Phil Ochs est bien oublié aujourd’hui (il a passé l’arme
à gauche, forcément à gauche en 1976). Mais même de son vivant et dans sa meilleure
période (les sixties), il jouait en seconde division. La faute à Dylan, qui a
tellement écrasé la décennie de ceux qui chantaient en s’accompagnant d’une
guitare en bois, et traumatisé ceux des générations suivantes qui voulaient
s’adonner à cet exercice. A l’instar de tous ces Paul Simon, Leonard Cohen,
Donovan (et je cause là que du très haut du panier), il y avait Dylan et les
sous-Dylan.
Qui a dit que personne écoute Phil Ochs |
Ochs a commencé dans un style très rustique (like Dylan),
avant d’évoluer (like Dylan again). Mais là où le petit frisé recrutait de
rudes soudards qui faisaient rugir les Marshall (Bloomfield, Robertson), Phil
Ochs s’est orienté vers des arrangements à base de cordes, de vents, de piano,
… avec un rendu qui fait souvent penser à de la musique de chambre, ce machin
pour les nobles joué dans les palais royaux vers les XVIème et XVIIème siècles.
Forcément ça n’a pas plu à tout le monde. L’encyclopédiste et pontifiant Robert
Christgau, auto-proclamé pape indiscutable de la critique rock américaine des
années 60 et suivantes, a décrété à propos de ce « Pleasures … » que
Ochs avait dans les cordes vocales un demi octave et qu’il jouait de la guitare
avec des mains palmées. Ce qui est pas très gentil … même s’il y a un peu de ça
…
Ochs n’est pas Roy Orbison, on est d’accord. Il interprète
tous ses morceaux de la même façon, ballade folk mid ou down tempo. C’est son
style, son approche du genre, et on pourrait faire le même reproche à plein de chanteurs,
de folk ou d’autre chose. Malgré ses limites, il fait vivre ses chansons, et
c’est bien là l’essentiel. Quant à sa technique à la guitare, faut avoir
l’oreille plus que fine pour en trouver trace dans ce disque. Elle n’est
présente que sur un seul morceau, celui qui donne son titre à l’album. Et on
peut lire un peu partout que c’est pas Ochs qui en joue, mais le tout jeune
Warren Zevon (Warren qui ? Pfff, laissez tomber …), même si c’est
écrit nulle part sur la pochette du disque.
Ah ouais, je vous ai pas encore dit. Déjà que les
galettes de Ochs sont pas vraiment en tête de gondole dans les Leclerc,
« Pleasures … », assez souvent débiné par tous ceux qui en causent,
est encore plus rare que les autres, et ne se rencontre semble-t-il plus que
d’occase en vinyle à un prix abordable.
N’écoutant que mon courage en ces temps de pensée nivelée
par le bas du gilet jaune, j’affirme que « Pleasures … » est un
disque superbe. Il n’y a de fait qu’un titre à jeter, le dernier,
« Crucifixion », dans lequel Ochs passe en revue quelques martyrs
célèbres, dont JFK, sur un fond de synthés préhistoriques, avec voix hiératique
à la Nico – Scott Walker et instrumentation idoine, ce qui ne ravira que les
fans de la chuteuse de vélo et du faux frère Walker, autrement dit pas
grand-monde … Mais le reste, désolé, ça tient la route et plus que bien à
considérer que quel que soit le talent de Dylan, il n’est pas l’alpha et
l’oméga de la musique populaire américaine à lui seul.
Il y a fort à parier que ceux qui aiment Leonard Cohen
(qui à l’heure où Ochs était supposé sur le déclin commençait à peine sa
carrière) ou le Neil Young « symphonique » de « A man needs a
maid » ou « There’s a word » du partout adulé
« Harvest » devraient jeter une oreille sur ce « Pleasures
… ». Ils y entendraient des mélodies à fleur de peau first class
(« Cross my heart », « Flower lady », « I’ve had
her », « Pleasures … ») sur des titres superbes car pas
parasités par les arrangements millimétrés des instruments classiques (alors
qu’on peut trouver que le pourtant génial Jack Nitzsche a eu la main plutôt
lourde avec le London Symphonic Orchestra sur « Harvest »).
Il y a une similitude de tons et de sons, certes (mais
qui à part moi, reproche à Canned Heat de faire le même titre depuis 50
ans ?), même si les digressions restent possibles et de bon goût. Lorsque
l’on crie au génie du Band quand ils s’attaquent au dixie (« The night
they drove Old Dixie down »), il faut aussi s’agenouiller devant
« Outside of a small circle of friends » de Ochs, bien parti pour un
faire un hit jusqu’à ce qu’on s’aperçoive d’un « smoking marijuana »
au détour d’un vers, ce qui même en 1967, suffisait pour faire interdire une
chanson d’antenne. Même si musicalement Ochs vient de New York (et des clubs du
Village), il est capable d’aller chercher pour enluminer ses titres du jazz
genre piano bar (« The party ») et laisser un virtuose de
l’instrument, Lincoln Mayorga apporter une touche de technique avant-gardiste à
la manière d’un Mike Garson chez Bowie. La touche jazzy peut se faire plus
grivoise genre New Orleans sur « Miranda ».
Pour finir, y’a autre chose qui peut rebuter, c’est la
longueur des titres. Cinq (sur huit) dépassent les six minutes, ce qui en
matière de folk comme de la plupart des autres genres écoutables, peut paraître
un peu longuet, d’autant que les ponts censés aérer les titres ne sont pas de
ceux qui s’incrustent dans les mémoires.
Et donc, je vais de ce pas soumettre (mais à qui ?)
que soit organisé un RIC afin que soit rééditée à prix gilet jaune l’intégrale
de Phil Ochs.
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