naturels dans une rue d’un quartier mal famé. Il faut retaper quelques façades, construire le décor de la pizzeria et de l’épicerie sud-coréenne qui lui fait face à un carrefour (les deux bâtiments n’existent pas et tout un tas de fans du film les recherchent en vain depuis des années). Il faut aussi convaincre les habitants de se plier aux exigences du tournage (beaucoup de billets verts ont circulé, il n’est pas sûr qu’ils aient été comptabilisés dans le budget). Et puis, il faut nettoyer le quartier, repaire de dealers. C’est une « association », émanation de la Nation of Islam du prêcheur radical Farrakhan (dont Spike Lee avoue plus ou moins implicitement être proche intellectuellement) qui se chargera de la besogne. Remercions au passage l’honnêteté de Lee qui a laissé passer dans les très bons et nombreux bonus des avis des locaux très réservés sur les « bienfaits » apportés par son film au quartier et à la « cause » …
Le film se passe par une journée caniculaire, dans un quartier aux façades repeintes de couleurs chaudes (le rouge et l’orangé notamment), et la tragédie se nouera dans la pizzeria de Sal, l’Italo-américain (l’excellent Dan Aiello). Sal est plutôt bonhomme, mais faut pas le faire chier … Il gère son commerce en compagnie de ses deux fils, Pino le raciste terminal (John Turturro), et Vito (Richard Edson) beaucoup plus posé. Mookie est leur livreur de pizzas. Tête à claques, feignasse, toujours en train de rouscailler et de demander sa paye ou une avance à Sal.
Partant certainement du principe que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même (c’est Mookie qui lorsque la situation sera bien explosive, mettra définitivement le feu aux poudres), Spike Lee tient lui-même ce rôle. Et comme on n’est jamais mieux servi également que par ses proches, c’est son père (pianiste de jazz de seconde division) qui fera la musique, sa sœur qui aura un second rôle, et celle qui deviendra sa compagne dans la vraie vie (Rosie Perez) jouera sa femme … Une affaire de famille …
Rosie Perez & Spike Lee
« Do the right thing », c’est avant tout une galerie de portraits et une fresque sociale. Des stéréotypes, souvent, mais c’est voulu et indispensable au scénario (on n’imagine pas des virages politiques ou moraux à 180° dans une journée, fût-elle caniculaire). Il y a le vieux sage pochetron (Ossie Davis), la retraitée gouailleuse (Ruby Dee), le DJ qui derrière sa vitre observe et commente tout ce qui passe dans la rue (Sam Jackson, futur Samuel L Jackson), les trois blacks sous un parasol (retraités ? chômeurs ?) qui se balancent des vannes et font un peu office de chœur de tragédie grecque, le couple d’épiciers coréens que tout le monde jalouse et regarde de travers, les flics du quartier (Blancs bien sûr) qui se la jouent cowboys …
Et puis les protagonistes principaux, Mookie, Sal et ses fils, DJ Raheem (Bill Nunn), jeune Black baraqué qui se balade avec un énorme ghetto blaster crachant du Public Enemy toute la journée, Buggin Out (Giancarlo Esposito), jeune traîne-savates qui se prend pour la conscience politique du peuple Noir. Sans oublier le prédicateur bègue ( ! ) et simplet (Roger Guenveur Smith) qui essaye de refourguer à tout le monde une photo réunissant Matin Luther King et Malcolm X …
Bill Nunn, la nuit du c(h)asseur
Malgré la nonchalance dûe à la canicule, quelques écarts loufoques et drôlatiques, on sent très bien monter la tension et on sait, vu les protagonistes, que ça va forcément finir en sucette … Toute la finesse du scénario étant d’amener le bon prétexte et de faire se confronter les bonnes personnes au bon endroit … Avec un gros boulot d’acteurs derrière. Même s’il demande à tous d’intervenir et de suggérer d’éventuelles modifications au scénario, des lectures préparatoires ont eu lieu, et il très intéressant de voir les acteurs nous décrire comment ils ont appréhendé leur rôle, et Spike Lee leur demander à moment donné à chacun de raconter la vie antérieure de leur personnage, dont il ne sera jamais fait allusion dans le film …
Même si ce qu’il y a entre est excellent, les deux moments du film qui ont le plus marqué les esprits sont les génériques de début et de fin.

Au début, on voit Rosie Perez faire un grand numéro de danse hip-hop sur (of course) « Fight the power ». C’est pour son sens du rythme (elle n’avait jamais fait de cinéma, elle était go-go danseuse) et son joli cul (dixit Spike Lee, y’a encore du boulot pour toi, garçon, une fois que t’auras réglé le problème racial, faudra réfléchir au machisme et au sexisme …)
Et à la fin, après la dernière image et avant le générique version expended, apparaissent sur l’écran deux citations. La première de Martin Luther King, plaidoyer pour la tolérance, le pardon et la non-violence. La seconde de Malcolm X, justifiant et encourageant la violence lorsqu’elle répond à une oppression raciale manifeste. Le but recherché de cette juxtaposition étant bien évidemment la polémique, Spike Lee a parfaitement réussi son coup …
C’est parce qu’on en parle beaucoup qu’on reconnaît les grands films. Et là, avec « Do the right thing », mission plus que bien accomplie …


La bande-annonce et le générique d'ouverture

PATRICE LECONTE - LES BRONZES (1978)

Club Med ou Camping ?

