LUCHINO VISCONTI - LE GUEPARD (1963)

 

Pour qui sonne le glas ? ...

… Pour quelque miséreux, à qui le prêtre et un petit sacristain viennent d’apporter l’extrême onction. Le Prince Salina s’agenouille, se signe, et reprend son chemin vers son château, après une nuit passée dans une fastueuse réception … Et ce glas, c’est pas seulement pour un péquenot du village qu’il sonne, il annonce aussi la fin d’un certain monde, celui de Salina …

Cardinale, Visconti & Delon

« Le Guépard », c’est la masterpiece de Visconti, et le Luchino, c’est peut-être bien le meilleur cinéaste italien (désolé Fellini, Antonioni, De Sica, et il reste encore du boulot à Sorrentino s’il veut lui piquer la place) et « Le Guépard », c’est sa superproduction et par bien des points son film autobiographique …

D’ailleurs beaucoup de gens lui disaient qu’en plus de réaliser, il devait prendre le rôle principal. Finalement, après l’échec des pistes Brando et Laurence Olivier, c’est un Américain pur jus, qui n’a jamais tourné avec un « étranger » qui sera choisi. Choix a priori étrange que celui de Burt Lancaster pour incarner un prince sicilien, lui qui ne parle qu’anglais et qui paraît-il ignorait jusqu’à ce qu’ils se rencontrent (à New York), l’existence même de Visconti …

« Le Guépard », c’est d’abord un bouquin, le seul du Prince de Lampedusa, paru en 1958. Pour la petite histoire, « Le Guépard » est, c’est le moins que l’on puisse dire, largement inspiré par le roman de Federico de Roberto, « Les Princes de Francalanza ». Les deux romans situent l’action à partir de 1860 en Sicile, et les principaux protagonistes font partie de l’aristocratie sur le déclin de l’île … Ce déclin des aristos siciliens, fervents soutiens d’une monarchie qui va être balayée par les Républicains (en gros Garibaldi le militaire qui débarque une petite armée insurrectionnelle en 1860 en Sicile, et Cavour le politique sur le continent, bien que les deux hommes se détestent).

La famille Salina

Les éléments historiques sont présents dans « Le Guépard ». Dans une des premières scènes, Tancrède (Alain Delon), neveu du Prince Salina (Burt Lancaster donc), annonce au patriarche de la famille qu’il va aller rejoindre les troupes de Garibaldi qui marchent sur Palerme. Déjà se mettent en place les deux personnages principaux, le vieil aristo lucide qui sent confusément que des siècles d’histoire vont être balayés et son neveu qui entend se faire une place dans ce monde nouveau plus par opportunisme que pour une conversion aux valeurs républicaines. Ce qui vaudra cette réplique d’anthologie de Tancrède : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout ».

Le scénario du « Guépard » aurait pu donner un film intimiste, genre théâtre filmé. Sauf que Visconti est vénéré en Italie et il entend faire de son film quelque chose de marquant. « Le Guépard » sera le plus gros budget jamais engagé par une production italienne (la colossale somme pour l’époque de trois milliards de lires) et va aller jouer dans la même cour que les superproductions américaines. La version intégrale du film dépasse les trois heures, celles distribuées par Pathé pour la France (Palme d’Or à Cannes) et la Fox pour le reste du monde la raccourcissent d’à peu près un quart d’heure. Les dernières éditions Dvd et Blu-ray proposent la version intégrale, dont notamment une belle scène entre le régisseur / garde-chasse (excellent Serge Reggiani) et le prince Salina. Ces scènes « supplémentaires » n’ont jamais été doublées et sont donc en V.O. sous-titrée, on les reconnaît facilement …

La bataille de Palerme

Alors oui, « Le Guépard » est une superproduction avec son budget « no limit ». Esthétiquement et par certaines scènes-clés, la comparaison qui me semble la plus évidente est avec « Autant en emporte le vent ». Le chaos de la bataille de Palerme à grands coups d’effets pyrotechniques en tout genre, évoque les scènes de la bataille d’Atlanta, notamment le fuite de Rhett et Scarlett dans la ville en flammes, et les deux films comportent chacun une homérique (par la durée, les décors, les costumes, le grand nombre de figurants) scène de bal.

