THE FLYING BURRITO BROTHERS - THE GILDED PALACE OF SIN (1968)

 

Stratosphérique ...

Bon, faut essayer de pas être trop bordélique. Et commencer par le commencement. Au commencement fut donc Roger McGuinn. Leader, guitariste, chanteur et fondateur (mais pas vraiment compositeur, ça aura son importance, voir plus bas) des Byrds. C’était au mitan des années 60 aux Etats-Unis. Lesquels Etats-Unis qui avaient inventé le rock’n’roll une décennie plus tôt étaient en proie à la British Invasion. Les envahisseurs se nommaient Beatles, Rolling Stones, Who, Kinks, Animals, Pretty Things, Them, Yardbirds, pour les plus cotés. Et en face, ils avaient quoi à proposer les Ricains ? Des morts (Eddie Cochran, Buddy Holly), des qui faisaient des films (Elvis), des qui disaient la messe (Petit Richard), des qu’étaient pas au mieux (Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, Johnny Cash, …), mais des groupes, que dalle. Enfin que dalle de connu. Il y avait dans plein de garages des minots qui copiaient les Anglais, certains arrivaient à sortir des disques, étaient parfois connus dans leur Etat, mais jamais au niveau national. Voir toutes les compiles Nuggets, Peebles, Back to the grave, … qui ont réhabilité tous ces Seeds, Sonics, Remains, 13th Floor Elevators, Count Five, … dont certains valaient bien mieux que l’anonymat qui les entourait.

Sneeky Pete, Parsons, Etheridge, Hillman : FBB

Connus nationalement, il n’y en avait que deux : les Beach Boys qui à cette époque faisaient du Chuck Berry en version Club Med, et les Byrds donc. Qui faisaient du Dylan électrique avant que l’intéressé y pense. Les Byrds, c’est une sorte de Who’s Who du rock américain. La plupart de ceux qui y sont passés ont été plus connus et appréciés que McGuinn, qui a pas supporté ça, et a congédié à tour de bras ces soi-disant accompagnateurs de son immense talent (le type avait le melon) qui lui faisaient de l’ombre. Exit les Gene Clark, David Crosby, Chris Hillman, Gram Parsons. Problème, la plupart des éjectés étaient de grands compositeurs qui définissaient les Byrds, et à ce jeu de chaises musicales le groupe partait dans toutes les directions. Virage majeur en 1968, quand Chris Hillman prend le leadership dans l’écriture, et rameute son pote Gram Parsons.

Gram Parsons est issu d’une riche famille et vivote dans l’oublié International Submarine Band. Dans les Byrds, lui et Hillman vont initier le virage qu’on appellera country-rock de la musique pour jeunes, qui se concrétisera avec l’hyper essentiel « Sweetheart of the rodeo ». Parsons participe à l’écriture, chante, fait les chœurs. Mais le couillon a oublié que son International Submarine Band était sous contrat avec un label qui menace de procès. La vénérable Columbia, maison de disque des Byrds, « suggère » que toutes les parties jouées ou chantées par Parsons soient effacées et refaites par quelqu’un d’autre (on trouve ces versions censurées sur les rééditions Cd du disque). Evidemment Parsons se casse des Byrds, suivi quelques semaines plus tard par Hillman.

Les deux s’acoquinent avec quelques compères et donnent naissance aux Flying Burrito Brothers. Officiellement composé de Parsons (chant, guitare, claviers), Hillman (Chant, guitare, mandoline), Chris Etheridge (basse, piano) et Sneeky Pete (steel guitare), les FBB s’adjoignent pour « The gilded palace of sin » leur premier disque studio, quatre batteurs différents. Contrairement aux Byrds, les FBB sont une page blanche, n’ont pas d’historique. Ils peuvent donc faire ce qu’ils ont envie de faire.

Parsons & Hillman

« The gilded palace of sin » est un disque qui se regarde avant de s’écouter. Pochette marquante. On y voit outre deux nanas (devant la cabane au fond du jardin ? comme dirait Cabrel, le Dylan d’Astaffort) les quatre FBB dans un décor rustique et champêtre. C’est pas le décor qui compte. Les quatre sont habillés Nudies. Pour ceux qui s’habillent Shein, un mot sur Nudies. Nudie Cohn est une couturière Ukrainienne exilée à Los Angeles. Sa particularité, elle fait des vêtements personnalisés (généralement des costumes veste + pantalon) avec des motifs brodés. Des fringues plutôt voyantes, qui ont séduit les countrymen dans un premier temps (premier célèbre « mannequin » de la marque, Porter Wagoner, compagnon de chant de Dolly Parton), les rednecks riches (John Wayne, Elvis Presley), avant la commande de Gram Parsons. Même si les trois autres font pas dans la sobriété, la tenue de Parsons deviendra légendaire (elle est même conservée comme une relique dans je ne sais plus quel musée ou espace culturel). Sur fond blanc sont brodés pavots, pousses de marijuana, cachets multicolores et sur le dos une grande croix rouge. Péchés opiacés et recherche de rédemption, tout le personnage du Grievous Angel est dans ces fringues.

