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STEVEN SPIELBERG & PETER JACKSON - LE SECRET DE LA LICORNE (2011)

 

Tout ça pour ça ?

Spielberg et Jackson qui font un film sur Tintin, c’est un truc qui parle aux Européens en général et aux francophones en particulier. Ses meilleurs résultats d’exploitation, c’est en France que le film les a faits. Pas un hasard …

A côté de P Jackson, Spielberg en train de filmer

« Le secret de la Licorne » est un film infaisable même en rêve pour au moins 99% des réalisateurs. Parce qu’il faut bénéficier du crédit illimité de ses banquiers pour se lancer dans pareil chantier. La preuve, Spielberg tout seul n’aurait pas pu le faire. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé.

Lorsque sort « Les aventuriers de l’Arche Perdue » (en l’an de grâce mitterrandien 1981, ce qui ne rajeunit personne), Spielberg se tient au courant personnellement de la réception de son film auprès de la critique internationale. Il tombe sur un article en français où le mot « Tintin » revient à plusieurs reprises, il ne connaît pas ce mot, il pense à un effet de style du journaleux, mais intrigué se fait traduire le texte. Et donc remonte l’écheveau … ce qui signifie pour le moins que Spielberg ne connaissait pas la BD (et que donc Tintin n’est pour rien dans le personnage d’Indiana Jones … contrairement à « L’homme de Rio » de Philippe de Broca dont Spielberg a reconnu l’influence). Spielberg lit les BD, visionne les quelques (mauvais) films et (tout aussi mauvais) dessins animés sortis sur Tintin, et se dit qu’il y a de quoi en faire une adaptation un peu mieux foutue …

Spielberg contacte Hergé qui lui donne (moyennant une encyclopédie de conditions) l’autorisation d’adapter son petit reporter au cinéma. Avant même que quoi que ce soit débute, Hergé a la malencontreuse idée de passer l’arme à gauche (en 1983). Les discussions pour une adaptation doivent reprendre avec sa veuve et ses ayant-droits … je vous laisse imaginer le nombre de réunions d’avocats … Et les années passent, mais Spielberg a toujours son projet de film sur Tintin en tête, malgré des imbroglios juridiques sur l’exploitation des droits (il les a obtenus, les a rétrocédés, les a obtenus à nouveau, à la grande joie des avocats qui s’enrichissent …). Dans le courant des années 2000, des rumeurs « officielles » font état d’une trilogie de films sur Tintin dont au moins le premier serait réalisé par Spielberg.

Quand t'es dans le désert ...

Scénario et préproduction se mettent en route, les millions de dollars commencent à s’envoler, sans que rien de concret ne soit envisagé. Vers la fin des années 2000 les choses se précisent. C’est « Le secret de la Licorne » qui sera adapté, avec des éléments scénaristiques piochant dans « Le crabe aux pinces d’or », dans le final du « Trésor de Rackham le Rouge », et des références et allusions picorées dans les autres BD de la série … Sauf que Universal qui devait financer, tape en touche, les idées de réalisation de Spielberg paraissant tout bonnement infaisables (en gros, il voulait transformer des acteurs en personnages de dessin animé). Spielberg perd un partenaire, il va en trouver deux. Un petit gros néo-zélandais du nom de Peter Jackson qui en ce début de siècle multiplie les records au box-office, les Oscars, et a créé une boîte d’effets spéciaux (WETA) considérée comme la meilleure du monde, va co-réaliser le film, et flairant la bonne affaire, la Paramount rapplique avec le chéquier … Spielberg a le scénario et filmera les acteurs, Jackson et son armée d’ordinateurs feront le reste …

Je ne sais même pas si les deux se sont rencontrés pendant le « tournage » et le « montage » (hormis pour des séances photos), on les voit dans les bonus communiquer à travers des écrans d’ordinateurs, s’envoyer des fichiers entre Los Angeles et Wellington. Le tournage durera trente et un jours dans un studio de la taille d’un terrain de basket. Le reste (effets spéciaux, animations, …) deux ans. John Williams rajoutera la musique (certainement pas son meilleur thème), et un étudiant en PAO (vu le résultat, je suppose) le générique (genre celui de la « Panthère Rose » en beaucoup plus mauvais, près de cinquante ans plus tard, fallait le faire …).

Spielberg filme les vrais acteurs en motion capture, recouverts d’une combinaison en plastoc, un masque troué sur le museau avec de la peinture verte dans les trous, une caméra fixée à leur harnachement en permanence trente centimètres devant le visage, le tout relié par câbles numériques à la console à joysticks portable de Spielberg. Parce que durant tout le tournage, ni Spielberg ni qui que soit sur le plateau n’a tenu une caméra …

Daniel Craig

Et les acteurs, dans tout ça, ils servent à quoi ? Ben ne subsistent dans le film que leurs mouvements et leurs expressions de visage, vu que quand ils jouent, c’est devant des armatures de décor et en utilisant des objets, le tout en fil de fer. Milou (enfin Snowy pour les anglo-saxons) est totalement virtuel, aucun clebs ou autre animal n’a été utilisé. Et le casting ? Jackson a amené son Gollum (Andy Serkis) qui est le Capitaine Haddock, l’oublié (depuis « Billy Elliott ») Jamie Bell sera Tintin, quelques nigauds de seconde zone les Thompson Twins (les Dupont en VF) et les autres personnages du film et de la BD … ah, au fait, ils ont oublié Tournesol, erreur assez funeste quand on veut adapter Tintin au cinéma. Pourtant, tous les intervenants (Spielberg, Jackson, jusqu’au type chargé d’éteindre la lumière à la fin de la journée) se déclarent fans absolus de Tintin. Le seul qui est peu loquace, et qui donne l’impression de s’emmerder ferme qu’il tourne ou apparaisse dans les bonus, c’est la seule star du casting, Daniel Craig (dans le rôle de Sakharine, personnage très secondaire de la BD, mais méchant principal du film).

Le résultat visuel est assez bluffant, une qualité d’expressions de visage qu’on ne peut pas retrouver sur un dessin animé, et des séquences d’action totalement folles, tout l’environnement étant numérique, les seules limites étant l’imagination de Spielberg, de Jackson et de sa bande de geeks de la WETA. Il y a juste un gros problème, c’est que quand on a lu les BD (ce qui fait pas mal de monde sur cette planète), on connaît quasiment la fin de toutes les scènes à l’avance, y compris le dénouement, ce qui est pas top, même au premier visionnage, on a l’impression d’avoir vu le film dix fois… ce qui fait que l’on a plutôt tendance à regarder dans les coins de l’écran, le détail ou l’allusion tirés de la série de BD, et qui n’apportent en l’occurrence rien au film lui-même. Par exemple dans la première scène le peintre de trottoir qui fait le portrait de Tintin, ils lui ont refait la tête d’Hergé …

Une remarque pour finir. Tant qu’à faire dans le numérique, le film a été tourné pour être également exploité dans sa version 3D. J’ai eu une télé compatible 3D et les binocles qui allaient avec il y a longtemps. La 3D à la télé, c’est amusant cinq minutes et tu passes ensuite des heures avec un mal de tête carabiné. A mon avis (ça vaut pour ce film et tous ceux en 3D) à la maison, les versions Blu-ray ou DVD suffisent …

En conclusion, même signé Spielberg et Jackson, « Le secret de la Licorne » au cinéma, ça vaut pas « Le secret de la Licorne » en BD …


Du même sur ce blog : 

Les Aventuriers de l'Arche Perdue

Lincoln



CHASSOL - BIG SUN (2015)

 

Ultrascore ...