« Les Bronzés », premier du nom est un film culte. Dont on n’a pas le droit de dire du mal, donc …
Je pourrai donc même pas suggérer que c’est filmé avec les pieds, que le scénario est inexistant, qu’on n’imaginait pas plus belle bande de tocards s’agiter devant une caméra dans une succession de gags tous plus éculés (de ta mère) les uns que les autres … « Les Bronzés » est d’une complaisance, voire d’une autocomplaisance dont un type comme Godard ne s’est jamais approchée, même dans ses pires moments …
Ceci étant, pour le pauvre Leconte (est pas bon), voir son blaze voisiner avec celui de Godard est déjà très nettement le surestimer. Non, Leconte (est pas bon), c’est juste un Max Pecas peinturluré rive gauche … enfin, si tant est qu’on puisse situer Clavier (copain comme cochon avec le nabot Sarko) à la gauche de quoi ce soit…
« Les Bronzés » est déjà très bien comme ça … on peut juste regretter qu’il manque au casting Bigard et Dubosc. Pour « Les Bronzés 4 » peut-être …
Y'a pas de quoi être fiers ...
Plus je regarde ce film (une fois tous les dix-quinze ans à peu près) plus il me gave, avec son interminable litanie de clichés beaufs (non, Jugnot fait pas exprès de ressembler à un personnage de Cabu, il est aussi con dans la vie que dans ses films), voire une condescendance raciste (ces scènes dans le village Ivoirien, comme quoi les relents rances du colonialisme ont la vie dure), l’enfilade des clichés machos dignes des discussions d’un apéro prolongé dans un quelconque bar de la Poste.
J’ai jamais entendu les prétendus gens de gauche (Balasko par exemple) impliqués dans cette chose faire la moue devant ce qu’on voit à l’écran (elle a d’ailleurs été des deux suites de ce machin). On voit par contre tous ces minables se précipiter dans les fauteuils rouges du cacochyme Drucker vendre la dernière daube à laquelle ils ont participé, ou chanter faux une reprise de Serge Lama chez les « Enfoirés », comme quoi l’autogestion bordélique limite anarchisante du Splendid (on est une communauté, on partage tout, ce genre de sornettes claironnées haut et fort à l’époque …) a vite touché ses limites, une fois les premiers brouzoufs arrivés …
« Les Bronzés », c’est tellement con qu’il y a même deux ou trois gags (parce que c’est pas un film, c’est juste une suite de gags) qui me tirent un sourire quand je suis de bonne humeur …
Quand on pense que leurs « concurrents » (l’équipe du Café de la Gare, qui en accueillera par la suite quelques-uns du casting des « Bronzés ») sortaient des films comme « Les Valseuses » lorsqu’ils donnaient dans le cinéma …
Preuve ultime du mauvais goût de la chose (et des gens qui l’ont faite) : Gainsbourg a filé pour la B.O un de ses pires titres jusque-là (il a fait « mieux » dans sa période Gainsbarre), le pitoyable « Sea, sex and sun ». Nettement moins mauvais que le mantra « Darladirladada » qui revient toutes les cinq minutes, mais quand même …
Je ne saurai terminer sans remercier la maison Studio Canal pour la qualité de ses Dvd dotés de zéro bonus et d’une qualité d’image digne d’une VHS nord-coréenne des années 70 … Sans doute pour  que la fête soit complète …



HOWARD HAWKS - LES HOMMES PREFERENT LES BLONDES (1953)

Material Girls ...

Et pas seulement à cause de la chanson de Madonna et de son clip, hommage-pastiche-parodie d’une chanson du film, et pas n’importe laquelle, « Diamond are  a girl’s best friend », une des plus connues du répertoire ( ? ) de Marylin Monroe …
Marylin
Madonna

« Les hommes préfèrent les blondes » (« Gentlemen prefers blondes » en V.O., ce qui comme d’habitude n’est pas exactement pareil) est une comédie musicale qui reprend des ficelles vieilles comme le cinéma (la recherche d’un mari riche quand on brille davantage par son tour de poitrine que par son QI). Déjà un truc doublement ringard au début des années 50, le film musical et la pin-up écervelée. Même si de superbes comédies musicales, il en reste à venir (« West Side story », « Les parapluies de Cherbourg » par exemple) et si la barre vient d’être placée très haut avec « Singing in the rain ». De toutes façons le scénario de « Les hommes … » vient en droite ligne des années 30, avec des références comme « Gold diggers », avec les chorégraphies démentes mises en scène par Busby Berkeley.
Monroe & Hawks
Avec « Les hommes … », on est loin de tout ça. Même si derrière la caméra, il y a Howard Hawks, excusez du peu. Howard Hawks, le type qui a tourné « Scarface », « découvert » Lauren Bacall, et fini avec les deux westerns crépusculaires (avec à chaque fois John Wayne) « Rio Bravo » et Rio Lobo »… Pour faire simple, on dira que Hawks, c’est pas exactement n’importe qui…
D’autant que devant sa caméra, y’a du matos. La Monroe, en pleine ascension vers la gloire intergalactique, qui joue le rôle d’une blonde (si, si) délurée, cupide, maline mais (très) bête. A ses côtés, Jane Russell, dont on aurait oublié les talents de chanteuse et d’actrice, si Dame Nature ne l’avait pas dotée d’un généreux tour de poitrine. Elle est la brune, plus réfléchie et moins cœur d’artichaut que sa copine blonde. Les deux sont chanteuses sexy de cabaret. Et on suit les tribulations de Lorelei Lee (Monroe) et Dorothy Shaw (Russell) en bateau qui vogue vers l’Europe, à Paris ( la ville romantique de toute comédie musicale digne de ce nom), enfin dans des décors en carton censés représenter Paris…
Monroe & Russell
Le scénario est totalement crétin, la Monroe et la Russell jouent et chantent comme des savates, et donc faut se consoler comme on peut de la médiocrité du film. En appréciant les belles images et le beau technicolor de Hawks, une galerie de seconds rôles pittoresques, même si tous en font des brouettes pour avoir l’air le plus con possible, et quelques bonnes réparties intemporelles. Et pour exciter le mâle américain des années cinquante, quelques chansons et chorégraphies (assez quelconques) qui voit brailler et se trémousser plus ou moins en cadence les deux belles en tenues suggestives.
A l’époque, Russell et Monroe figuraient toutes les deux sur l’affiche avec leurs noms écrits en caractère de la même grosseur. Aujourd’hui, si dans la plupart des éditions Dvd et Blu-ray, on trouve sur la jaquette le nom de Jane Russell, par contre Monroe est souvent seule sur l’image.
C’est logique, « Les hommes préfèrent les blondes » …


Du même sur ce blog :




FEDERICO FELLINI - JULIETTE DES ESPRITS (1965)

Vues de l'esprit ...