Euh mec, t’étais pas là pour causer du disque, tu commences à nous gonfler avec tes fripes … Bon, bon, suffit de demander …

« The gilded palace of sin », on y revient au péché. Et le disque commence par « Christine’s tune », et jette les bases d’un country-rock pépère qui sera la marque de fabrique des FBB (et de tous ceux qui suivront leurs traces, on y reviendra si j’y pense). Question, qui est Christine ? Aucun du groupe n’a jamais donné son nom, et les supputations sont allées bon train sur ce « devil in disguise ». Deux noms reviennent avec insistance, Christine Frka (la Miss Christine des GTO’s, celle qui pose sur la pochette du « Hot rats » de Zappa), et Christine Hinton, alors petite amie de David Crosby. Qui rappelons-le a fait ses débuts dans les Byrds. Et qui viendra passer un petit coucou vocal aux FBB en faisant les chœurs (non crédités à l’époque de la sortie du disque, la leçon Parsons a été retenue) sur « Do right woman ».


Super transition Lester, ça va te permettre d’expliquer en quoi le country-rock des Frères Burrito est différent de celui des Oyseaux. Facile, c’est dans les reprises qu’il faut chercher les approches différentes. Les Byrds de « Sweetheart … » reprenaient Dylan (leur marque de fabrique) ou du Louvin Brothers (leur extraordinaire version de « Christian life »). Du folk et de la country, de la musique plus blanche tu peux pas. Les deux reprises de « Gilded palace … » (toutes les deux cosignées par l’immense Dan Penn) sont « Do right woman » et « Dark end of the street », deux hits respectivement par Aretha Franklin et James Carr. Deux voix soul. Faut vraiment que je développe ? Ces deux reprises sont les deux sommets du disque (parmi beaucoup d’autres, voir plus bas). « Do right woman » évite l’écueil de la tentative d’imitation de l’explosivité vocale de l’Aretha, ça devient un superbe tempo très ralenti. Traitement à peu près identique pour « Dark end … » qui mue en ballade belle à pleurer.

Comme chez les Byrds, la mise en place vocale des FBB est impeccable. Parsons et Hillman chantent soit lead soit en duo à l’unisson, des chœurs (overdubs ?) viennent parfois les soutenir. On passe de la pure ballade country « Sin City » à la country plus roots (My uncle »), toujours dans la même veine au titre éternel pour chialer dans sa bière (« Juanita »). Et puis les Stones d’ « Exile … » (« Sweet Virginia », ce genre de choses) sont anticipés avec « Do you know what it feels » (rappelons que l’hédonisme forcené et les références country de Parsons en avaient fait le compagnon de défonce préféré de Keith Richards qu’il avait accompagné à Nellcote, ceci explique beaucoup de choses sur la musique des Stones à l’époque).

Au rayon merveilles, ne surtout pas oublier les deux « Hot Burrito ». Le « Hot Burrito #1 », c’est chanté par Parsons seul et c’est rien de moins que le « Whiter shade of pale » américain. Frissons garantis. « Hot Burrito #2 », c’est beaucoup plus rock que country, quand Hillman vient parasiter une superbe mélodie par des accords rageurs de guitare fuzz, c’est le titre le plus bruyant du disque, une sorte de fanfare psychédélique déjantée (pléonasme ?).


Reste deux titres sur lesquels j’accroche moins. « Wheels » est juste bon, donc un ou plusieurs tons en-dessous des autres. Le final (et aussi le morceau le plus long, presque cinq minutes) « Hippie boy », titre parlé façon Last Poets sur fond de piano et d’orgue est celui qui rattache les FBB à leur époque (1968) et assez logiquement le plus daté et forcément le moins intemporel.

« The gilded palace of sin » est aussi crucial que « Sweetheart of the rodeo ». S’il ne faut pas sous-estimer l’apport de leurs complices dans les deux groupes, force est de reconnaître que Hillman et Parsons ont accouché d'un genre. Leurs disciples (avoués ou pas) trusteront pendant des années le sommet des charts (américains d’abord, le country-rock voyageant plutôt mal hors des States, quand il s’aseptisera dans la seconde moitié des seventies, le succès sera mondial). Parmi les plus connus qui doivent beaucoup sinon tout à ces deux rondelles, Crosby, Stills, Nash & Young, Poco, America, Eagles, Doobie Brothers, et tous leurs semblables. Le courant que l’on baptisera soft-rock n'en est pas très loin (James Taylor, Boz Scaggs, Christopher Cross, le Fleetwood Mac « américain », …).

