LOU REED - NEW YORK (1989)

 

Retour aux sources ...

Conclusion : « New York » est le meilleur album de Lou Reed, et toc …

Bon, je sens qu’il va falloir argumenter, là …

Retour en arrière. Lou Reed, c’est les trois premiers disques du Velvet Underground (où il joue) et les titres du quatrième (il s’est cassé du groupe, n’a pas participé à l’enregistrement). Un premier disque solo éponyme (une des pires ventes de RCA), deux trucs majeurs ensuite (« Transformer » et « Berlin », c’est pas rien), deux disques en public provenant du même concert (« Rock’n’roll animal » et « Live »), un machin expérimental inaudible (« Metal machine music »), une litanie de disques où le bon côtoie l’anecdotique et une belle dégringolade artistique dès le premier tiers des 80’s (« Legendary hearts », « New sensations », « Mistrial » (pas gagnant), quelqu’un pour les défendre ? répondez pas tous en même temps …).


« Transformer » et « Berlin », rigoureusement indispensables sont deux disques sous influences. Le premier, sous celles du trio anglais Bowie – Ronson – Scott qui lui ont apporté une couleur glam plutôt inattendue pour un type au registre sombre et austère. Le second sous l’emprise de Bob Ezrin, producteur envahissant, façonneur d’un son en cinémascope ne rechignant pas sur les orchestrations symphoniques, « Berlin » c’est un opéra-rock glauque, dépressif … et génial. « New York », c’est Lou Reed débarrassé de tout, revenu à ses basiques, ses fondamentaux.

On trouve dans « New York » les boogies monolithiques du premier Velvet, les ballades noires et apaisées du troisième Velvet, le sens de la composition évidente et les vocaux acérés de Reed dans ses meilleurs moments en solo. Le tout servi par une mise en son et une production qui ne doivent plus rien à l’air du temps où à la surenchère orchestrale. « New York », c’est du brut, du basique, du hors du temps et des modes. Deux guitares, une basse, une batterie. Point barre. Et même si j’en sais rien, à l’oreille pas d’overdubs. Dans un son remettant à l’honneur la glorieuse stéréo des seventies, la gratte de Lou Reed est à gauche (c’est lui qui le dit dans les notes de pochette), celle de Mike Rathke à droite. Basse à six cordes (donc très basse) de Bob Wasserman, batterie (et co-production avec le Lou) de Fred Maher. Deux invités, la vieille complice Moe Tucker aux fûts sur deux titres et des backing vocaux (quasiment inaudibles) de Dion (DiMucci) sur un titre. Pas de synthés, de section de cuivres ou de cordes, de choristes ou de chorale gospel, … Du brut, du rêche, de l’austère. Du Lou Reed, quoi …


Déjà, le titre n’est pas anodin. « New York », c’est la ville de Lou Reed. Il y est né et il y a à peu près toujours vécu, n’y a pas déménagé parce que c’était cool ou à la mode (c’est pas Lennon posant en tee-shirt « I love New York », alors qu’il vivait claquemuré avec sa harpie et son fiston dans son bunker du Dakota Building dont il n’aurait pas dû sortir et surtout pas au début Décembre 80 … je sais, c’est vachard et gratuit, mais y’a des fois, peux pas m’en empêcher ...). Donc « New York » par Lou Reed, c’est un disque qui ne peut que sonner vrai. Et quand on connaît un peu le bonhomme, ses fréquentations c’est pas les beaux quartiers ou les yuppies qui se sont remplis les poches dans le trading à Wall Street (même si au détour d’un vers il allume Trump – en 1989 ! - comme quoi y’a longtemps que le type était risible et surtout dangereux pour qui avait envie de s’en rendre compte). Non, le New York de Lou Reed, il est à ras du bitume dans les rues miteuses, et la pochette du disque, si elle n’est pas un hommage aux Ramones ou au Clash (vous avez déjà vu Lou Reed faire dans l’hommage consensuel ?), nous montre un quintuple Lou Reed (merci les premières versions de Photoshop ?), posant dans une ruelle sombre et sale.

