RIDLEY SCOTT - THELMA ET LOUISE (1991)

Un petit tour en Thunderbird décapotable ?

« Thelma et Louise » c’est l’histoire de deux mecs qui partent un weekend à la pêche …
Euh non, on la refait … C’est pas deux mecs, mais ça aurait pu. On a tellement l’habitude de voir des mecs dans ce genre de situation…
Ridley Scott face à Thelma & Louise
Louise (Susan Sarandon) est serveuse dans un diner de l’Arkansas. Elle a un mec cool, Jimmy (Bernie Madsen), un peu gauche, taiseux et fruste, qui sait pas trop comment s’y prendre avec elle, mais qui l’aime. Elle a aussi une copine, Thelma (Geena Davis), grande nunuche mariée à un crétin macho terminal, Darryl (Christopher McDonald). Pour se sortir de son train-train de burgers à la chaîne, Louise propose à Thelma une virée (la pêche est un prétexte), manière de se retrouver entre nanas, de s’éclater un peu en oubliant les deux plus ou moins lourdauds qu’elles doivent se fader au quotidien …
Avec un sujet pareil, tu fais un téléfilm fauché, obligatoirement fauché, de France 3 Limousin. Ou un putain de grand film. Parce que « Thelma et Louise » est un putain de grand film. Bon, y’a Ridley Scott à la caméra, ça aide. Le Ridley Scott de « Alien » et « Blade Runner », icelui même … Qui peut s’appuyer sur une merveille de scénario (Callie Khouri, qui obtiendra le seul Oscar attribué au film, alors que Scott, Davis et Sarandon étaient nommés).

Le génie de Khouri, c’est d’avoir fait d’une histoire a priori de mecs un film féministe. Certains sont allés plus loin, ayant voir dans « Thelma et Louise » une ode à l’homosexualité ( ? ), voire du sexisme à l’envers ( ?? ). Mais « Thelma et Louise » survole tellement de genres …
Un western moderne ? Affirmatif. On y voit, à la limite de l’anachronisme, un cowboy habillé comme il y a cent ans sur son canasson attendant devant un bar, la Thunderbird traverse à un moment un troupeau de vaches, la bagnole emprunte des chemins de travers(e) dans des flots de poussière, le premier bar où les deux nanas ont la mauvaise idée de s’arrêter ressemble à un saloon, la scène avec le camionneur obscène qui pense qu’il se va se taper les deux nanas, c’est filmé comme du Sergio Leone… Et que celui qui me dit que le plan final et l’issue fatale de « Thelma et Louise » ne sont pas calqués sur ceux de « Butch Cassidy et le Kid » se fasse connaître, il gagne un bon de réduction chez Ooooptic 2000 …
Un flic, Pitt & Keitel
Un road movie ? Affirmatif. Au moins la moitié du film se passe dans la Ford Thunderbird verte, qui part de l’Arkansas avant de terminer son périple en Arizona (le Grand Canyon du Colorado), en évitant soigneusement le Texas (on comprend pourquoi vers la fin). Parce que les autres héroïnes du film, non citées au générique, ce sont les highways du Sud des USA, et les paysages grandioses les entourant.
Un drame ? Affirmatif. Parce qu’il y a du sang, des larmes et des morts et que ça commence mal, et que ça pourrait assez bien finir, mais que ça finit (très) mal …
Une comédie ? Affirmatif. Parce Thelma est une gaffeuse candide qui n’en loupe pas une, que son type est une caricature de beauf, parce que les scènes en parallèle dans lesquelles Thelma et Louise font leurs valises nous montrent bien qu’il va y avoir choc de caractères … Parce que le braquage d’une épicerie par Thelma filmée par la vidéosurveillance contient un vocabulaire totalement lunaire pour la circonstance, parce que le braquage du flic par Thelma avec une Louise qui confond radio et autoradio n’engendre pas la tristesse … sans parler du rasta cycliste et la tête de Thelma après sa nuit folle au motel avec Brad Pitt (dans le rôle d’un jeune playboy détrousseur, rôle qui lancera sa carrière).
Et puis (surtout ?), il y a toutes ces scènes dont beaucoup se seraient pas encombrés et qui tirent le film vers le haut. Les personnages sont fouillés, on prend le temps d’expliquer pourquoi Louise, au début la plus calme et posée des deux, flingue un type qui la traite comme une pute, on a un long tête à tête entre Jimmy et Louise au milieu du film qui précise leurs deux personnages, on assiste à la lutte d’influence entre un brave flic qui veut éviter le pire (excellent Harvey Keitel, jusque-là confiné dans des rôles de brute) et les bourrins du FBI qui veulent régler l’affaire au plus vite et de préférence de façon expéditive …