Bon, je vais vous donner mon avis, ferme, définitif, etc … « le Guépard » est trop long, à cause justement de cette scène de bal qui n’apporte plus grand-chose à l’intrigue, et est en grande partie là comme une démonstration virtuose pour en foutre plein les mirettes du spectateur. L’histoire est déjà finie à ce moment-là, les protagonistes principaux sont tous arrivés où leur destin les a conduits. Il n’en demeure pas moins que « Le Guépard » est une réussite magistrale.

Parce qu’il y a de grands acteurs. Lancaster surprend, lui qui était plutôt cantonné au rôle de bon soldat américain, forcément américain (« Tant qu’il y aura des hommes » était jusque-là sa prestation la plus aboutie). Il est ici ce patriarche écrasé par des siècles de prééminence qui comprend que le monde change et que cette Italie en train de naître n’a pas besoin de gens comme lui (superbe scène avec l’émissaire du gouvernement qui lui propose un poste de sénateur, et qui donne lieu à une fulgurante réplique de Salina « Nous étions les guépards, ceux qui nous remplaceront seront les chacals »). Il a compris que malgré les honneurs que les villageois lui rendent encore (autre superbe scène lorsque le cortège familial qui fuit en calèches Palerme en insurrection pour son château à la campagne, est accueilli en grandes pompes avec fanfare et messe immédiatement célébrée en leur honneur à laquelle ils assistent tout poussiéreux du voyage dans leurs immenses sièges réservés), son mode est en train de s’écrouler.

L’inexorable déclin de l’aristocratie sicilienne va de pair avec celui des ecclésiastiques, montré à travers la figure drolatique du prêtre de la famille, forcé de s’adapter aux bouleversements politiques et moraux de l’époque. Le contexte historique est bien saisi, avec les arrivistes, les profiteurs de révolution qui prennent à toute berzingue ce que l’on n’appelait pas encore l’ascenseur social (Tancrède bien sûr, qui passe aisément de républicain à royaliste « libéral », mais aussi le maire du patelin, autre personnage comique, paysan mal dégrossi qui devient immensément puissant et riche).

Mais « Le Guépard » n’est pas seulement politique ou social. Il y aussi une love story qui occupe une grande part du film. Celle entre Tancrède (Delon a-t-il été plus beau, mieux mis en valeur que dans ce film ?) et Angelica, la fille du maire parvenu. Angelica, c’est Claudia Cardinale (elle a déjà tourné avec lui sous la direction de Visconti dans « Rocco et ses frères »). Son apparition (au bout de pile une heure de film, Visconti sait nous faire attendre) fait partie de ces visions qui se doivent de provoquer d’étranges sensations chez tout mâle normalement constitué (même si avec cinq ans de plus et quelques kilos en moins elle sera encore plus belle dans « Il était une fois dans l’Ouest »). Va donc se mettre en place une parade amoureuse au détriment de l’ancienne promise, l’effacée Concetta, une des filles de Salina (un personnage effacé, proche de celui qu’interprétait Olivia de Havilland dans, comme par hasard, « Autant en emporte le vent »).

Cardinale & Lancaster

Comme déjà dit quelque part plus haut, il y a beaucoup du Guépard chez Visconti. Il est descendant d’une illustrissime famille noble, très riche de naissance, et très respecté. C’est lui, l’aristo qui a placé le premier le cinéma italien sur la carte du monde avec « Ossessione » (« Les amants diaboliques » en français), relecture noire et fauchée de « Le facteur sonne toujours deux fois », inventant de toutes pièces dans une Italie qui commençait à être malmenée militairement (le film est sorti en 1942) un genre de cinéma fait avec des bouts de ficelle qu’on appellera le néo-réalisme. C’est Visconti qui a ouvert la porte dans laquelle allaient s’engouffrer Rossellini et De Sica. Le temps et la reconnaissance aidant, même si Visconti n’est pas un stakhanoviste des tournages (moins de quinze films en plus de trente ans), c’est lui qui le premier, inconsciemment sûrement, jettera les bases d’un cinéma européen, allant chercher capitaux et acteurs hors de l’Italie. A ce propos, il faut voir un Delon humble (pas fréquent tant le type a le melon) en 2003 ne pas tarir d’éloges sur celui qui a le plus contribué à en faire une star …

