SHAME - DRUNK TANK PINK (2021)

 

Migonne, allons voir si la rose ...

Parce que « Drunk tank pink » c’est le nom d’une rose dont la couleur est celle du lettrage de la pochette (et ne me demandez pourquoi drunk tank pink j’en sais foutre rien). Et tant qu’on cause pochette, le type en photo dessus est le père d’un des gars de Shame. Et c’est qui Shame ?

Euh, je sais pas grand-chose sur eux. Ils font du rock au sens large, et donc intéressent pas grand-monde. C’est une bande de potes, banlieusards londoniens, plutôt jeunes (la trentaine au max) catalogués comme tant d’autres (Sleaford Mods, Idles, …) apparus au milieu des années 2010 comme un groupe post-punk. Vu que le punk, c’était il y a bientôt cinquante ans (‘tain, cinquante ans …), post punk ça ratisse large. Mais en gros cette mouvance post punk anglaise actuelle, malgré des références diverses et variées, a un dénominateur commun, le groupe de l’acariâtre Mark E. Smith (mort il y a quelques années), lider maximo de The Fall. The Fall, ils ont toujours vendu des clopinettes, mais un peu comme le Velvet en son temps, ont inspiré pas mal de gens. Il faut donc s’attendre à des trucs râpeux, des tensions d’électricité méchante, et une façon de chanter goguenarde, menaçante, genre diatribe de tribun en colère.

Shame

Il y a aussi plein d’autres choses de la décennie 75-85 qui remontent à la surface à l’écoute de Shame. Des inclassables à l’époque (devenus classiques maintenant), qu’ils soient américains (Talking Heads et Devo des débuts) ou anglais (P.I.L., dont l’influence ne cesse de grandir, alors que le groupe ne faisait pas vraiment l’unanimité à ses débuts). Et contrairement à beaucoup d’autres qui se contentent d’envoyer du boucan énervé et parfois énervant, les Shame font des efforts d’écriture, il y a de vraies bonnes chansons dans ce disque (pas sûr que ce soit le but recherché, mais le talent de composition, même si t’essaye de le planquer, il ressurgit toujours).

On n’écrit pas par hasard des choses comme « Alphabet », « Water on the well », « Human for a minute », « 6/1 », si on ne s’est jamais posé la question de quoi faire avec une intro, un couplet, un refrain, un pont, des riffs, un break, … autant de choses dont beaucoup ne s’encombrent pas l’esprit par les temps qui courent … En plus, les Shame ont mis derrière la console James Ford, producteur quasi attitré des Arctic Monkeys, et qui bosse depuis une quinzaine d’années avec Damon Albarn, que ce soit pour Blur ou Gorillaz … un type capable d’apporter un gros plus à un titre (comparer les démos de « Water on the well » et « Alphabet » parfois rajoutées en bonus sur les versions Cd de « Drunk tank pink », avec leurs versions « définitives »). Même si on a pas sur ce disque la team du siècle, on a un attelage groupe – producteur qui tient bien la route … Le problème majeur est que « Drunk tank pink » fait partie de ces disques du COVID (enregistrés dans des conditions pas ordinaires, impossibles à promouvoir parce que pas de concerts possibles, etc …). Résultat, un disque passé sous pas mal de radars. Et comme on refait jamais l’Histoire, on peut pas extrapoler sur l’accueil que cette rondelle aurait reçu en temps « normal ».

Shame's Next ?

Deux singles sont sortis en éclaireurs, « Alphabet » hymne noirâtre au chant déclamé, musicalement quelque part entre le Cure de « Pornography », Gang of Four, The Fall. « Water on the well » suivra, porté par ce qui est au moins le riff du mois sinon de l’année (qui de nos jours hormis quelques hardeux, ose faire reposer un titre sur quelques notes de guitares saturée, hein, répondez pas tous en même temps). Une fois n’est pas coutume, ces titres avant-coureurs donnent un bon aperçu de l’album qui va suivre, et ce qui ne gâte rien, font partie des meilleurs de la galette argentée.

