Une affaire de famille ...
Tout commence en Nouvelle-Zélande … Le pays des rugbymen
tout en noir, des Maoris tatoués (qui jouent aussi au rugby) et des millions de
moutons (qui a priori ne jouent pas au rugby). Joli pays mais un peu rude. Tout
le contraire d’un endroit où l’on verrait se développer un groupe de sunshine
pop. Eh bien c’est ce qui est arrivé avec Split Enz, co-formé par un dénommé
Tim Finn. Succès local. L’affaire prend une dimension supérieure quand le frère
cadet Neil Finn rejoint la bande. Le succès s’amplifie et gagne l’Australie à
la fin des années septante. Puis Tim se barre, les autres continuent, émigrent
en Australie, changent plusieurs fois de nom, avant de se stabiliser sous la
forme d’un trio baptisé Crowded House.Tim & Neil Finn
Premier album éponyme et premier (petit) succès
international grâce au titre « Don’t dream is over ». Le deuxième
disque restera beaucoup plus confidentiel. Mais les deux frangins sont restés
en contact et finalement se retrouvent pour mettre en chantier une troisième
rondelle, qui sera ce « Woodface » dont il est question.
Premier point. Ne pas se laisser rebuter par la pochette,
très moche (au moins autant que celle du « Roots » de Sepultura paru
quelques années plus tard). Ne pas non plus accorder trop d’importance à
l’atypique premier titre (« Chocolate Cake »), plutôt funky et qui par
son refrain a de faux airs du « Kinky afro » des Happy Mondays, et
donc du « Voulez-vous coucher avec moi ce soir » de Patti Labelle et
de son Lady Marmalade. De près ou de loin, Crowded House n’a rien de funky,
même si ce « Chocolate cake » est plutôt plaisant.
Non, on se refait pas, les Finn Brothers et leurs deux
potes sont irrémédiablement marqués par la pop, et tant qu’à faire celle des
plus grands, celle de ces p’tits gars de Liverpool des années 60, qui
s’appelaient, euh comment déjà, ça me reviendra …Crowded House 1991
On est avec « Woodface » dans le classicisme
absolu, trois minutes, des mélodies, des couplets, des refrains, des ponts, et
des harmonies vocales (tous les quatre donnent de la voix, mais le chant lead
est le plus souvent assuré par les deux frangins à l’unisson, école Everly
Brothers). Il y a quatorze titres dans « Woodface » (plus un caché,
on en recausera). Deux ou trois auraient pu être zappés, parce qu’ils manquent de
punch mélodique (« Whispers and moans », « She goes on »),
ou parce qu’ils ont laissé le batteur écrire un titre (« Italian plastic »),
ce qui n’était pas une bonne idée …
Les Crowded House excellent dans un genre tout
particulier, la ballade mid-tempo. Et là, ils se contentent pas de bien faire,
ils torchent de petites merveilles. La plus connue (au moins en Gaule), elle
passait en radio, c’est « Fall at your feet », et ça ressemble à ce
qu’a fait de mieux Sir McCartney avec ses Wings, du côté de « Band on the
run ». Même similitude qualitative avec « Four seasons in a week ».
La meilleure du lot, c’est le dernier titre « How will you go »,
c’est juste parfait. A noter qu’à la fin du titre, après une minute de silence,
on a un court machin hurlant (les guitares, les voix) sur un tempo très Black Sabbath,
le genre de gag totalement inutile …
Quelques autres ballades sont dans la même veine, bien qu’un ton en dessous (« It’s only natural », « As sure as I am »). Bon, avant de l’oublier, il convient de citer le cinquième membre officieux de Crowded House (il a jusque là produit tous leurs disques), le sieur Mitchell Froom, qui sera un des tout grands rats de studio des années 90 et qui a déjà sur son CV des gens comme Roy Orbison (pour son ultime et excellent « Mystery girl »), ou … tiens, comme c’est bizarre … McCartney (pour le dispensable « Flowers in the dirt »). Froom concocte ici un son basique, « boisé », sans artifices superflus. Et quand par hasard, il se hasarde à surcharger quelque peu, ça passe beaucoup moins bien (« All I ask » avec ses violons too much, comme de l’Elvis Costello des mauvais jours).
Tiens l’Elvis anglais. Quand chez Crowded House, le rythme
s’accélère (« Woodface », bien que dominé par les ballades et les
mid-tempos, n’est pas un machin soporifique), on pense au Costello des
seventies, ou à son équivalant-rival Joe Jackson (le plutôt rock « Tall
trees »). Une petite escapade sur les terres cultivées par R.E.M alors en
pleine gloire (« Weather with you ») est là pour faire un clin d’œil
aux amateurs d’indie-rock, et quelques riffs de guitare bien sentis de ci de là
entraînent quelques titres vers le rock FM, ou middle of the road, ou tout ce
que vous voulez.
Grâce à la qualité des compositions et de la production
intemporelles, « Woodface » supporte ma foi plus que bien l’épreuve
des décennies. C’est pas un chef-d’œuvre absolu, juste une belle réalisation
d’artisans de la pop à leur meilleur niveau. Parce que ce soit ensemble ou
séparément, dans Crowded House ou pas, les frangins Finn, s’ils resteront
toujours de bons trousseurs de mélodies, ne retrouveront jamais la qualité de
de « Woodface ».