« Juliette des esprits » comme son double à peu près siamois et diamétralement opposé qui l’avait précédé (« Huit et demi »), marque pour les spécialistes du maestro italien (enfin celui qui donne son avis dans les bonus du Dvd) le « vrai début » de la carrière de Fellini, entendez par là le Fellini qui fera parler beaucoup de lui à la sortie de chacun de ses films. Ouais … sauf que pour moi les vrais chefs-d’œuvre de Fellini sont à chercher avant « Juliette … ». « La strada », « Les nuit de Cabiria », « La dolce vita », c’est de la poésie surréaliste mise en images. Après « Juliette … », ne restent la plupart du temps plus que le surréalisme et la surenchère dans l’extravagance, adieu la poésie … enfin, bon, ce que j’en dis …
Fellini 1965
« Juliette des esprits » c’est la plus fabuleuse galerie de portraits mis en scène par Fellini, servie par une technique irréprochable (pour la première fois il a filmé en couleurs et en Technicolor, avec un sens du cadrage extraordinaire). « Juliette … » pour moi c’est un mix entre le Jacques Tati de « Mon oncle » et le Godard de « Pierrot le Fou » (ce dernier sorti quasi simultanément). « Juliette … » en met plein les yeux (les plans, les couleurs, les costumes sublimes de déjante vestimentaire), et aussi plein les oreilles (la bande-son de Nino Rota est fantastique).
N'importe qui aurait fait du l’histoire de « Juliette … » un mélo plombant sur la vie d’un couple qui s’essouffle, la crise de la quarantaine, l’envie d’aller voir ailleurs ? D’ailleurs c’est pas les mélos plombants qui manquent sur le sujet … Fellini emmène cette histoire dans un autre monde, et pas seulement parce que la première prise de conscience de Juliette qu’elle peut vivre dans cet autre monde se passe lors d’une séance de spiritisme chez elle, à l’occasion de ses quinze ans de mariage, anniversaire quelque peu saccagé par son mari qui rapplique pour fêter ça avec tout un tas d’amis étranges et extravagants alors que Juliette avait prévu un dîner intimiste aux chandelles …
Giulietta Masina
En fait Juliette (extraordinaire Giulietta Masina comme toujours chez Fellini, le fait qu’elle soit sa femme dans la vraie vie expliquant peut-être cela) pour aussi lunaire qu’elle apparaisse avec ses grands yeux de biche étonnés et son sourire de madone niaise, est le personnage le plus « normal » de la distribution. Parce que Fellini a fait fort, pas un personnage principal ou secondaire qui ne crève pas l’écran par un physique décalé, une attitude extravagante, des costumes au-delà du réel (mention particulière dans ce registre à Sandra Milo, Sylva Koscina ou Caterina Boratto qui joue la mère hiératique de Juliette alors que les deux actrices sont quasiment du même âge).

Comme d’habitude chez Fellini, le film est irracontable, chaque scène (n’ayant généralement que peu à voir avec les précédentes et les suivantes) constitue un monde à part entière. Sachez cependant qu’en plus de l’histoire d’un couple qui se désagrège vraiment, le passé de Juliette (ses traumas enfantins chez les sœurs), ses visions d’avenir idylliques (le tombeur espagnol, playboy torero et guitariste gipsy, bonjour les clichés, faits exprès évidemment),
ses aventures au quotidien (les vit-elle ou les rêve-t-elle, on ne sait pas toujours, Fellini ayant tendance à commencer les deux pieds bien ancrés dans le sol pour vous amener en quelques plans et quelques répliques dans un univers totalement barré), un soupçon de psychodrame, quelques visions fugitives (1965 oblige) de femmes dénudées, des bateaux à l’équipage étrange, des visions dignes d’une Rome antique et décadente, ont fait dire à certains (Fellini lui-même, mais faut-il le croire) que ce film a été tourné par le maestro italien sous LSD...
Comme dans tout grand film de Fellini, le sourire, le rire et la franche pantalonnade ne sont jamais très loin, avec des situations ubuesques, des gestes et des répliques venus d’ailleurs. Tati voire Buster Keaton avec leur sérieux qui ne devrait pas l’être me semblent des modèles évidents.
« Juliette des esprits » n’est pas le meilleur film de Fellini (voir plus haut). Mais il vaut en tout cas bien mieux que l’indifférence polie dans laquelle on a tendance à l’enfermer …



JEAN-LUC GODARD - PIERROT LE FOU (1965)

