C’est le principe de la mode, quand y’a un truc dans
l’air du temps, tout le monde se prend pour une girouette. A moins de vivre
dans le califat de Daech, il n’aura échappé à personne que les bricoles sonores
qui ont le zéphyr en poupe s’articulent autour du psychédélisme 60’s et de
toutes ses variations. Donc sur la table de dissection aujourd’hui arrivent les
susnommés Pond, Australiens de leur état, et potes du gourou sonore Kevin
Parker (Tame Impala et autres bricoles).
Ceux-là commencent bien mal. Avant même d’avoir ouï la
moindre note de leur skeud, t’as envie de le foutre par la fenêtre. A moins
qu’il s’agisse d’humour seulement compréhensible par un QI de 160, leur
pochette façon « Cheap thrills » (pour ceux qui étaient dans le
califat depuis cinquante ans, rappelons qu’il s’agit du disque de Big Brother
& the Holding Machin featuring la Reine des Hippies Janis Joplin) ne risque
pas de faire de l’ombre à celle de Crumb. Comme quoi, le bon goût et le talent,
ça se télécharge pas.
Tout le reste, on peut le trouver sur Pirate Bay. En
trois clics, t’as sur ton ordi les derniers logiciels et plug-ins musicaux
crackés, tu te retrouve dans ton deux-pièces-cuisine avec les moyens de Pink
Floyd ou Guetta. Et tu peux passer tes jours et tes nuits à mettre du bruit sur
ton disque dur. C’est là que ça se complique, et on en revient au bon goût et
au talent. N’est pas Phil Spector ou Dr Dre qui veut. Les Pond en sont
l’exemple parfait. Ils donnent dans le psychédélisme lourdement orchestré, ce
qui après tout est leur droit. Multipliant les empilages sonores (et surtout
les vieux synthés 80’s, « marque » de fabrique du Parker déjà cité et
qui produit le skeud) et les pistes vocales (genre chorales sous hélium very
pénibles), plutôt qu’inspirés par le San Francisco sound des late sixties, ils
sonnent finalement très années 2000, genre MGMT, Of Montreal, Flaming Lips ou
Arcade Fire des mauvais jours.
C’est con, parce qu’ils savent écrire des chansons, cette
tribu où tout le monde contribue peu ou prou au résultat final a un sens de
l’architecture mélodique que bien peu vite célébrés aujourd’hui possèdent. Témoins
ces « Holding out for you », ballade intemporelle, « Medicine
hat » folky à l’ancienne, « Sitting up on our crane » qui rappelle les Zombies,
« Outside is the right side », funk-rock à la Red Hot Machin – Funkadelic
… tous bien pourris par des arrangements que perso je trouve ineptes. Adeptes
de la surenchère sonore forcenée, et ne reculant devant aucun challenge insensé,
les Pond livrent ont mis à la fin de ce « Man it feels … » l’éponyme
tournerie pop qui veut jouer dans la même cour que le « Good vibrations »
des Beach Boys tout au long de ces huit minutes et quelque. Las, cet enchevêtrement
d’idées dans un seul titre, sympathique un moment, rappelle sur la durée que n’est
pas Brian Wilson qui veut.