Avec « Thelma et Louise », on en prend plein les mirettes. Parce que Scott sait tenir une caméra, ça on commençait à le savoir, et que sa référence c’est Kubrick, peut-être pas de façon aussi ostentatoire qu’à ses débuts, mais ça continue de se voir, avec ce sens du cadrage millimétré, et ce soin maniaque apporté à la lumière et aux éclairages.
Et s’il ne fallait qu’une raison (ou une preuve) pour montrer qu’on a affaire à un film majeur, il y a dans « Thelma et Louise » la meilleure utilisation jamais faite de « The ballad of Lucy Jordan » de Marianne Faithfull dans une B.O., et Dieu sait cette chanson a été utilisée dans le cinéma. Là, raccord avec un trajet nocturne (comme d’hab lorsqu’on s’en sert), mais avec les paroles totalement en phase avec la situation de Thelma et Louise (en gros la crise mélancolique de la quarantaine). Sans pour autant zapper le reste de la partition musicale (Hans Zimmer, pas exactement n’importe qui), avec un autre raccord parfait (le rasta cycliste, complètement envapé avec son joint XXL qui écoute – évidemment – le « I can see clearly now » de Johnny Nash) …
Version Blu-ray du 20ème anniversaire superbe, netteté absolue, malgré le commentaire du film par Ridley Scott non sous-titrée.

Du même sur ce blog :
Robin des Bois



ALEJANDRO JODOROWSKY - EL TOPO (1970)

Western à l'Ouest ...