A priori, (Christophe) Chassol n’a pas grand-chose pour être my cup of tea … Le gars a passé des lustres dans des écoles de musiques, des conservatoires (en France ou aux States), a tourné avec Phoenix (bof …) ou Sébastien Tellier (re-bof …), et cite de façon ostensible Steve Reich (musique contemporaine, minimaliste et répétitive, re-re-bof …).

Le seul truc qui m’a fait jeter une oreille circonspecte sur ce « Big Sun », c’est le label. Chassol sort ses disques sur Tricatel, le label de Bertrand Burgalat, dont les productions (lui-même, mais surtout les fabuleuses rondelles d’AS Dragon ou d’April March) sont pour moi signe de qualité et d’exigence. Burgalat, malheureusement pour lui et son banquier, ne recherche pas la rentabilité par la médiocrité.


« Big Sun » est la bande-son d’un film du même nom. Que j’ai pas vu (pourquoi diable pas un package avec le Dvd et le Cd), mais c’est pas grave. Je vais essayer d’expliquer le truc. Une musique de film, ça accompagne les images, les compositeurs les plus doués étant capables de créer un thème musical qui sera le fil conducteur de la musique. Quand c’est réussi, le mélange image + son crée une ambiance, une atmosphère, et facilitent l’immersion du spectateur dans ce qu’il voit à l’écran. Et quand il y a de la musique, le son du film est relégué au second plan.

La démarche de Chassol (si j’ai bien compris à travers les notes du livret), c’est de faire de l’image et du son qui l’accompagne la matrice, la base même de la musique. En se servant de toute la technologie à disposition. Un exemple, si l’on voit et entend un oiseau en train de chanter, le chant de l’oiseau va être échantillonné, rejoué au synthé et servir de structure mélodique ou rythmique à la musique qui va accompagner l’image et le son (par exemple les titres « Birds 1 & 2 » et « Pipornithology 1 & 2 » sur ce disque). Cette façon de composer la musique d’un film, Chassol l’a baptisée ultrascore.

Burgalat et Chassol

« Big Sun » est un film documentaire tourné en Martinique, département d’origine de son père Eugène (saxophoniste, et mort avec sa femme lors d’un crash aérien en 2005). Une camerawoman (Marie-France Barrier) et un preneur de son (Johann Levasseur) se sont baladés dans l’île, ont filmé la nature et les gens. Et à partir de la bande-son, Chassol a mis en musique les images. Le disque est divisé en trois parties, une heure dix et vingt-sept titres. Parmi ces titres, nombreux sont ceux qui découlent d’une même approche, d’un même thème, d’une même phrase musicale.

Grosso modo, la première partie est « naturelle » (des oiseaux, un joueur de flûte), la seconde à base de voix (phonatoire dit Chassol), qu’il s’agisse de joueurs de dominos, de poètes, griots, chanteurs ou rappeurs locaux, et la troisième sur des traditions ou figures étonnantes locales (un carnaval, un type bizarre en treillis avec un masque de gorille, celui que l’on voit sur la pochette et porté par – je suppose – Chassol).

Chassol dans sa période Hendrix ...

Le résultat est quand même assez déroutant. Il semble évident que Chassol a atteint son objectif. L’écoute et le seul intitulé des morceaux permettent de « voir » de quoi il doit retourner sur les images. Le résultat (malgré son côté parfois « étrange »), au vu du background et des références de Chassol est plutôt accessible. Chassol fait parfois tout tout seul (il joue de la basse et des claviers), d’autres fois il accompagne les gens rencontrés seul ou avec un groupe (certains titres enregistrés en studio par de vrais gens, dont Burgalat). Assez étonnamment, des choses sans trop d’intérêt telles quelles (le joueur de flûte, ceux de domino, les artistes locaux qui peinent à se souvenir de leurs textes et sont souvent pour ne pas dire toujours à la limite de la justesse, …) se retrouvent bonifiées une fois que Chassol est passé par là. Rendre supportables les pénibles trompettes en plastoc (les « fameuses » vuvuzellas héritées de la Coupe du monde de foot 1990 de sinistre mémoire), ou les rythmes de batucada ou de samba sans que cela sonne comme l’animation de fin d’année à l’EHPAD du coin, est quasi un exploit en soi.

Parmi ceux que je qualifierai de réussis, je citerai « Birds » et « Pipornithology » évoqués plus haut, les variations de « Dominos » (la voix des joueurs sert de mélodie, le cliquetis des dominos de rythmique, le tout samplé et trituré sur quatre titres, qui s’éloignent de plus en plus du son d’origine), « Sissido » (un rap à l’envers, l’accompagnement vient se rajouter sur la voix et non pas l’inverse comme c’est toujours le cas dans le rap), « Samak » (même principe, une sorte de griot déclamant finit par ressembler à du krautrock des années 70). Pièce de choix : « Reich et Darwin » (Reich, pas le 3ème, le Steve, mais l’intitulé du morceau est ambigu, à coup sûr volontairement), titre qui part d’une structure minimale pour évoluer dans orchestrations plus alambiquées, le thème minimaliste restant toujours en filigrane. Si je voulais faire mon malin musicologue, je dirais que c’est un peu le principe du jazz modal, sauf que je sais pas ce que c’est que le jazz, qu’il soit modal ou pas …

« Big Sun », c’est moins problématique pour mes oreilles que ce à quoi je m’attendais, mais c’est pas pour autant que ça va devenir un de mes disques de chevet …


ANNA CALVI - ANNA CALVI (2011)

 

Guitar woman ...

Des guitar heroes, c’est pas ça qui manque … des très grands (Billy Corgan), des tout petits (Prince, Sylvain Sylvain), des avec un grand nez (Pete Townshend, Jeff Beck), des avec un bonnet (The Edge), des avec un béret (Captain Sensible), des chauves (Joe Satriani), des à la coupe afro (Jimi Hendrix), des avec les cheveux longs (abonnez-vous à Hardos Magazine, vous en avez à toutes les pages), des moustachus (Frank Zappa), des barbus (Billy Gibbons), des gras du bide (Frank Black, Leslie West, Poppa Chubby, Warren Haynes, Miami Steve Machin), des à qui il manque des doigts (Django Reinhardt, Tommy Iommi), des à qui il manque des neurones (liste trop longue, mais un abonnement à Hardos Magazine peut vous aider à l’incrémenter), des qu’en avaient des neurones mais ont fini par les perdre (Syd Barrett), … plus tous les autres qui rentrent dans plusieurs catégories … à condition que ce soient des mecs, parce que guitar hero, c’est une locution qui n’a pas de féminin …