« Le Guépard » aurait dû avoir une suite. C’était pas difficile à envisager, parce qu’elle existait dans le livre de Lampedusa, la dernière partie du bouquin étant située trente ans après ce qui nous est montré dans le film. Visconti, quoique très handicapé (des AVC à répétition l’avaient condamné au fauteuil roulant) était partant, Burt Lancaster (même le Prince Salina était mort dans la suite du bouquin) aussi, et Delon aussi. C’est Claudia Cardinale qui en refusant le scénario a entrainé l’abandon du projet …

De l’avis de tous les intervenants, Visconti était extrêmement exigeant avec son casting, mais aussi toute son équipe. Le tournage de la scène dite du bal (en fait une réception avec un bal) a duré un mois, toujours de nuit, et en lumière naturelle, au grand dam des producteurs qui se faisaient livrer tous les deux-trois jours des semi-remorques plein de chandelles pour éclairer un espace immense …

La bande-son et notamment le thème principal, sont de Nino Rota. Même si c’est considéré comme un des soundtracks légendaires du cinéma, c’est assez surchargé et pas à mon sens ce que Nino Rota a fait de mieux …

Voilà, si vous avez trois heures six minutes de disponibles, vous savez ce qu’il vous reste à faire : revoir « Le Guépard ». Parce que venez pas me dire que vous l’avez jamais vu …


THE ROLLING STONES - THE ROLLING STONES, NOW ! (1965)

 

Overseas Telegram ...

Pfff … tu nous causes encore d’une vieille rondelle des Stones ? ‘tain, comme s’il y avait pas des trucs intéressants qui sortent ces jours-ci, comme euh … attends, y’en a plein des super trucs récents, comme … bof, tout compte fait, allons-y pour un disque des Stones …

Donc, à l’usage des jeunes générations, les Stones, Rolling de leur prénom, étaient un orchestre de jeunes anglais au début de la sixième décennie du siècle dernier. Orchestre qui eut un certain succès dès ses débuts et qui a compris, dès le départ, que recycler plein de vieux machins de nègres américains c’était bien, remplir des salles de concert londoniennes de fillettes en extase, c’était bien aussi, mais qu’il y avait un truc, tout rond, tout noir, qui s’appelait un disque vinyle, et que si on en vendait à plein de gens, eh bien on gagnerait plein de fric …

Bon, je suis pas en train de dire que les Stones étaient un groupe qui louchait vers le commercial, juste qu’eux (ou plutôt à cette époque-là ceux qui géraient ou accompagnaient leur carrière) ont vite entrevu l’importance de l’aspect commercial, parce qu’on était dans un monde aux infinies possibilités, mais qui restaient à inventer. Cas le plus marquant, Elvis le pas encore bouffi et le Colonel Parker, du commerce façon rouleau compresseur. Cas qui montrait que du pognon de dingue comme dirait l’autre tanche, te tombait dans les poches rien qu’en s’intéressant qu’au marché américain (par la force des choses, voir la bio du Colonel).


