Take Heat ...
… et pas leave it …
« Heat » est
un film comme on n’en a pas fait beaucoup et comme on n’en fera plus.
Quand il est
sorti (avant les fêtes de Noel 1995, carton commercial certifié), il réunissait
les deux plus grosses stars de l’époque, Pacino et DeNiro. Une première, même
si oui, je sais, ils avaient été à l’affiche sur « Le Parrain 2 » de
Coppola, mais l’un jouant le père de l’autre grâce à un montage tout en
flashbacks, ils n’avaient aucune scène en commun. Dans « Heat », ils
en ont une (enfin deux, avec la scène finale) au milieu du film, qui a fait
couler beaucoup d’encre et entretenu les supputations les plus folles, j’en
recauserai forcément plus bas.Mann, Pacino & DeNiro
Mais ce n’est
pas ce tête-à-tête qui a le plus marqué les esprits. Il y a dans
« Heat » une scène de braquage suivie d’une fusillade (en tout douze
minutes) qui a scotché les spectateurs sur leurs fauteuils, fusillade à faire
passer celles de Peckinpah (dans « La horde sauvage » notamment) pour
un diner aux chandelles.
Et surtout,
parce que « Heat » est, entre autres, un film à grand spectacle,
absolument toutes les scènes sont tournées en extérieurs. Enfin, toutes sauf
une, pour des raisons visuelles. C’est la scène ou DeNiro et sa copine Eady
(Amy Brenneman) sont appuyés la nuit sur la rambarde d’une terrasse qui domine
Los Angeles. Mann explique (j’ai pas tout compris) que pour des histoires
techniques (profondeur de champ, focales, nombre d’images par seconde, …), les
acteurs avaient joué devant un rideau vert, l’immense étendue illuminée de la
ville avait été filmée du même endroit, les deux images étant ensuite
superposées au montage. Inimaginable aujourd’hui après l’affaire Alec Baldwin
que des acteurs se tirent dessus pendant dix jours (durée de la mise en boîte de
la scène de la fusillade) avec de vraies armes de guerre chargées à blanc, en
centre ville avec des dizaines de figurants et des centaines de badauds hors
champ. Inimaginable après le 11 Septembre de passer des nuits à filmer la scène
finale dans un aéroport (et pas n’importe lequel, le plus grand de L.A.), avec
des types qui jouent au chat et à la souris au milieu de vrais avions qui décollent
et atterrissent.
« Heat »
vient de loin. Du début des années 60 à Chicago. Où un flic, le chef de la
brigade criminelle de la ville, y traque le gangster number one. De tentatives ratées de flagrant délit, en
rencontre autour d’un café, où les deux se promettent un take no prisoners
s’ils se retrouvent face à face, jusqu’à un affrontement final à la sortie d’un
casse. Le truand a quarante neuf ans, dont vingt cinq passés en taule. Le flic
s’appelle Charlie Adamson, c’est devenu un pote à Michael Mann. Le truand
s’appelle Neil McCauley. Neil McCauley ? Ben oui, comme le personnage joué
par DeNiro dans le film.Les voleurs
« Heat »
est quasiment un biopic, transposé dans le Los Angeles des années nonante. Je
devine la question du type qui suit, mais alors pourquoi le flic s’appelle
Vincent Hanna et pas Charlie Adamson ? Parce que son personnage dans
« Heat » est une compilation de trois flics qu’a côtoyés Michael
Mann. « Heat », pour Mann, c’est le film d’une vie. En pré-projet
depuis des années, il reste sa masterpiece, malgré une filmo où il n’y a pas
que de furieux navets (« Le sixième sens » « Le dernier des
Mohicans », « Collatéral », « Ali », « Miami
Vice », …). Dans « Heat », Mann produit, réalise et a écrit le
scénario, rien que ça … Et on parle pas de griffonner une histoire sur un coin
de nappe de restaurant, de sortir le chéquier, et de laisser deux stars en roue
libre jouer comme elles le sentent. La pré-production et les repérages (95
endroits ont été utilisés dans Los Angeles, certains sont quasiment devenus des
lieux de pèlerinage touristique comme le diner où a lieu la discussion
Pacino-DeNiro) ont pris des mois, Mann a passé des semaines avec le chef de la
police du LAPD (qui est présent dans une scène, c’est lui le réceptionniste de
l’hôtel où McCauley vient traquer Waingro à la fin), tout le casting a été
envoyé au contact de vrais taulards (notamment à San Quentin et Folsom, la pire
de toutes les prisons californiennes, c’est là que Mann a rencontré un dur de
dur, Eddy Bunker, devenu depuis écrivain et conférencier, et à l’origine du
personnage joué dans le film par John Voight), et entraîné au tir à balles réelles
par des instructeurs militaires (anecdote, le superviseur montrait aux bidasses
d’élite en formation le passage où en pleine baston, Val Kilmer recharge son
fusil mitrailleur, manière de montrer les bons gestes et la vitesse à
acquérir). Aussi fort, l’identification criminelle et les légistes sur la scène
du braquage du fourgon blindé sont de vrais flics spécialisés, l’infirmière aux
urgences quand la belle-fille de Hanna (la toute jeune Natalie Portman) a tenté