Pourtant des meufs (c’est bon Marlène S., inutile d’engager des procédures) à guitare, y’en a aussi. Mais généralement, c’est parce qu’elles sont aussi sexy avec une guitare que sans (Chrissie Hynde, Wendy Melvoin, PJ Harvey, … et leur grand-mère à tous, The Duchess, la guitariste rythmique de Bo Diddley, … ah et j’allais oublier Carla Bruni-Sarkozy-Bismuth …). Mais des femelles (coucou Marlène) de la gratte, des branleuses de manche à vitesse supersonique, vous en connaissez (oui, me souffle un abonné à Hardos Magazine, …) des virtuoses de la six cordes ? Bonnie Raitt … ouais, mais elle joue de la slide et elle est rousse, double handicap … Lita Ford ? Poison Ivy ? Ruyter Suys ? (no comment, sinon Marlène va encore se fâcher …). Ah, et toutes ces prépubères (généralement asiatiques ou d’Europe de l’Est) qui l’air de s’en foutre royalement inondent YouTube de vidéos où elles rejouent à la note près « Eruption » ou du Stevie Ray Vaughan, ont juste l’air d’animaux savants, gamines robotisées dénuées du moindre feeling …


Non, la seule à en foutre plein les oreilles guitare en bandoulière (une Fender Telecaster quasi exclusivement), c’est Anna Calvi. Et qui plus est, d’une façon totalement atypique. C’est pas une adepte des millions de notes à la seconde, jamais. Son truc, à la petite (par la taille) Anglaise, c’est une approche de la guitare par son aspect sonore. Bon, vous allez me dire, c’est pas ça non plus qui manque depuis des décennies. Sauf que généralement, ça produit … du bruit (Lou Reed étant le premier nom qui vienne à l’esprit). Dans ce « Anna Calvi », son premier disque en 2011, on a des chansons (j’ai bien écrit chansons) tout du long des quarante syndicales minutes. Miss Calvi avoue comme influences de la musique classique (no comment), cite des gens comme Nina Simone, Hendrix, les Smiths, les Stones, … plus quelques cinéastes « décalés » genre Lynch … Très rapidement, elle est devenue incontournable de prestations « artistiques », « performant » lors des défilés de mode (Lagerfeld, Chanel et Gucci l’ont sollicitée). Anna Calvi n’a rien d’une fashion victim (c’est pas Kanye West et la Kardashian, quoi …) même si elle soigne son image et sa féminité (maquillage glamour, satin ou soie souvent portés, rouges de préférence).

Musicalement, sont souvent revenus à son sujet les noms de Siouxsie, Patti Smith, PJ Harvey, Kate Bush. Pour les trois premières, je veux bien, mais à la marge, pour le côté parfois déclamatoire et crispant du chant ; pour la Babooshka, faudra qu’on m’explique. Alors moi aussi je vais faire du name dropping (ce qui me changera pas vraiment). Je citerai volontiers Jeff Buckley (plus de ferveur que de hurlement), Television (pour l’approche guitaristique de Tom Verlaine et Richard Lloyd), ainsi que Marc Ribot dans le même style (tous les trois évoluant parfois à leur corps défendant dans la galaxie jazz). Également Thom Yorke, mais un Thom Yorke qui en aurait et qui passerait pas son temps à chouiner.


« Anna Calvi » débute par un instrumental que par commodité et paresse on qualifiera d’atmosphérique (comme le premier disque de Siouxsie, là s’arrête la comparaison). Le reste est rarement évident, et sans être inouï, plutôt original. Plutôt la tension que l’attaque frontale, plutôt le feeling que la technique, plutôt la déconstruction que l’architecture classique, et inutile de chercher dans le tracklisting une reprise de quelque antédiluvien ancêtre, la dame signe toutes les compositions. Seuls « Blackout » (de la power pop des années d’après la power pop), ou le quasi classic rock de « I’ll be your man » naviguent en territoire connu.

Pour le reste, on a droit avec « Desire » à une sorte de rock « héroïque » (les guitares-cornemuses) comme U2 ou Simple Minds en tartinaient leurs premiers disques, voire les moins connus mais plus approchants dans ce cas The Alarm ou Big Country. « Morning light » pourrait être le seul où l’on se hasarde à citer (avec beaucoup d’imagination et de mauvaise foi) Kate Bush. Mais dans l’ensemble, c’est du Anna Calvi. Avec curieusement une énorme batterie en avant (beaucoup plus que la guitare dans le mix), quand on sait qu’en plus de jouer de la Telecaster, la Calvi qui est une « vraie » musicienne pratique aussi la basse, le piano et les claviers. Comme quoi avec elle, l’ego surdimensionné du guitariste n’est pas de mise.


Il y a dans ce disque quelque chose. Une âme, oserait-on écrire. Ou au moins une démarche, l’impression que tout est là pour définir une œuvre, une approche. Que tout n’a pas été calculé, minutieusement réfléchi, pour nous vendre de la rondelle argentée. Qu’Anna Calvi ne se montre pas à nous comme un phénomène de foire arty, qu’elle fait d’abord un disque, son disque, avant de se préoccuper comment il sonnera, et s’il s’en vendra beaucoup. Il aurait par exemple été facile de faire de « The Devil » un blues classique, et non pas cette chose mutante qu’elle nous présente, il aurait été aussi facile de faire un quiet-loud basique à la Nirvana ou Pixies d’un titre comme le « I’ll wanna be your man » déjà cité, de supprimer le tourbillon sonique final de « First we kiss » qui dès lors n’aurait été qu’une jolie ballade de plus, de lâcher de ci de là quelques effets de manche pour montrer, que ouais, elle assure, la nana … Seul bémol, le dernier titre « Love won’t be learning », précieux et ambitieux, et aussi celui qui a l’approche la plus jazz du lot, vient rompre la magie de ceux qui l’ont précédé.

Finalement, c’est en sortant et en se sortant de tous les sentiers battus et rebattus du disque de rock fait par une femme (rien que d’envisager le rock et la féminité ensemble est un signe de condescendance douteux) qu’Anna Calvi fait avec ce coup d’essai un coup de maître.