Tout et n'importe quoi ...
Parce qu’il y a dans « Pierrot le Fou » matière à filmer pour des générations de cinéastes, dans un bordel invraisemblable à tous les niveaux. « Pierrot le Fou » est un des trois meilleurs Godard, avec « A bout de souffle » et « Le Mépris », tout le monde est à peu près d’accord là-dessus, les nuances s’effectuant dans les hiérarchies personnelles (si vous voulez mon avis, et même si vous le voulez pas je vous le donne quand même, le meilleur des trois est « Le Mépris », d’une courte tête devant les deux autres).
Godard, Karina, Belmondo
Fidèle à la Godard touch, « Pierrot le Fou » présente une histoire à peu près totalement incompréhensible. Pour faire simple, Ferdinand (Belmondo), mariée à une riche italienne, père de famille, s’emmerde ferme dans le milieu hyper bourgeois, prétentieux et vide dans lequel il évolue. Il fugue avec sa gouvernante ou jeune fille au pair, peu importe, Marianne (Anna Karina). Qui s’avère faire partie avec ses frères (dont l’un serait plutôt son amant, vous suivez ?) d’une bande de trafiquants d’armes. Le périple des deux tourtereaux, partis de Paris vers les plages du Sud de la France, s’achèvera dans une cabane du côté de Toulon, avec la mort de Marianne et le suicide ( ? ) le plus célèbre du cinéma ( ? ) de Belmondo-Ferdinand-Pierrot … Bon, naturellement, on ne comprend strictement rien aux détails de l’intrigue, et à tous ces personnages secondaires qui apparaissent le temps d’une scène à l’écran. Parfois sans aucun rapport avec ce qui précède ou suit (la longue tirade de la vieille libanaise qui a épousé un « prince islamiste » (sic), ou celle de Raymond Devos dans un de ses premiers sketches nonsensiques qui feront sa fortune).
Et on peut se poser des centaines de questions sur ce que l’on voit à l’écran (ou ne voit pas, d’ailleurs). Paru cinq ans plus tard, on aurait dit que Godard avait tourné sous l’emprise du LSD, dix ans plus tard sous coke, vingt cinq ans plus tard sous ecstasy, etc. … Suffit de voir les spécialistes patentés ou autoproclamés es-Godard se perdre en conjonctures sur le pourquoi du comment de ceci ou cela. Vous fatiguez pas, même Godard ne le sait pas toujours …
Les acteurs te parlent, spectateur ...
Ce qui compte, c’est la baffe que tu prends avec ce genre de film. Et celle que tu ramasses avec « Pierrot le Fou », tu risques pas de l’oublier. Plus qu’un film, « Pierrot le Fou » est une succession de scènes cultes (de la discussion avec Samuel Fuller au début, jusqu’à l’explosion finale dans un délire de bleu, de rouge et de jaune). Avec « Le Mépris », « Pierrot le Fou » partage un professionnalisme technique (filmé en Techniscope sur émulsion Eastmancolor, s’il faut être précis). Autrement dit, y’a de belles images avec des couleurs vives. Et quand c’est pas le cas, c’est que c’est fait exprès (les raccords plus qu’approximatifs notamment), juste pour emmerder les manieurs chirurgicaux de caméra. Quand les costumes changent d’un plan ou d’une scène à une autre, c’est fait exprès. Quand Belmondo et Karina sont cadrés à hauteur de nez tout en bas de l’image au milieu de grands pins, c’est fait exprès. Quand ils s’enfuient en voiture après avoir descendu une gouttière, si les plans successifs ressemblent à un puzzle méprisant la chronologie, c’est fait exprès. Lorsque Belmondo et Karina roulent en voiture la nuit, si les trucages d’éclairages semblent venir du paléolithique, c’est fait exprès. Si lors des dialogues entre ses acteurs, Godard n’utilise jamais la technique classique et reconnue du champ-contre champ, c’est aussi fait exprès.  
Il faut reconnaître que dans le dynamitage du cinéma  de papa, c’est « Pierrot le Fou » qui va le plus loin, fixant des jalons tellement forts que même Godard n’arrive plus par la suite à les dépasser, d’ailleurs il devait s’en foutre un peu de faire mieux, s’auto plagier lui suffira … De plus, « Pierrot le Fou » est un peu comme une compilation des thématiques développées par Godard auparavant. On y trouve en vrac, parfois juste suggérées, parfois outrancièrement développée, ses visions sur l’art, la société, l’analyse de l’Histoire en marche. Le film s’ouvre avec Belmondo lisant un très sérieux pavé d’Elie Faure sur l’Art contemporain, et se referme sur une citation de Rimbaud. En passant par une fascination assez étrange pour les Pieds Nickelés, BD plutôt populacière et réac, dont un album est souvent à l’écran. Godard a toujours situé ses films dans le temps présent. Ici, il commence à s’interroger sur la guerre du Vietnam, dont il ne perçoit ni la portée ni la durée ce qu’on ne peut lui reprocher en 1965. Tout juste cela donne t-il lieu à une scène too much avec Belmondo en GI texan (cet accent !) et Anna Karina en geisha peinturlurée jaune fluo, au milieu d’américains en goguette. Comme dans « Le Mépris », Godard met en scène dans son propre rôle un des réalisateurs qu’il vénère. Ici, c’est Samuel Fuller qui définit le cinéma en quelques mots forts, juste pour une scène, alors que Fritz Lang était le personnage autour duquel s’articulait « Le Mépris ». Comme d’habitude et comme toujours, Godard affiche son mépris pour la musique populaire (Belmondo qui balance façon frisbee un 45T de Richard Anthony, le tourne disque au bord de la plage vite submergé par une vague, pas forcément nouvelle …). La jeunesse peut souffler un peu (Godard se rattrapera beaucoup par la suite), elle n’est pas éreintée par les images ou les aphorismes habituels.
Anna Karina
Parce que même si on n’y comprend rien à cette histoire, Godard la filme sans l’oublier en chemin. Et sans chercher à humilier quelque peu ses acteurs principaux en les reléguant au rang de comparses, de marionnettes inexpressives récitant des textes abscons. « Pierrot le Fou » est un film charnel, Belmondo et Karina ont tout du long du film un personnage « cohérent ». Belmondo, c’est le brave gars, un peu simplet, cœur d’artichaut désabusé, qui malgré ses airs de grande gueule macho, de brute cultivée, revient toujours vers Marianne. Karina, c’est la veuve noire (elle achève les mecs avec une paire de ciseaux plantée dans la nuque) manipulatrice sous ses airs angéliques. Évidemment, le fait que ce soit une ex à Godard (qu’il a mal vécu de s’être fait larguer et qu’il voudrait bien la repécho) explique beaucoup de choses dans la façon dont elle est filmée amoureusement, et les spécialistes du Jean-Luc vous dresseront la liste des répliques du film que Godard fait dire à son ex et non pas à Marianne.
Dans « Pierrot le Fou », même les départs en vrille de Godard, parfois bien aidé par l’improvisation des acteurs, constituent de vrais moments forts et non pas des tocades qu’il faut supporter parce que c’est Godard. Regardez l’imitation de Michel Simon par Belmondo, c’est autre chose que l’intégrale de « Plus belle la vie ». Ou le pastiche de comédie musicale avec ses leitmotivs (« ma ligne de chance, ta ligne de hanches »).
Belmondo en route pour le Big Bang
« Pierrot le Fou » fut bien évidemment comme la plupart de ses prédécesseurs lors de sa sortie interdit au moins de dix-huit ans (pour anarchisme moral et social, ou quelque chose comme ça, merci De Gaulle et dire qu’il se trouve de plus en plus de gens pour se réclamer de ce dictateur d’opérette et de sa France rance et grise). C’est le film que prennent le plus de plaisir à disséquer les Godard addicts, cherchant le pourquoi du comment de chaque détail. Un exemple, dans ma version Dvd, on trouve en bonus les commentaires de l’auteur de polars Jean-Bernard Pouy, limite extatique devant le film. A un moment, lorsque Belmondo et Karina sont dans leur cabane au bord de la mer, un perroquet est dans quelques plans. Selon Pouy, c’est une référence évidente à Stevenson (« L’Île au Trésor », le perroquet du pirate Long John Silver). Why not, mais où est l’évidence là-dedans ? Et dans les mêmes scènes, il y a un renardeau enchaîné sur la table qui lèche les assiettes. C’est quoi la référence, Mr Pouy ? Et pourquoi Marianne appelle Belmondo Pierrot et non pas Ferdinand ? On dirait tous ces hippies tracassés qui à la fin des années 60 passaient les disques à l’envers pour entendre les messages cachés qui allaient leur ouvrir des horizons cosmiques inconnus …