Anecdote révélatrice, ce film a pu être diffusé en salles grâce à l’intervention d’Allen Klein, manager véreux, forcément véreux, ayant frayé avec les Stones et les Beatles, et mis sur le coup « El Topo » par Lennon et Yoko Ono, qui honorèrent la première new-yorkaise du film de leur présence et ne tarirent pas d’éloges à son sujet… Pour clore l’anecdote, signalons que Jodorowsky ne manque pas une occasion de dire du mal, beaucoup de mal, de Klein …
Jodorowsky - El Topo
« El Topo » (la taupe dans la langue de Gérard Collomb) est un western. Mais pour que ça plaise à Jojo et Yoyo, autant dire qu’on n’est pas vraiment dans la lignée Ford – Wayne. Plutôt dans celle du Peckinpah de « La horde sauvage » (dont au passage le décor du village où a lieu la baston finale est utilisé par Jodorowsky pour figurer sa cité minière). Même si « El Topo » ne se contente pas, et c’est un peu beaucoup son problème, de geysers d’hémoglobine à chaque impact de balles, et Dieu sait s’il y en a dans « El Topo » des gunfights … Tiens, puisque j’ai cité Dieu, signalons aussi que « El Topo » est un western sinon religieux, du moins mystique, voire chamanique, et qui suit la quête morale et spirituelle de son héros … Sans qu’on comprenne d’ailleurs à première vue ce qu’il cherche … et plusieurs visionnages laissent à peu près toujours autant de points d’interrogation … mais enfin, si ça a plu à Lennon …
« El Topo » est le film d’un homme. Et d’une époque.
L’homme, c’est Jodorowsky, exilé chilien et citoyen du monde libre (c’est-à-dire le monde où on trouve du LSD et des pilules de toutes les couleurs en vente libre). Acteur, réalisateur, mime, adepte des tarots (il paraît que Mitterrand, entre autres politiques, le consultait), le prototype de l’artiste total très éloigné des basses contingences matérielles de notre pauvre monde à nous (d’ailleurs, il estime même encore qu’aujourd’hui, le cinéma comme la musique et l’art en général devraient être mis gratuitement à la disposition de tous, et n’a pas de mots assez durs contre les producteurs et les distributeurs du septième art).
If you want blood ...
L’époque, c’est la fin des sixties, et de toutes les utopies et révoltes que cette décennie a engendrées. Fini l’universalisme baba, retour vers la « vraie vie » et l’individualisme qui va avec. « El Topo » s’adresse à tous ceux qui ont choisi de vivre à côté ou en marge du système. Pas un hasard si le film deviendra culte dans ce qu’on appellera les « midnight movies », ces films « différents » projetés uniquement dans les (très) grandes villes lors de séances nocturnes dans parfois une seule salle où ils restent à l’affiche des mois voire des années.
Parenthèse. Dans l’édition Dvd de « El Topo » parue chez Wild Side (qui propose autre chose en terme de « produit » que les éditions minables de TF1 Vidéo ou Studio Canal qui remplissent les bacs), il y a sur un second Dvd un documentaire d’une heure et demie sur ces fameux « midnight movies » dont les six prétendus principaux sont mis à l’honneur, avec nombreux extraits et interviews des réalisateurs et de tout un tas de protagonistes impliqués dans ces œuvres. Les winners de ce genre très particulier sont donc « El Topo », « Pink Flamingos » de John Waters, « La nuit des morts-vivants » de Romero, « The harder they come » de Perry Henzel, « The Rocky horror picture show » de Jim Sharman et le « Eraserhead » de David Lynch… des films bien allumés sans autre point commun que d’être devenus cultes en passant seulement à minuit dans des salles confidentielles. Fin de la parenthèse …
No comment ...