La suite démontrera que ce disque n’était pas un heureux accident de studio (la dame assure vraiment sur scène), le suivant « One breath » est aussi bon. Anna Calvi, une des (trop) rares bonnes surprises des années 2010 …


WILCO - ODE TO JOY (2019)


Last American band …
Parce que le combat cessera faute de combattants … A l’attention de ceux qui avaient pris l’option « musiques du monde » ou « musiques électroniques » ou toute autre forme de soupe sonore, rappel des faits …
Wilco
Il existe des gens, dans un autre continent, qui depuis des décennies, enregistrent des disques en puisant leurs sources dans des genres aussi désuets mais vivaces que la country, le blues, le rock’n’roll, leurs croisements et dérivés. Un jour, dans les 80’s, un type a eu l’idée d’appeler ça « americana ». Particularité du machin : depuis les inventeurs du genre, en gros Dylan et le Band, les noms en haut de l’affiche ont été ceux de types accompagnés par un groupe. On citera donc en se signant et en levant les yeux au ciel (euh, non, pas à ce point ...) Neil Young & Crazy Horse, Bob Seger & The Silver Bullet Band, Bruce Springsteen & The E. Street Band, Tom Petty & The Heartbreakers, Christine & The Queens ...
Ils en sont où aujourd’hui, tous ces gens ? Les leaders sont morts ou peu s’en manque, et dans leurs orchestres, ça a aussi rempli les cimetières. Et les grabataires survivants, ils s’appuient sur leur légende et un certain savoir-faire (comme auraient dit les Mink DeVille qui ont leur place dans la liste du dessus) pour remplir quelques arenas et sortir tous les trois ans des rondelles plus ou moins écoutables (le Boss version symphonique, qui a envie d’écouter ça quand t’as passé des heures et des heures à essayer de comprendre de quoi parlaient les chansons de « Nebraska », non mais franchement, …). Ne reste donc que Wilco. Ouais, je sais, c’est pas compliqué, la plupart des types de Wilco étaient tout juste nés quand les autres sortaient leurs premiers disques.
Jeff Tweedy
Même s’ils ont depuis longtemps une approche parfois étrange du genre, liée à la personnalité de celui sans qui Wilco ne serait pas, le sieur Jeff Tweedy. D’une nature oscillant entre neurasthénie et dépression, grand amateur de bouteilles et de poudres blanches, son comportement parfois erratique (c’est lui qui compose, « suggère » la production, les autres dans le groupe étant libres (?) d’apporter leur touche personnelle aux titres) a même fait fleurir un temps par quelques déficients auditifs un parallèle avec Radiohead (bâillements …). Tweedy a pourtant des cadors (certains vont et viennent, parfois ne reviennent pas, leur nombre varie) derrière lui, et a (trop ?) souvent tendance à les sous-utiliser. Et c’est pas cette rondelle qui va faire changer d’avis les tenants de cette théorie …
Au bout de quelques secondes de « Ode to Joy » (hymne à la joie, tu parles, le titre est à prendre au moins au millième degré) y’a un truc qui saute aux oreilles : le son de batterie. Très (mais vraiment très) en avant, mais très mat, comme si on l’avait enregistrée en plaçant le micro dans une baignoire. L’exact contraire-négatif d’un autre fameux son de batterie, celui du « Born in the USA » de … (que ceux qui savent pas retournent écouter Magic System).

J’aime bien Wilco, et j’avoue que j’ai été très décontenancé à la première écoute. Il émane des premiers titres un minimalisme plombant au niveau sonore (cette batterie étrange et métronomique, quasi robotique, qui écrase tout, juste quelques sons d’autres instruments derrière) que vient renforcer le chant monocorde de Tweedy très loureedien. « Ode to Joy » est construit suivant un crescendo ou une progression. Petit à petit les titres bénéficient de mélodies plus chaloupées, Tweedy chantonne voire chante carrément, les arrangements de claviers et synthés accrochent l’oreille, les guitares commencent à rugir. Un disque qui commence dépressif total et qui finit par être sinon jovial, du moins juste (mo)rose. Avant de se terminer très dépouillé et down tempo, contrepoint-miroir du début, à l’image d’une boucle infinie.
Après quelques écoutes, il apparaît que « Ode to Joy » est un tout (on touche surtout pas au bouton « random » pendant la lecture), et est à prendre ou à rejeter en bloc. Je suis preneur. Parce que Tweedy est un type qui sait composer (y’a de la mélodie, certes pas aguicheuse, mais bien présente), sait écrire des textes (ça semble plus sophistiqué que, au hasard, Bob Seger). Et puis derrière, les Wilco sont tous capables avec trois bouts de ficelle et un espace d’intervention souvent réduit au minimum, de faire des merveilles instrumentales …
Pièces choisies : les inauguraux « Bright leaves » et « Before us », mélodies à faire pleurer feu Tom Petty, ambiance pluvieuse et mortifère, « Everyone hides » première éclaircie avec guitare rageuse, « We were lucky » (rien à voir avec Pharell Williams, mais beaucoup avec le Neil Young moissonneur, et des arrangements comme plus personne n’en ose depuis quarante ans), « Love is everywhere » (comme du Dylan des 70’s en état de grâce, ce qui lui est arrivé quelquefois), ou « Hold me anyway » que l’on peut qualifier d’exubérant dans le contexte …
Néanmoins, il me surprendrait fort que Tweedy batte les records de « Thriller » avec cette rondelle … Pour public averti …


Des mêmes sur ce blog :
The Whole Love 



TEMPLES - HOT MOTION (2019)

Teenage lobotomy ...

Stade de France : enceinte sportive de la région parisienne, aire de jeu officielle des équipes de France de foot et de rugby. Jeux de ballons dans lesquels les susnommées équipes sont particulièrement mauvaises, celle courant après un ballon rond étant par on ne sait quel hasard, championne du Monde. Ce qui nous vaut d’entendre à tout bout de champ l’insurpassable « Feel the magic in the air, allez, allez, allez, levez les mains en l’air ». Et quand ces jeunes gens à QI tout juste positif ne squattent pas la pelouse, on peut de temps en temps y voir et y entendre d’autres choses.
Les Temples version glam ...
Les dinosaures du jurassique (Rolling Stones) ou du crétacé (Springsteen, AC/DC), les bestioles préhistoriques (Cure, Depeche Mode, U2), les animaux moyenâgeux (Mumuse, Coldplay). Autrement dit des types qui ont sorti leurs premiers disques depuis plus de vingt ans pour les moins vieux d’entre eux … et je ne parle pas des locaux, Indochine, ou (allumer le) feu Johnny, voire … Bigard (putain Bigard …).
Euh, garçon, et les Temples dans tout ça ? Ben, les Temples, ils ont tout pour jouer au Stade de France … un jour peut-être … faut pas rêver, ils sont pas sur une major, y’a que Sony, Universal et la Warner qui y envoient leurs têtes d’affiche … en tout cas, ils ont sorti un disque de pop rock machin de stadium … J’avais, en des temps immémoriaux, donné un avis ferme, définitif, etc… sur leur première rondelle. Celle-ci est leur troisième (pas écouté la seconde). Bon, j’ai pas vu ou entendu avec eux le futur du rock comme disait l’autre, mais ce « Hot Motion », je le trouve moins problématique que leur inaugural « Sun Structures ».
En tout cas, les Temples ont sorti là un disque plaisant, voire pour plaire (au plus grand nombre) … aux jeunes connectés spotifysés, voire à des vieillards de mon âge, qui, intrigués par l’espèce de Marc Bolan qui trône au milieu de la pochette, peuvent aller voir si de revival glam il est question. La réponse est non, pas de glam rock stricto sensu, mais des chansons un peu putes qui veulent ratisser large auprès d’un public point trop exigeant, et forcément potentiellement nombreux … D’où le SDF introductif.
... et version jacquard
« Hot Motion » est un disque bancal, déséquilibré. Si on l’a en vinyle, on peut à peu près zapper la seconde face, ses ballades bruyantes (« The Beam »), ou surchargées (« Monuments ») … ses titres lost in space, comme si les Temples avaient perdu le fil (« It’s all coming out ») … ses gimmicks du pire disco (pléonasme) italien des années 80 (« Step down », pourtant une bonne compo) … son titre à tiroirs, qui débute comme une ânerie folk-bâtons d’encens avant de muer pour finir en instrumental spatial (« Stop down »).
Par contre, les premiers titres, ben ma foi, pas entendu un enchaînement de titres aussi réussis depuis le premier MGMT. Cinq titres, ouais bien sûr un peu honteux tellement ils sont racoleurs, mais d’une évidence rare. Boostés par un son dernier cri, qui ne cède pas pour une fois aux sirènes des vois passées au vocoder ou à l’autotune. Parce que, selon toute vraisemblance, le James Bagshaw (celui qui ressemble à Bolan) sait chanter. Et composer (un tiers des titres, les trois composent, et fait assez rare dans ce cas de figure, les titres s’enchaînent au lieu de s’affronter par des approches différentes, impossible de dire sans lire les notes du livret qui a écrit quoi). Et produire (là le Bagshaw est seul aux manettes).