Les Flying Burrito Brothers ont traversé les décennies sous divers avatars (Burrito Brothers, Burrito Deluxe, Burrito, …), donnent encore des concerts. Sans évidemment Gram Parsons ni Chris Hillman, partis après le disque suivant (« Burrito Deluxe »), siamois par la qualité de ce « Gilded palace of sin », juste l’effet précurseur en moins …





ABEL FERRARA - THE KING OF NEW YORK (1990)

 

Série B ...

Ou film culte, comme on veut … Ou les deux … Ou pourrait aussi dire film de blaxploitation, sauf que le héros n’est pas Black et qu’il gagne pas à la fin. En tout cas « The King of New York » est avec son successeur « Bad Lieutenant » ce que Ferrara a fait de mieux.

Abel Ferrara 1990

Ferrara est un cas social hors du commun. Très marqué, pour pas dire traumatisé par l’éducation religieuse (comme Almodovar ou Scorsese), il va s’en éloigner le plus possible dans ses films (le premier sous pseudo est un porno), sans pour autant en renier les fondamentaux symboliques (péché-expiation-rédemption, cette sorte de choses). Les films de Ferrara sont là pour faire flipper le catho de base. Dans « The King of New York » le héros est un ex-taulard, dealer de coke qui assassine de sang-froid concurrents et flics dans une surenchère cataclysmique.

Les histoires de truands qui construisent un empire et finissent par crever de leur orgueil, c’est pas ça qui manque, du « Little Caesar » de Mervyn LeRoy, au « Scarface » de De Palma. Sauf que c’est pas ce genre de films que cite Ferrara pour son inspiration. Il a « vu » son film en sortant d’une projection de … « Terminator ». Même si c’est dit en termes diplomatiques, il pense que si pareille couillonade cartonne (l’obsession d’atteindre son but en dégommant tout ce qui s’y oppose), il peut faire aussi bien, voire mieux. Sauf qu’avec son pote depuis le lycée, le scénariste Nicholas St-John, il sont pas vraiment dans le trip post-apocalyptique de Cameron (ou de George Miller). Leur monde, c’est le New York contemporain. Pas le New York de Broadway et de Wall Street, le New York des quartiers glauques (le Bronx), des trafiquants en tout genres, et avec son ascendance italienne, celui du « milieu ».

Christopher Walken

Le Terminator de Ferrara sera Blanc (à double titre, il s’appelle Jack White, inutile de faire une disgression pour la symbolique catho liée au blanc), vient de s’endurcir en zonzon, et entend dès sa sortie devenir le roi de la dope sur la ville. Jack White, c’est Christopher Walken, qui deviendra après ce film un des acteurs fétiches de Ferrara. Plus ou moins dans le trip Brando quand Ferrara le rencontre (empâté, manteaux de fourrure, et jamais loin d’une quille de vin rouge), Walken va perdre vingt kilos avant le tournage pour jouer cette brute émaciée au regard fou et glaçant. Si Ferrara a son premier rôle, il a pas le fric pour tourner, les circuits de financement « classiques » américains lui ayant tous répondu quand il les a sollicités par un niet aussi poli que ferme et définitif. Ce sont ses connexions italo-américaines qui le mettront en relation avec des Italiens qui aligneront les lires pour que le film se fasse.

Et donc une fois considéré que Walken sera la star du générique, faut compléter avec des seconds couteaux. Et force est de reconnaître que l’Abel a eu le nez plutôt creux. Des seconds rôles seront notamment tenus par Wesley Snipes, Laurence Fishburne, et ont droit à quelques scènes Steve Buscemi ou Harold Perrineau. Bon y’a aussi eu des ratés, qui se souvient et a vu ailleurs Janet Julian (Jennifer, l’avocate et maîtresse de White), répondez pas tous en même temps.

Weley Snipes

Le scénario est ultra basique, ascension et chute d’un caïd de la drogue. Et Ferrara a beau jeu de dire que rien n’est crédible dans son film, les choses ne se passent pas comme ça dans la réalité (les « parrains » ne règlent pas leurs comptes eux-mêmes, ne participent pas aux gunfights punitifs, et un réseau mafieux ne s’écroule pas et ne se contrôle pas avec trois rafales de pistolet mitrailleur).