Tout ça prouve au moins une chose : « Pierrot le Fou », c’est un film qu’on peut voir et revoir indéfiniment et toujours y découvrir quelque chose de nouveau … Un grand film quoi …


Du même sur ce blog : 



MICHEL GONDRY - ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND (2004)

La mémoire dans la peau ...
« Eternal … » réunit à peu près tous les ingrédients pour faire un bide all around the world. Un film américain tourné par un frenchie branché, des acteurs à contre-emploi, un scénario totalement barré, et un montage dans lequel se mélangent tellement passé, présent et futur qu’on comprend quasiment rien au premier visionnage … Normalement, ça aurait dû faire direct to Dvd (ou sortie chez Netflix aujourd’hui).
Carey, Gondry & Winslet
Sauf qu’un comptable a dû se lever et souligner que ce machin avait coûté du pognon et qu’il faudrait peut-être essayer de l’amortir. Quelques critiques positives, quelques noms très bankables en haut du générique, et au final un bon petit succès pour un film très atypique. Un peu la même histoire que « Dans la peau de John Malkovitch », avec lequel « Eternal sunshine … » possède bien des similitudes.
Le même scénariste pour commencer, Philip Kaufman, spécialiste de l’écriture pour réalisateur « différents ». Ici, derrière la caméra, Michel Gondry, bobo arty qui avait commencé en jouant de la batterie dans le groupe retro-infantile Oui-Oui (si-si), puis (bien) gagné sa vie en réalisant des pubs ou des clips, avant de virer cinéaste branché (et de se vautrer avec son premier film, « Human nature », tourné aux States et avec déjà Kaufman au scénario).
Clementine et Joel dans les bois ...
« Eternal … » (le titre est un extrait d’un poème anglais du XVIIIème signé Alexander Pope) est un bon film. Barré, confus, hermétique, qui part dans tous les sens à première vue, mais un bon film. Peut-être parce que Gondry la joue profil bas (réalisation simple, préférant nettement les trucages parfois too much aux effets numériques clinquants, profitant par exemple d’une parade d’un troupeau d’éléphants dans Broadway pour s’y précipiter avec équipe et acteurs tourner une scène quasi improvisée), laissant le champ libre à ses acteurs. Faut dire qu’il y a du monde au casting : Jim Carey, Kate Winslet, Elijah Wood, Kirsten Dunst. Pas exactement des débutants ou des gens à l’orée de leur carrière. Carey, sorte de Jerry Lewis pour prématurés, cartonne à chacun de ses films au box office, Winslet est une star (merci Cameron et « Titanic »), Elijah Wood avait le rôle principal de la série triomphale du « Seigneur des Anneaux », Kirsten Dunst est la fiancée de Spider-Man.
Le coup de génie de « Eternal … » est d’utiliser les têtes d’affiche principales (Carey et Winslet) à contre-emploi. Carey laisse tomber ses grimaces pour jouer un jeune mec coincé et fragile, amoureux largué. Son jeu est économe des gesticulations en tout genre qui ont fait sa fortune. C’est Kate Winslet qui en fait des brouettes à sa place, dans le rôle d’une nana libérée et extravertie, dont la principale tocade est de souvent changer de couleur de cheveux et de donner dans le voyant capillaire (orange, bleu, vert, rouge …). Elijah Wood a un second rôle, juste quelques scènes de neuneu qui fait tout foirer. Kirsten Dunst joue comme d’hab la nunuche sexy et creuse, mais dont la « rébellion » finale entraînera le dénouement du film. Casting auquel il faut rajouter un Mark Ruffalo en devenir et l’expérimenté Tom Wilkinson, sur lequel Gondry ne tarit pas d’éloges dans son commentaire du film en section bonus.
Clementine et Joel sur la glace ...
Au début du film, on voit Joel (Carey) visiblement la tête dans le derrière, se lever péniblement pour sa séquence habituelle métro-boulot. Sur le quai de la gare et sur un coup de tête, il prend un autre train qui l’amène sur une plage du New Jersey (en plein hiver et sous la neige, c’est pour le moins une idée étrange). La seule personne qui traîne là est Clementine (Winslet) qui le branche et le vampe littéralement. Début de la love story entre ces deux êtres si différents. Les scènes (que l’on croit banales, mais dont chaque détail compte, on s’en rendra compte plus tard) entre les deux tourtereaux se succèdent jusqu’à ce que le générique du film apparaisse (au bout de 17 minutes quand même). Et à partir de là, des choses étranges, bizarre se produisent, vues par l’œil de Joel. Jusqu’à ce que Clementine à qui il va offrir un cadeau à son boulot dans une librairie ne le reconnaisse même pas, occupée qu’elle est à bécoter un inconnu …
A partir de là, on bascule dans une autre dimension. Joel apprend que Clementine sur un coup de tête a fait « effacer » de son cerveau tous les souvenirs concernant Joel par une entreprise spécialisée, Lacuna. Totalement perdu, Joel s’en va chez Lacuna pour faire lui aussi effacer Clementine de sa mémoire. Evidemment, quand on voit les bureaux de Lacuna (plus lookés étude de notaire que société high-tech) et ses employés (Wilkinson, Dunst, Wood, Ruffalo) plutôt à l’Ouest, on se doute que tout ne va pas se passer exactement comme prévu. D’autant plus que le cerveau de Joel se rebelle, il est très attaché à Clémentine et veut la conserver, au moins dans ses souvenirs.
Dunst, Ruffalo & Wilkinson : la société Lacuna
C’est là qu’on s’aperçoit que le début du film se situe en fait aux deux tiers de l’histoire, et que toutes les scènes « anodines » d’avant le générique livraient des informations cruciales pour la suite. Trop tard (et c’est le gros reproche que je fais à ce film), tu te retrouves largué, d’autant plus que Gondry joue en permanence sur l’espace-temps (les flashbacks, les dédoublements, les retours en enfance, les projections dans le présent ou le futur s’enchaînent). Il faut plusieurs visionnages pour comprendre toute la mécanique poétique et légèrement surréaliste qui font la matière de « Eternal … ». Et ne pas compter sur la version commentée du film par Gondry et Kaufman, sans aucun intérêt. Les deux gars sont apparemment des taiseux (bonjour les blancs interminables) et ne font en gros que s’extasier sur le jeu de leurs acteurs. Quoique c’est peut-être fait exprès, il appartient à chacun d’interpréter, d’imaginer, de se prendre à ce jeu entre rêve et réalité.
Sorte de « Love Story » sous LSD, « Eternal … » est baigné par la musique onirique de Jon Brion et permet d’entendre une reprise par Beck (le scientologue, pas le Jeff) de la scie 80’s des neuneus Korgis « Everybody’s got to learn sometimes ». Un Oscar (mérité) pour le scénario sanctionnera la bonne carrière dans les salles du film.