« El Topo » est un film totalement improbable. Jodorowsky a un scénario, et ne réussit à trouver qu’une poignée de dollars pour son film. Pas vraiment prévu au départ, il passera derrière la caméra. Et aussi devant, parce qu’il se donne le rôle principal (normal, c’est un film quand même très personnel) toujours par la force des choses financières. Il tournera au Mexique (où la vie, les figurants et les acteurs ne sont pas chers), assemblant un casting totalement improbable. Deux exemples, l’actrice principale, même des années après, il ne connaît pas son nom. Créditée au générique Mara Lorenzo, c’est une anglophone (tout ce dont est sûr Jodorowsky) sous acide qui errait totalement défoncée dans les rues de Monterey et dont ce sera apparemment la seule prestation filmée. Un des autres personnages féminins majeurs est une hôtesse de l’air en plein trip de LSD au boulot, et sur la seule foi de cet état second immédiatement recrutée par le Jodo. Elle aussi disparaîtra des radars du milieu cinématographique. Pas sûr d’ailleurs que des « professionnelles » soient allées aussi loin dans la provoc en images (d’après Jodorowsky, ce sont elles deux en très gros plan et toute langue dehors qui se donnent le premier baiser lesbien de toute l’histoire du cinéma …). Et puis pour une scène de « groupe », ou de partouze pour faire simple, ce sont les résidentes des bordels mexicains qui viennent faire de la figuration … Sans parler de la galerie de « monstres », cette communauté incestueuse et difforme maintenue en esclavage dans une mine, avec des personnages venus en droite ligne du « Freaks » de Tod Browning (bizarrement, alors que Jodorowsky s’étend longuement dans les bonus sur le pourquoi de ces personnages amochés par la vie dans son film, jamais il ne fait référence à celui de Browning …)
« El Topo », on début, on arrive à suivre. Un justicier tout de cuir noir vêtu (cherchez pas plus loin où Lemmy et ses Motörhead sont allés chercher leur look de pistoleros chevelus sur la pochette de « Ace of Spades »), accompagné de son bambin tout nu (le vrai fils de Jodorowsky, qui évolue au milieu de mares de sang et achève les types d’un coup de révolver dans la nuque, bonjour les souvenirs d’enfance…), dégomme sauvagement une troupe de bandits (homosexuels, ils sont habillés comme s’ils sortaient de chez Michou) qui ont zigouillé sadiquement la population d’un petit patelin. Fort de ce succès, et se sentant une mission et un destin divins, El Topo parcourt le désert à la recherche de quatre maîtres prétendument invincibles qu’il tue un par un. Avant d’être canardé par ses deux femmes-complices-compagnes, d’être récupéré blessé par les freaks de la mine, de devenir une sorte de gourou zen, de les libérer, avant un final sanglant où à peu près tout le casting laisse la peau, El Topo finissant par s’immoler …
Une cavalière surgit au-delà de la nuit ...
Evidemment, quand on connaît Jodorowsky, tout cela se passe dans un fouillis d’allusions, de symboles, d’allégories, de visions mystiques assez hermétiques au commun des mortels … Et comme l’homme est de culture hispanique, la religion est au centre de pas mal de séquences. D’une façon totalement iconoclaste pour ne pas dire mécréante. Les moines otages des tueurs se vengent de ceux qu’à laissé en vie El Topo en les dégommant à la mitraillette, les « maîtres » qu’affronte Jodorowsky représentent plus ou moins des courants de pensée philosophico-religieux, et dans la cité minière le curé officiel assure sa suprématie morale en organisant des séances de roulette russe pendant les offices. Figure aussi en bonne place dans les étranges drapeaux religieux de cette étrange paroisse, le symbole du psychédélisme (un œil dans un triangle, cf. la pochette du 1er 13th Floor Elevators). Quand El Topo se fait canarder par ses maîtresses, elles lui infligent les mêmes blessures que celles du Christ sur la croix … El Topo soigné par les monstres dans la mine se voit réellement renaître et trouve son destin après une rencontre avec une vieille femme chaman (une vraie chaman venue tourner cette scène selon Jodorowsky …)
Rajoutez quelques séquences totalement absurdes (volontairement), témoin ce rodéo avec des Noirs à la place des taureaux, Noirs capturés au lasso, marqués au fer rouge et qui finissent esclaves sexuels de mémères bourgeoises dans la cité minière. On pense bien évidemment à Fellini, autre spécialiste de l’image choquante et dérangeante, et qui selon la rumeur (la légende ?) a tourné ses masterpieces des sixties parfois sous acide …
En conclusion, « El Topo » est un film qui se regarde en ayant soin de laisser toute forme de logique et de rationaliste au vestiaire…
Un film à voir, qui ne laisse pas indifférent …



