JOY DIVISION - CLOSER (1980)

 

Mémoires d'Outre-Tombe ...

17 mai 1980 : Ian Curtis, chanteur dépressif et épileptique de Joy Division se dispute pour la énième fois avec sa femme dans la soirée. Il a une vie sentimentale compliquée, marié jeune, père d’une petite fille, vit avec une autre femme et veut divorcer. L’épouse légitime se casse chez sa mère, Ian Curtis regarde à la télé « Stroszek » ("La ballade de Bruno" en français) de Werner Herzog (pas exactement une comédie, c’est l’histoire d’un musicien raté qui finit par se suicider), puis manière de rester dans l’ambiance se passe en boucle « The Idiot » d’Iggy Pop (pas vraiment le genre de disques de fin de banquet). Après cette nuit joviale, au petit matin du 18 Mai, Ian Curtis se pend dans sa cuisine.

Ian Curtis

Le groupe devait partir sous peu pour une tournée américaine. Pas sûr que les bouffeurs de burgers auraient fait un triomphe aux broyeurs de noir anglais, mais Joy Division traversait pas l’Atlantique sans rien dans la besace. Un single (« Love will tear us apart ») était en cours de pressage et était le meilleur titre écrit par le groupe. Un trente-trois tours (fini d’enregistrer, sur lequel ne figure pas « Love … ») devait le suivre. Et forcément tout s’est écroulé … et écoulé en quantités (la mort est très vendeuse dans le rock), sans toutefois atteindre des ventes mirobolantes…

Parce que Joy Division n’est pas un groupe facile, flirtant (et inventant aussi un peu) avec le post-punk, le gothique, la cold wave, autant de genres musicaux que tout un chacun n’écoute pas forcément au lever, manière de commencer la journée de bonne humeur. Evidemment, la mort de Curtis va amplifier le nom et l’importance de son groupe. Le débat le plus récurrent du rock va se mettre en place. D’un côté les adorateurs de la première heure qui vous diront que c’était mieux avant, et de l’autre ceux qui rejoignent la caravane et vous assènent que c’est bien mieux maintenant …

Je vois mes millions de lecteurs, les yeux hagards, la bave aux lèvres, attendre mon indiscutable verdict : puisqu’ils en ont fait que deux (sans compter bien sûr tous ces machins post-mortem exhumés et le plus souvent sans aucun intérêt), quel est le meilleur disque de Joy Division, lequel faut-il avoir sur ses étagères. Ma réponse sera claire nette et précise : soit aucun des deux, soit les deux …

Summer, Curtis, Morris & Hook : Joy Division

Non « Closer » n’est pas à ranger dans le tiroir éculé (de ta mère) du toujours difficile second album obligatoirement moins bon que le premier, cet axiome vaseux de ceux qui n’y comprennent rien (ça marche pour les Doors, Pink Floyd, le Clash, mais pas pour les Beatles, les Stones ou Led Zeppelin, y’a quand même des trous dans la raquette de la démonstration) … Les deux disques de Joy Division se ressemblent. Avec des nuances. « Unknown pleasures » est un disque de Martin Hannett qui produit Joy Division, « Closer » est un disque de Joy Division produit par Martin Hannett … et c’est pas pour le plaisir de sortir une affirmation cryptique que je dis ça. Sortez vos crayons, prenez des notes, je m’explique.

Le son de « Unknown pleasures » est inouï au sens premier du terme. Cette façon de faire sonner la batterie, de distribuer les instruments dans l’espace, de remplir cet espace avec un minimum de sons, cette appétence pour les stridences, quand c’est sorti, y’avait rien qui ressemblait. Et Hannett rejoignait dès son coup d’essai le club très fermé de ces producteurs qui ont révolutionné le son, aux côtés de George Martin, Phil Spector, et Lee Perry (liste close). Une telle démonstration d’innovation faisait pour moi passer les morceaux du groupe au second plan, c’était le son loin devant, avant tout le reste.

