LIVING COLOUR - VIVID (1988)

Du symbole au cliché ?
Living Colour, ils avaient toutes les chances de leurs côtés pour être un des groupes phares des années 90. Susceptibles de rassembler sur leur le nom le public de tous les courants, de toutes les chapelles. Avec clignotant bien fort au-dessus de leur nom, le mot qui allait devenir incontournable : fusion. Living Colour mélangeaient tout, le rock, le rap, le funk, tentaient la synthèse de ces genres bien cloisonnés … Et en plus, ils étaient Noirs.
On mit tous les atouts de leur côté, la major (Epic), le plan com (des Noirs qui rockent dur, rendez-vous compte …), des noms ronflants en guest (les leader de Public Enemy, posse majeur du rap, mais aussi un certain Mick Jagger). Et l’affaire a pourtant capoté …
Living Colour
Sans remonter jusqu’à Hendrix ou Phil Lynott, des Blacks mélangeant les genres, il y en avait déjà eu. Les Bad Brains avaient tenté l’aventure au début de la décennie avec leur punk-reggae-hardcore. Sans faire s’affoler les chiffres de vente. Les Living Colour ne réussiront guère mieux commercialement, « Vivid » marchera un peu aux States, les autres nulle part. Avec peu ou prou les mêmes recettes, Red Hot Chili Peppers ou Rage Against The Machine feront fortune. Parce qu’ils étaient meilleurs ? Bof, pas vraiment … Parce qu’ils avaient la peau plus claire ? Hum, peut-être bien …
Living Colour, ça en devenait presque embarrassant leurs symboles alignés et leur carnet d’adresses. L’affaire reposait sur Vernon Reid, guitar-hero déjà reconnu alors qu’il jouait dans les pénibles Defunkt (dispensable groupe de jazz-fusion-machin), et leader de fait de Living Colour (guitare ultra-technique en avant, pléthore de solos, seul compositeur de la moitié des titres). A la production, Ed Stasium, le spécialiste du rock pour arenas, pas mal pour un premier skeud. Ça sonne du feu de Dieu, des énormes batteries compressées au cœur de l’espace sonore, des arrangements bling-bling, le truc qui t’en fout plein les oreilles. Manque juste deux choses, un peu essentielles quand même : des titres bien construits (ça se veut compliqué, élaboré, plein de breaks et de changements de rythme, en fait c’est assez pauvre mélodiquement et déjà entendu des milliards de fois), et un bon chanteur (le préposé au micro, Corey Glover, est d’une quelconquitude assez affligeante). Last but not least, Living Colour pouvait compter sur un attaché de presse enthousiaste, le dénommé Mick Jagger. Qui, Stones moribonds oblige (Jagger et Richards étaient sérieusement fâchés, ils en venaient aux mains en studio, et les disques des Stones des années 80 sont misérables), tentait par tous les moyens de se maintenir sous les sunlights, à grands coups de disques solo risibles et de name dropping effréné, clamant à qui voulait l’entendre, que cette fois c’était sûr, il avait découvert the next big thing. Avec Living Colour, il produit même deux titres, fait les chœurs sur un (« Glamour boys »), et joue de l’harmonica sur l’autre (« Which way to America »). A peu de chose près les deux plus mauvais de « Vivid ».
Vernon Reid
Living Colour est un concept. Qui ne vole pas bien haut, mais qui à l’époque pouvait paraître quelque peu original. Du rock pour Blancs joué par des Noirs,  « militant » comme leurs voisins rappers new-yorkais (ils sont potes avec Public Enemy, d’où le petit featuring de Chuck D et Flavor Flav), une approche musicale somme toute conventionnelle et commerciale. Le titre introductif « Cult of personality » fera son petit bonhomme de chemin dans les charts et sur MTV, « Glamour boy » et « Open letter (to a Landlord) » auront moins de succès. La base du disque, c’est de passer à la sauce hardos du funk, du rap, des ballades, de la pop … Quelquefois ça fonctionne assez bien (« I want to know », « Broken hearts »), le plus souvent, ça ne ravira que les fans de solos de gratte, où là, faut le reconnaître, le Reid assure (m’étonnerait pas qu’il figure en bonne place dans ces classements stupides des best guitar heroes). A noter une reprise qui se veut déstructurée (mais pas tant que çà, on reconnaît quand même) du « Memories can’t wait » des Talking Heads.
« Vivid » n’est pas un disque abominable. Juste dans le ventre mou de ces œuvres « de fusion » qui vont se multiplier pour quelquefois le meilleur et le plus souvent le pire au tournant des années 80.

Par contre, faudrait songer à empaler le responsable de la réédition de 2002, qui ajoute une minable reprise du « Should I stay … » du Clash, une paire de remix aussi tristes qu’un réveillon sans bûche, et une paire de titres live qui n’ont pas dû donner à grand-monde l’idée d’aller voir Living Colour en concert lors des tournées de reformation … Ah ouais, je vous ai pas dit, ils ont sorti trois disques avant de se séparer, le plus connu de la bande, Vernon Reid, s’est lancé par la suite dans le jazz-metal ou une saleté de ce genre …