Son premier skeud, « Cabinet of curiosities » en
2013, avait rehaussé le niveau affligeant des années 2010. Le type totalement dans
son truc, reprenant les choses là où les ténors de la pop psyché des 60’s les
avaient laissées, et une collection de putains de chansons comme il n’y en a
pas deux poignées de contemporains qui savent les torcher.
Le petit prodige néerlandais avait laissé entendre que
faire des disques c’était pas trop son truc, qu’il préférait bidouiller en
studio, et pourquoi pas pour les autres. Heureusement, y’a que les corniauds
qui changent pas d’avis. Le Jacco a passé deux ans sur la route et sur les
planches et nous sort maintenant ce « Hypnophobia » (la phobie du
sommeil, dans la langue de Florent Pagny). « Cabinet of
curiosities », c’était estampillé 66-68. Logiquement, deux ans plus tards,
Gardner se retrouve en 1970. Et de ses périples all around the world, il a du
entasser une collection de synthés vintage, car ce sont eux qui dominent
« Hypnophobia », et particulièrement le Mellotron. C’est pas vraiment
une surprise, on avait compris que le garçon était fan ultime des Zombies, dont
le chef-d’œuvre maudit « Odessey & oracle » peut être vu comme
une brochure commerciale au dit Mellotron.
Mais autant « Cabinet … » était une collection
de chansons de structure « classique », autant
« Hypnophobia » va plus loin. Gardner semble vouloir dépasser le
format chansonnette (deux titres sont des instrumentaux, et les lyrics de
quelques autres doivent tenir sur un timbre-poste) pour s’attaquer au concept
de climat, d’ambiance. Tout en évitant le piège du funeste prog qui pointe ses
gros sabots dans ces cas-là. Exercice de style casse-gueule. Et réussi.
On retrouve les fondamentaux du bonhomme. La pop
cafardeuse, le folk-rock mélodique. Autant ils étaient l’essence du premier
disque, autant ils ne servent que de trame – dont il s’extrait facilement –
pour celui-là. Les Zombies sont toujours là, le Brian Wilson d’après « Pet
sounds » aussi. Le bouffeur de space cakes Barrett itou, mais cette
fois-ci, le Floyd sans lui affleure dans nombre de plages. Le Pink Floyd
captivant de la fin des 60’s, en perpétuelle hésitation entre chansons et
longues suites atmosphériques, celui en gros des disques « Meddle »
et le soundtrack de « More », mais aussi par extrapolation, des
relents du Gainsbourg de « Melody Nelson » (les cordes évanescentes, chez
Gardner les machines ont remplacé les hommes) et de leurs imitateurs-disciples
(le Air de « Moon safari » ou de « Virgin suicides, qui cumulent
les influences Gainsbourg-Floyd).
« Hypnophobia », c’est un bloc, un pavé dans la
mare, et en l’occurrence celle du Kevin Parker de Tame Impala, auquel on a
souvent comparé Gardner. Bon, le gentil Australien envapé, reste sur le coup
loin derrière à mon sens. Tout au plus pourra t-il se vanter d’avoir inspiré à
Gardner sa coupe de cheveux.
Deux titres de « Hypnophobia » renvoient à un
folk millésimé, le bon « Face to face » et le dispensable « Make
me see » (moins de deux minutes, ça va, ça passe vite). Le folk sert de
point de départ à « Brightly », mélodie de rêve comme savait en
torcher Cat Stevens (avant que Mahomet lui bouffe les neurones), et puis le
titre s’envole, porté par une fabuleuse progression instrumentale que n’aurait
pas renié Brian Wilson (avant que le LSD lui bouffe les neurones). Un des
sommets du disque.
Les autres ? « Find yourself », énorme
single qu’on risque de pas beaucoup entendre sur NRJ, on dirait un inédit de la
B.O de « More ». « Before the dawn » (huit minutes), c’est
la pièce de bravoure du disque. Porté par une batterie très krautrock et une
trouvaille mélodique entêtante au synthé, ce titre est d’une fausse simplicité,
en perpétuel mouvement, décollage hypnotique assuré. « Hypnophobia »
le morceau multiplie les trouvailles atmosphériques, et les temps étant ce
qu’ils sont, pourrait passer pour le « Echoes » de son époque.
Avec ce disque, Gardner signe un superbe doublé et s’extirpe
haut la main du piège souvent délicat du deuxième album. Comme en plus il sort de
l’indie pur et dur (il est signé ce coup-ci sur PIAS, qui sans être une major est
une structure « sérieuse ») et que s’exhiber sur scène ne le rebute pas,
il se pourrait bien qu’il devienne quelqu’un qui « compte », dont on entend
parler.