SAM MENDES - LES NOCES REBELLES (2009)

Je t'aime ... moi non plus ...

Avertissement : même si les deux acteurs principaux reforment le duo / couple DiCaprio / Winslet, « les Noces Rebelles » n’a rien d’une suite de « Titanic ». Ou alors il faut jouer avec le sens des mots, car si « Les Noces Rebelles » raconte bien un naufrage, il a lieu à l’intérieur du couple …
Le film (encore une fois doté d’un titre français absurde, c’est quoi une noce rebelle ???) est tiré d’un bouquin de la fin des années 50, « Revolutionary Road », le premier de l’écrivain Richard Yates, auteur bipolaire et alcoolo, contemporain de la Beat generation (Kerouac, Burroughs), mais qui finira beaucoup plus « sagement » comme rédacteur (pour l’alimentaire) des discours de Robert Kennedy (celui qu’aurait pu succéder au frangin flingué de Dallas s’il avait pas lui aussi pris une bastos). Ensuite histoire classique, droits du bouquin rachetés par la Paramount, le scénariste Justin Haythe qui en fait une adaptation pour le cinéma, qu’il retravaillera avec Sam Mendes lorsque celui-ci se déclarera intéressé pour en faire un film.
Mendes, Winslet & DiCaprio
Sam Mendes n’a derrière lui que trois films, dont deux cartons au box-office, « American beauty » et « Jarhead : la fin de l’innocence ». Il est marié avec Kate Winslet, à qui il propose le rôle principal (c’est elle qui la première a lu le bouquin et a mis Mendes sur le coup), tout en espérant (même si c’est pas vraiment affiché) qu’elle fera des pieds et des mains pour amener sur le projet son meilleur ami, Leonardo DiCaprio. Qui est surbooké, hésite, mais finit par donner son accord.
Parenthèse. Un blaireau dont j’ai oublié de noter le nom dans les bonus du Blu-ray plastronne en disant que c’est grâce à ce film que le Leo est passé du statut de jeune premier à celui de grand acteur … ah bon, parce que le type qui venait d’enchaîner en haut de l’affiche trois Scorsese (« Gangs of New York », « Aviator », « Les infiltrés ») et un Spielberg (« Arrête-moi si tu peux ») en donnant entre autres la réplique à Daniel Day-Lewis, Tom Hanks et Nicholson, avait besoin de tourner avec Mendes pour asseoir sa réputation ?? Y’a des coups de pied au cul qui se perdent …
Ce qui ne veut pas dire que DiCaprio et la Winslet soient en roue libre sur ce film. Winslet obtiendra un Golden Globe et « Revolutionary road » (le titre en VO) 3 statuettes aux Oscars, dont une pour le second rôle de Michael Shannon (j’en recauserai plus bas de celui-là). Winslet et DiCaprio sont juste parfaits et crédibles dans ce film d’une noirceur et d’une tension qui vont crescendo …
L’histoire en deux mots, est celle du couple Frank et April Wheeler, trentenaires quelconques (lui bosse parce qu’il faut bien faire quelque chose au siège newyorkais d’une grosse boîte, elle élève leurs deux enfants) de l’Amérique de la fin des années 50 (en plein milieu des Trente Glorieuses, croissance, prospérité et possibilité de réaliser les rêves le plus fous). Et justement, Madame Wheeler (Winslet) s’emmerde. Un premier déménagement dans la « Revolutionary Road » (rue pavillonnaire d’une bourgade de banlieue du Connecticut, à quelques encablures donc de New York) lorsque va arriver le second gosse casse un peu la monotonie de sa vie, elle fait aussi du théâtre amateur dans une compagnie qui enchaîne les bides …
Au début tout va bien
Cette présentation des personnages est à mon sens le seul petit point faible du film, où la scène d’introduction nous montre des années avant que débute l’histoire la rencontre / coup de foudre de Frank et April, à laquelle s’enchaîne la fin d’une représentation théâtrale calamiteuse avec April en tête de distribution ce qui vaut un retour at home avec une monumentale engueulade du couple en bagnole (où apparaissent immédiatement la faiblesse de l’homme et la froide détermination de la femme). Et ensuite va arriver un flashback montrant le couple aménager à Revolutionary Road… on s’y perd un peu, d’autant que sont entrevus des personnages auxquels on ne prête pas forcément attention, mais que l’on retrouvera plus tard dans l’histoire …
On s’aperçoit très vite que le couple modèle, le couple idéal va mal … April ne supporte plus sa morne vie de femme au foyer (un plan superbe et qui en dit long où elle sort la poubelle, et jette un regard circulaire sur une Revolutionary Road sans âme qui vive, avec un alignement impeccable des poubelles des voisins sur le trottoir). Un jour qu’elle fouille dans une boîte de photos de jeunesse de Frank (il a fait le Débarquement et s’est fait tirer le portrait avec un pote soldat devant la Tour Eiffel), elle a l’illumination : elle sait parler français, toute la famille va déménager en France, c’est elle qui va travailler et Frank à qui elle trouve un joli coup de crayon, y deviendra peintre. On sent vite qu’April est une rêveuse borderline, on sait qu’elle est coutumière de pétages de plomb monumentaux, et donc Frank n’ose pas lui dire non, joue sans conviction à préparer leur départ vers cette Terre Promise, en se disant qu’April finira par passer à autre chose … Il continue son morne train-train de scribouillard, saute à temps perdu (et toujours sans conviction) une jeune secrétaire niaise de la boîte. Mais c’est aussi un impulsif, capable lui aussi de monter dans les tours lors des disputes du couple qui ont tendance à se multiplier. Et là, ceux qui savent qu’il y a des gens qui ont fait des bons films avant ceux de Frank Dubosc, trouveront de nombreux parallèles avec le génial « Qui a peur de Virginia Woolf » dans lequel le couple Burton- Taylor rejouait devant la caméra de Mike Nichols les colossales scènes de ménage avinées qui étaient leur quotidien à la ville …