« Eternal sunshine … » est un joli film à voir … plusieurs fois avant de le juger …



PRESTON STURGES - UN COEUR PRIS AU PIEGE (1941)

Ophiologiste ? Toi-même ...
« Un cœur pris au piège », comme souvent quand c’est distribué en France, très mauvaise traduction du titre original « The Lady Eve », est un des films qui ont marqué leur temps. Et ces temps n’étaient pas très folichons.
Officiellement, les Etats-Unis ne sont pas en guerre (il faudra attendre la fin de l’année suivante), mais toute la population qui a encore en mémoire la terrible crise de 1929 et les années de misère populaire qui ont suivi, regarde avec de mauvais pressentiments la boucherie géante qui ensanglante l’Europe.
Alors, évidemment, le cinéma offre un exutoire, une tranche de divertissement dans un quotidien plutôt morose.
Fonda, Stanwick & Preston Sturges
Et quoi de mieux qu’une comédie pour se changer les idées ? Et à ce jeu-là le dénommé Preston Sturges est toujours au rendez-vous. Il ne fait certes pas partie de ces manieurs surdoués de caméra que l’histoire retient. Non, lui son truc, c’est faire rire les gens pendant une heure et demie. Et ça il sait faire, en tant que scénariste ou réalisateur (et bientôt, fortune faite, en tant que producteur). Sturges fait des films populaires au sens premier, c’est-à-dire destinés à être vus par le plus de monde possible.
Les ficelles sont énormes, la happy end prévisible au bout de deux plans, mais qu’importe, c’est ce que le public attend et Sturges lui en donne pour son argent. Tout en respectant les fondamentaux. « The Lady Eve », c’est pas un nanar filmé avec les pieds sur un scénario de quatre lignes.

L’histoire est évidemment totalement invraisemblable dans ses rebondissements, mais les rebondissements sont justement nombreux, chaque fois prétexte à rajouter une « gueule » à un casting haut de gamme. En haut de l’affiche, deux noms. Un jeune premier devenu star grâce à son rôle de Tom Joad (ben oui, vous croyiez que Springsteen inventait des noms ?) dans l’extraordinaire « Les raisins de la colère » de John Ford. Son nom : Henry Fonda, père de tous les autres acteurs du même nom. Trente cinq ans au moment du tournage. A ses côtés, une star stakhanoviste des plateaux de tournage des années 30, Barbara Stanwick, trente quatre ans, un des symboles de femme fatale de cette époque, mettant dans les films tous les hommes à ses pieds (alors qu’elle est lesbienne dans la vraie vie).
Lui est un grand dadais niais et très riche, passionné d’ophiologie (et non, je vais pas vous dire ce que c’est l’ophiologie, na ! mais sachez qu’en anglais il y a une joke plus ou moins subtile avec le titre du film). Elle, la fille d’un joueur de cartes (et tricheur) professionnel, dont elle est une élève douée et appliquée. Sur une croisière, le père veut arnaquer le benêt au poker, la fille est encore plus ambitieuse, elle veut le vamper pour l’épouser et avoir tout son pognon. Voilà pour le point de départ, plus prétexte à sketches qu’à une histoire suivie, mais peu importe. Toutes les scènes classiques du vaudeville amoureux sont de la partie, en laissant la part belle à des seconds rôles truculents : le garde du corps imbécile de Fonda (William Demarest), le père de Stanwick (Charles Coburn), le père de Fonda (Eugene Palette), le faux oncle de Stanwick (Eric Blore).

Les running gags s’enchaînent (notamment avec le garde du corps, ou avec un cheval qui vient s’interposer lors d’une discussion amoureuse), le rythme est rapide, on ne s’ennuie pas. Deux scènes peuvent marquer les cinéphiles. Dans l’une Barbara Stanwick se fait passer pour une autre dans un dîner chez la famille friquée (copier-coller d’une scène identique avec Irene Dunne dans « Cette sacrée vérité » gros succès comique quelques années plus tôt). L’autre risque de traumatiser à jamais les fans de Cameron. Tout le monde a en tête le premier baiser échangé par Winslet et Di Caprio à la proue battue par les vents du Titanic. Et bien elle est entièrement pompée (même baiser, même cadrage, les effets numériques et l’infâme rengaine de la Dion en moins) sur une scène de « The Lady Eve ». Comme quoi, dans le cinéma comme ailleurs, rien ne se perd et rien ne se crée … Et même si le personnage interprété par un remarquable Fonda, très à l’aise dans le registre comique, est un stéréotype du genre, il est frappant de voir comment des décennies plus tard, un Hugh Grant lui ressemblera dans les rôles qui ont fait son succès …
Il faut quand même bien l’avouer, malgré d’indéniables qualités comiques, « Un cœur pris au piège » a du mal à traverser les décennies. Il fait son âge, quoi …
A noter sur la version remastérisée, une bande son assez … euh, bizarre c’est le moins qu’on puisse dire en version française, qui offre plusieurs fois des passages entiers en VO sous-titrée d’une qualité sonore très limite. Même s’il y a quelque part dans les bonus (faméliques, très) du Dvd, une explication technique à laquelle je n’ai rien compris, c’est assez pénible pour être souligné …



OLIVER STONE - TUEURS-NES (1994)