Ce qui compte pour Ferrara, c’est montrer « sa » ville, New York. Sous son prisme à lui. Walken est à peu près en roue libre, esquisse même quelques pas de danse (sa marotte dès qu’il peut glisser quelques entrechats dans ses films, il aurait préféré être danseur professionnel plutôt qu’acteur), tout le monde en fait des tonnes. N’empêche qu’il y a bel et bien dans « The King … » une « patte » Ferrara. L’art de susciter la tension avant les montées de violence froide (la scène aves Snipes et Buscemi venus conclure un deal avec les Hispanos, le règlement de comptes chez les mafieux ritals, …). L’envie de donner du spectacle (la baston lors de la party-partouze chez White, la course poursuite à la « Bullit » dans les grandes artères newyorkaises, …). La mise en scène d’une esthétique froide (tout ce bleu métallique qui domine dans la gamme chromatique), mais avec des partis-pris visuels forts (les très gros plans sur les visages lors des discussions). Et pourtant Ferrara n’a quasiment pas touché à la caméra. Il « visualisait » les scènes, donnait les ordres aux acteurs et à son caméraman, et partait surveiller tout ça dans le studio vidéo. D’où il ne s’extirpait pas souvent, montant, assemblant, sonorisant quasiment à la volée. D’où une séquence qui a marqué les participants au film, lors de la fête organisée le dernier jour de tournage, des écrans télé diffusaient quasiment dans sa version définitive « The King of New York » dont les dernières prises avaient eu lieu quelques heures auparavant.

Laurence Fishburne

Ferrara n’oublie pas de développer son postulat Bien / Mal. White est totalement amoral, sans aucune pitié ni scrupule (l’assassinat du flic lors de l’enterrement), veut devenir le King d’un monde où règnent luxure et dope. Et en même temps il patronne une soirée de bienfaisance pour récolter des fonds en vue de construire un hôpital pour les enfants. Séquence qui donne l’occasion d’une chanson par le second couteau soul Freddie Jackson. Alors que la bande-son est quasiment exclusivement composée de titres rap ou hip hop (Ferrara est très pote avec le rappeur Schooly D, omniprésent sur la B.O. et dont les connexions avec les bandes des quartiers mal famés où a été tourné le film ont permis à toute l’équipe d’évoluer sans encombre). De ce point de vue, Ferrara innove. Premier Blanc à donner une telle place au rap dans la bande-son, « The King of New York » est sorti moins d’un an après « Do the right thing » (Spike Lee / Public Enemy) et un an avant « Boyz in the hood » (John Singleton / Ice Cube).

Alors il faut voir « The King of New York ». Au moins parce que les dernières scènes (un Walken blessé à mort marchant tel un zombie dans les rues de « sa » ville avant d’aller agoniser à l’arrière d’un taxi cerné par les gyrophares des voitures de police et les flics qui le traquent), doivent rassembler toutes les chapelles de cinéphiles …





JASON REITMAN - IN THE AIR (2009)

 

Pas vraiment stratosphérique ...

Par le réalisateur de « Juno », c’est écrit en gros sur la jaquette du Dvd. « Juno », jamais vu mais je sais à peu près de quoi il retourne, une comédie sur une gamine en cloque. Le réalisateur, donc, c’est Jason Reitman. Un fils de. En l’occurrence Ivan Reitman, lui aussi manieur de caméras, auteur de quelques comédies plutôt neuneues mais à succès (« Ghostbusters »), et souvent avec Schwarzenegger à contre emploi (« Junior », « Jumeaux », « Un flic à la maternelle », ce genre …).

Clooney & Reitman

Ce qui est aussi écrit en gros sur la jaquette, c’est le nom de George Clooney. Et au final on se pose la question : « Mr Nespresso peut-il tenir un film à bout de bras ? » Yes, he can … Et donc « In the air » est un bon film ? Euh, comment dire, ça se discute …

Ouvrons donc la discussion.

La thématique de base du film aurait pu être mieux exploitée. Le scénario est tiré d’un bouquin de Walter Kirn (il fait une paire d’apparitions, dans les réunions de cadres, il est assis à côté de Clooney) « Up in the air » (titre du film en V.O.). Le personnage central est Ryan Bingham, cadre sup dans une entreprise (jamais nommée) spécialisée dans les licenciements expéditifs. En gros quand une boîte fait un plan « social », elle fait appel à des gens comme Bingham pour procéder aux entretiens de licenciements. Et aux States, ça rigole pas, t’as la journée pour faire tes cartons et dégager le plancher quand Bingham tout en sourire compatissant te convoque dans un bureau, te sort un baratin convenu et transposable à tous les cas, t’explique qu’on n’a plus besoin de toi, te remet un fascicule pour t’aider à « rebondir », coche ton nom sur la liste et appelle le suivant. A noter que dans « In the air », la plupart des licenciés sont des acteurs amateurs qui ont connu cette situation.