Auxquels il convient expressément de rajouter « Human, for a minute », belle ballade portée par une non moins agréable mélodie, sur un rythme quasi up tempo et des synthés très 80’s. Un titre qui se remarque d’autant plus facilement, que les chansons apaisées, ça semble pas être le signe distinctif de la maison Shame. Preuve avec un autre grand titre « 6/1 » à peu près à mi-chemin entre les méchants postillons soniques de The Fall, et les bastons quasi indus de P.I.L.

Shame live

Dans le reste (sept titres de plus dans la version initiale), il y a quelques machins dispensables, voire crispants. Perso, j’aime pas « Snow day », harangue sur musique dissonante « élaborée », qui dans ses meilleurs moments fait penser à King Crimson période « Red », et dans les autres, aux pénibles Black Midi. Même verdict négatif pour « Station wagon », qui musicalement ressemble à une chute de « Broken English » de Lady Marianne Faithfull (les synthés lugubres) et sert de bande-son à une longue rumination déclamée … Pas de bol, ces deux titres sont les plus longs du disque …

Dans la poignée de titres restants, mention bien à « March day » et « Nigel Hitter » où l’influence des Talkings Heads époque « Remain in light » (les rythmes sautillants électrocutés, la façon d’aborder le chant de David Byrne) se fait sentir, ainsi que celle de Devo sur « March day ». Mention passable au punk bourrin (pléonasme) « Great dog », à l’abrasif et épileptique « Born in Luton » (remember le premier Wire ?), au coup de sang limite hardcore de « Harsh degrees ».

Pas sûr que quelqu’un ait vu dans ce groupe et ce disque (dont la première parution « Songs of praise » avait été remarquée) le futur du rock’n’roll … Par contre ce côté rebelle dark semble devenir la norme de ceux qui ont encore quelque chose à dire et utilisent le rock pour le dire … faut aujourd’hui savoir se contenter de peu …





MANOEL DE OLIVEIRA - UN FILM PARLE (2003)

 

La croisière ne s'amuse pas ...

Bon, « Un film parlé » n’est pas vraiment une œuvre de jeunesse. Quand il est projeté en salles, son réalisateur Manoel De Oliveira a l’âge plus que respectable de 95 ans (il tournera encore pendant dix ans, il a établi plein de records qui seront difficiles à battre, il avait commencé du temps du muet …).

De Oliveira et une figurante française ...

Donc « Un film parlé » n’est pas une œuvre de jeunesse. Ni un film pour la jeunesse. Ne vous attendez pas à voir chez De Oliveira, un type en collants moule-burnes doté de superpouvoirs qui va sauver la galaxie. N’espérez pas non plus des gunfights, des bastons haletantes et des cascades spectaculaires. « Un film parlé », même à la direction des programmes nuit de Arte, ils doivent pas en vouloir.

« Un film parlé » est un film qui forcément, s’écoute. Mais surtout qui se regarde, et à la fin, on se sent un peu moins con ou inculte qu’au début.

« Un film parlé » c’est l’histoire d’une croisière de Lisbonne vers Bombay en 2001. Les deux personnages principaux (avant qu’arrivent les stars, on y reviendra), sont une mère et sa fille. La mère est prof d’Histoire en fac, elle va avec sa gamine rejoindre son mari pilote de ligne lors d’une escale de son avion à Bombay, où la famille doit passer ses vacances. Une aubaine pour la prof férue d’Antiquité et qui va profiter des escales du bateau pour visiter des lieux qu’elle ne connaît que par les livres, en faisant partager ses connaissances à sa fille très curieuse aux nombreuses questions pas toujours naïves. Là, on est un peu dans une version avec des images de « Emile ou l’Education » du grand Jean-Jacques (Rousseau, pas Debout). Pendant pile la moitié du film (trois quarts d’heure), on a droit à des visites commentées du port de Lisbonne, des racines grecques de Marseille, de Naples et de Pompéi engloutie par le Vésuve, de l’Acropole à Athènes, de Sainte-Sophie à Istanbul, du Sphinx et des Pyramides au Caire. La dernière escale que nous verrons sera dans le souk d’Aden.

A Marseille ...