Faudrait voir d’épurer un peu beaucoup les gars, parce que
là, vous êtes pas très impressionnants, mais plutôt chiants …
C’est pas être trop mesquin
pour lui que de rappeler que c’est
« Le tambour » qui vaudra à Volker Schöndorff d’avoir une rubrique
dans toute encyclopédie du cinéma qui se respecte. Non pas que le reste de sa
carrière ait été minable, y’a même quelques pelloches assez connues des
amateurs de séances nocturnes des chaînes « culturelles », mais bon,
« Le tambour » enterre quand même un peu tout le reste de sa
filmographie…
Parce qu’on parle pas là d’un
petit film sympa venu d’une Allemagne qui commençait à se relever
cinématographiquement parlant, mais d’un truc qui a partagé une Palme d’Or à
Cannes avec rien de moins que « Apocalypse now ». Certes les
distinctions n’engagent que ceux qui les décernent, mais y’a des références qui
trompent pas …
Volker Schlöndorff & David Bennent
Schöndorff, c’est classique du
cinéma allemand des 70’s, avec le traumatisme à expier de la période nazie,
comme dans un autre registre Fassbinder (y’avait aussi Werner Herzog, mais lui
était à l’Ouest, pas par rapport aux deux Allemagne, mais à l’Ouest vraiment,
quoi …), ces réalisateurs qui situent souvent leurs œuvres dans cette période
noire de leur Histoire, et un peu aussi de celle de tout le Monde, d’ailleurs …
L’essentiel du
« Tambour » se situe à Dantzig, en Pologne au début des faits, et
couvre la période 1935-1945. Mais les évènements historiques, s’ils influent
évidemment sur l’intrigue, ne servent que de marqueurs. « Le
Tambour » n’est pas un film politique ou historique. C’est une somme de
plus de deux heures vingt, axée autour d’un personnage principal et de ses
pérégrinations dans cette période troublée. « Le tambour » est une
fresque bizarre, picaresque et sans trop d’équivalents. A part « Barry
Lyndon » avec lequel je perçois beaucoup de similitudes. Sauf que chez
Kubrick le héros est un indolent qui traîne son apathie au milieu d’intrigues
et de personnages hauts en couleurs. Le héros du « Tambour » est par
contre celui qui agit sur l’histoire de ceux qui l’entourent. « Le
Tambour », c’est Oskar. Qui d’entrée démarre dans la vie avec un petit
problème, il a bien une mère, qui est un peu volage, et se retrouve avec deux
pères. Oskar n’est pas très à l’aise dans ce cocon familial assez particulier (c’est
lui le narrateur du film), d’autant qu’à ses trois parents s’ajoutent des
ancêtres pour le moins atypiques. Le jour de ses trois ans, Oskar décide de ne
plus grandir, et « suicide » sa croissance en se jetant dans un
escalier. Il en réchappe et son vœu sera exaucé. Dorénavant, Oskar gardera la
taille d’un gamin de trois ans.
Scène de ménage à trois ...
Il convient à cet effet de
saluer la performance du jeune suisse David Bennent, un enfant de la balle
(père acteur et mère danseuse), qui bien qu’âgé de treize ans au moment du
tournage, a lui eu réellement des problèmes de croissance et paraît beaucoup
plus jeune. Et Bennent porte le film sur ses épaules, est quasiment à l’image tout
le temps et sert une prestation d’acteur de haut niveau, ne se contentant pas
des quelques mimiques qui sont souvent le lot commun des tout jeunes acteurs. D’autant
qu’Oskar aura une enfance pour le moins singulière, faut vraiment jouer, être
acteur, pour rendre tout cela correctement. Bien aidé d’ailleurs par le reste
de la distribution, avec mention particulière pour un épatant Mario Adorf (un
des deux pères) et un Aznavour qui dans un second rôle livre ce qui doit être
sa meilleure prestation devant une caméra …
Charles Aznavour & Angela Winkler, excellents
On suit Oskar, tout de même un
peu caractériel dans sa découverte du monde des adultes, des nazis, des
phénomènes de cirque, de la guerre, de l’amour, de la mort dans une sarabande
très tongue-in-cheek. Même si parfois on frôle des délires montypythonesques
quand Oskar et son tambour font perdre le rythme aux musiciens nazis et le
discours-parade de propagande se transforme en bal populaire au son d’une valse
de Strauss. Ah, parce que je vous pas dit, Oskar en pince pour les tambours
d’enfants, et ne se sépare jamais du sien quelles que soient les circonstances,
comme un fil rouge un peu crétin de sa vie. Le regard naïf d’Oskar sur le monde
des adultes et leurs vicissitudes n’empêche pas à l’occasion des réflexions
d’une justesse cruelle et terrifiante, ainsi à propos de la montée du nazisme
et du soutien populaire dont il bénéficiait dans les années 30 : « Un
peuple crédule qui croyait au Père Noel. En réalité le Père Noel était le
préposé au gaz. »
La monstrueuse parade ?