Bingham passe sa vie dans les avions, il a une carte coupe-file dans les aéroports, il a bien un appart quasi vide où il ne passe que quelques jours par an, et vit seul hormis quelques coups d’un soir au gré des escales. Il est aussi conférencier, sorte de gourou new age qui veut insuffler à ses auditeurs un mode de vie dégagé de contingences matérielles et affectives, de fait son mode de vie à lui. Son but secret, qu’on n’apprend que vers le milieu du film, est d’avoir la carte Gold personnalisée chez American Airlines, qu’on n’obtient qu’après avoir parcouru dix millions de miles sur les lignes de la compagnie. Quand il débarque dans une nouvelle ville, il descend à l’hôtel Hilton du coin où il a aussi le statut de VIP et peut profiter des cadeaux, avantages et soirées privées, destinées à des personnalités importantes comme lui.

Clooney & Farmiga

Ça coince un peu, là. Au lieu de chercher à comprendre les tenants et aboutissants de son boulot de coupeur de têtes, tout cet aspect où il y aurait quand même beaucoup à dire (et à montrer), que dalle. Par contre, on a quelquefois l’impression plutôt gênante que « In the air » est une pub (on n’est même plus dans le placement de produits) non stop pour American Airlines et Hilton, et la vie « merveilleuse » qu’ils proposent à leurs plus fidèles clients. Sans oublier leur Blackberry que les protagonistes tapotent à tout moment … Evidemment, Clooney, toujours dans des costars impeccables, donne une touche de glamour sexy à son personnage, et pour ça, force est de reconnaître qu’il sait faire, il est quasiment de toutes les scènes.

C’est là que le manque de courage (?), d’ambition (?) de Reitman devient criard. « In the air » aurait pu être une parabole sur ce capitalisme sauvage qui justifie l’existence de gens comme Bingham et les fait prospérer sur la misère qu’ils créent. Le côté professionnel n’est pas éludé, il est quand même bien biaisé quand est recrutée une jeune surdiplômée Natalie Keener (interprétée par Anna Kendrick), qui entreprend d’optimiser la rentabilité de la boutique. Exit les déplacements en avion onéreux, et place au licenciement par visio grâce à internet, ce qui évidemment ne fait pas les affaires de Bingham et de ses millions de miles. Là aussi, Reitman préfère nous montrer la gamine se frotter à la vraie vie plutôt que s’appesantir sur ce qu’elle représente.

On se retrouve pour « meubler » avec une amourette de Bingham et d’une commerciale croqueuse de miles comme lui, Alex (Vera Farmiga). Ils se rencontrent of course au bar d’un Hilton, font connaissance en étalant sur une table leur cartes de crédit, d’abonnement, master, VIP, etc … (scène la plus drôle du film), se donnent des rendez-vous au gré de leurs déplacements et escales … et contrairement à ce que professe Bingham dans ses conférences, il va s’attacher à Alex et envisager de faire sa vie avec elle. L’atterrissage sera violent. Entre-temps, elle l’aura accompagné au mariage de sa sœur avec un quidam qui hésite au dernier moment. Cadeau-gage des participants au mariage : faire comme dans « Amélie Poulain » avec le nain de jardin (le plagiat est énoncé), prendre des photos du couple de fiancés (en carton) dans le plus d’endroits possibles des States (ce qui donnera le gag navrant et ultra prévisible de Clooney qui tombe à l’eau lors d’une séance de shooting).

Keener & Clooney

« In the air » avait pourtant bien commence, avec son générique fait d’un montage de vues aériennes et en fond sonore une reprise pour le moins tonique du « This land is your land » (de Woody Guthrie) par Sharon Jones & The Dap-Kings. Mais bon, c’est une gentillette comédie douce-amère, la dureté du monde dans lequel évoluent les personnages n’est là qu’en filigrane (les plans fugaces sur des entassements de chaises et de téléphones mis au rebut après les plans sociaux, le suicide d’une femme virée sans ménagement par Natalie n’est semble t-il là que pour donner une « conclusion » à son personnage). « In the air » serait un film français, on aurait Souchon au générique, comme acteur il y a quelques années, avec ses chansons maintenant, voire les deux (double peine, c’est quand même plus marrant de voir une Natalie bourrée chanter étrangement sur un karaoké le « Time after time » de Cyndi Lauper).

On sourit quelques fois, avec l’impression du verre à moitié plein ou vide, car il y avait matière à une belle comédie, ou à un brûlot sociétal. Encore eut-il fallu faire des choix, ce que Reitman n’a pas voulu (ou pas osé). Si j’en crois son suivant (« Young adult », avec une magnifique Charlize Theron), cette « transparence » semble être sa marque de fabrique. Reitman n’imprime pas …




JIMMIE VAUGHAN - DO YOU GET THE BLUES ? (2001)

 

Big Brother ...