Les Stones avaient un manager, et pas un mauvais, Andrew Loog Oldham. Qui grâce à une communication maline (« laisseriez-vous votre fille sortir avec un Rolling Stone ? »), avait démarqué ses poulains du reste du troupeau anglais. Les Rolling Stones étaient les mauvais garçons, comparés aux gentils Beatles. Et même si l’histoire a démontré que les Beatles avaient beaucoup plus « vécu » (les concerts dans les boîtes de strip-tease de Hambourg, ça forme le caractère, mais pas que …) alors que les Stones n’avaient pas commencé d’enregistrer. Les Stones étaient le groupe transgressif, agressif, méchant, le son bordélique de leurs disques renforçant leur aspect bad boys. De plus avec leur leader l’angelot blond Brian Jones et leur chanteur Mick Jagger, ils remportaient haut la main le trophée des beaux gosses photogéniques. Enterrés tous les groupes jouant dans le même registre, tous ces Animals, Pretty Things, Them, Kinks, Who, … pourtant pas moins sauvages musicalement, et vulgairement débraillés pour leur époque.

Une fois les jalons et la suprématie posés dans la perfide Albion, les Stones, à l’instar des Beatles, sont partis à l’attaque du juteux marché américain. Dont les paramètres ne sont pas ceux de l’Europe. Coup de bol, autant Beatles que Stones n’avaient dans leur genre musical au début des 60’s, soit pas de concurrents (Beatles), soit pas d’équivalent (Stones). Les Beatles inventaient un idiome (la pop), les Stones, reprenaient l’affaire côtés blues et rock’n’roll sur un champ de ruines désertiques. Tous les bluesmen historiques qui les avaient inspirés, tous les pionniers du rock, étaient soit déjà morts, soit retirés des affaires, soit pas au mieux. Et bien que les sources de leur musique soient noires, les Stones allaient évidemment viser le marché des jeunes blancs. Il fallait pour cela mettre sur pied communication et logistique, en gros dégotter leur Colonel Parker. L’homme des Rolling Stones aux USA sera Allen Klein, au moins aussi bon vendeur de ses artistes et aussi bon escroc que le Colonel. C’est Allen Klein qui va hériter de ce « Rolling Stones, now ! ».


Pour ne rien simplifier, les disques américains des Stones sont différents des disques anglais. Pour plusieurs raisons. Le format roi du vinyle de l’époque, c’est le 45 tours quatre titres. Quand on en a sorti trois, on les met à la suite et ça donne un trente-trois tours. Toutes ces rondelles, il faut en assurer la promo. Et à cette époque-là, y’avait pas internet pour permettre le don d’ubiquité, fallait décaler les dates de sortie Europe-US, pour pouvoir faire partout le service après-vente. Sauf qu’entre-temps, d’autres titres étaient sortis et les nouveautés étaient bien évidemment prioritaires sur les 33 T. D’où des disques qui ne portent pas le même nom et n’ont pas exactement les mêmes titres sur un continent ou l’autre … « … Now ! », c’est le petit frère américain de « Rolling Stones N°2 » en Europe.

Les deux disques ont sept titres en commun, et côté hits, « …Now ! » fait l’impasse sur « Time is on my side » pour inclure son quasi siamois « Heart of Stone » (qui plus est, les deux font partie des rares titres signés Jagger -Richards, parce qu’il faut penser en termes de vente mais aussi en retombées de droits d’auteur).

Comme tous les disques de leurs débuts, les reprises sont majoritaires. Et « … Now ! » commence par « Everybody needs somebody to love », le classique de Solomon Burke, alors référence ultime de Jagger pour le chant et le jeu de scène (il y aura ensuite James Brown et Tina Turner, avant que le Mick s’émancipe et fasse du Jagger depuis plus de cinquante ans). Version plus enlevée, plus « blanche » que l’original (mais moins accrocheuse que celle des Blues Brothers). Les Stones de la fin 64 sont surtout un groupe de reprises, livrent des versions brouillonnes, à l’arrache, dans une bouillasse sonore caractéristique. C’est cette approximation (renforcée par un mixage volontairement « sale ») qui sera leur marque de fabrique pendant des décennies.