« Le tambour » est
adapté d’un bouquin à succès de l’écrivain allemand Gunther Grass. Un livre
réputé inadaptable, mais le challenge a été relevé avec brio par Schöndorff et
Jean-Claude Carrière, et le film, un des plus gros budgets du cinéma allemand
est in fine une œuvre cosmopolite dans lequel financement, personnel technique
et acteurs, sont issus de multiples nationalités. Le tout produisant une œuvre
d’une justesse et d’une précision souvent bluffantes. On sent en Schöndorff
l’amoureux et le connaisseur de ses classiques, louvoyant avec talent entre
sérieux, ironie et hommages référencés (les séquences avec les nains de cirque
renvoient immanquablement au « Freaks » de Todd Browning), évitant
les effets faciles ou racoleurs (l’histoire d’amour entre Oskar et Maria, la
servante de son père).
Le postulat de départ du film,
cette histoire d’enfant qui « refuse » de grandir, est bien légère,
mais « Le Tambour » soutenu par un scénario en béton qui nous emporte
dans les méandres d’une époque pour le moins difficile sans temps mort ni
répit, est captivant de bout en bout. L’exemple du film tout-public, et qui
permet une lecture à tous niveaux …
Peut-on dire du mal du Zep ? Evidemment. Mais
je laisse ça à d’autres …
Parce que, faut pas déconner, Led Zep, c’est quand
même quelque chose (au moins jusqu’en 75, après ça se discute, … mais pas
aujourd’hui, voir ci-dessus …). On peut ergoter jusqu’à plus soif sur le
pourquoi du comment de la chose qui fit que ce groupe devint le plus grand des
seventies et un des plus mythiques, voire le plus mythique de l’épopée du
binaire. Matez les tréfonds du Net musical, ce qui noircit le plus les posts
depuis des lustres, c’est pas le come back du Floyd, la prochaine tournée
mondiale des Stones ou le retour des Smashing Pumpkins (cherchez l’erreur),
c’est l’hypothétique renaissance du Zep. Qui selon toute vraisemblance n’aura
jamais lieu et qui explique les scènes d’hystérie à la moindre déclaration de
Plant et plus encore de Page. Qui lui voudrait bien, mais c’est le vieux blond
qu’est pas chaud du tout pour réactiver tout le foutu barnum … et de toutes
façons, que voulez-vous qu’ils fassent ? Un truc en studio encore plus
mauvais que le « No quarter unledded » d’il y a vingt ans ? Une
tournée mondiale sold out où tu casquerais trois mille euros pour voir des
types de 70 balais massacrer les titres qui ont fait leur légende et un peu
aussi celle du rock ? Déjà qu’à leur apogée ils étaient plutôt chiants sur
scène, alors maintenant …
Parce que dès qu’il a été question du Zep, les superlatifs
ont toujours été de sortie. Surenchère à tous les étages, ceux de la musique,
et ceux annexes. Le Zep a toujours su faire parler de lui. Peut-être grâce à
Peter Grant, manager dès le premier jour et qui a su mieux que n’importe qui
grouillotant dans la périphérie d’un band pousser tous les curseurs de
l’extramusical dans le rouge … Peut-être aussi surtout à cause du sieur Jimmy
Page qui a construit de toutes pièces son monstre de métal fondu …
Avant le Zep, Jimmy Page n’était rien. Juste un nom
pour spécialistes, un forcené des sessions d’enregistrement. T’avais besoin
d’une partie de guitare acoustique, électrique, d’un simple gimmick mélodique,
tu l’appelais, il se pointait en studio un quart d’heure, faisait le truc,
repartait avec son chèque. Le requin de studio le plus connu du Swingin’
London, faisait n’importe quoi pour n’importe qui, des légendes en devenir
(Kinks, Who, …) aux plus obscurs neuneus de la variète … Ah si, il jouait aussi
dans les Yardbirds. Mais là, son nom clignotait nettement moins que celui de
ses prédécesseurs, Clapton et Beck. D’ailleurs quand le caractériel au fort
tarin s’est barré, les Yardbirds ont pris l’eau de toutes parts … Page aurait
bien voulu être le leader, mais personne voulait le suivre. Et comme y’avait
des contrats de tournée signés, fallait bien assurer … L’histoire est connue.