Et on assiste à ce spectacle du couple qui s’enfonce dans l’incompréhension mutuelle, chaque événement qui survient ne faisant qu’en rajouter une couche. Un troisième enfant est mis en route lors d’un tendre moment de réconciliation. Problème, April veut avorter, Frank aimerait bien qu’elle le garde. Parce qu’un boulot bâclé fait dans sa boîte lui a valu à sa grande surprise d’attirer l’attention sur lui du PDG qui propose un gros avancement qu’il accepte sans rien dire à son April toujours en partance pour Paris … Les amis et les voisins ne font qu’envenimer la situation. Le voisin (joué par David Harbour) est dans la troupe de théâtre avec April, en est amoureux, et finit par la sauter vite fait mal fait sur le siège d’une bagnole (faut dire qu’elle l’a bien allumée dans un dancing …), tandis que sa femme est totalement effacée au milieu de sa ribambelle de gosses mais semble avoir des yeux de Chimène pour les beaux April et Frank et semble amoureuse des deux en même temps.
Une autre famille grouillote dans la troupe de théâtre. Le couple commence à être dans l’âge, elle est agent immobilier (c’est elle qui a mené April et Frank à Revolutionary Road), lui n’est relié au monde extérieur que par son sonotone qu’il débranche quand il veut avoir la paix. Ils ont un fils (excellent Michael Shannon), mathématicien de génie bien cinglé qui vient de passer des années en hôpital psy. Ce dernier, chaque fois qu’il est invité avec ses parents à manger chez les Wheeler, avec ses intuitions d’idiot savant, devient le miroir de leurs consciences et les met crûment face à leurs réalités. Les repas tournent dès lors court …
Rien ne va plus ...
Il faut reconnaître que le film est mené de main de maître par Mendes. Qui ne focalise pas la caméra uniquement sur sa bien-aimée (on en connaît qui ne s’en sont pas privés, Godard étant le premier qui me vient à l’esprit), mais tient son histoire en mettant un point d’honneur à tout filmer en extérieurs (on vit vraiment les disputes de l’intérieur dans de vraies pièces nécessairement confinées pour une équipe technique), la fin des années cinquante est minutieusement reconstituée (beaucoup de bagnoles d’époque, des scènes de foule en costumes vintage,… ) de la belle ouvrage …
Et le final est d’une tension et d’une noirceur totales, sans qu’il soit besoin pour Mendes d’agiter de grosses ficelles. On ne voit pas tout, mais le jeu des acteurs nous fait bien comprendre ce que l’on n’a pas vu … Quitte à passer pour un pourfendeur de vérités indiscutables, le couple DiCaprio / Winslet y est bien meilleur que dans « Titanic » (grand et beau film cependant), puisque le fantôme du foutu bateau les poursuivra chaque fois qu’ils seront ensemble devant une caméra …
On peut trouver de nombreux parallèles avec quantité d’autres films (l’histoire d’amour qui finit mal n’a rien d’un thème immensément original), mais plus particulièrement avec ceux de Bergman et Cassavettes (les disputes en vase clos avec montée hystérique dans les tours). Sauf que Mendes se démarque de ces films intimistes aux face-à-face hurlants des acteurs par une histoire élaborée, un portrait d’une époque et d’une société soignées, une distribution remarquable avec d’excellents seconds et deux têtes d’affiche qui ne cabotinent pas, et jouent juste …
« Les noces rebelles » est à déconseiller aux amateurs des super héros Marvel. Par contre ceux qui aiment les bons films y trouveront plus que leur compte …


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