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Les Danois, ils ont pas la réputation d’être des boute-en-train … Le pays d’Hamlet et de Carl Theodor Dreyer … Les Danois, ils auraient été Noirs, ils auraient inventé le blues … bon, on est pas dans la rubrique zique, on va causer d’un réalisateur danois.
1988 : Gabriel Axel et sa statuette |
Ils sont pas nombreux, les manieurs de caméra de
Copenhague ou environs à être passés à la postérité. J’en connais que cinq. Le
Dreyer susnommé, grand maître d’un cinéma en noir et blanc austère et glacial,
tout en huis clos psychologiques, à faire passer son voisin nordique Bergman
pour Philippe de Broca. Lars Von Trier, dont les films n’incitent pas non plus
à la franche rigolade, lui prétendant qu’il a de l’humour, mais c’est à peu près
le seul à s’en être aperçu. Thomas Vintenberg, à côté d’eux, c’est Frankie
Vincent, et il accumule les succès grâce à des films « adultes » pour
grand public (les fabuleux « Festen » et « Drunk »). Reste
deux éphémères « stars », Bille August, avec « Pelle le
Conquérant » palmé et oscarisé en 1989. L’année d’avant, c’est « Le
festin de Babette » de Gabriel Axel qui avait gagné la statuette. August
et Axel étaient à peu près inconnus avant leur récompense et n’ont rien tourné
de vraiment marquant depuis …
Axel, c’est un Danois qui a passé une trentaine d’années en France. Et quand il est dans son brumeux pays, il coche plein de cases dans le milieu du cinéma, acteur, producteur, scénariste, réalisateur pour le petit ou le grand écran, sans même être une star locale. Il a un projet qu’il traîne depuis des années : adapter au cinéma « Le festin de Babette », une nouvelle de Karen Blixen. Karen Blixen, dont le film multi-oscarisé « Out of Africa » est censé raconter une partie de sa vie. Du coup, quelques banquiers prêtent l’oreille au projet d’Axel. Qui finit par récolter quelques thunes, au Danemark et en France. En France ? Oh, pas parce qu’il y a vécu, mais parce qu’il a décidé de donner le premier rôle à Stéphane Audran, depuis peu ex Mme Chabrol. Une Stéphane Audran qui l’avait fortement marqué dans « Violette Nozières » (de Chabrol), quasiment une décennie plus tôt.
Babette et les filles du pasteur |
Stéphane Audran accepte ce projet assez suicidaire :
tourner en danois, avec un metteur en scène inconnu, et un casting de seconds
couteaux locaux (quelques-uns ont tourné avec Dreyer dans les années cinquante,
ce qui n’ouvre pas évidemment les portes de la gloire mondiale), dont les seuls
noms connus à l’international sont Bibi Anderson (une des actrices fétiches de
Bergman, elle ne fait qu’une apparition dans une scène) et Jarl Kulle (un
second rôle récurrent dans – aussi – des films de Bergman). Quant à l’histoire,
un truc austère sur plusieurs décennies dans la seconde moitié du XIXème siècle
situé dans un patelin du Jutland (Nord du Danemark) aux abords de la mer, on a
connu plus sexy comme projet d’adaptation.
Stéphane Audran est la « star » du casting,
même si elle n’apparaît qu’après le premier tiers du film. L’histoire est en
fait centrée sur les deux vieilles filles (dans tous les sens du terme) d’un
pasteur, qui fut une sorte de gourou dans son village de quelques masures du
Jutland, cornaquant ses deux filles d’une main de fer, et dont le souvenir est
entretenu des années après sa mort par une petite communauté de vieillards qui
se réunissent chez ses deux filles. Ses deux filles qui auraient pu vivre une
autre vie : l’une fut courtisée par un officier suédois (le Danemark était
une province suédoise), joueur et buveur, contraint à une disgrâce et un exil passagers
forcés à cause d’un mode de vie peu conciliable avec le métier des armes, sa sœur,
chanteuse occasionnelle à la voix de cristal, prise en charge par un chanteur d’opéra
français ayant fui la Révolution de 1848. L’ombre tutélaire du pasteur empêchera
ces deux idylles naissantes de perdurer, et les deux frangines resteront célibataires et se consacreront
à des œuvres charitables, servant d’infâmes brouets de pitance locale aux
nécessiteux du village.
Les années passent, et après la purge qui suit la Commune en France, accompagnée d’une lettre de recommandation du chanteur d’opéra, se pointe chez les sisters une Française, Babette Hersant, qui fuit la répression parisienne, qui veut bien être leur servante sans gages (les combles d’une chaumière seront sa maison), et qui paraît-il sait cuisiner. Ce qui n’empêche pas les frangines de l’initier sous ses regards suspicieux à la gastronomie peu ragoûtante du Jutland. Le seul lien que Babette a conservé avec la France est un ticket de loterie qu’elle renouvelle chaque année.
C'est mal parti pour faire tourner les serviettes ... |
Et quelques années plus tard, bingo, elle gagne le
gros lot (dix mille francs), et décide, à l’occasion du centenaire de la naissance
du pasteur, de préparer un repas « à la française » à la clique de
vieillards qui continuent tant bien que mal de célébrer leur gourou disparu. Evidemment,
chez ces ploucs qui voient Babette rappliquer avec venues de France, tortues,
cailles, victuailles mystérieuses et force caisses de pinard, le signe de la tentation
diabolique est évident et tous se jurent d’assister au repas, mais de se
montrer taiseux et surtout de ne pas faire le moindre commentaire sur ce qu’ils
auront dans l’assiette ou le verre. Un invité de dernière minute, l’ancien
officier exilé devenu un général célébré, fera partie de la tablée. Et à mesure
que défilent dans les assiettes caviar, foie gras, truffes et dans les verres
Clos Vougeot et Veuve Cliquot, le général, qui a longtemps vécu à Paris et
fréquenté ses grandes tables, comprend que Babette, avant d’être la boniche des
deux sœurs, était quelqu’un d’autre, et soupçonne sa véritable identité. Et les vieux bigots commencent à se
dérider, à oublier leurs bisbilles décennales, à se réconcilier, et à profiter
de ce moment unique qu’ils sont en train de vivre.
« Le festin de Babette », est une nouvelle
certes, mais aussi une fable, à des lieux de « La grande bouffe » par
exemple. Comme dans toutes les fables, il y a une morale (pas forcément celle
qu’on attend). D’ailleurs « Le festin de Babette » est un film moral,
qui souligne le bon côté des gens, une sorte de feelgood movie austère.
Un film plaisant certes, d’un humanisme simple. De
là à être considéré comme une œuvre majeure de son temps come l’a décrété l’Académie
des Oscars, c’est peut-être pousser le bouchon (de champagne) un peu loin …
J'aime beaucoup ce film, âpre, austère (qui vient du nord, quoi...) et organique à la fois, grâce à la bouffe, qui a rarement été aussi bien filmée, au sens où les scènes donnent envie de s'asseoir à la table pour déguster plats et vins. Et puis grâce à Stéphane Audran, merveilleuse comme toujours. J'aime bien le côté coulisse, en cuisine, la technique, avec cet apprenti, et puis la cérémonie, le rite de la table, l'organisation d'un dîner à la française.
RépondreSupprimerC'est vrai que ce qui se passe en cuisine est beaucoup plus (j'allais écrire marrant, faut pas pousser) léger que ce qui se passe dans la salle à manger (le petit gosse et le cocher du général ont les yeux qui brillent, et pas seulement à force de regarder). Et le traitement de l'image est pas du tout le même, en cuisine c'est lumineux, dans la salle à manger c'est 50 nuances de sombre ...
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