Factory & Hacienda ...
Allez, un petit coup de gymnastique neuronale. Toute
fin des années 80. Manchester et Madchester, la Factory et l’Hacienda, ça y est
vous y êtes ? Pour ceux qui opinent (d’huître) pour faire les malins et
pour ceux qui ont un peu zappé – oublié – ignoré tout ce bazar, petit rappel
des faits.
Tout commence à la débandade punk (1978) à Manchester. Un animateur de télé locale, Tony Wilson, achète un petit club, Factory, et avec un pote monte un label musical du même nom. Premier album sorti : « Unknown pleasures » de Joy Division. Groupe et album cultes, et d’autant plus que le chanteur du groupe Ian Curtis se suicide avant la parution du deuxième album, un peu moins culte mais intrinsèquement meilleur. Joy Division a permis au label de survivre, de créer grâce à une équipe réduite une imagerie forte (le graphiste Peter Saville) et un son reconnaissable entre mille (le producteur azimuté Martin Hannett).
Happy Mondays, famille nombreuse, famille heureuse ? |
La gloire et le fric viendront avec les survivants
de Joy Division rebaptisés New Order (leur maxi « Blue Monday » fut
le maxi le plus vendu de tous les temps en Angleterre). C’est avec le pognon
que lui rapporte New Order que Tony Wilson va investir dans un nouveau club,
l’Hacienda (des membres de New Order sont aussi actionnaires). Lancé au début
des années 80, l’Hacienda va devenir à partir du milieu des années 80 le
repaire de toute la jeunesse branchée de Manchester. Tous ceux qui écoutent de
la musique, voire envisagent d’en faire, tous ceux qui viennent danser et gober
de l’ecstasy avec en fond sonore les débuts de la house et de la techno, se
retrouvent à l’Hacienda, qui acquiert en quelques années une notoriété et une
fréquentation internationales.
Parmi cette troupe en party non stop, les frangins
Ryder (rien à voir avec le Mitch de Detroit), Paul le bassiste et Shaun,
chanteur et compositeur. En plus de se défoncer copieusement, ils envisagent de
monter un groupe, baptisé Happy Mondays. Un guitariste, un batteur et un
claviers complètent l’affaire, et bien évidemment Tony Wilson les signe sur
Factory. La formation va s’agrandir avec l’arrivée d’une choriste-chanteuse,
Rowetta, et d’un cas social à peu près désespéré, un type surnommé Bez, plus ou
moins percussionniste, mais surtout danseur étrange grâce aux pilules de toutes
les couleurs qu’il gobe comme des smarties (les autres ne sont pas en reste).
Les Happy Mondays viennent du rock, sauf que l’environnement de l’Hacienda les a mis au contact de la dance music (qu’elle soit blanche ou noire), et de toute la vague electro naissante. Le matériau de base des Mondays, c’est les Stones mixés à du Chic accéléré. Une paire de disque les installeront dans le paysage mancunien et anglais, et « Pills … » les fera connaître un peu partout ailleurs.
Bez & Shaun Ryder |
Tout le monde vous dira que New Order est la
référence absolue du Manchester sound, et que le meilleur disque de rock sous
substances de l’époque, c’est le « Screamadelica » de Primal Scream.
Permettez votre honneur, que je vienne balayer d’un revers de main ces théories
de musicologue professionnel. J’ai jamais été fan de New Order et de leur dance
à assez grosses ficelles (dans le genre, je trouve les Pet Shop Boys beaucoup
plus intéressants et amusants), et au « Screamadelica » de Primal
Scream, j’ai toujours préféré les psychédéliques barrés de Spacemen 3. Et pour
la référence de Madchester, j’ai tendance à regarder du côté des Stones Roses
(les plus « rock » du lot) et des Happy Mondays (le mix le plus
réussi de tous les sons « tendance » de l’époque).
Ce qui nous amène à « Pills … », le
meilleur de la première époque (ils se sont séparés et reformés encore plus de
fois que les Stray Cats ou Guns N’Roses). « Pills … » est leur
masterpiece. Parce qu’il est homogène (y’a un son, une idée musicale directrice)
et parce qu’il y a leurs hits. Et ce malgré une pochette comment dire … très
bariolée (si, si y’a le nom du groupe et du disque écrits dessus, au milieu
d’un kaléidoscope très psychédélique, daltoniens s’abstenir …).
« Kinky afro » ouvre le disque. Belle intro, voix légèrement maniérée, groove dansant sur une structure rock. Et de fortes similitudes avec la bombe pré-disco de Lady Marmalade « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? ». Les Mondays ont toujours nié s’être inspirés de ce titre (ils en citent un bien obscur de je sais plus qui), à chacun de se faire son idée. En tout cas gros succès et pas seulement de discothèque. L’autre incontournable de la rondelle c’est « Step on », d’essence nettement rock, titre bien construit, dansant (enfin pour ceux qui en ont envie) et qui pourrait figurer tout en haut dans un best-of d’INXS.
La famille nombreuse des Happy Mondays (sept sur
scène), bien aidée par les producteurs Paul Oakenfold (qui deviendra un des
DJ’s qui compteront dans les 90’s, et qui entame quasiment avec ce disque sa
carrière médiatique) et Steve Osborne, va mettre en place la formule gagnante.
De la mélodie (songwriting très surligné par des lignes de claviers de tout
type), groove dansant et gros riffs de guitares pour le côté rock de l’affaire.
Cette bande de défoncés ne fait pas dans le n’importe quoi (les disques sous
substances ont bien souvent tendance à l’autocomplaisance), tout juste si on
peut mettre de côté l’assez faiblard « Bob’s yer uncle » malgré son
entêtant gimmick de synthé. Le reste est plutôt malin, envoyant plein de
signaux plus ou moins subliminaux aux anciens de tout poil.
Dans « God’s cop », il y a plein de
tics vocaux de Mick Jagger, le chanteur des Who (c’est juste pour voir ceux qui
ont lu jusque là), « Loose fit » a par moments des airs de
« Stayin’ alive » au ralenti, la guitare de « Dennis and
Lois » fait penser à celle des Cure dans « In between days », la
mélodie au début de « Harmony » rappelle la version de « I heard
it through the grapevine » de Marvin Gaye, et l’atmosphère de
« Harmony » évoque le 3ème Velvet (avec de la guitare
slide en plus). Tout ça reste diffus (sinon les avocats concernés auraient
dégainé les procédures), il y a réellement une patte Happy Mondays sur les
compositions. C’est funky, dansant, indéniablement rock aussi, en prise directe
avec les nouveaux courants musicaux et sonores, et assez étrangement, ça a plus
que bien vieilli. A tel point que « Pills … » me semble même plus
pertinent et évident aujourd’hui que lors de sa sortie.