ELVIS COSTELLO & THE IMPOSTERS - LOOK NOW (2018)

Alors regarde ...

L’autre Elvis, quand il a débuté dans la tornade punk, il a aligné pendant quelques années des dizaines de titres, au moins un album par an pendant dix ans. Point culminant : « Imperial bedroom » en 1982. Et jetés façon rafale de kalachnikov deux follow-ups « Punch the clock » (de grands titres surproduits) et « Goodbye cruel world » (de mauvais titres surproduits). Et puis il est passé à plein d’autres choses, produisant ( après le premier Specials, le premier Pogues), s’est rêvé en King of America, a fait des rondelles avec plein de gens (de Sir Paul McCartney à la cantatrice Anne Sofie Von Otter, ça ratisse large), a épousé la bassiste des Pogues puis Diana Krall, et continué à sortir des disques à la pelle.
Elvis Costello 2018
Dont j’ai acheté quelques-uns, sur la foi de types qui juraient leurs grands dieux que là, ça y était, le grand Costello était de retour. Des galettes que j’ai écouté en travers (qui étaient  peut-être meilleures que les deux-trois d’avant) et qui depuis prennent la poussière sur une étagère. Ce coup-ci, avec « Look now », les exégètes du bonhomme ressortent le baratin habituel dans lequel le mot chef d’œuvre revient à chaque phrase. Ils ont tort, évidemment, mais beaucoup moins que d’habitude.
Parce que « Look now » est d’abord une grosse surprise. Il y a quelques mois, Costello interrompait une tournée pour se faire opérer selon ses termes « d’un cancer agressif ». Rémission en vue ou chant du cygne, j’en sais rien, mais le gars Elvis a visiblement jeté toutes ses forces dans cette rondelle. Entouré de ses vieux briscards de toujours (Pete Thomas aux fûts, Steve Nieve aux claviers, soit les deux tiers de ses historiques Attractions, plus son bassiste habituel depuis longtemps Davey Faragher), il a même décroché sa première collaboration avec une de ses idoles, Burt Bacharach (90 ans, et toujours bon pied et bonnes mains, puisqu’il joue du piano sur les trois titres qu’il a co-écrits). Les titres co-écrits avec Bacharach sont pas une pièce rapportée, ils s’inscrivent parfaitement dans la logique et dans la tonalité générale de « Look now ».
Costello & The Imposters
Bacharach, c’est une des institutions du Brill Building (cet immeuble de Manhattan qui servait de repaire aux auteurs-compositeurs dans les années 60). Parce qu’à l’époque, au siècle dernier encore vierge de toutes les saloperies voyeuristes du Net, genre Instagram, Facebook et consorts, la situation aux States était simple : hormis les blueseux et les folkeux (et dans une moindre mesure quelques rockers), il y avait ceux qui chantaient et ceux qui leur écrivaient les chansons. Ce sont les anglais, Beatles et Stones, qui ont inventé la notion de groupe où très vite, les types se sont mis à chanter leurs propres morceaux. Les Américains ont suivi, bien sûr, avec un petit temps de retard, mais la lignée des auteurs-compositeurs a eu encore de beaux jours, soit qu’il soient mercenaires ou qu’ils soient salariés par un label (Stax, Motown, …). Bacharach est un des plus illustres (des hits à la pelle pour plein de gens, dont son interprète fétiche Dionne Warwick). Toute cette digression pour dire que pour Costello, qui a toujours tourné autour de la chansonnette, travailler avec Bacharach, c’est atteindre le Graal …
« Look now » est un disque de chansons, n’ayant plus rien à voir avec le punk, le rock, le reggae, la pop, autant de genre déjà abordés il y a des décennies par Costello. Pour situer, faut envisager cette galette comme celles publiées par les grandes voix, genre Presley de la fin ou Sinatra de toujours. Le gros problème de Costello, c’est que s’il est capable d’écrire tout seul des choses d’un classicisme tarabiscoté, il lui manquait la présence et l’assurance vocales nécessaires à l’exercice. Et là pour le coup, il chante mieux que jamais, des mélodies parfois complexes où il faut cumuler technique et feeling.
Burt Bacharach 2018
Il y a des choses d’une évidence absolue, la chanson-titre (Costello et son Band plus juste Bacharach au piano), le dépouillement de quelques ballades éternelles down-tempo (« Stripping paper », « Photographs can lie »). En règle générale, les compos sont excellentes. Sauf que parfois, manière de rentabiliser tous les musicos additionnels (une armée de violons et de claviers, des vents, des cuivres, des choristes), les arrangements sont à limite de l’étalement ostentatoire de richesse. A comparer avec la production de « Imperial bedroom » (Costello aidé par rien de moins que Geoff Emerick, l’ingé-son de George Martin à Abbey Road), qui laissait respirer les chansons. Sur « Look now », les mélodies croulent, voire sont étouffées sous les arrangements. Quelquefois, il aurait fallu que Costello se souvienne que less is more, il suffit de comparer la finesse incroyable de « I let le sun go down » avec « He’s given me things » (la moins bonne des trois cosignées avec Bacharach), où pourtant l’instrumentation pléthorique est la même.
Malgré ces réserves, il reste de grands titres. Parce que tous sont pas des minots, sont des compositeurs de très haut niveau (Costello), des instrumentistes de haut vol (Steve Nieve), que tout le monde est depuis longtemps à l’abri des pressions du music business se plaît à exercer sur ceux qui débutent. Et tant qu’on en est à causer troisième âge, signalons la présence à l’écriture sur un titre, l’excellent « Burnt sugar is so bitter » d’une autre très grande du Brill Building, Carole King.
« Look now » est couplé dans sa version Deluxe avec un EP quatre titres (« Regarde maintenant ») de facture et de ton similaires, mais qui donne l’occasion d’entendre Costello chanter en français (« Adieu Paris »). Enfin on sait qu’il chante en français en lisant les paroles, parce que c’est encore plus incompréhensible que la VF du « Heroes » de Bowie, ce qui n’est pas rien …
« Look now » un bon disque de Costello ? Affirmatif. Du niveau de ses meilleurs ? Euh, faut pas pousser …



Du même sur ce blog :
My Aim Is True

PATRICE LECONTE - LES BRONZES (1978)

Club Med ou Camping ?

