Never say never ...
Warp … c’est le label de Gravenhurst … Vous
connaissez pas les trucs du label Warp ? Vous avez bien raison … Originellement
dédié à de la musique électronique expérimentale (ça fout les jetons, n’est-il
pas…), révéré par quelques malentendants adorateurs de Broadcast (Portishead du
pauvre), Boards of Canada (Pink Floyd des sourds), Aphex Twin (Boulez pour trisomiques),
j’en passe et des pas meilleurs, le label s’est comme tous, ouvert à l’économie
de marché, comme disent les ultra-libéraux qui veulent se faire passer pour
progressistes … Et donc a signé des gens susceptibles de vendre (un peu) de
disque, pour faire bouillir la marmite.
Au mitan des années 2000, Warp signe le dénommé Nick
Talbot (originaire de Bristol, c’est pas non plus rendez-vous en terre inconnue
quand on donne dans la musique électronique), folkeux minimaliste et dépressif
se cachant sous le nom de Gravenhurst … Le gars fait ses disques tout seul, et
se fait accompagner par quelques comparses en live, le tout pour une célébrité
qui ne lui a, on s’en doute, jamais valu la une des JT …Nick Talbot
Tout ça pour dire, que ce « Fires in distant
buildings », jeté sans la moindre once de conviction dans la gueule du
lecteur de Cd, j’en attendais rien … tu parles, un folkeux lo-fi sur le label
roi des joueurs de disquette …
Mea culpa,
errare humanum est, and so on … Parce que sur ce « Fires in distant buildings »,
ben, y’a rien à jeter (ouais, bon, la pochette si on veut). Le titre de la rondelle,
on le dirait trouvé par David Byrne et Brian Eno (« More songs about
buildings and food » des Talking Heads). Ça tombe bien, le Brian est une
des références de Talbot, et ça s’entend … enfin le Eno des disques des mid seventies,
pas celui ambient ou des musiques d’ascenseur. Mais plus encore que le dégarni
bidouilleur de sons et de mélodies, moi Gravenhurst, ça m’évoque Nick Drake. Du
timbre voilé à la pureté mélodique des compositions, le triste barde folk à la
musique féérique est présent tout le long des titres. Mais chez Talbot, les
chansons ne sont pas uniquement à base d’arpèges acoustiques ou d’arrangement
de cordes. Gravenhurst, on dirait souvent Nick Drake accompagné par les
Yardbirds époque Beck-Page.
Parce que de temps en temps (et pas tout le temps, sinon la formule serait vite éventée), le Talbot balance de grands riffs sursaturés tous potards sur onze, et va même sur une reprise hallucinée (on y reviendra) de « See my friends » jusqu’à partir dans un rave-up acide que ne renieraient pas les fans de Quicksilver Messenger Service … Les titres de Gravenhurst prennent leur temps (huit pour plus de cinquante minutes) sans qu’une seule fois on pense remplissage ou délayage. Sur le coup, le Talbot n’a pas tout enregistré et produit tout seul, il s’est adjoint les services d’un vrai batteur (et il le fallait, une boîte à rythmes ou un séquenceur, ça l’aurait pas fait du tout sur l’intro de « Song from under the arches », cette batterie lointaine et qui semble à la dérive, avant de prendre en main le morceau, faudrait apprendre ça dans les écoles de musique). Talbot pour le reste se débrouille plutôt bien, sur tout ce qui a des touches blanches et noires (pas trop de synthés, de vrais orgues ou pianos, ou alors c’est plus que bien imité) et même à la guitare (le guitar hero chez Warp, c’est lui, et me dites pas que c’est pas difficile, que c’est le seul à en jouer sur le label …).
« Fires … », faut juste passer les trente
premières secondes du disque qui donnent pas envie d’aller plus loin. Sur ce
titre (« Down river », référence au millième degré à Neil Young ?),
après une intro donc désolante, s’immisce une mélodie jazzy sophistiquée qui rappelle
Steely Dan, avant que le final, entamé avec de gros riffs qui font planer l’ombre
royale cramoisie de Robert Fripp (ou de ses quelconques imitateurs
contemporains genre Black Midi).
« The velvet cell » suit, et là, avec la
voix nonchalante et la mélodie power pop, on se croirait sur le premier Strokes.
Une merveille de truc sautillant de trois minutes. Et alors qu’on croit que
tout est dit, un break, et Talbot sur un final instrumental sur un tempo
totalement différent. Bien joué … C’est ce final qui servira de base quelques
titres plus loin à la bien nommée et très rock « The velvet cell reprise ».
Entre temps, changement de décor sonore, le folk très Nick Drake de « Animals »
et la lenteur dépouillée de « Nicole » (esprit de Leonard Cohen, sors
de ce corps …) sont là pour démontrer qu’on peut encore faire du neuf et du
beau avec des formules pourtant déjà ressassées à l’infini …
« Cities beneath the sea » est construit sur une base folk crépusculaire, et amène une autre preuve de l’aisance mélodique du sieur Talbot, avant qu’il fasse décoller ce titre par une partie d’orgue et une redescente rythmique où s’entrecroisent synthés discrets et arpèges de guitare (ou le contraire). Tout ça conduit à la pièce montée du disque (plus de dix minutes), « Song from under the arches ». J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de son intro avec cette espèce de batterie flottante, mais on n’est jamais au bout de ses surprises avec ce titre, où l’on trouvera des passages avec guitares lentes et lourdes (genre Black Sabbath), une partie très apaisée avant un final tout en riffs dévastateurs digne du meilleur de King Crimson. Par sa construction, ce titre n’est ni plus ni moins que du prog, mais du prog comme n’en ont même pas envisagé en rêve les Genesis ou Yes de sinistre mémoire …
Last but not least, la reprise de « See my friends »
des Kinks (précision à l’usage des auditeurs habituels des productions Warp). Le
titre est ici quasiment méconnaissable (ne subsiste que la mélodie très
ralentie), traité comme Jojo Harrison l’aurait fait de retour de son ashram indien
quand il avait la tête dans les bâtons d’encens (très psyché-orientale donc). Et
le final du morceau (de moins de trois minutes dans sa version originale, on
arrive ici à neuf) devrait ravir comme j’ai dit plus haut tous les amateurs de
Cippolina …
Ce « Fires … » est parfait. Assez loin en
termes de qualité avec tout ce qu’a produit avant ou après Nick Talbot /
Gravenhurst. C’est ce que dit la rumeur publique et ce qu’il m’a semblé après l’écoute
de quelques titres au hasard du reste de sa discographie.
N’empêche, un des grands disques de rock de ce siècle
qui en a pas produit foule … et tout ça chez Warp … ce monde fout vraiment le
camp …