La production de « Closer » est moins démonstrative, moins innovante. Foncièrement originale, mais axée sur des éléments essentiels. La batterie reproduit les schémas complexes du motorik (on pense souvent à Jaki Liebezeit de Can) et évite quasi absolument toute utilisation des cymbales. La basse très en avant amène la mélodie (comme dans le funk), sauf que chez Joy Division rien ne sonne funky. La guitare ponctue les séquences rythmiques au lieu de les diriger, au strict opposée du blues et de ses dérivés. Tout est overdubbé sur plusieurs pistes et passé par tout un tas de bidules (échos, delays, flangers, …) commandés depuis la table de mixage. Et par-dessus tout ça la voix de baryton triste de Curtis va aussi loin dans les graves que celle de Jim Morrison sur « L.A. Woman ».


Mais derrière la chape de plomb, New Order met de l’écriture, de la mélodie. Des chansons. Radicales. Flippantes. Sombres. Mais des chansons. Sans envie qu’elles plaisent et qu’elles finissent sur les playlists FM.

Joy Division, c’est la matrice d’une grosse partie de la musique des années 80, et pas toujours la pire. Rajoutez à Joy Division l’envie de faire une soirée disco, et vous obtenez New Order. Si vous voulez un peu plus de mélodie, vous tombez sur la trilogie dite « glaciale » des Cure. Un peu plus de synthés, vous obtenez OMD, l’Eurythmics des débuts et tous ces groupes à synthés du début de la décennie. Refilez à Joy Division des pilules de toutes les couleurs, et vous obtenez Happy Mondays, Stone Roses, House of Love … Beaucoup des descendants, reconnus ou pas de Joy Division viendront comme eux de Manchester. Les années 80 seront celles de la lutte d’influence avec Londres, la province qui tient musicalement la dragée haute à la capitale n’était pas chose envisageable jusque-là. L’affaire deviendra mondiale dans les années 90 avec la (fausse) guerre Oasis – Blur.

Beaucoup des influences évidentes sont dans « Closer ». La froideur des Cure, elle est dans « Twenty four hours », les synthés prennent le dessus sur « Decades », New Order est en filigrane dans « A means to an end » ou la danse (macabre) de « Isolation ». D’autres titres renvoient eux aux maîtres inspirateurs de Joy Division. « Atrocity exhibition » et sa rythmique c’est Can, « Colony », c’est Bowie qui ferait du glam dans des catacombes, Heart and soul » malgré son titre de standard jazz, évoque Suicide …

Association d’idées, la pochette de « Closer » est une de celles qui se remarquent, renforçant à l’extrême le côté dark du groupe. Comme celle de « Unknown pleasures », elle est l’œuvre de Peter Saville, retouchant une photo d’une composition sculpturale géante de Pietà prise dans un cimetière italien. Après le suicide de Curtis, beaucoup crieront à la prémonition. Peut être beaucoup plus prosaïquement, elle représente parfaitement ce qu’on trouve dans le disque …


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2 commentaires:

  1. Connais pas. Enfin si, évidemment, mais je n'ai jamais écouté/accroché, comme les descendants New Order et ceux que tu cites (Eurythmics, quelle horreur !). Cette musique me laisse froid, d'ailleurs c'est fait pour, j'ai l'impression. Dans le genre destroy et intello à l'époque je préférais les Doors (ouais, pas la même génération) parce qu'au moins y'avait du blues derrière.

    Bon je ne développe pas davantage, il y a des millions de lecteurs qui attendent derrière pour placer un mot.

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    Réponses
    1. Je comprends tout à fait qu'on n'aime pas ça ... c'est pas un disque "difficile" c'est un disque différent de ce qu'on avait l'habitude d'entendre. J'aime pas beaucoup (et je suis gentil) New Order.

      Par contre, pour Eurythmics, au milieu de disques oubliables (et oubliés), il y a une merveille, "Be yourself tonight", meilleur disque de rhythm'n'blues des années 80 (je sais y'en avait pas beaucoup qui sortaient, pas difficile d'être le meilleur), avec des vrais instruments, des sections de cuivres, la participation d'Aretha Franklin, de Stevie Wonder, d'Elvis Costello, pour un paquet de titres qui valent le détour (Would I lie to you, Sister are doin it for themselves, There must be an angel, It's alright baby's coming back, ...). Annie Lennox est une bonne chanteuse, et Dave Stewart un compositeur et arrangeur malin ...

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