« Hot Motion » le morceau avec son intro très chaloupée et son refrain à la Chris Rea du « Love & Emotion » (et pas seulement pour des similarités phonétiques), pourrait devenir le « Dance to Joy Division » (Klaxons) des années 2020 (je me rends compte qu’avec des références comme ça, mes millions de lecteurs vont se gratter l’occiput, genre mais putain de quoi et de qui il cause là ?). « You’re either on something » est la ballade parfaite, racoleuse mais ‘achement bien foutue. « Holy Horse » sonne comme un inédit des Beatles … ou de Supergrass, rien à ajouter, c’est somptueux … « The Howl » met en avant un riff de synthés à la Cars (tiens, à propos des Cars, leur leader Ric Ocasek vient de claquer y’a pas longtemps, ça n’a évidemment pas fait les unes des JT), une partie de batterie à la « We will rock you » de Queen ; les Cars, Queen, du joli à l’oreille avec comme point commun des deux le producteur Roy Thomas Baker, pas un hasard si les Temples s’en inspirent dans le même morceau. Et last but not least de ce quintet magique « Context » qui n’est pas sans rappeler le son du premier MGMT, CQFD et la boucle est bouclée …
Curiosité de la pochette : ce logo en haut à droite qui renvoie à la signature de Prince sur certains de ces disques. Pas la moindre idée de ce que ça signifie pour les Temples et si c’est un hommage au nabot de Minneapolis …
Cinq grands morceaux, six de dispensables, soyons positif et décrétons le verre aux trois-quarts plein …


Des mêmes sur ce blog :

EZRA FURMAN - TWELVE NUDES (2019)

Say it loud ?

Comme une sorte d’effet Trump dans le rock américain … Il sort tous les jours des rondelles de types qui montent au front pour dénoncer l’aggravation de la misère sociale, morale, intellectuelle, etc…, etc…, au pays de Donald …Comme si ce crétin avait à lui tout seul inventé le foutu système … comme si tout ça n’existait pas depuis des décennies, voire des siècles … comme si un disque pouvait changer le monde, ou quoi que ce soit … C’est pas le discours d’un vieux con désabusé que je tiens (enfin, pourquoi pas, si ça peut vous faire plaisir), juste un constat … Et j’ai écouté les disques, lu les bouquins, vu les films, tous ces machins « engagés », censés éveiller ou réveiller les consciences. Et j’ai vu les modèles politiques, russes, chinois, yougoslaves, cubains, nord-coréens, dans leur quête du monde idéal socialiste … j’ai aussi vu ce qu’ils sont devenus … Alors aujourd’hui quand je vois la rébellion et les bons sentiments affichés comme une posture, juste comme une posture, désolé, je marche plus …  

J’ai rien contre Ezra Furman, y’a quelques jours je savais même pas qu’il existait … par contre, ce qu’il dit et la façon dont il le dit, je l’ai entendu des centaines de fois. Bien souvent en mieux, d’autres fois en pire …
Ezra Furman se balade en robes imprimées, comme avant lui Bowie (sur la pochette de « The man who sold the world »), Brian Molko de Placebo ou Martin Gore de Depeche Mode (pour faire comme Bowie), Robert Smith (pour emmerder Michel Drucker), Kurt Cobain (pour emmerder les organisateurs de festivals). Ezra Furman revendique sa bisexualité, comme Lou Reed (dont il est paraît-il fan), Bowie, Molko, Gore, et des centaines d’autres dans le music-business (qui en font pas forcément un point voyant de ralliement). Ezra Furman a décidé de faire un disque de punk-rock … faut-il vraiment détruire des hectares de forêt amazonienne pour imprimer les noms de types qui ont déjà fait ça avant lui ?
Conclusion : un discours et un format musical entendus jusqu’à l’écœurement.
Je pourrai dégommer cette rondelle sans rémission, appuyer là où ça fait pas du bien … le pompage éhonté des chœurs de « Sympathy for the devil » sur « Calm down » (pour te mettre de mauvaise humeur d’entrée, c’est le premier titre) … le coup de la voix dédoublée (comme sur « Ziggy Stardust » le morceau, ici sur « Evening prayer » sauf que Furman est pas synchro, incapable de chanter deux fois exactement la même chose) … tous ces gimmicks pompés sur Black Flag, ou pire, Green Day, Offspring et FIDLAR … cette calamiteuse chute en forme d’aveu d’impuissance (le dernier titre s’appelle « What can you do but rock’n’roll ») … ces mauvais décalques de Frank Black – déjà dans ses meilleurs moments en retrait de ce qu’il faisait avec les Pixies – (« Transition from nowhere to nowhere »), du Cobain « In Utero » (les cinquante-cinq secondes chrono, larsen final compris de « Blown »)…

Ça fait déjà une bonne moitié de la rondelle problématique. Le reste (et il en reste pas beaucoup, les onze titres de « Twelve Nudes » n’atteignent même pas la demi-heure), ma foi, pourquoi pas, en le jouant bien fort (y’a une autre façon d’écouter de la musique ?) … Et je me rends compte que « Calm down » et « Evening prayer » dont j’ai déjà causé sont supportables, de même que « In America » (plus posé et construit que le reste, même si un peu trop linéaire), ou l’excellente (la seule à ce niveau) « I wanna be your girlfriend », qui avec un peu de chance pourrait devenir un hymne queer avec ses gimmicks accrocheurs (le titre référence aux Ramones, le rythme de valse doo-wop, et la mélodie qui emprunte par moments au « Rock’n’roll suicide » de  – who else – Bowie).
De toutes façons, dans notre monde de mormons bien-pensants (et très mal-agissants), dire du mal de ce disque, c’est se retrouver avec une fatwa signée par quarante ministres, soixante secrétaires d’Etat, et six cents douzaines d’associations …
Ceci étant, maintenant que Freddie Mercury et Elton John sont morts (on a fait des biopics révisionnistes sur eux, c’est dire s’ils sont morts … qu’est-ce que tu dis toi, pas tous … ah bon …), y’a une place à prendre … Votez Furman … Ou Villani, tellement « étrange » qu’il doit être un genre à lui tout seul, improbable croisement entre Bozo le Clown et Tryphon Tournesol … 
Mais que vient faire Villani là-dedans, dans une notule sur un disque de punk-rock large d’idées et bas du front ? Bof, au point où on en est …



BLACK MIDI - SCHLAGENHEIM (2019)

Midi à quatorze heures ?