Octobre 64, Ed Sullivan Show, 1ère télé américaine

Ils reprennent dans «  … Now ! » du Chuck Berry (« You can’t catch me ») et leur version contraste avec la netteté des enregistrements originaux du grand Chuck. De toutes façons, même s’ils le reprennent pas directement, ils ne manquent pas de s’en inspirer. Surtout Keith Richards pour ses parties de guitare (d’où la fameuse anecdote du bourre-pif reçu par l’Anglais lors de leur première rencontre). Le même traitement sonore est réservé à une reprise du « Mona » de Bo Diddley, avec le si caractéristique Diddley beat noyé sous les couches « sales » de guitares. Les Stones peuvent remonter encore plus loin dans le temps en reprenant « Down the road apiece » qui fut un Top Ten (américain, of course) dans les années 40. A contrario, ils peuvent reprendre des choses toutes récentes, ici le « Pain in my heart » un des premiers titres du débutant Otis Redding. C’est pas la peine d’en rajouter, mais ça va mieux en le disant, Jagger n’a pas le coffre soul du grand Otis. Last but not least, on a aussi droit à la cover d’un des classiques du blues, le « Little red rooster » de Willie Dixon popularisé par Howlin Wolf, ici plus up-tempo et sans l’aspect sépulcral de la voix du Loup.

A côté de ça, les compos originales de Jagger / Richards font un peu piètre figure, hormis le « Heart of stone » déjà évoqué. Ces « What a shame », « Off the hook » et « Surprise, surprise », sont loin de faire partie de ce que les futurs Glimmer Twins ont écrit de mieux. Mais c’est en se forçant à écrire (bien aidés par la pression que leur mettait en permanence Andrew Loog Oldham), qu’ils finiront par trouver leur voie et l’originalité de leur démarche. Même pas six mois après ce « Rolling Stones Now ! » sortira « Satisfaction » et leur histoire et celle du rock prendra une tout autre tournure.

En attendant, « Rolling Stones Now ! » nous montre un groupe ambitieux, cherchant la reconnaissance des deux côtés de l’Atlantique. Intéressant mais pas indispensable …


Des mêmes sur ce blog : 

The Rolling Stones
Aftermath 
Between The Buttons
Beggars Banquet
Let It Bleed
It's Only Rock'N'Roll 
Blue & Lonesome






MARGUERITE DURAS - INDIA SONG (1975)

 

Valium song ...

« Marguerite Duras, elle a pas écrit que des conneries, elle en a aussi filmées » (Pierre Desproges, très drôle, évidemment, sauf que c’était une tirade sur « Hiroshima mon amour », sublime film de Resnais d’après un scénario de Duras, donc vanne de mauvaise foi …)

Bon, « India song ». Qui d’ailleurs est beaucoup plus de Benoît Jacquot et Bruno Nuytten que d’elle (techniquement, elle fait pas la différence entre une caméra et une 2 CV, elle disait ce qu’elle voulait voir à l’écran, et les acteurs et l’équipe technique devaient se démerder pour arriver au résultat).

Duras & Seyrig

« India Song », c’est l’histoire d’Anne-Marie Stretter, veuve de l’ambassadeur de France à Calcutta dans les années 30, qui accumule les amants (qui défilent à grande vitesse, enfin, façon de parler, et on en reparlera) et rejette le seul type qui l’aime vraiment (le vice-consul de Lahore). Bon, tous les personnages sont fictifs, à part peut-être la veuve, plus ou moins double de Duras jeune. Car avant de devenir le sosie officiel de Karl Zero, Margot Duras était une jeune femme gironde et, comment dire, libérée (« L’amant », son bouquin et le film d’Annaud qui en a été tiré seraient en partie autobiographiques).

« India song », au vu de son titre et du scénario, on peut se dire qu’on va voir au moins un film exotique. Bon, y’a pas de scènes au Taj Mahal … loin de là. Les intérieurs ont été tournés dans des hôtels parisiens (notamment le Georges V, et des hôtels particuliers, dont un, délabré, de la famille Rothschild). Quant aux rares extérieurs, ils ont été tournés à Neauphle-le-Château, le bled des Yvelines où vivait Duras et où, quelques années plus tard, sera assigné à résidence l’ayatollah Gros Minet (merci Coluche) avant qu’il devienne Guide Suprême de la révolution iranienne. Je doute que la féministe et le fondamentaliste aient souvent pris le thé ensemble …

