Il était l’un des protagonistes du Million Dollar
Quartet, session plus ou moins avinée et inconsistante des stars de l’écurie
Sun fin 1956. Autrement dit, Johnny Cash était quelqu’un qui
« comptait ». D’ailleurs quand le label de Sam Phillips deviendra
trop « petit » pour lui, il signera chez Columbia, Rolls Royce des majors
du disque à la fin des 50’s.
La multinationale gérera tant bien que mal la
décadence humaine (picole et remontants divers) et artistique de Cash,
dinosaure d’un autre temps à même pas trente ans. Cash finit par symboliser le
redneck, beauf lourdingue et réac, enquillant les disques de country pur jus
pour fans only (et de country et de lui). Mais Johnny Cash est plus complexe
que l’image qu’il donne (et que tout le monde entretient, tant que ça fait
vendre du vinyle). Réac, oui, mais un avec un gros fonds de rédemption et
d’humanisme (qui sera mis en valeur des décennies plus tard, mais c’est une
autre histoire). Ainsi, une de ses tocades, c’est d’aller chanter dans les
prisons où il prétend avoir séjourné (ce qui semble pure invention).
Régulièrement, depuis la fin des années cinquante, il y donne des concerts.
Johnny Cash & June Carter arrivent à Folsom |
Il envisage un concert début 68 dans la prison
californienne de Folsom. Sentant une occasion de le remettre sur le devant de
la scène, la Columbia décide d’enregistrer la performance (deux concerts, un le
matin, l’autre l’après-midi) pour en sortir un disque live et dépêche son
producteur number one Bob Johnston. Trois jours avant, Cash, sa June de femme,
sa belle-famille et son band (parmi lequel figure Carl Perkins, oui, celui de
« Blue Suede shoes », alcoolique au dernier degré qui a bousillé sa
propre carrière) commencent à répéter les deux sets. Ils seront quasi
identiques, le disque proviendra presque exclusivement de celui du matin, bien
meilleur. Ils recevront même une visite d’encouragement du Gouverneur de
Californie, un certain Ronald Reagan.
Quelques opening acts pour commencer (dont Carl Perkins
pour une paire de titres), et l’Homme en Noir entre en scène sur un lapidaire
« Hello, I’m Johnny Cash ». On sent dans la voix une certaine crispation,
le public est nombreux (plusieurs centaines de détenus au vu des photos de la
réédition Cd de 1999), Cash sait que les magnétos tournent et qu’il joue
gros. « Folsom Prison blues » pour commencer, son vieux hit de
1955. Avec son fameux vers « I shot a man in Reno, just to watch him die ».
Brouhaha de satisfaction dans la salle. En fait, certaines sources proches du
dossier comme on dit, affirment que le « public » a en grande partie
été rajouté au mixage, les prisonniers entourés par une troupe fournie de
gardiens ayant été « invités » à se montrer calmes. Très vite, Cash
enchaîne par la courte ballade country (« Busted »), avant la superbe
rengaine crépusculaire « Dark as the dungeon ». Signe de la tension
qui règne, il se mélange les pinceaux dans les paroles. Les quatre premiers morceaux
sont enchaînés sans un mot, avant que Cash se mette à (un peu) parler entre les
titres. Pourtant c’est pas un timide, faut être assez couillu pour commencer
par « Folsom … » et balancer assez vite un « Cocaine
blues », country très rock salué par des grognements de joie des taulards.
« Orange blossom special », une sorte de « Johnny Be Good » du
country, que Cash a reprise sur un de ses disques à succès précédents, n’est
pas l’interprétation du siècle de ce standard, et met fin à la première partie électrique
du show.
Le Johhny Cash Band à Folsom |
Dès lors, Cash va faire face seul avec sa voix de
baryton et sa guitare sèche au public pour une poignée de titres acoustiques,
dont surnage la belle ballade « Send a picture of Mother ». Retour du
band et présentation de June Carter, qui duote avec son mari sur le standard
« Jackson ». L’occasion de se rendre compte que la June, souvent
citée mais peu écoutée est une de la « vieille école » country. Voix
puissante quasi hurlée, issue d’une époque où dans le pays des rednecks, fallait
se faire remarquer au chant, et encore plus quand on était une femme. On est
assez loin de la voix de cristal d’Emmylou Harris, si vous voyez ce que je veux
dire …
« Give my love to Rose » est pour moi la plus belle
de cet album, la ballade définitive pour chialer dans sa bière. Mine de rien,
on approche de l’heure allouée à Cash. Qui n’oublie pas de mettre en avant des
titres évoquant le milieu carcéral (« I got stripes », ou la jolie
country song nostalgique des temps de liberté quand on est au trou « Green
green grass of home »).
Johnny Cash & Glen Sherley |
Il vaut mieux zapper la longue et quelconque
« The legend of John Henry’s hammer » (d’ailleurs elle figurait pas
sur le 33T original, comme quoi ils étaient pas sourds à l’époque), avant
d’arriver à l’apothéose finale. Qui s’appelle « Greystone Chapel » et
présente la particularité d’avoir été écrite par un détenu, Glen Sherley, que
Cash présente et à qui il va serrer la main. Pas par démagogie (ou pas
seulement), ce titre est superbe. Fin du morceau, et fin du concert sur un
court instrumental à toute blinde du groupe, avec un Cash qui sort sous
évidemment les vivats.
Comme escompté, ce live va relancer sa carrière et
donnera lieu à une « suite » l’année suivante à San Quentin, qui elle
sera plus axée « Greatest hits live ». Bon, sinon, il faut en penser
quoi de ce « At Folsom Prison » ? Pierre angulaire, Alpha et
Oméga pour certains Cash addicts. Ouais, même si perso la courte période Sun ou
certains disques crépusculaires avec Rick Rubin me semblent supérieurs, les
live carcéraux sont un des sommets du bonhomme. Exercice courant aux States
pendant des décennies où les chanteurs « populaires » allaient se
produire chez les taulards. Les longues notes du livret de Cash lui-même
montrent que même avec les « précautions d’usage » de ce genre de
prose formatée, l’Homme en Noir était très sensible à ces moments. Qu’il
trouvait là matière à cultiver son image de dur, de bad boy, de tough guy, mais
aussi à apporter un peu de bonheur de joie, de bonheur et de divertissement à
des types pas forcément gâtés par la vie.
Deux choses à noter.
Dans le livret, quelques phrases enthousiastes de
Steve Earle, qui n’est pas vraiment connu pour tourner autour du pot quand il a
quelque chose à dire. Earle, qui fut un temps avec tout ce que cela signifie aux
States membre du Parti Communiste, ne tarit pas d’éloges et sur ce disque et
sur son auteur.
Un détail assez troublant tout de même. Dans les
nombreuses photos du livret immortalisant l’événement, très peu de Blacks.
Pourtant, autant à l’époque que maintenant, ils se retrouvaient au gnouf pour
un oui ou un non. Les responsables de l’administration pénitentiaire devaient
choisir le public. Même en taule, valait mieux être Blanc…
Du même sur ce blog :