« Les Bronzés », premier du nom est un film culte. Dont on n’a pas le droit de dire du mal, donc …
Je pourrai donc même pas suggérer que c’est filmé avec les pieds, que le scénario est inexistant, qu’on n’imaginait pas plus belle bande de tocards s’agiter devant une caméra dans une succession de gags tous plus éculés (de ta mère) les uns que les autres … « Les Bronzés » est d’une complaisance, voire d’une autocomplaisance dont un type comme Godard ne s’est jamais approchée, même dans ses pires moments …
Ceci étant, pour le pauvre Leconte (est pas bon), voir son blaze voisiner avec celui de Godard est déjà très nettement le surestimer. Non, Leconte (est pas bon), c’est juste un Max Pecas peinturluré rive gauche … enfin, si tant est qu’on puisse situer Clavier (copain comme cochon avec le nabot Sarko) à la gauche de quoi ce soit…
« Les Bronzés » est déjà très bien comme ça … on peut juste regretter qu’il manque au casting Bigard et Dubosc. Pour « Les Bronzés 4 » peut-être …
Y'a pas de quoi être fiers ...
Plus je regarde ce film (une fois tous les dix-quinze ans à peu près) plus il me gave, avec son interminable litanie de clichés beaufs (non, Jugnot fait pas exprès de ressembler à un personnage de Cabu, il est aussi con dans la vie que dans ses films), voire une condescendance raciste (ces scènes dans le village Ivoirien, comme quoi les relents rances du colonialisme ont la vie dure), l’enfilade des clichés machos dignes des discussions d’un apéro prolongé dans un quelconque bar de la Poste.
J’ai jamais entendu les prétendus gens de gauche (Balasko par exemple) impliqués dans cette chose faire la moue devant ce qu’on voit à l’écran (elle a d’ailleurs été des deux suites de ce machin). On voit par contre tous ces minables se précipiter dans les fauteuils rouges du cacochyme Drucker vendre la dernière daube à laquelle ils ont participé, ou chanter faux une reprise de Serge Lama chez les « Enfoirés », comme quoi l’autogestion bordélique limite anarchisante du Splendid (on est une communauté, on partage tout, ce genre de sornettes claironnées haut et fort à l’époque …) a vite touché ses limites, une fois les premiers brouzoufs arrivés …
« Les Bronzés », c’est tellement con qu’il y a même deux ou trois gags (parce que c’est pas un film, c’est juste une suite de gags) qui me tirent un sourire quand je suis de bonne humeur …
Quand on pense que leurs « concurrents » (l’équipe du Café de la Gare, qui en accueillera par la suite quelques-uns du casting des « Bronzés ») sortaient des films comme « Les Valseuses » lorsqu’ils donnaient dans le cinéma …
Preuve ultime du mauvais goût de la chose (et des gens qui l’ont faite) : Gainsbourg a filé pour la B.O un de ses pires titres jusque-là (il a fait « mieux » dans sa période Gainsbarre), le pitoyable « Sea, sex and sun ». Nettement moins mauvais que le mantra « Darladirladada » qui revient toutes les cinq minutes, mais quand même …
Je ne saurai terminer sans remercier la maison Studio Canal pour la qualité de ses Dvd dotés de zéro bonus et d’une qualité d’image digne d’une VHS nord-coréenne des années 70 … Sans doute pour  que la fête soit complète …



PAUL McCARTNEY - EGYPT STATION (2018)

Les six gares du Pharaon ?

Sir Paul McCartney, musicien anglais, né en 1942, et donc 76 ans au compteur. Des types dans son genre qui étaient là au début du machin, il en reste vivants, en comptant large, une paire de poignées dans le rock-pop-bidule-truc … Et bizarement, la plupart continuent de sortir des disques et de donner des concerts. Alors qu’ils sont multi-milliardaires et pourraient se la couler douce en EHPAD en faisant sauter leurs arrière petits-enfants sur leurs genoux …

Faut croire que pour continuer dans la musique à ces âges canoniques, ils le font parce qu’ils aiment ça et que de toute façon ils savent pas et n’ont pas envie de faire autre chose. Mourir sur scène semble être la fin recherchée par les Jagger, Richards, Lewis, Little Richard, Townsend, Daltrey, Davies, Morrison. Et Macca donc (ouais, je sais, j’ai oublié Ringo, qui est plutôt bien sur scène avec son All-Star Band, mais qui a jamais sorti un disque écoutable de sa vie en solo …).
Donc le dernier McCartney s’appelle « Egypt Station », se présente sous la forme d’un carton dépliant genre accordéon et est enluminé par des peintures du Paulo himself. Ah ouais, il y a un dique à l’intérieur aussi. Certains disent que c’est son meilleur depuis « Chaos and creation … », voire depuis « Band on the run ». Les plus sourds de ses fans citent même « RAM » (ce qu’ils prouve qu’ils sont sourds, « RAM » s’apparentant beaucoup plus à une purge qu’à un chef-d’œuvre). Certains, perdant tout sens de la mesure et de la retenue évoquent la seconde face de « Abbey Road »… Faut raison et oreille objective garder, les enfants …
« Egypt Station », d’accord, il est pas mal, et oui, c’est sûr, Sir Paul il en a sorti de plus mauvais que ça. De là à miauler au génie retrouvé …
D’abord, le Paulo, il a plus toute sa voix. Il chante toujours bien et juste, mais ne prend aucun risque (comme le Bowie de la fin) et sa voix n’est plus reconnaissable à la première mesure, elle est devenue quelconque.