Y’a du monde dans les Black quelque chose sur les étagères chez moi … Les Angels, les Crowes, le Flag, les Keys, les Kids, la Mountain, l’Oark Arkansas, le Rebel Motorcycle Club, le Sabbath, l'Uhuru plus Big Black et Frank Black pas très loin. Bon, y’a pas Black M ou les Black Eyed Peas … Mais il y a donc Black Midi, ce qui n’est guère mieux que les deux derniers cités …
Putain, l’autre là, comment il y va … il a pas l’air de savoir que les mags musicaux anglais (enfin ceux qui existent et survivent encore) s’ébaubissent de ces Black Midi qui avant cette rondelle n’avaient sorti qu’une poignée de titres … pensez, des jeunes de vingt ans, avec une technique instrumentale folle, et qui sortent des morceaux tarabiscotés, y’a de quoi sauter au plafond. Et c’est vrai qu’il y a des années qu’on avait pas entendu des machins comme ça … depuis les débuts de Muse …
Les recrues d'été du Qatar Saint-Germain ? Non, les Black Midi ...
Voilà, c’est lâché, on va pas tourner trois heures autour du vieux pot. Le putain de retour de la vengeance du vilain prog … maquillé comme une bagnole de sport volée, mais comptez pas m’avoir avec ce genre de couillonnades, passer entre les mailles du filet du mauvais goût …
On pourrait dire qu’ils auraient pu faire pire. Nous pondre un revival Genesis ou Marillion (qui a dit que c’était la même putain de bouillasse … bien joué, tu marques un point) … ou pourquoi pas, manière de pousser la farce jusqu’au bout, se revendiquer de Yes, se faire produire par Steve Howe, inviter Rick Wakeman sur un titre, et faire designer la pochette par Roger Dean … ça fout les jetons, hein, les frissons sous la canicule …
Non, ça se voit gros comme une réforme du régime des retraites qui va t’obliger à bosser jusqu’à cent vingt ans, que les Noirs Douze Heures ils se revendiquent du diamant noir de Fripp, le « Red » de King Crimson. Et ce dès le premier titre « 953 », de bien loin le meilleur du disque. Sauf que malgré toute leur démonstration technique, ces breaks tarabiscotés, ces changements de tempo, et ces accélérations de dragster, ben … il en manque. Notamment parce les gratteux c’est pas Fripp (jamais on ne trouve sur ce « Schlagenheim » la folie mathématique du Robert), et que le chanteur c’est tellement Daffy Duck qu’à côté Phil Collins passerait pour Placido Domingo. Par contre, les Midi Noir il ont un putain de batteur que, sans remonter aux temps où leurs parents étaient pas nés des Bonzo, Moon, Paice, Vander ou Appice, on a pas entendu ce genre de tabasseur de rondins de bois et qui pèse autant sur les titres depuis Stewart Copeland ou Dave Grohl.

Bon, faut être honnête et comme je m’appelle pas de Rugy (goodbye Rugy Tuesday, mais gaffe, il a dit que maintenant que son honneur a été rétabli (???), il envisageait de revenir en politique … comme c’est pas un mec de convictions bien arrêtées, peu importe l’étiquette, du moment qu’il y a du crustacé dans les assiettes pour les copains et des pétales de roses sur la nappe pour la Saint-Valentin, il est (re)partant …), y’a pas que du prog crimsonien chez les Black Machin, y’a aussi du Talking Heads (dont ils ont baptisé un de leurs premiers singles). Parfois au ralenti (le mal nommé « Speedway »), ou sinon « Of Schlagenheim » (le phrasé épileptique) ou « Years ago » (les Heads violés par un groupe métal). Même si tout ça se tient, le Fripp ayant joué pour la bande au Byrne à la fin des seventies. Tiens et sur la lancée, genre titre mal venu, on a « Reggae », qui ressemble plutôt à un mauvais morceau de Vander Graaf Generator ou du P.I.L. des débuts, qu’à un déhanchement chaloupé de Bob Marley. Puisqu’on cause P.I.L. et Lydon, on a envie de rire devant cette sorte de dub pour autistes qui clôt la rondelle, « Ducter » que ça s’appelle. On a aussi « Near DT MI. » (pour « Near Detroit Michigan » je présume) qui ne ressemble ni aux Stooges ni à MC5, mais beaucoup plus au hard prog ésotérique des Mars Volta, les types qu’auraient bien voulu être Muse à la place de Muse mais qu’ont pas réussi …
Tout ce disque semble vouloir démontrer que les Black Midi préfèrent se vautrer en essayant de faire compliqué, alors qu’ils ont manifestement les moyens de faire du haut de gamme dans des choses beaucoup plus simples (savent composer et jouer, c’est certain).
« Schlagenheim » semble en équilibre très instable entre plein de choses. Chez moi, il est en équilibre très instable sur le rebord de la poubelle …

PS Exceptionnellement, une vidéo live d'un titre ("953"), très proche de la version studio (putain cette voix ...)


 

THE RACONTEURS - HELP US STRANGER (2019)

The Recommenceurs ...

Il devait s’emmerder ferme Jack White. Comme s’il en avait pas assez avec son label, son usine de pressage de vinyle, ses magasins, son studio d’enregistrement, tout ça estampillé Third Man… Quoi que, on peut le comprendre. Quand tu vis dans la musique en permanence, le seul truc qui peut te manquer, c’est d’en faire toi-même. Il avait que l’embarras du choix, faire un nouveau disque solo, rappeler son ex Meg et remonter les White Stripes, passer un coup de fil à Alison Mosshart pour remettre les Dead Weathers en route, monter un nouveau super groupe ce qui doit pas être très compliqué avec son carnet d’adresses. Ou repartir avec son pote Brendan Benson pour une nouvelle aventure des Raconteurs. Why not ?