D’abord la vieille connaissance croisée de multiples fois en studio John Paul
Jones, ensuite un minot gueulant derrière son micro, qui emmène avec lui un
pote batteur totalement allumé, l’intermède New Yardbirds, le nabab d’Atlantic
Ahmet Ertegun qui lâche une fortune pour ce groupe qui n’a même pas de nom, une
vanne de Keith Moon qui le baptise Lead Zeppelin, Page et Grant qui font sauter
une voyelle, deux jours en studio pour accoucher du premier 33 T …
« Led Zeppelin », premier du nom, est par
force un disque foutraque et bâclé. Coincé chronologiquement entre les deux
premiers (et les seuls) du Jeff Beck Group, il souffre de la comparaison. Mais là
où le moyennement ami et vrai rival Beck livre (et ceux qui l’accompagnent
aussi, dont sur « Truth » un certain John Paul Jones, … world is very
small), une performance de folie furieuse technique tous potards sur onze, Page
va recentrer son propos. Parce que d’entrée, c’est lui et lui seul qui va tenir
la barre du dirigeable. Choisir la, ou plutôt les directions musicales, et
surtout la façon de retranscrire ça sur le plastoc noir. Pour moi, plus qu’un
guitar hero, Page est un sorcier des studios (et les milliards de rééditions
remastérisées des skeuds n’y changent rien, d’entrée Page a trouvé le son, et
celui des disques du Zep est totalement hors du temps et des modes).
D’entrée, en 2’43, les bases de ce qu’on appellera
par la suite le hard-rock sont posées avec « Good times, bad times »,
titre traversé par un solo de la mort qui tue de Page. Y’a des façons de
commencer une carrière que l’on a connues plus laborieuses. Frère quasi jumeau
en version ultra sauvage sur l’autre face de la rondelle, « Communication
breakdown », poignarde aussi sûrement les sixties qu’un cran d’arrêt des
Hells à Altamont. Led Zeppelin se pose d’emblée comme le maître incontestable
de la furia électrique des années septante.
Et le reste, me direz-vous ? Des extrapolations
à partir de thèmes bluesy. Cependant il convient de zapper le putain de truc
hindouisant (« Black mountain side ») à la Ravi Shankar, et le très
neuneu « Your time is gonna come » qui ne peut ravir que ceux qui
prennent Queen au premier degré ou apprécient les grandes orgues pompières de
Deep Purple ou Procol Harum. Les machins bluesy, donc. Plus de la moitié du
disque. Piqués, pompés, plagiés (rayer la mention inutile, on peut toutes les
garder) pour l’essentiel sur Willie Dixon ou Muddy Waters, ce qui revient un
peu au même. Le classic blues de Chicago, quoi. Mais beaucoup plus que Clapton
et les Bluesbreakers ou Fleetwood Mac qui commence à faire parler de lui, Led Zeppelin
va bousculer le vieil idiome. Page se sert tantôt de l’approche hendrixienne de
la chose (flagrant sur la wahwah de « You shook me », titre matrice
de tous les Gary Moore et Stevie Ray Vaughan à venir), bouscule les douze
mesures par des changements de tempos insensés (« Dazed & confused »,
bien mieux en studio que les interminables versions live qu’il suscitera avec
sa guitare jouée à l’archet et toutes les trouvailles égotiques de Page), jamme
sur des thèmes archi-rebattus (« How many more times »), s’auto-cite
parce que le temps manque (« I can’t quit you » reprend des pans
entiers de « You shook me »), cherche à marquer son territoire de
guitariste (sur « Baby, I’m gonna leave you » il se multiplie, tantôt
électrique, tantôt acoustique).
Reste qu’un groupe réduit à son seul guitariste, c’est
plutôt (très) chiant (qui peut supporter une heure du Vaughan déjà cité quelque
part plus haut ?). Si Page est le leader maximo du Zep, on ne peut pas
réduire les trois autres au rang de faire valoir. Un peu effacés sur ce premier
disque pensé conçu et produit par le seul Page, ils s’affirmeront davantage sur
les suivants sans toutefois jamais contester le leadership du ténébreux
gratteux. Plant pose les jalons de tous les braillards du hard (syndrome des
roubignolles coincées dans la fermeture-éclair sur « Baby, I’m gonna leave
you »), Jones montre par sa dextérité sur les touches d’ivoire ( le
Wurlitzer ( ? ) de « You shook me ») que le groupe pourra aller
visiter des territoires sonores multiples et variés innaccessibles au commun de
groupes bruyants et bas du front qui pullulent depuis des décennies, Bonham
démontre qu’il peut enclumer sévère mais aussi se révéler comme un des batteurs
les plus subtils et singuliers qui soient.