Des fois aussi, le Paulo, il a plus toute sa tête, ni toutes ses oreilles. Il y a dans « Egypt Station » des titres qui auraient dû rester dans les tiroirs de Capitol. Surtout qu’il nous en sert quatorze (plus deux courts intermèdes comme les rappeurs bas du front en glissent dans leurs rondelles) pour quasiment une heure. Le calcul est simple, un tiers de titres en moins, ça aurait fait quarante minutes qui auraient eu de la gueule.
Yeux bandés et direction le poteau d’exécution, sont appelés à comparaître « Hand in hand » ballade au piano comme Obispo peut en écrire une chaque matin, l’idiotie new wave « Back in Brazil » (on est plus en 1980, Paulo, c’est quoi ce machin ?). « Caesar rock » n’est ni rock ni impérial (parenthèse subliminale, ça me renvoie l’image d’un atroce disque d’Iggy Pop « American Caesar »). Quand aux deux choucroutes à la chantilly et crème de marron que sont « Despite … » (on dirait du Genesis des années 80, la honte …) et le medley « Hunt you down … » gâché par une ignoble partie centrale sur un rythme de valse électronique, ils montrent bien que Sir Paul ne changera jamais, capable de temps à autre de livrer des machins d’une mièvrerie et d’un je m’en foutisme édifiants (on peut pas refaire à chaque coup un « Hey Jude » en étant en totale roue libre…).
Greg Kurstin & Sir Paul
Ce qui fait quand même un gros de paquet de titres, qui ne changeront certes pas la face du monde, mais qui se laissent écouter, et plutôt plusieurs fois qu’une. Parce que Macca est un génie de la chanson mélodique, que la recette c’est quasiment lui tout seul qui l’a inventée, et qu’il est encore capable de la retrouver quand il veut … Meilleurs exemples, des titres comme « Do it now » ou « Dominoes », la première aurait pu être écrite il y a cinquante ans du temps de son groupe de jeunesse, la seconde aurait pu figurer telle quelle sur « Band on the run »… tant ça sonne en roue libre, d’une simplicité confondante. A priori des machins totalement anecdotiques, mais les types capables d’écrire des chansons comme ça, en comptant ceux qui peuplent les cimetières, il en a pas existé une demi-douzaine. Surtout que sans avoir l’air d’y toucher, le Paulo est aussi capable de sortir des titres qui te mettent l’eau à la bouche avant même d’en avoir entendu la moindre note. On ne baptise pas impunément un morceau « People want peace » sans que le fantôme d’un sien ami de jeunesse à binocles rondes chantonnant « Give peace a chance » surgisse immédiatement. Surtout quand le morceau en question sonne comme du Lennon du début 70’s… « I don’t know » d’entrée, commencée sobrement au piano et qui gagne peu à peu en ampleur, rien à dire, c’est bien foutu, même si Macca a fait mieux dans le genre … « Happy with you » tu peux croire que c’est un inédit de « Rubber soul » ou « Revolver », tous les ingrédients sont là … Et « Fuh you » montre que McCartney peut atteindre des sommets stratosphériques en faisant aujourd’hui encore aussi bien que les plus doués de ses imitateurs (MGMT ou The Coral au hasard)
Tout ça nous fait un disque certes un peu longuet, doté d’un son roboratif (Greg Kurstin, coupable d’avoir gagné sa vie en produisant toutes les Lily Allen, Beyoncé, Britney Spears, Katy Perry, Pink, … qui passaient à portée, avant de revenir ces derniers temps dans le droit chemin en bossant pour les Shins, les Foo Fighters ou Liam Gallagher), de types qui assurent (contrairement à ce qui est parfois annoncé, « Egypt station » n’est pas un disque solo même si le Paulo est crédité de tous les instruments, plein de gens, dont notamment les types qui l’accompagnent sur scène jouent sur le disque), une grosse poignée de bonnes chansons…
On va pas lui jeter la pierre pour ça, ni d’un autre côté présenter « Egypt Station » comme un mausolée musical. McCartney a fait ce qu’il sait faire de mieux, un disque de McCartney …



Du même sur ce blog : 
McCartney