Les Bad Brains sont un des groupes les plus singuliers
qui soient. Déjà ceux qui ont des lettres savent qu’ils tirent leur nom d’un
morceau des Ramones (album « Road to ruin »). Donc les Bad Brains
sont des punks. Soit. Mais ça se complique très vite. Parce que les Bad Brains
sont tous les quatre Blacks. Ce qui limite la concurrence. Mais c’est pas tout.
Les Bad Brains jouent encore plus vite (si, si) que des punks. Et en plus ils
jouent bien parce qu’ils ont tous débuté dans le jazz-fusion. Il reste plus
grand-monde, surtout au début des années 80 dans ce registre-là.
Tant qu’à faire ils sont très politisés (des
effluves Black Panthers), vouent un culte au reggae, au dub, au rastafarisme.
Et donc logiquement fumeurs compulsifs d’herbe qui fait rire. Et comme on ne
rigole pas (surtout quand t’as pas la bonne couleur de peau) avec ces choses-là
au pays de Reagan, y’a même leur chanteur qui se retrouvera au pénitencier pour
quelques joints.
Tout ça fait quand même un peu compliqué dans le
milieu du rock où il est de bon ton de choisir sa case, d’y rester bien
sagement et d’essayer de faire carrière. On a donc affublé les Bad Brains du
titre ronflant de précurseurs du hardcore. Ce qui n’est pas totalement stupide,
mais quand même un tantinet réducteur. Seul le positionnement géographique
(Washington DC) les rapproche des « vrais » premiers groupes hardcore
(la galaxie Minor Threat – Ian McKaye) bien blancs et bien propres sur eux (le
fumeux Straight Edge, mode de vie curieux, mélange de radicalisme politique et
de new age cérébral).
Bon, revenons à nos moutons (noirs). Avec pareilles
bases de départ, les attachés de presse des majors se sont pas bousculés pour
les signer. Ils ne trouveront asile que chez les azimutés de ROIR (à tel point
que ce premier disque éponyme est souvent appelé « The ROIR
Sessions »). La particularité du label ROIR (rappelons que nous sommes au
début des années 80) étant de ne sortir de l’audio que sous forme de K7 (de K
quoi ? s’exclame le fan de Kenji Girac. Demande à ton grand père, connard
…), et avec un catalogue de gens euh … bizarres (Suicide et Lydia Lunch font
partie de leurs premières signatures).
Bad Brains : renversant, isn't it ? |
« Bad Brains » le disque est un truc qui
défile à mille à l’heure. Les cinq premiers titres, dont le plus long culmine à
1’55 constituent un tir de barrage sonique inédit à l’époque. Et ma foi, avec
ses tempos frénétiques ses guitares-mitraillettes, ses vocaux-slogans hurlés à
toute berzingue, on peut sans déclencher les froncements de sourcils parler de
hardcore. La suite des quinze titres (l’ensemble du disque est expédié dans ta
face en à peine plus de trente minutes) est globalement moins brutale, moins
épileptique, même si des choses peuvent apparaître comme les lointains ancêtres
du grindcore (« Supertouch / Shitlift »), ou comme du speed à la
Motörhead (« I »). En fait, ce qui atténue l’impression de rouleau
compresseur très heavy, ce sont trois morceaux plus ou moins reggae, grosso
modo les trois plus longs du disque. Même si de véritable reggae au sens Marley
du terme, il n’y a point, « Jah calling » et « Leaving
Babylon » étant résolument orientés dub avec leurs basses grondantes en
avant et leur structures décharnées, et le dernier, le très long (dans le
contexte général, puisqu’il dure plus de six minutes) « I luv Jah »,
havre de quiétude final, cousin des lovers-rock de Gregary Isaacs, mais quelque
peu redondant sur la durée.
Les textes sont paraît-il engagés, voire enragés sur
les brûlots rapides, mais là, franchement, ça tchatche trop vite pour moi. De toute
façon, rien qu’à voir la pochette (un éclair foudroyant la Maison-Blanche), on
se doute bien que les quatre olibrius n’ont pas leur carte au Parti
Républicain. Ni chez les Démocrates d’ailleurs.
Même si les Bad Brains s’en foutent un peu beaucoup,
on leur a attribué toute une descendance hétéroclite au vu de déclarations
énamourées à leur musique émanant des Beastie Boys ou de Living Colour, ce qui
ratisse tout de même assez large comme spectre sonore d’héritiers.
Bon an mal an, les Bad Brains continuent encore de
sortir des disques au succès très confidentiel, avec quelques changements de
personnel. C’est néanmoins la formation des années 80, avec le chanteur
« dangereux » H.R. et le guitariste virtuose (si, si, même dans des
morceaux d’une minute on s’en rend compte, y’a de la technique) Dr. Know qui
est considérée comme la meilleure et « historique ».
Evidemment, avec des disques et des blazes pareils
c’était pas gagné d’avance …Z’auraient dû s’appeler Michael Jackson comme tout
le monde …