Ce « Led Zeppelin », pour moi, c’est une
déclaration d’intention, une carte de visite. Des crans en dessous de
quelques-uns qui suivront, mais suffisamment intéressant pour enterrer quelques
concurrents potentiels des deux côtés de l’Atlantique.
Récemment réédité avec campagnes de pub insensées
dignes d’une saloperie de chez Apple, et packagings aux prix délirants (cent
vingt euros pour deux vinyles et deux Cds, comme si tous les fans du Zep
étaient des qataris, faut pas déconner, venez pas chialer après parce que les
gens téléchargent gratos, bande de nazes …). En bonus de cette réédition, un
concert entier donné en 69 à l’Olympia. Performance bête comme chou et nulle à
pleurer, même pas sauvée par des extraits du « Led Zeppelin II » en
gestation, titres d’au moins dix minutes, auto-complaisance à tous les étages,
et un Page qui s’écoute jouer sur des solos imbéciles dont même Bonamassa ne
voudrait pas …
Des mêmes sur ce blog :
« Le Pianiste », c’est malgré les
réalisations qui ont suivi et suivent encore, l’épitaphe cinématographique de
Polanski. Le film qui résume sa vie, et pas forcément (pas du tout ?) son
œuvre. C’est un film-thérapie, un film-exutoire, un film de divan d’analyste. Polanski,
l’enfant grandi dans les années 40 et miraculeusement réchappé du grand
massacre des Juifs polonais ne pouvait pas ne pas s’attaquer à ce thème.
Adrian Brody & Roman Polanski
Alors, formellement ou esthétiquement, « Le
pianiste » n’est pas son meilleur film. C’est malgré tout son plus
personnel, et pour peu qu’on ait un cœur en état d’insuffler des émotions, son
plus touchant. Bon, évidemment, la leçon d’Histoire, les bons sentiments et
cette atmosphère de mélo perpétuel, ont eu deux conséquences : la méfiance
de certains, jugeant le film « too much ». Corollaire, des
récompenses par la « profession » innombrables, dont trois Oscars (et
47698 Césars, qui comme chacun sait, sont au cinéma ce qu’Annie Cordy est à
Bessie Smith).
Moi, « Le Pianiste », j’suis preneur. A
mille pour cent. Et d’autant plus ces jours-ci, où l’on voit à longueur de 20
Heures, des journaleux nous faire le « devoir de mémoire » sur
l’anniversaire de la libération d’Auschwitz. Pendant que d’autres de leurs
congénères (plutôt cons tout court d’ailleurs) remettent un colifichet
honorifique au maire FN de Hénin-Beaumont, au crâne bien dégagé derrière les
oreilles et bien plein de remugles idéologiques pourris. Comme si on avait pas
assez donné cette année en matière d’exposition faite aux cinglés intolérants.
Et voir l’épouvantail Arlette Chabot (groupie insatisfaite du piteux Chirac,
mais qui au moins, lui, n’a jamais transigé avec ces fachos-là), présidente de
ce jury honteux avaler une colonie de couleuvres pour nous expliquer que
politiquement parlant, c’est une distinction que ce pantin mérite … ‘tain, y’a
des coups de pied au cul qui se perdent. Eh, Arlette, regarde ce qu’a déjà fait
ce mec dans son bled, tu comprendras peut-être que vous êtes quelques-uns à
avoir touché le fond …
Bon, « Le Pianiste ». Qui est en gros un
biopic. Qui aurait pu être celui de Polanski lui-même. Il a préféré tourner la
vie, la survie plutôt entre 1939 et 1945 de Wladislaw Szpilman, pianiste
officiel et surdoué de la radio polonaise au moment où les troupes nazies envahissent la
Pologne. Szpilman n’est apparemment pas un bonimenteur, le livre racontant sa
traversée de la guerre publié en 1946, lui a valu bien des ennuis et une
quasi-censure de la part des autorités communistes polonaises (un Juif sauvé
par un haut officier SS et pas par l’Armée Rouge, les camarades rigolaient pas
avec ça). « Le Pianiste » est un survival, avec des nazis à la place
des zombies. C’est la grande Histoire vue par la « petite » de
Szpilman. Et là, il n’est plus question d’idéologie. Szpilman est pris dans un
engrenage où les salauds ne sont pas tous Allemands, et les types bien pas tous
Polaks ou Juifs, où beaucoup cherchent à sauver ce qui peut encore l’être (leur
vie, tout simplement) et louvoient dangereusement entre grandeur et bassesse.