« India Song » a été tourné en moins de deux semaines. Faut dire que pour plein de raisons (le scénar, Duras à la caméra, …), les financeurs se sont pas bousculés. A l’origine, Duras rêvait dans les rôles principaux de Peter O’Toole et Dominique Sanda. Une fois le budget pris en compte, c’est Delphine Seyrig (« un film en quinze jours, je signe pour une année avec elle, ça me fera six mois de vacances » citation tongue-in-cheek mais véridique) qui prendra le rôle principal. Comme elle dépasse le mètre quatre vingt, il a fallu prendre des grands (de préférence débutants et pas trop chers) pour qu’elle ait pas l’air d’une croqueuse de nains. Les deux plus connus aux rôles masculins seront Mathieu Carrière et Michael Lonsdale.

Lonsdale & Seyrig

« India song » est un film en couleurs muet … avec plein de dialogues. Je m’explique. Les acteurs évoluent sans dire un mot, leurs dialogues sont en voix off … plus quatre « récitants » qui exposent et narrent l’histoire. Parce que « India song » se comporte majoritairement de plans fixes que les acteurs traversent en marchant très lentement, ou en dansant, encore plus lentement. Exceptions, quelques rares panoramiques, évidemment très lents et un superbe travelling vers la fin dans les couloirs du Georges V. Il y a même une (longue) scène genre nature morte (c’est pas une photo, on voit la fumée de bâtons d’encens omniprésents dans le film, et ne me demandez pas ce qu’ils viennent foutre là, ces fumigènes odorants) qui réunit la plupart du casting (Madame et ses flirts ?).

Bon, la défense pourra toujours dire que le film est tiré d’une pièce de théâtre du même nom, elle-même tirée d’un bouquin de Duras, « Le Vice-Consul ») ; la défense pourra toujours s’appuyer sur les critiques dithyrambiques de l’époque, reproduites sur la jaquette du Blu-ray et signées Gérard Lefort, Jean de Baroncelli et Henry Chapier, dont l’avis est certes bien supérieur au mien, mais qui ont passé leur vie à défendre des machins intellos qui t’endorment au bout de deux bobines … La défense pourra à juste titre s’appuyer sur le jeu de miroirs d’un certain nombre de plans, où la caméra est judicieusement placée de biais sur un immense miroir mural devant lequel passent ou dansent les acteurs, et on les voit arriver (ou partir selon l’angle) avant qu’ils soient dans le champ de l’objectif, un procédé largement utilisé chez d’autres (Ophuls dans « Madame de … », Losey dans « The servant », …) mais jamais d’une façon aussi systématique (à mon sens, ce procédé est la seule chose à sauver du film). « India song » (titre tiré d’un morceau de jazz qui revient souvent dans la bande-son) est intriguant et original au début, mais cette lenteur sans paroles et sans aucune action (même si ça finit très mal pour Lonsdale et Seyrig), c’est juste insupportable sur la durée, et l’argument, y’a deux films, un film des voix et un film des corps, sur la durée ça tient pas …

Seyrig et ses amants dans les couloirs du Georges V

Des gens à l’époque se sont extasiés de la scène la plus fameuse d’« India song », où on a un plan fixe puis un gros plan (au moins cinq minutes en tout) sur une Delphine Seyrig au sein droit dénudé, couchée à même le sol avec une paire de ses gigolos … autres temps, autres mœurs, et autres réactions …

« India song », c’est le genre de film qui doit passer une fois tous les dix ans à pas d’heure sur Arte, et qui a été remastérisé en 2K récemment (heureusement, tant l’image d’origine paraissait floue et granuleuse (pas sûr que ce soit fait exprès). Combo Blu-ray et Dvd (plus bonus) vendu à prix très raisonnable par la petite boîte d’édition Tamasa (j’ai pas d’actions chez eux, d’ailleurs il risque fort d’y en avoir un d’occase en état mint à la vente bientôt) alors que de vieilles versions Dvd ou VHS coûtent une blinde sur le net …