Born to be wild ...
« Tueurs-nés », c’est presque le « Orange mécanique » de son époque. Pourquoi presque ? Oh hé, commencez pas à me les briser, on y viendra plus tard … si j’y pense.
En tout cas, « Natural born killers » (en VO), c’est un film clivant. Par un réalisateur clivant. Oliver Stone est une grande gueule et derrière son look bcbg conformiste, un type qui aime bien foutre les pieds dans le plat. Un peu à la façon de Michael Moore, la casquette et le cholestérol en moins, le talent caméra au poing en plus. Point commun entre les deux pour ce qui concerne « Tueurs-nés » : le documentaire. Ouais, je sais, « Tueurs-nés » n’est pas un doc, mais les trucs de Moore non plus, tellement la réalité est détournée et distordue au profit de ce qu’il veut (dé)montrer.
Oliver Stone & Quentin Tarantino
« Tueurs-nés », c’est un film gore rabelaisien, où tout est exagéré jusqu’à la caricature. C’est aussi une histoire d’amour à la « Bonnie & Clyde » (Penn le film, Gainsbourg la chanson). C’est quelque part entre Peckinpah pour l’ultraviolence, Romero pour l’esthétique de la mort et de l’au-delà, à cheval entre « La valse des pantins » de Scorsese et « Le prix du danger » de Boisset … et on pourrait multiplier les références à l’infini. D’ailleurs, on voit dans des télés ou en surimpression des extraits de vieux films dans « Tueurs-nés ». Parce que « Tueurs-nés » est aussi un film hommage au cinéma. Normal, me direz-vous, parce que c’est un fada de cinéma qui a écrit le scénario, rien de moins que Quentin Tarantino, plus que remarqué à l’époque avec coup sur coup « Reservoir dogs » et « Pulp fiction ». Bon, il y aura comme qui dirait de l’eau dans le gaz entre Tarantino et Stone, le second remaniera profondément ce qu’a écrit le premier, qui du coup ne veut plus être crédité au scénar.
Mickey & Mallory Knox
Même si la patte Tarantino est visible (si la « confession » de Mickey en direct à la TV depuis la prison, si certaines bouffées d’ultraviolence sorties de nulle part, si l’hystérie communicative et contagieuse des personnages, c’est pas du Tarantino, je veux bien me taper l’intégrale de Gad Elmachin). Quoi que Stone s’y entend aussi en pétage des plombs et démesure à tous les étages. Et vous savez pourquoi c’est beaucoup plus un film de Stone que de Tarantino ? Ben parce que Tarantino aurait plutôt mis Dick Dale ou les Ventures sur la B.O. plutôt que du Leonard Cohen ou le « Sweet Jane » des Cowboy Junkies.
« Tueurs-nés » est un film à la marge de tout. Du cinéma « traditionnel » et même de la carrière d’Oliver Stone. Film sous coke ? Ouais, peut-être. Car les anecdotes d’un Stone borderline, mettant tout en boîte en moins de deux mois, louant des sonos gigantesques pour passer de la musique tous potards sur onze sur les lieux de tournage, tirant ou faisant tirer en l’air des rafales de vrais coups de feu pour « immerger » ses acteurs dans leur rôle et l’action foisonnent. Imagine t-on pareil dérèglement du bon sens sur un tournage de Rivette, Dreyer ou Bergmann ? Faut-il être dans son état normal, pour choisir parmi une pléthore de postulants (et certains très bankables, comme Bernie Madsen) au rôle principal un à peu près inconnu, Woody Harrelson. Qui se voit confier le rôle d’un serial killer qui enfant a vu mourir son père sous ses yeux, alors que le paternel de Harrelson est depuis des lustres en zonzon pour meurtre, et que Woody est lui-même dans la vraie vie assez euh … instable ?
Tommy Lee Jones & Tom Sizemore
Harrelson est Mickey Knox. Garçon boucher qui va livrer sa barbaque chez Mallory (Juliette Lewis, révélée dans « Les nerfs à vif » de Scorsese), fille déjantée d’une famille de tarés, dont un père qui abuse d’elle. Coup de foudre instantané et début du bain de sang. Mickey va revenir chercher Mallory pour l’épouser, en fracassant au passage le crâne du paternel avant de le noyer dans un aquarium, et immolant la mère dans son lit. Dès lors commencera la cavale sanglante des deux, qui flingueront sans raison, sinon pour le plaisir de tuer tous ceux qui passeront à portée de flingue ou de tout autre mortel accessoire contondant.
Un road movie sanglant entrecoupé d’une scène fleur bleue, le « mariage » sous forme d’un serment de sang sur un pont vertigineux, et d’une autre totalement hallucinatoire, où le couple est guéri de morsures de crotale par un chaman Indien qu’ils finiront par buter. Avant d’échouer dans une pharmacie à la porte de laquelle ils se feront serrer par les keufs.
Robert Downey Jr
On est là à la moitié du film. Vont dès lors entrer en scène trois nouveaux personnages essentiels. Robert Downey Jr en journaliste TV sensationnaliste, spécialisé dans les reportages sur le vif de serial killers. Tom Sizemore en superflic complètement taré (et accessoirement assassin de prostituées) qui veut flinguer le couple (après avoir baisé Mallory) en prison. Et une composition déjantée, un de ces numéros d’acteurs qui font date, de Tommy Lee Jones en directeur de prison totalement pervers et borderline, avec un look digne d’un personnage de John Waters. Dès lors, « Tueurs-nés » prend une autre dimension, celle d’une critique au vitriol du système carcéral (qui ne sert qu’à rendre les loups en cage encore plus sauvages) et surtout d’un système médiatique qui ne cherche que l’insensé pour faire de l’audience. Cette seconde partie du film, tournée par une équipe sur les dents (et les nerfs) dans une vraie prison avec beaucoup de vrais détenus, révèle la vraie nature des protagonistes, les plus cohérents se révélant être Mickey et Mallory, bêtes sauvages en cage, qui vont évidemment finir par s’évader dans un bain de sang et une émeute-révolte de détenus. Avec comme cœur et clé d’entrée de l’univers sanguinaire et violent de Mickey l’interview évoquée plus haut, avec réponses-slogans à des questions stupides de Downey.
Mais le plus remarquable dans le film, c’est même pas l’histoire racontée et les dénonciations latentes d’une société américaine fascinée par la violence qu’elle génère, et vouant un culte idiot à des crétins assassins (les comparaisons des « exploits » de Mickey et Mallory Knox avec ceux de vrais serial killers), genre beatlemania (les pancartes « Mickey I love you, kill me » brandies lors de la cohue qui accompagne le procès du couple). Non, ce qui surprend le plus au visionnage du film, c’est son rythme et sa technique. Un truc fou (18 types de caméra utilisés, des gros bahuts sur rails aux caméras digitales portables de la taille d’un paquet de clopes), des formats d’images qui se chevauchent (les surimpressions d’image, en plus sans trucage, les acteurs jouant vraiment devant les images projetées au montage derrière eux), du noir et blanc très granuleux caméra bougée à l’épaule au milieu de cadrages millimétrés aux filtres de couleur très travaillés. Même des animations (assez proches de celle de Gerald Scarfe dans un autre film psychologique barré « The Wall » d’Alan Parker d’après le disque de Pink Floyd), ou des pastiches de sitcom (les scènes avec les parents de Mallory), viennent s’interférer dans ce foutoir en 24 images seconde. Mais c’est pas tout. Ce qui fait le plus perdre pied, immerge totalement dans ce maelstrom furieux, c’est le montage. Plus de 3000 plans dans le film, soit un changement de plan à peu prés toutes les deux secondes. Même les clippers fous des groupes de metal skatecore n’osaient pas pareil déferlement d’images.
Woody Harrelson & Juliette Lewis
Le résultat est esthétiquement troublant (on n’a jamais vu ça avant, et je sais pas si on l’a revu depuis), et finalement fait passer la forme avant le fond (à l’exact inverse de « Orange mécanique », yesss, j’ai pas oublié). Alors quoi qu’il faut en penser de « Tueurs-nés » ? Au pire, c’est un grand film, sauvage, féroce et jubilatoire, une gigantesque œuvre de destruction massive d’une société américaine gangrénée et fascinée par la violence qu’elle génère, mais qui se refuse à l’accepter. Le seul regret, c’est à mon sens que Stone en ait fait trop. Ou pas assez. Trop sanglant et pas assez sérieux. « Tueurs-nés », bien sûr, n’est pas un film violent (enfin, si, au premier degré, et ses détracteurs à la vue très basse ne voient évidemment que ce premier degré). C’est une farce, gouailleuse et pantagruélique dans ses excès, voulus et recherchés. Mais à mon sens trop exagérés, dilués dans la démesure et les effets de style. Un peu comme si Oliver Stone avait filmé un sketch comique. Et en aurait choisi un de Bigard plutôt qu’un de Desproges.