Bon, faut aimer l’Histoire ou les vieilles pierres (ou les deux), je vous le concède, pour pas que le Dvd finisse accroché à un cerisier pour effaroucher les merles. Parce que « Un film parlé » est didactique, mais pas spectaculaire pour deux sous. Le bateau de croisière, on a juste des fois un plan de la proue qui fend l’eau, et d’autres fois une maquette secouée dans une bassine, qui fait ressembler ledit bateau aux dimensions censées être imposantes à une planche de surf qui croiserait au large du Cap Horn par gros temps. De Oliveira en bateau, c’est pas James Cameron ou Peter Weir …

A la moitié du film, on est quand même obligé de se poser une question : « Un film parlé », c’est un film ou un documentaire de Discovery Channel ? Un film, Votre Honneur. Parce que celle qui joue la mère, Leonor Silveira, c’est une actrice majeure portugaise, et quasiment la muse de De Oliveira qui figure depuis une quinzaine d’années au générique de presque tous ses films. Et à l’escale de Port Saïd – Le Caire, le touriste portugais qui lui donne la réplique est Luis Miguel Cintra, lui aussi un habitué des castings de De Oliveira. Et puis on a aperçu fugacement rejoindre la croisière à l’escale de Marseille Catherine Deneuve, à celle de Naples Stefania Sandrelli, et à celle d’Athènes Irene Papas, sans qu’elles soient par la suite d’aucune scène, et on se dit que ça peut pas durer, que « Un film parlé » finira par prendre une autre direction.

A Naples

Et effectivement, on se retrouve dans la salle de restaurant du bateau, dont le capitaine (John Malkovich) invite à sa table les passagères célèbres que sont Deneuve (une grande chef d’entreprise française), Sandrelli (actrice et mannequin italienne), et Papas (chanteuse et actrice grecque). La conversation entre ces quatre, animée par un capitaine très révérencieux pour ses convives, va tourner sur la condition féminine, leur relation à la maternité (aucune des trois n’a d’enfant), l’apport au monde des civilisations des pays traversés. Chaque convive parle dans sa langue maternelle et « officielle », et on a droit à des dialogues où alternent (sous-titrés, heureusement) anglais, français, italien et grec. Et tout le monde comprend tout le monde. Plus qu’une question d’hyperpolyglottes, on voit ressurgir le fantasme de la Tour de Babel, cet antique lieu mythique où tout le monde peut se comprendre, à condition d’être guidé par les bons sentiments. Et voilà comment le quasi centenaire de Oliveira pose sa patte humaniste sur un scénario jusque-là plutôt ronronnant.

D’autant plus qu’il semble y rajouter une vision portugaise de la civilisation européenne, mise en avant notamment par le poète Camoés dans « Les Lusiades » (fin du XVIème siècle). Comme il y a peut-être des gens qui ont pas lu ce pavé en vers de plusieurs centaines de pages, je vous la fais rapide, l’auteur explique que les grands navigateurs venus du Portugal ont découvert et civilisé le monde non-européen. Tout ça dans de grands élans lyriques patriotiques et religieux, malgré un « ennemi » présent partout dans les contrées lointaines, le Maure (une théorie plutôt gênante, reprise trois siècles plus tard par Ernest Renan dans sa «Vie de Jésus », où ce très catholique historien, dézingue toutes les sornettes bibliques, mais rend les Arabes responsables de tous les maux de la région proche-orientale depuis des siècles) … Oh Jésus Marie Joseph, qu’est-ce que tu viens nous raconter Lester, Camoés et Renan, wtf ? Ben, j’essaye l’ellipse pour pas spoiler la fin (dernière escale Aden, film paru en 2003, allez cherchez bien) …

Malkovich et ces dames ...

Oui, Papy De Oliveira n’a pas fait un film historique ou intello rempli de verbiages courtois et galants, il a fait un film qui colle à l’actualité du moment en donnant sa vision des grandes civilisations qui sont issues de la Méditerranée et des luttes (pas seulement d’influences) qu’elles ont soutenu entre elles.

Alors oui, la fin du film pourrait plaire à tous ceux qui sont à droite, voire plus, et conforter leurs idéologies rances. Sauf qu’à mon sens, De Oliveira ne dénonce pas, il explique, dans ce voyage à travers des siècles d’Histoire, qu’au final, ce sont la culture et l’innocence qui payent la folie des hommes et des religions.

« Un film parlé » si logiquement il s’écoute plus qu’il ne se regarde, à la fin il finit par poser des questions essentielles … et le vieux cinéaste portugais est aussi un vieux sage …