Eloge de la lenteur ...
Ça tombe raccord, c’est la
période de cette fête à la con que les Amerlos nous ont refilé. L’occasion ou
jamais de dire tout le bien que je pense du meilleur film de Carpenter et de l’inégalé
chef-d’œuvre du slasher. « Halloween », c’est le film auquel on se doit
de mesurer quand on veut jouer dans la même catégorie, et depuis 1978, c’est
pas les candidats qui ont manqué …
Quand il met « Halloween » en chantier, Carpenter a trente ans, un way of life de babacool, mais un background « classique » pour qui veut faire carrière dans le cinéma (des études dans la plus prestigieuse fac de cinéma de Los Angeles). Un court-métrage de fin d’études, « Dark star » (qu’il rallongera plus tard pour le sortir en salles) et un premier film underground (« Assaut sur le Central 13 ») constituent sa carte de visite pour démarcher les producteurs. Evidemment, les chèques avec plein de zéros vont pas se multiplier, d’autant qu’il a avec sa compagne de l’époque, la scénariste Debra Hill, envie de tourner un film d’horreur. Irwin Yablans, un petit producteur indépendant lui file trois cent mille dollars avec une condition, il doit s’agir de meurtres de baby-sitters. Carpenter et Hill se mettent à écrire, sans résultat satisfaisant, jusqu’à ce que le décidément très inspiré Yablans leur suggère que l’action se passe le soir d’Halloween. Déclic de Hill et Carpenter (qui pose une condition, le film devra s’appeler « John Carpenter’s Halloween », ce qui sera le cas lors de sa sortie) couchent dès lors rapidement sur papier un scénario.
John Carpenter & Jamie Lee Curtis |
Pas très épais le scénario. Un gosse
qui sans raison apparente à tué sa sœur à coups de couteau un soir d’Halloween
est interné et soigné comme une bête féroce. Il s’évade et retourne dans sa
ville semer terreur et cadavres à nouveau un soir d’Halloween, coursé par le
psychiatre qui s’occupait de son cas. En fait, beaucoup plus qu’une histoire, c’est
un univers que Carpenter va créer.
Tout d’abord celui du serial killer
fantomatique, qu’on aperçoit à peine, qui joue du couteau de cuisine et avec
les nerfs de ses victimes. Ses victimes sont jeunes, priorité aux jeunettes
délurées et peu farouches, et donc forcément leurs amoureux ont aussi bien du
souci à se faire. Instant critique, quand on est sous la couette et qu’on vient
de s’essayer à perpétuer l’espèce. Seul espoir de peut-être salut, être une
jeune fille vierge et ne pas céder à la gaudriole facile. Tous ses éléments
scénaristiques jetés dans « Halloween » un peu au hasard finiront par
devenir des axiomes de base dans tous les films qui s’en inspireront, témoin le
plus marquant, le quasi-plagiat qu’est « Vendredi 13 ». Autre passage
obligé du genre, la naïveté confondante des futures victimes, qui une fois le
danger aperçu, font tout pour se faire désosser, en dépit de toute
prudence et bon sens …
Le génie de Carpenter qui le hisse au-dessus de tous ses suiveurs n’est pas seulement d’avoir rédigé les Tables de la Loi du slasher (d’ailleurs les historiens de cette sous-catégorie de film d’horreur citent comme premiers du genre « La baie sanglante » de Mario Bava et « Black Christmas » du Canadien Bob Clark), mais d’avoir réussi à faire un vrai film avec un scénario de court-métrage (tout « Halloween » tiendrait maintenant en dix minutes d’un film gore au montage épileptique). Plutôt que le choc des images, Carpenter joue sur l’ambiance, le suspense.