Il y a les bons et les méchants, et toutes les nuances entre les deux. La
guerre déshumanise, et fabrique plus souvent des lâches que des héros.
Szpilman n’échappe pas à la règle. C’est le type qui
vit à travers la musique et son piano, le reste lui étant souvent accessoire. Mais
pas toujours. Il vend son piano une misère pour que sa famille puisse s’acheter
à manger, il est lucide et fataliste devant les premières pancartes interdisant
l’entrée de certains établissements à des Juifs, envoie bouler les juifs
collabos. Et puis, lentement, insidieusement, quand le cauchemar meurtrier s’amplifie
et qu’il faut à chaque instant assurer sa pitance puis sauver sa peau, Szpilman « lâche »
les valeurs et les idéaux, jouant dans des bars pour juifs chelous gagnant de l’argent
quand d’autres crèvent de faim, suppliant les miliciens juifs pour améliorer
son ordinaire et celui de ses proches, devenant peu à peu un pantin sans
valeurs ou morale, uniquement préoccupé de sa survie. Juste un type qui veut
sauver sa peau au milieu de cette barbarie, rythmée par des intertitres qui
indiquent les dates de cette période qui va de la blitzkrieg polonaise à la
libération des camps de déportés par l’armée russe.
Polanski nous montre ce type aux prises avec la
folie de ses congénères et de leur attitude de plus en plus incompréhensible,
anormale, à mesure que la guerre et son convoi de misères avancent. Et parce
que Polanski sait de quoi il parle mais aussi comment on filme, il évite les
clichés. Celui de l’allégorie qui ferait passer des symboles au-dessus de l’histoire,
celui du « tout est bien qui finit bien » (y’ des pourris qui s’en
sortent, et des mecs bien qui crèvent). Il y a des plans d’une beauté à couper
le souffle, comme celui où l’on voit Szpilman escalader le mur du ghetto de
Varsovie pour revenir dans cet espace dont il s’est évadé quelques mois plus
tôt, et qui d’endroit pas vraiment folichon est devenu un paysage de ruines
lunaires après l’insurrection. Il y a des scènes d’une dureté glaçante, quand
un officier nazi flingue d’une balle dans la nuque des juifs choisis au hasard dans
une procession de travailleurs contraints, quand deux vieux affamés se battent
pour une boîte de conserve qui se renverse et que l’un finit par bouffer à même
le sol. D’autres sont d’une poésie irréelle notamment lorsque Szpilman, pour ne
pas faire du bruit qui trahirait sa présence joue du piano sans même effleurer
les touches et vit littéralement cette musique qu’il n’entend que dans sa tête.
Szpilman, c’est Adrien Brody, qui à même pas trente
ans trouve là ce qui sera certainement le rôle de sa vie, composant entre
sobriété du jeu et techniques de l’Actor’s Studio (il a perdu quinze kilos pendant
le tournage et a appris à jouer du piano, même si ce n’est pas lui qu’on entend
tout le temps). Dans ce casting de seconds couteaux, il ne cherche pas à
écraser le film, est crédible de bout en bout dans un jeu tout en retenue.
Polanski est lui, comme souvent, parfait derrière la
caméra. Il réussit en mettre en parallèle la survie de son personnage principal
dans cette boucherie organisée et les grands faits marquants de l’histoire de
Varsovie et de la Pologne au début des années 40. Une grande partie du « Pianiste »
a été tournée sur les lieux mêmes où se passe l’action, dans ce qui fut le
ghetto juif de Varsovie. Perso, je trouve quand même assez mesquine l’attitude de
quelques-uns qui a la sortie du film n’y ont vu qu’un mélo larmoyant et
émotionnel, limite une machine à Oscars.
Prévert a écrit dans un poème fameux que la guerre
était une connerie. Polanski a dit la même chose. Avec une caméra …
Du même sur ce blog :