Donc Jimmie Vaughan est le frère aîné de Stevie Ray Vaughan (vous savez le Texan affublé d’un Stetson à sequins qui se prenait pour Jimi Hendrix et qui a mouru dans un accident de coléoptère). Et si le Stevie Ray a donné dans le belouze, c’est peut-être grâce à Jimmie. Qui a commencé à faire parler de lui au tout début des années 80 au sein des Fabulous Thunderbirds, dont il était guitariste et chanteur, tout comme l’homme de base du groupe, Kim Wilson, le seul qui persiste de la formation originale.


Si vous regardez sur Wikimachin, on vous dira que les Fab T-Birds sont un groupe de blues. Soit. J’ai une paire de leurs rondelles, fort recommandables au demeurant, et si le blues est là, c’est surtout à travers sa descendance « modernisée », le rhythm’n’blues, le rock(‘n’roll), les sons mis au goût du jour, un peu l’équivalent dans le rustique genre que ce que les Stray Cats faisaient au rockab ou les Lone Justice à la country … Tout ça pour situer les origines du bonhomme Jimmie Vaughan.

Quand son frangin a fait une Balavoine, Jimmie a raccroché un temps les guitares, quitté les Thunderbirds, et quelques années plus tard, commencé à publier des disques solo. Il est raisonnable de penser qu’il n’a jamais envisagé de se reconvertir dans le djying techno, blues un jour, blues pour toujours.

Déjà rien que le titre de la rondelle (sa troisième solo) annonce la couleur. Et la liste des remerciements, longue comme l’annuaire d’Austin à la page des Smith, commence par John Lee Hooker, et pour ceux qui donnent dans la musique, recense un tas de gloires passées ou encore en activité des douze mesures. « Do you get the blues ? » a pourtant peu à voir avec le Hook et ses disciples. En fait, c’est un disque plutôt plaisant (non pas que Hooker et ses descendants n’aient pas fait de grandes choses), différent des blues roots que tout un tas de laborieux (catalogue sur demande) s’acharnent à copier et faire perdurer.

« Do you get the blues ? » risque de décontenancer les ayatollahs des douze mesures et des guitar heroes grimaçants qui vont avec. Jimmie Vaughan n’a pas une voix exceptionnelle, et surtout c’est un guitariste beaucoup plus rythmique que soliste. Oubliez les descentes de manche supersoniques, la saturation à tous les étages, le Jimmie il s’accompagne à la guitare électrique et laisse la virtuosité à ceux qui n’ont que ça…

C’est pas non plus le roi de l’écriture, n’espérez pas trouver ici le morceau qui va changer votre vie. Jimmie Vaughan, c’est pas le trois étoiles Michelin guindé et ignoré, c’est la brasserie du coin, où le patron est sympa, l’ambiance bonne, le morceau de barbaque goûteux et le pinard pas (trop) cher …

La formation de base qui joue sur ce disque, c’est le Jimmie donc, plus le batteur George Rains et le manieur de Hammond B3 Bill Willis. Auxquels se rajoutent de temps en temps un bassiste (sur deux titres), un sax ou un percussionniste (sur un titre). Et pour rester dans la famille, fiston Tyrone vient gratouiller sur un morceau, et la section rythmique de Double Trouble, feu groupe de Stevie Ray (Shannon et Layton), sur la reprise du « In the middle of the night » de Johnny Guitar Watson.

Lou Ann Barton & Jimmie Vaughan

« In the middle of the night », c’est la masterpiece du disque. Parce qu’en plus y’a la Lou Ann Barton venue en voisine (la connexion texane) pousser la goualante. Ah, Lou Ann Barton. Il y a quelques décennies un physique impeccable et des cordes vocales en acier. Autre chose que l’encensée rondouillarde tatouée Beth Hart (seule ou avec le pénible Bonamachin). Barton, à presque cinquante ans au moment des faits, reste encore une voix qui semble s’être bonifiée avec le temps. Et elle illumine deux autres titres (« Power of love », reprise de je ne sais qui, merci si quelqu’un a l’info, et le premier qui dit Céline Dion, Frankie Goes to Hollywood ou Huey Lewis se prend une torgnole), et fait des chœurs époustouflants sur « Out of the shadows ». En fait c’est elle qui justifie l’achat de ce disque …

Parce que le reste, c’est sympa sans plus, en tout cas pas exceptionnel. Avec des passages obligés, la partie de slide sur « The deep end », le titre au tempo ralenti ah que ça fait mal parce qu’elle est partie (« Without you »), le clin d’œil funky (« Let me him »), une paire d’instrumentaux prévisibles où le B3 se taille la part du lion (« Dirty girl », « Slow down blues »), une sortie de route vers une sorte de bouzin afro-cubain (« Planet bongo ») …


La production est près de l’os, y’a pas eu des kilomètres de bandes d’overdubs, pas de sorcier des consoles de mixage recrutés, ça a été enregistré beaucoup dans le Texas, un peu dans le Tennessee, c’est paru sur un petit label (Artemis Records), distribué parcimonieusement par Epic qui on le sent, n’a pas fait de ce disque sa priorité commerciale.