de se suicider est la vraie chef infirmière du service des urgences … Et la
plupart des personnages du film, s’ils n’appartiennent pas à l’histoire
initiale Adamson – McCauley sont issus de gens ayant réellement existé (les
personnages de Val Kilmer, Ashley Judd, Waingro, …). Encore plus fort (ou plus
fou), Mann pour les acteurs principaux (une bonne dizaine), a rédigé leur
biographie (d’où ils viennent, leur « palmarès », combien d’années de
taule, comment ils se sont connus, combien de mariages, de divorces, d’enfants,
etc …), ce qui sera en partie l’objet du bouquin « Heat 2 » qu’il
écrira, en même temps prequel et sequel (narrant par exemple ce qu’est devenu
Chris Shiherlis, le personnage joué par Val Kilmer) de l’histoire racontée dans
le film …Willie Nelson ? Non, John Voight
Quand sur le
générique qui défile, on entend Moby,ce qui entre parenthèses est une partie
d’un choix musical pointu à l’époque, où le technoïde chauve vegan côtoie Brian
Eno, le Kronos Quartet, Lisa Gerrard, William Orbit…, (et parmi les petits
rôles, on a le punker hardcore Henri Rollins et le rappeur Tone-Loc…), on est
devant l’écran depuis deux heures cinquante. « Heat » est un
film-somme, et surtout pas un affrontement à réduire à celui de ses deux
acteurs principaux. Tous les seconds rôles ont leur histoire, et pas pour
meubler. « Heat » est affaire de détails. La somme de tous ces
détails, tous ces grains de sable qui à un moment viennent enrayer une
mécanique imparable (un surnom lâché par le dingue Waingro lors du premier
braquage sanglant permettra à Hanna de remonter la filière, un mouvement brusque
d’un flic en planque dans un fourgon fera avorter une opération de flagrant
délit, …).
« Heat »
fonctionne à tous les niveaux. On peut se contenter du basique, le polar
énergique où le gendarme course le voleur, si on veut aller plus loin mater le
jeu en parallèle des deux stars du générique, ou encore aller au tréfonds des
personnages secondaires. Avec un personnage principal non cité au générique, la
mégalopole de Los Angeles de tous les plans, surtout de nuit, avec des moyens
conséquents pour la filmer (trois hélicos).Les gendarmes
L’histoire
de « Heat », c’est celle d’une bande de braqueurs
« expérimentés » multirécidivistes et multi-emprisonnés aussi. Leur
cerveau, c’est Neil McCauley, maniaque de l’organisation détaillée et qui a
construit sa vie de façon quasi philosophique par rapport à son métier. Il
habite un superbe appart, mais juste meublé avec le minimum vital, un lit, une
table, une paire de chaises, une cafetière, un frigo, parce qu’il a théorisé
son métier en fonction des risques qu’il prend (aucune relation affective, aucune
liaison féminine durable, et il se fait fort en trente secondes de tout lâcher
et fuir hors de portée des flics). Le seul pour qui il témoigne un peu
d’affection, est le plus jeune de la bande (excellement joué par Val Kilmer,
plus crédible là qu’en chanteur des Doors), dont il essaye tant bien que mal de
sauver le couple (Ashley Judd joue sa femme, ils ont un bambin) plus ou moins à
la dérive (ils s’engueulent souvent, elle a des amants). Manque de bol, un de
la bande se retrouve en fauteuil roulant au moment de faire un gros coup (le
braquage de titres au porteur dans un convoi de fonds), et un fêlé impulsif
(Waingro) est recruté au pied-levé. Le nouvel arrivant de la bande ne va rien
trouver de mieux que de buter sans raison un convoyeur, entraînant un carnage
(deux autres morts). Ce sont ces trois macchabées qui vont faire que le chef de
la brigade criminelle, l’inspecteur Vincent Hanna va se retrouver sur
l’affaire. Dès lors, il va tout mettre en œuvre pour retrouver la bande de
braqueurs et la mettre hors d’état de nuire, aidé malgré eux par le
narcotrafiquant à qui on a piqué les titres au porteur et le taré suprématiste
Waingro (là, faut avoir l’œil, on l’aperçoit bedaine à l’air dans une chambre
d’hôtel, il a parmi de nombreux tatouages une croix gammée sur le nombril,
quand je vous disais que Mann est un maniaque …).Waingro
« Heat »,
en plus de proposer une traque flic-délinquant classique, va se centrer sur les
personnalités du flic et du braqueur. Là où dans l’immense majorité des films
la vie personnelle des protagonistes ne sert qu’à remplir des bobines entre deux
scènes d’action, elle est ici le cœur de l’histoire. McCauley va tomber
amoureux d’une provinciale venue bosser dans une bibliothèque où il se rend
souvent, s’informant en permanence des dernières nouveautés en matière
d’explosifs, de métaux, etc … Dès lors, le solitaire va se retrouver
« attaché » et la rigueur de son raisonnement va s’en trouver
affecté. De son côté Hanna en est à son troisième mariage (sa femme aussi) et
il doit gérer sa belle-fille, une gamine à tendance dépressive, déboussolée par
le mode de vie du couple.