Faut dire que les Raconteurs, ils avaient sorti un premier disque qui avait cartonné (« Broken boy soldiers »), porté par un single imparable (« Steady as she goes »), le reste de la rondelle alternant bons et excellents titres. Peut-être un peu trop faciles sur la suite, les types s’étaient vautrés avec son successeur dont j’ai même oublié le titre. Et plus de dix ans après, les Raconteurs remettent le couvert. Pourquoi pas, y’a pas d’esbrouffe, y’a White et Benson aux vocaux, guitares, écriture et production, plus la rythmique Lawrence-Keeler, soit la formation originale, pas d’arnaque. Et le pote Fertita qui traînait par là se rajoute au casting.
Et les lascars nous sortent avec « Help us stranger » ce à quoi tout le monde s’attendait, en gros le dernier bon disque des années 70. Ce qui ne rajeunit personne et ne méritera certes pas l’Award de l’originalité … bon d’un autre côté, qu’est-ce qu’on aurait dit s’ils s’étaient lancés dans un revival ambient …
« Help us stranger » est un disque sérieux, bien écrit, bien produit (le son kolossal de batterie, ces guitares qui viennent la ramener sur le devant du mix, de la belle ouvrage…). Mais qui transpire par tous ses pores le son du rock seventies à grosses guitares, en gros l’axe Zeppelin, Free, Humble Pie. Et désolé, outre les rondelles des suscités, je pourrai en citer des tonnes qui me « parlent » plus que cet « Help us stranger ».
Pourtant, ça commence bien et fort avec « Bored and razed », sa longue intro qui monte en volume et en puissance, pour finir par un classic rock bien lourd. Une démonstration en un peu plus de 3 minutes, on reste tout le temps dans le format titre court (12 pour quarante minutes), pensés pour le vinyle, avec des tempos qui se ralentissent pour la fin de chaque face.
Et il y a de bonnes choses, faut pas cracher dans la soupe servie par White et consorts. Des machins comme « Only child » (ballade heavy), « Somedays » (le Dylan qui knockait on the heaven’s door version Guns n’Fuckin’ Roses), « Sunday driver » (le bon vieux hard bourrin qui dépote), ou un « Thoughts and prayers » pour conclure, qui semble tenter de reconstruire un escalier pour le paradis …

Et à côté de ça, des choses anecdotiques qui sonnent bien, comme si un bon son pouvait se substituer à une bonne chanson. Et quelques écueils sur lesquels l’embarcation des Raconteurs vient parfois se fracasser. « Live a lie » imite trop bien Nirvana pour ne pas être gênant, « What’s yours is mine » mélange phrasé limite rap et guitares zeppeliniennes comme si ça ne suffisait pas avec RATM. Une ânerie de hardcore bourrin (« Don’t bother me ») précède un pénible « Shine the light on me » qui prouve qu’à trop revisiter les 70’s, on finit par tomber dans les cases prog et opéra-rock, et ce titre à mi-chemin entre les horreurs de Yes et les bêtises du Townsend de « Tommy » ou « Quadrophenia » est la grosse verrue de cette rondelle.
Finalement, ce qui m’accroche le plus, c’est quand les Raconteurs s’écartent des sentiers bien balisés dans lesquels ils évoluent. Ça n’arrive qu’une fois (on n’a pas à faire à un disque expérimental, vous l’avez compris), ça s’appelle « Now that you’re gone » et c’est doté d’une mélodie et d’arrangements plutôt (très) originaux. Faut s’y faire, ça dénote avec tout le reste, mais moi je suis preneur.
Sinon, y’a pas de lézard, les types ont la quarantaine bien sonnée, y’a des lustres qu’ils sont dans le circuit, ils savent jouer, écrire, produire, le tout en respectant de « saines valeurs » (même si évidemment c’est aussi un coup de fric, ça se voit pas trop) et de « saines références » (tout ce qui faisait du boucan au début des seventies). Faut pas cracher dans la soupe, on est d’accord, des disques de cette qualité il en sort pas quinze par mois…
Mais vu le pedigree des usual suspects, on aurait espéré un peu mieux. Next time ?



Des mêmes sur ce blog :
Broken Boy Soldiers



RICHARD HAWLEY - FURTHER (2019)

Ailleurs ...

« Further » est un disque pour les vieux fait par un vieux … même si Richard Hawley n’est pas vieux (enfin pas tant que ça, plus de cinquante prunes au compteur quand même), il est né vieux. Comprendre qu’il a jamais été à la mode (même s’il a fait a partie de Pulp, Pulp de quoi ? … laisse tomber), qu’il a le sourire amoché par un bec de lièvre, qu’il a pas la même garde-robe qu’Elton John (Elton qui ?? oh ta gueule, ignare), oubliant le noir pour le gris anthracite quand il est de bonne humeur, ce qui lui arrive pas souvent, et qu’il est né avec une guitare (un truc de vieux, évidemment) greffée au bout des bras et qu’en plus il sait s’en servir …

Donc quand il est en costard gris anthracite, c’est qu’il est de bonne humeur (c’est-à-dire triste, le gars vient de Sheffield, morne cité qui fut industrielle avant Thatcher et la mondialisation), sinon normalement il est sinistre … Ses disques, c’est pas exactement Patrick Sébastien.
N’empêche que le bonhomme il a construit – patiemment, c’est pas un hyper productif – ce qu’il faut bien appeler une œuvre. Cohérente, même si ses disques ne sont pas des copier-coller des précédents. Il peut passer de ses blues à lui (qui ont peu à voir avec Muddy Waters), ceux du sublime « Truelove’s gutter », à une rondelle tous potards sur onze, son ode à la guitare électrique qu’est « Standing at the sky’s edge » tout en gardant une qualité d’écriture et d’interprétation remarquables. Hawley sait écrire des chansons et sait les coucher sur disque …
« Further » est concis (11 titres pour 36 minutes). Et c’est regrettable. Parce qu’on passerait des heures à en écouter des morceaux comme ça … Parce qu’aujourd’hui, à part des types qui ont plus de soixante-dix balais (Dylan, Macca, les Stones, Neil Young, Ray Davies, Springsteen, liste close), personne n’est en théorie capable de sortir des trucs comme ça. Et ceux que je viens de citer encore moins, en tout cas pas sur un disque entier.
« Further » il serait sorti y’a quarante-cinquante ans, il serait aujourd’hui sur toutes les listes des albums qui comptent. Là, il va s’en vendre trois douzaines.
« Further », il me semble que c’est un jeu de pistes, parce que trop de hasard, c’est plus du hasard, c’est fait exprès. « Further » il est pas monolithique, il commence par le meilleur morceau d’Oasis (l’axe Beatles meets the Stones en gros) que Noel Gallagher n’a pas écrit depuis environ un quart de siècle. « Off my mind », il s’appelle, c’est du rentre-dedans mélodique avec sax discret et solos de guitare. Ah ouais, je vous ai pas encore dit, « Further » il est joué par un noyau dur de quatre types, Hawley, guitares, chant, écriture et production, Shez Sheridan, guitares, claviers, backing vocaux, et une section rythmique. Sheridan et le bassiste co-produisant également la rondelle, enregistrée at home, à Sheffield donc. Et sur quasiment tous les titres, une section de cordes intervient, avec bon goût et sans jamais être envahissante, ce qui aurait pour résultat de donner dans le pathos larmoyant. « Further » n’est pas vraiment joyeux et sautillant, mais c’est loin d’être un machin plombant tire-larmes. Il y a même un titre enlevé (« Alone », superbe) comme si Chris Isaak s’essayait au reggae (le rythme). Et vers la fin un boogie colossal avec un le réglementaire harmonica, ça s’appelle « Time is », croisement entre les Stones et Free (le refrain commence par « Time is on your side right now », et si ça c’est pas du message subliminal je veux passer le reste de mes jours à écouter Louane et Angèle). Tant qu’on est dans le subliminal on a « Galley girl » entre le glam prolo de Slade et l’allusion à Creedence (répéter des « rollin’, rollin’, rollin’ » à foison renvoie quand même un peu à une certaine Fière Mary …).