« Do you get the blues ? », ça figurera pas sur les listes de disques indispensables, c’est un peu longuet sur la durée (plus de cinquante minutes pour onze titres), c’est sauvé du quelconque par Lou Ann Barton. Face aux grosses machines du genre promues à grands coups de qualificatifs superfétatoires, ça fait figure d’artisanal. Et l’artisanat, ma foi, j’ai rien contre. Disque mineur, sans prétention, mais somme toute plutôt sympathique …


BLAKE EDWARDS - DIAMANTS SUR CANAPE (1961)

 

Diamonds are a girl's best friends ...

« Breakfast at Tiffany’s », titre autrement plus significatif que sa traduction française a fait d’un premier rôle féminin de comédies romantiques (Audrey Hepburn) parfois réussies (« Vacances romaines », « Sabrina », « Charade »), une icone du cinéma et de la mode. Alors qu’elle ne cochait aucune des cases requises à l’époque.

Breakfast at Tiffany's

Pas américaine (Anglaise de naissance, réfugiée aux Pays-Bas pendant la WW2, elle n’ira aux States que la vingtaine sonnée commencer sa carrière au théâtre), brune (alors que les stars de l’époque se nomment Marylin Monroe ou Kim Novak), longiligne silhouette limite anorexique (alors que les susnommées ont des formes généreuses), des grands pieds et de grands sourcils.

« Breakfast at Tiffany’s » en fera aune star, inaugurant un look androgyne mis en valeur par les grands couturiers (français, cocorico). Son « habilleur » attitré sera Hubert de Givenchy, ce chic frenchy sera plus ou moins dupliqué tout au long des sixties (Jackie Kennedy, Françoise Hardy, …). De brune mutine qui semblait promise à une carrière de faire-valoir de stars vieillissantes (exemples-type « Sabrina » avec Bogart, « Charade » avec Cary Grant), cette autre Hepburn va se muer en cover girl (le too much « My fair Lady », l’amusant « Comment voler un million de dollars ») qui fait tomber les hommes à ses pieds.

« Breakfast at Tiffany’s » est tiré d’une nouvelle de Truman Capote, adaptée d’une façon plutôt soft. Nouvelle qui narre les aventures d’une Texane montée à New York pour y vivre de ses charmes (explicite chez Truman Capote, suggéré dans la seconde scène du film, où un quidam la course jusque devant chez elle, furieux de lui avoir donné cinquante dollars pour qu’elle aille se refaire une beauté aux toilettes d’un endroit chic et qu’il n’a pas vue revenir, les cinquante dollars n’étant pas uniquement pour le pourboire de la dame pipi).

Audrey Hepburn & Blake Edwards

C’est la Paramount qui est maître d’ouvrage, qui a choisi le metteur en scène (Blake Edwards, sous contrat avec elle) et son actrice principale (Marilyn Monroe). Las, la blonde fait un de ses caprices de diva, refuse le rôle, et les producteurs, sans y croire vraiment, contactent Audrey Hepburn, qui à la surprise générale accepte sur-le-champ. Elle sera donc Holly Golightly (patronyme à multiples jeux de mots quasiment intraduisible qui pourrait donner quelque chose comme « sainte allumeuse »).

La première scène donne son titre au film. Petit matin, dans un New York désert un taxi jaune laisse devant la boutique du bijoutier Tiffany’s une jeune femme en robe de soirée, qui petit-déjeune en dévorant des yeux les pierres précieuses exposées en vitrine. Elle quitte à regret sa contemplation et rentre lentement à pied chez elle où l’attend l’éconduit furibard cité plus haut.

« Breakfast at Tiffany’s » est une des références de la comédie romantique des sixties. L’aspect romantique, c’est la liaison contrariée par de multiples rebondissements que l’on voit venir de loin entre Holly et le nouvel occupant du logement situé à l’étage au-dessus, un écrivain plus ou moins raté et fauché joué par George Peppard. La comédie, c’est la patte de Blake Edwards et son art des gags et des personnages loufoques. Intrinsèquement, sur ces deux aspects, « Breakfast at Tiffany’s » n’est pas une franche réussite.