Bon, je chipote un peu là. Film à voir et revoir …



DELBERT MANN - MARTY (1955)

La beauté cachée des laids, des laids, ...
… se voit sans délai, délai, dixit Gainsbourg. Qui n’avait pas exactement un physique de playboy, mais s’est révélé excellent séducteur. Les deux personnages principaux de « Marty », le film de Delbert Mann, sont plutôt moches et n’ont rien de séduisant. Bourrés de complexes, de gaucherie, s’entêtant à mettre des bâtons dans les roues de leur chétive amourette …
Delbert Mann (chemise blanche), l'équipe technique, Blair & Borgnine
Le résultat est pourtant superbe. Pas vraiment à cause de la romance à deux balles qui est au cœur du film, mais surtout grâce au contexte de cette histoire (le quartier italien de New York dans les années 50), et plus encore grâce aux acteurs. Betsy Blair (pas si moche que ça, en fait, mais pas non plus une bombe sexuelle sortie des studios américains, certes …), parfaite en  prof fille à papa, trop timide et coincée pour oser prendre sa vie en mains. Et surtout l’inattendu (dans ce rôle-là) Ernest Borgnine, garçon boucher au cœur d’or, empêtré dans les traditions du petit peuple rital et embrouillé par ses potes niais et grandes gueules.
Ouais, Borgnine. Trapu et court sur pattes, regard bovin de petite frappe. Jusque là remarqué pour des seconds rôles de méchant, de salaud, dans des grands films comme « Et tant qu’il y aura des hommes » (au passage, c’est Burt Lancaster, qui co-produit le film et présente la bande-annonce américaine de « Marty »), « Johnny Guitare », « Vera Cruz », « Un homme est passé ». Dans « Marty », il est à total contre-emploi (mais y gagnera la statuette de meilleur acteur). Il est Marty Piletti, apprenti boucher, vivant la trentaine bien sonnée chez sa vieille mère quand tous ses frères et sœurs cadets sont mariés. Affable, travailleur, complexé par son physique, traînant sa timidité et son mal de vivre dans les bistrots et les « dancings » le samedi soir … Pote avec d’autres traine-savates à l’existence aussi morne que la sienne, mais dont il redoute le regard et les quolibets quand il démarre son idylle avec Clara (Betsy Blair).
Marty & Clara
Qu’il a osé aller consoler alors que sous prétexte de mocheté, elle venait de se faire abandonner dans un dancing par un bellâtre coureur.
« Marty », du peu connu Delbert Mann (bien que ce film, phénomène assez rare dans les annales cinématographiques, lui ait valu la même année Palme d’Or et Oscar), est un film court (moins d’une heure et demie), au rythme nonchalant et indolent, comme ses personnages principaux. Il est pourtant d’une grande richesse, grâce à une merveille de scénario qui nous immerge dasn la communauté (voire le communautarisme) italien de New York, et une galerie de personnages secondaires fouillée, faisant ressortir des caractères mémorables, comme la mère de Marty (excellente Esther Minciotti), la tante fouteuse de merde, le couple à problèmes et disputes de son cousin comptable, le pote bien relou Angie, …
Il n’y a pas d’action (au sens Chuck Norris du terme) dans « Marty ». Pas non plus une galerie de portraits plombante comme un casting de Dreyer (grand réalisateur qui a fait de grands films, mais qui te foutent le moral dans les chaussettes encore plus sûrement qu’un discours de Fillon sur les soins palliatifs en fin de vie). « Marty » est un film vivant, qui trouve le rythme parfait entre les personnages et leur histoire (le temps que va passer Marty à essayer de rouler une pelle à sa chérie, qui évidemment va au dernier moment détourner la tête et le regard…). « Marty » est un film qui rend crédibles et réalistes des personnages et des situations sur lesquels on a quelque peu forcé les traits (les merveilleuses scènes entre la mère et la tante de Marty, entre Marty et Angie).
Marty & Angie
Aujourd’hui, « Marty » est un film quelque peu oublié (on ne le trouve par ici que dans une version DVD assez bâclée sans bonus), certainement plus à cause de la carrière en demi-teinte qu’ont effectué Mann, Borgnine et plus encore Blair, que de ses qualités intrinsèques.

Plus qu’un vague mélo 50’s, « Marty » est une belle tranche de vie sur une génération et une époque prétendues « dorées », mais où derrière le vernis de l’insouciance, se trouvaient déjà les fêlures et le mal-vivre de ceux qui n’entraient pas dans le moule idéal du « rêve américain » …