Tout petit, il aimait les grands couteaux ... |
Par bien des aspects, « Halloween »
est un film au ralenti. Et Carpenter l’avoue sans ambages, il a étiré toutes
les scènes à la limite du raisonnable pour arriver à l’heure et demie
syndicale. Et c’est ce qui fait fonctionner le film. Un seul exemple, lorsque l’héroïne
Laurie traverse la rue pour aller à la maison voisine, on sait que ses copains
y ont été tués et que le psychopathe y est. On la suit pas à pas dans la semi-obscurité,
les synthés de Carpenter commencent à entrer en action (signe qu’il va se passer
quelque chose, ils annoncent jusque là l’apparition du tueur), et pour parcourir
vingt ou trente mètres la scène dure plus d’une minute. Pas d’effet jump scare
facile, pas d’ouragan de violons, juste l’angoisse sourde qui monte
inexorablement …
Et tout le long du film, c’est cette lenteur qui entretient la pression. Le tueur avance à la vitesse d’un zombie de Romero (dont le film éponyme vient de sortir), et semble aussi inarrêtable dans son allure léthargique qu’un Terminator. Carpenter peut se permettre les longues scènes parce qu’il utilise beaucoup (voire abuse) de la Panaglide, une caméra portée ancêtre de la Steadicam, qui permet des plans-séquence en mouvement, témoin la mythique scène d’ouverture en caméra subjective qui dure plusieurs minutes (même s’il y a un raccord, quand la main attrape le couteau dans un tiroir).
... et plus grand aussi. |
L’inconvénient de cette lenteur, et qui quelquefois dessert le film selon ses détracteurs, les lentes montées en tension laissent le temps de tout observer minutieusement, et là on voit tout, les faux raccords, les effets spéciaux fauchés, les incohérences à tous les étages. La liste est longue. Quelques exemples. Des arbres bien verts à Halloween (normal, le film a été tourné au printemps 78, et pour faire couleur automnale, quelques feuilles mortes volent devant la caméra, sauf que quand le cadre s’élargit, il n’y a des feuilles mortes qu’au pied des acteurs), un interné classé extrêmement dangereux qui a dû apprendre à conduire dans sa cellule capitonnée parce qu’il fauche et conduit sans problème des bagnoles, le même qui a vachement de mémoire pour aller déterrer la pierre tombale de sa sœur mais qui reconnaît pas son toubib quand il lui passe à côté en voiture, des poignées de portes à droite à l’intérieur et à gauche à l’extérieur, des nuits qui tombent très vite (deux filles discutent en plein jour en roulant, changement de plan, elles ont fait quelques mètres et c’est nuit noire, de plus jamais personne regarde dans les rétros pour voir qu’on est suivi, on fume un joint portières fermées et quand on baisse la vitre devant le papa flic, il s’aperçoit de rien ; le tueur poursuit sa victime, il est à quelques pas derrière elle, et le plan suivant dans la continuité de l’action il est au moins à trente mètres, dans quelques scènes on voit l’ombre de la caméra sur les murs, … et que dire des face à face avec ce tueur dans le dernier tiers, tueur à qui on laisse toutes les chances de se remettre des coups portés (faut dire que les bestiau est solide, un chargeur de revolver en plein buffet ne suffit pas à le dézinguer, ce qui laisse une fin ouverte et la possibilité des multiples suites qui n’ont pas manqué d’apparaître, alors que c’était pas du tout le but au départ, là le coup de génie est involontaire, Mike Myers ne peut pas être tué, parce que selon Carpenter, il incarne le Mal )…
Jamie Lee Curtis |
L’histoire de « Halloween »
est certes simple pour ne pas dire simpliste, mais surtout parce qu’elle est
exposée très méthodiquement. Premier acte, le jeune Michael Myers déguisé en
clown espionne puis poignarde sans raison apparente sa sœur alors qu’elle vient
de se faire sauter par son petit ami, et sort de la maison totalement hébété
son gros coutelas à la main. Séquence suivante, son psychiatre le docteur
Loomis part avec une infirmière le chercher dans son asile pénitentiaire pour l’amener
devant les juges des années plus tard. L’occasion de nous montrer l’extrême
dangerosité du Michael, qualifié de « mal absolu » par son
toubib. Orage, pluie, éclairs, tonnerre, une entrée d’hôpital avec des types en
camisole qui errent dans la nature. L’un d’entre eux malmène l’infirmière et
pique sa bagnole (facilement identifiable grâce à son logo sur la portière). On
devine qu’il s’agit de Myers. Troisième séquence, présentation de la jeune
Laurie Strode et de ses copines, lycéennes le jour et baby-sitters le soir.