Peppard, Hepburn & Neal

George Peppard, espoir du cinéma américain, avec son physique de beau gosse sportif, ne concrétise pas avec ce film (ni avec les suivants d’ailleurs) les espoirs que la production a placés en lui. Jeu transparent et limité, il se fera surtout remarquer en draguant (plutôt lourdement paraît-il, et sans aucun résultat) ses deux partenaires sur le film, Audrey Hepburn et Patricia Neal (joli second rôle, celle qui donnait la réplique à Paul Newman dans « Le plus sauvage d’entre tous », est ici la maîtresse décoratrice qui entretient Peppard). Mais Peppard n’est pas la seule faute de casting, il y a pire avec Mickey Rooney, qui joue un autre voisin asiatique de l’immeuble. Irascible et grimaçant, jeu très outré derrière un maquillage grossier, tous les intervenants (Edwards, les producteurs) ont reconnu qu’il n’était pas le bon choix (a-t-il d’ailleurs été un bon choix un jour, tant il en fait toujours trop dans tous ses films ?). Autant que Rooney, c’est son personnage qui pose problème, envoyant à chacune de ses apparitions en forme de running gag, la comédie sentimentale vers des contrées de grosse farce lourdingue. N’est pas Jerry Lewis qui veut …

De toutes façons, c’est Audrey Hepburn qui écrase tout, pour ce qui est sa meilleure prestation devant une caméra. Très glamour, limite sexy, elle porte le film à bout de bras, et fait de Holly Golightly un personnage de fiction devenu légendaire. Toutes les femmes ont rêvé de ses sobres robes noires, de son sac à main, de son fume-cigarettes (d’au moins cinquante centimètres). Si ses liens avec Givenchy ressemblent souvent à du placement de produit, la firme Ray Ban peut aussi lui dire un grand merci. On voit Hepburn plusieurs fois avec des Wayfarer à verres teintés de vert. Au moins autant que Bob Dylan qu’on apercevra beaucoup avec les Wayfarer dans les sixties (mais pas seulement, voir la pochette de « Infidels »), elle contribuera à la notoriété de la marque (pas assez pour éviter que la vénérable firme de binocles soit rachetée par des Ritals, no fun et no comment …). Sans parler évidemment de la bijouterie Tiffany’s (qui n’avait pas vraiment besoin de cette pub pour être connue) dont Hepburn deviendra aussi l’égérie et une sorte de porte-parole.

Dans « Breakfast at Tiffany’s », Hepburn montre qu’elle peut tout jouer (l’ingénue, la malicieuse, la séductrice, l’émotion les larmes…). Et surtout la jet-setteuse de basse extraction. Toujours clope au bec et whisky à la main, une composition magistrale de pilier de bar légèrement (ou gravement) ivre en permanence. Contre toute attente, elle refuse d’être doublée lorsqu’il s’agit de chanter l’imputrescible classique de Henry Mancini (écrit pour l’occasion) « Moon river ». Ce couplet et ce refrain chantés (en faisant semblant de s’accompagner à la guitare) récolteront l’Oscar de la meilleure chanson originale.

Face à cette prestation de Hepburn, tous les autres noms du casting font piètre figure. Outre les déjà évoqués Peppard et Rooney, d’autres auraient pu tirer leur épingle du jeu. Mais que ce soit Martin Balsam (un des « Douze hommes en colère »), Buddy Ebsen (le mari texan « oublié » de Holly), ou même Patricia Neal (décoratrice, maîtresse et carnet de chèques de Peppard), pourtant seconds rôles confirmés, ils disparaissent noyés par la tornade Hepburn.

La party

Et le réalisateur dans tout ça ? A mon humble avis, il montre ses limites. Capable de mettre en scène quelques gags, on peut pas vraiment dire que Blake Edwards impose sa marque de fabrique. A une exception près, lors de la party organisée dans l’appartement de Holly, où se succèdent personnages et situations surréalistes, avec acteurs et figurants serrés comme des anchois dans quelques mètres carrés (certainement pas un hasard si les mêmes paramètres seront repris dans ses plus grands succès, « La Panthère Rose » et of course « La Party »). Alors que le film est censé se passer entièrement à New York, quelques extérieurs ont bien été utilisés (la devanture de Tiffany’s, la Bibliothèque municipale, la maison où vit Holly), mais toutes les scènes d’intérieur ont été tournées dans les studios de la Paramount à Hollywood. Et encore, on a échappé au quasi débutant à l’époque John Frankenheimer, initialement prévu derrière la caméra et qu’au vu de sa carrière, on voit mal se dépêtrer d’une comédie glamour.

« Breakfast at Tiffany’s » c’est l’histoire du verre à moitié plein. Raté sur bien des points, il n’est sauvé que par une prestation hors normes d’Audrey Hepburn. Et rien que pour ça, il faut l’avoir vu …