A première
vue, dans « Heat », DeNiro et Pacino, c’est le ying et le yang, l’un
est d’une austérité rigide, l’autre un excité impulsif fonctionnant à
l’instinct (l’interrogatoire des indics, l’extraordinaire scène quand rentrant
chez lui à pas d’heure il trouve l’amant de sa femme affalé sur le canapé et
matant « sa » télé). DeNiro est sobre comme rarement, ce qui en soi
est un exploit et Pacino crève par contraste l’écran. Ce n’est suggéré nulle
part dans le film, mais quand il a lu le script et « visionné » son
personnage, il est allé trouver Mann et lui a dit que Hanna serait le plus
souvent sous coke. En fait, McCauley et Hanna fonctionnent de la même façon,
avec un professionnalisme à toute épreuve et des principes stricts. Ce que l’on
voit lors de la fameuse scène où ils prennent un café ensemble. On a beaucoup
écrit sur cette scène. Invraisemblable, oui, mais elle a réellement eu lieu
dans l’histoire originelle à Chicago, à peu près dans les mêmes conditions et
les mêmes termes. Certains (qui n’ont pas compris grand-chose aux personnages)
ont même dit qu’elle avait été rajoutée in extremis, Mann voulant un dialogue
entre les deux stars, le premier de leur carrière face caméra. Ridicule, cette
scène est le cœur du film, explique ce qui précède et ce qui va suivre. Une
autre rumeur a été plus insistante et plus plausible. Durant tout le dialogue,
il y a deux caméras, une derrière chaque acteur, et on n’a que des champs –
contre-champs, beaucoup en ont déduit que pour des raisons mystérieuses, Pacino
et DeNiro n’avaient pas joué ensemble. Faux, il y avait une troisième caméra
qui les prenait ensemble de profil, mais au montage, Mann a décidé de ne pas
utiliser ces images. De nombreuses photos en témoignent, il y en avait plein le
mur du (vrai) restau où la scène a été tournée, les gens réservant la mythique
table des semaines à l’avance, et conséquence qu’ils ne prévoyaient pas,
passaient tout le repas à se faire photographier par les autres clients … A
noter que Mann, Pacino et DeNiro, d’un commun accord, ont décidé de ne pas
répéter la scène, l’essentiel de ce qui a été monté venant de la onzième prise
(selon les différents participants, treize, dix-huit ou dix-neuf prises
auraient été mises en boîte).DeNiro & Kilmer
« Heat »
est sorti en 1995. Sacré millésime pour les polars, puisque sont sortis la même
« Usual suspects », « Casino » et « Seven ». Rien
que ça …
Je conseille
la version 2 Blu-ray du film, qui présente of course des heures de suppléments
bien utiles pour écrire cette chronique, avec notamment à l’occasion du
vingtième anniversaire de la sortie du film, une discussion réunissant Mann,
DeNiro et Pacino animée par Christopher Nolan. C’est pas la partie des bonus la
plus intéressante par les propos, mais avouez que c’est un sacré casting autour
de la table …
Une dernière
anecdote qui montre à quel point ce film est mythique et rentré dans la culture
populaire. Dans la villa sur immenses pilotis où se fait tabasser et laisser
pour mort par Waingro et les hommes de main du narcotrafiquant le chicano
chauffeur de la bande de braqueurs, McCauley-DeNiro retrouve son pote baignant
dans une mare de sang. La villa avait été mise en vente et louée pour tourner
la scène. Faut croire que les petites mains de l’équipe étaient moins
méticuleuses que Mann, quand les nouveaux propriétaires sont arrivés (l’agent
immobilier les ayant évidemment avertis qu’elle avait servi au tournage du
film, ce qui constituait un sacré argument commercial) ils ont retrouvé sur le
parquet la tache de faux sang très mal nettoyée. Cette tache est maintenant
planquée sous un tapis et conservée comme une relique …
Immense film
culte je vous dis …
Ouais, rien à dire de plus. "Heat" est le polar des années 90, comme "Police Federal Los Angeles" était celui de la décennie précédente, ex aequo avec "L'année du dragon". Je me demande si des trois ce n'est pas le Cimino que je préfère, pour son style plus flamboyant. Mann c'est très froid, métallique, il filme génialement bien la ville, l'architecture (Collatéral n'est pas mal non plus). Pour le dialogue De Niro & Pacino, je suis de ceux qui râlent concernant le choix du cadrage en champ contre champ, procédé classique dans le cinéma américain, mais là, je ne peux pas m'empêcher de penser que Mann savait pertinemment que ça ferait râler, jaser, voire, qu'on s'imaginerait que les deux acteurs n'avaient pas réellement tourné ensemble. Je pense qu'on a raté un truc immense.
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