Soit l’origine de la folie meurtrière du personnage, son évasion, et la
présentation de ses victimes. D’une clarté scénaristique imparable, pas besoin
de flashbacks, de personnages tiers qui racontent, lorsque apparaît Laurie, on connaît
tous les tenants et aboutissants.
Et malgré ses trois cent mille dollars, Carpenter réussit à avoir une star, enfin un type connu, en la personne de Donald Pleasance (rôle principal dans un Polanski mineur, et un des Blofeld de la saga James Bond). Lequel Pleasance (c’est Carpenter qui le dit) a trouvé son personnage nul, le scénario navrant et n’a accepté le rôle que parce que sa fille avait adoré « Assaut … » et qu’elle l’a littéralement harcelé pour qu’il rejoigne ce casting d’inconnus. L’autre star du film est une débutante, Jamie Lee Curtis, fille du Tony du même nom et de Janet Leigh (l’inoubliable Marion Crane de « Psychose »). Rien ne laisse supposer que c’est grâce à la notoriété de ses parents que Jamie Lee a eu le rôle (d’ailleurs comme toute l’équipe, pinceau en main, elle a participé à la décoration et au blanchiment à la chaux de la maison des Myers pour la première scène). Et elle l’a accepté faute de mieux, parce qu’elle déteste les films d’horreur, et des années plus tard, alors qu’elle commente le film avec Carpenter elle est encore très effrayée par les scènes qu’elle a portant tournées, ce qui déclenche l’hilarité du réalisateur. Par contre elle avoue que malgré l’énorme succès du film (plus de 200 fois la mise) elle a eu beaucoup de mal à trouver d’autres rôles devant se contenter de la suite « Halloween II », de quelques autres rôles dans des nanars d’horreur avant la réorientation à succès vers la comédie topless (« Un fauteuil pour deux ») puis en soutifs (« Un poisson nommé Wanda »).
Donald Pleasance |
Le succès de « Halloween »
repose sur la lisibilité du scénario, la création du personnage de serial
killer implacable et indestructible, et toutes les astuces narratives qui
deviendront incontournables de tous les slashers qui ont suivi. « Halloween »
doit être le film le plus cité nommément ou subliminalement dans « Scream »,
et il me semble bien que la scène dans la penderie de « Blue Velvet »
est un copier-coller de celle de « Halloween », c’est dire si le film
de Carpenter a rayonné bien au-delà de la classification étroite dans laquelle
on a tendance à le cantonner.
L’autre touche de génie de
Carpenter c’est la bande-son. Lors des premières projections du montage final sans
partition musicale, juste les images et le dialogue aux distributeurs (la Twentieth
je crois), Carpenter s’est entendu dire que son film était trop lent et surtout
ne faisait pas du tout peur. Comme il avait pas les moyens de se payer un
orchestre, (merci Papa Carpenter qui était prof de musique et a initié son
fiston au maltraitage de gammes), Carpenter s’est fait son petit délire à la
Tangerine Dream (ou plus vraisemblablement Mike Oldfield pour le thème de « L’exorciste »),
tout composé avec des synthés lents et sinistres qui s’amplifient à mesure que
la menace et la tension à l’écran augmentent. Un procédé certes pas inouï mais
qui deviendra un incontournable des B.O. de tout film à suspens … A noter que
maintenant, à un âge désormais vénérable, Carpenter a depuis longtemps renoncé
à tourner des films, mais par contre il a enregistré des disques et monnaye
très cher ses concerts pour un public de fans venus écouter le thème de « Halloween »
…
Pour terminer, les cinéphiles
savent certainement que le film préféré de Carpenter est « Rio Bravo »,
et que ceux que l’on voit sur la télé dans « Halloween » sont « The
Thing » de Howard Hawks (dont Carpenter réalisera un assez bon remake), et
« Planète interdite », honnête série B d’anticipation de l’oublié
Wilcox (pas vraiment là par hasard je suppose, c’est un des premiers films
sinon le premier à être doté d’une musique entièrement électronique … en
1956 !).
Si « Halloween » est
un must absolu, assez logiquement ses très nombreuses suites ne vaudront pas
tripette, même si par intermittences, Carpenter, Pleasance et Jamie Lee Curtis
y reprendront du service …