Les morceaux dont au sujet desquels je viens de parler constituent la face la plus enjouée et rythmée de la rondelle. Tout le reste repose sur des ballades plus ou moins désenchantées, quelquefois sur fond de country-rock pépère, réminiscent des Eagles des débuts ou du Neil Young campagnard de « … Gold Rush » et « Harvest » (« Further » le morceau, « Emilina says », « Not lonely »). Hawley nous fait aussi sa confession claptonienne avec « My little treasures », où comment voir le monde à travers le cul des bouteilles d’alcools forts consommés sans modération. On voit planer l’ombre tutélaire des meilleurs moments du Dylan 70’s (« Midnight train »), et parfois celle d’un de ses disciples, l’oublié Lloyd Cole (« Not lonely », « Doors », cette dernière avec ses relents de « Forest fire »). Et comme de bien entendu, on ne peut pas faire de disque triste classieux sans que surgisse à un moment ou un autre le fantôme de Roy Orbison. Ici le binoclard est présent par l’esprit sur le lamento électrique de « Is there a pill ».
« Further » ne se résume cependant pas à un catalogue d’influences trop visibles qui empêchent de voir l’originalité de Hawley. Ce disque est un sommet de finesse d’écriture (et de production) et à ce siècle-ci, je ne vois guère que Wilco (si Jeff Tweedy et sa troupe daignaient nous honorer d’un disque, mais que deviennent-ils donc ?) capable de sortir un machin de classic rock de ce niveau.
Incontournable …


Du même sur ce blog :

FAT WHITE FAMILY - SERFS UP (2019)

Lendemain de cuite ...

La Grosse Famille Blanche, ils font tout pour être le groupe clivant (faut faire parler le plus possible de soi, s’efforcer d’être un maximum reconnu, et si possible sans que les gens écoutent les disques, ça viendra forcément plus tard, quand tu seras un incontournable des discussions …). Toutes leurs déclarations, les rumeurs, ragots et potins ça me passe par-dessus la tête, moi j’écoute d’abord les skeuds…
Comme je suis un connard consciencieux, j’ai réécouté celui d’avant (« Songs for our mothers ») et ce que j’en avais écrit… je persiste et signe. Sauf que depuis pas mal d’alcool a coulé dans les gosiers. Les types sont partis dans tous les sens (enfin les deux plus notables, Lias Saoudi et Saul Adamczewski), sans forcément se perdre (Moonlandigz et Insecure Men ça tenait la route et si vous voulez mon avis, mieux que « Songs … »). Et alors que ceux qui n’ont rien de mieux à foutre ergotaient sur une improbable reformation de la Famille, celle-ci revient.

Même si c’est pas vraiment exactement le même line-up que sur « Songs … », on s’en fout un peu, Saoudi et Adamchose sont là, ils ont amené dans leurs bagages Romans-Hopcraft (des Insecure Men) et Alex White, multi-instrumentiste repéré dans Electric Soft Parade. Et à eux quatre, ils ont fait l’essentiel de ce « Serfs Up » (une allusion au trois millième degré à un excellent disque triste des Beach Boys, à cause de la quasi-homonymie et d’une pochette dans des teintes sombres à peu près identiques ?) ;
Et « Serfs Up », vous savez quoi, il laisse à mon sens loin derrière son prédécesseur. Et surtout parce qu’au lieu de la jouer déglingo attitude, il met surtout l’accent sur ce qu’on demande d’abord à un disque : la musique. Et dans un genre cohérent, pas un vague collage genre patchwork de ce qui passe par la tête des gars de retour de leurs péripéties extra Fat White Family. « Serfs Up » est homogène, axé uniquement sur des tempos lents. Comme quand on se réveille le matin avec un mal de tronche carabiné parce que l’on a trop forcé la nuit sur les liqueurs d’homme et écouté de la musique à 130 (bpm, dB, km/h, … ce que vous voulez). « Serf Up » n’est pas un disque gai, faut pas déconner non plus, il est plutôt d’une beauté vénéneuse, bien écrit, et n’hésitant pas à recourir à de réussis arrangements de cordes.
Et pourtant, « Serfs Up » commence crispant avec « Feet ». Une intro lugubre genre BO de giallo, une rythmique martiale, une ambiance gothique à la Joy Division avec son mid tempo lancinant. Un des titres les plus faibles, avec ce « Vagina dentata » ( ? ) et son solo de sax jazzy placé en troisième position. Comme quoi les FWF ont pas dû écouter le chef de produit de leur maison de disques (Domino, très gros indé) qui leur a dit que sur un disque, il faut mettre du lourd d’entrée et les morceaux anecdotiques ou foireux vers la fin … Quoique le dernier titre « Bobby’s boyfriend » avec son refrain borderline (« Bobby’s boyfriend is a prostitute ») pourrait susciter quelques grincements de dents de la communauté arc-en-ciel, si le décorum bruitiste et expérimental, manière d’être sûr d’achever dans le mur, n’avait pas suffi à être énervant …

Mais malgré un début pas terrible et une fin qui vaut guère mieux, le cœur de « Serfs Up » est d’un (très) bon niveau. Et sans que ça sonne comme des plagiats éhontés, plein de bons trucs reviennent en mémoire. Le Depeche Mode qui faisait de la musique pour les masses avec « I believe in something better » (parallèle troublant avec la voix vocoderisée, la rythmique électronique, la mélodie triste et désenchantée). Spiritualized pointe son museau le temps d’un « Tastes good with the money », avec son intro genre gospel pour désaxés, ses mantras opiacés et ses gazouillis de guitare au final. « Kim’s sunset » me semble devoir pas mal à Bowie (ses disques des années 90, et un gimmick en intro qui évoque furieusement celui de « Under pressure »). Les ballades vénéneuses sont aussi de sortie, la fabuleuse « Oh Sebastian » qui semble issue du même moule que « The struggle of Ana » des Moonlandigz, et la très 60’s « Rock fishes ». Ils s’essayent même (avec succès) à un hommage aux BO de western, Morricone et Calexico, ça s’appelle « When I Leave », c’est sympa bien qu’anecdotique. Preuve qu’ils ont pas l’esprit très mercantile, les singles ou les vidéos concernent les morceaux généralement insignifiants … Rock’n’roll suicide, quoi …
Au final, ce « Serfs Up » est une bonne surprise (les groupes de toxicos se bonifient rarement, voir le cas d’école Guns N’Roses), même s’il apparaît évident que Fat White Family n’est pas vraiment un groupe, mais plutôt la réunion ponctuelle et à géométrie variable de quelques talents de l’Angleterre désabusée de May – Johnson. Les FWF sont des prolos un peu bourrins et fiers de l’être. Du temps de Thatcher, il sortait des groupes de rock militants de partout. A part la Family et quelques gueulards genre Slaves ou Idles, combien sont-ils aujourd’hui ? S’il faut compter sur Saoudi, Adamczewski et consorts pour porter la flamme du rock, gaffe, ces cons seraient capables de la vendre pour acheter du crack …
En attendant, ils confirment le buzz un peu surévalué qui les poursuivait … ou les précédait …

Des mêmes sur ce blog :