Je vais pas faire dans la psychanalyse de comptoir pour expliquer pourquoi un tel retour de flamme artistique (certains s’y sont essayés, avançant un mariage qui commence à lui peser, ou la mort d’Andy Warhol, ou que sais-je encore). J’essaye pas d’expliquer, je prends, et putain que ça fait du bien d’entendre Lou Reed à ce niveau inespéré même pour les plus optimistes de ses fans.

On the road again ?

Il y a une évidence qui coule de source dans chaque titre, et on se dit mais pourquoi des trucs aussi cons, aussi simples, personne n’avait jamais pensé à les faire. Premier titre et premier exemple « Romeo had Juliette ». Un groupe à très fort succès (Dire Straits) avait exploré le même thème et à l’écoute des deux chansons au titre (quasi) homonyme, on voit qui est le laborieux et qui est le type doué. Victoire par KO du new-yorkais … Et pourtant, c’est un rock mid tempo pépère en parlé-chanté (tout du long du disque, Reed adoptera ce phrasé cher à Gainsbourg), qui au vu de l’intro, semble joué live en studio. Et ça fonctionne, alors que le pensum du Knopfler te gave au bout de trente secondes …

Le début de « New York » semble mathématique. Une ballade, un boogie-rock. Trois fois deux titres. « Halloween parade », ballade triste, forcément triste sur le SIDA, hormis évidemment les paroles, semble issue des atmosphères musicales apaisées du 3ème Velvet. « Dirty Blvd », c’est « Walk on the wild side » revisited, mais cette fois à ras du bitume. Pas de portraits pittoresques de quelques figures de l’underground, mais juste l’histoire d’un type dans la mouise, et qui risque pas de devenir golden boy. « Endless cycle » est juste une belle ballade, mais pas un des sommets du disque. Le suivant (« There is no time ») est donc rock, et pas qu’un peu. Un des deux ou trois titres les plus rentre-dedans du disque, riffs violents et saturés. « Last great american whale » qui suit est une ballade avec la copine Moe Tucker (debout ?) à la batterie.

Et puis, parce qu’enchaîner un titre lent et un titre plus rapide, ça finirait par gonfler tout le monde et Lou Reed en premier, on bifurque avec « Beginning of a great adventure » vers un tempo jazzy. New York, c’est aussi la ville du jazz et on passe logiquement de Big Apple à Jazz sous les pommiers. Que les fans de Miles Davis et consorts ne se déplacent pas, on n’a pas besoin d’eux, on est plus dans l’hommage que dans la révolution sonore.

 On the road again !

Mine de rien, et sans s’ennuyer une seconde, on a passé la moitié de la rondelle. La seconde partie sera plus énergique que la première et va faire la part belle au boogie-blues-rock-machin, que ce soit envisagé façon pépère (« Sick of you », « Good evening Mr Waldheim » ce dernier sur un ancien nazi -  Lou Reed est juif, et come Indy Jones, il aime pas les croix gammées et ceux qui les portent – devenu fonctionnaire très haut placé à l’ONU et Président en Autriche, gros scandale de l’époque) ou beaucoup plus énergique (les guitares râpeuses de « Busload of faith » et le rockab rageur de « Hold on »). Ça déroule, mais on en prend plein les oreilles et on n’en perd pas une miette, tout çà jusqu’à une dernière ballade parlée (« XMas in February ». Reste deux titres pour boucler l’affaire. « Strawman », tous potards sur onze, grosses guitares saturées, et voix quasi hurlée de Reed. Une démarche musicale similaire avec ce que faisait le vieux hippy pour le coup très énervé Neil Young à la même époque (« Freedom », et le « Ragged glory » à venir en 1990). Et au bout de plus de cinquante minutes se pointe en conclusion le titre le plus expérimental de la rondelle (« Dime store mystery »), ambiance lente, sourde, menaçante et entrelacs de guitares dissonantes, manière de rappeler à tout le monde que s’il faut donner dans le noisy, Lou Reed sait faire, même si c’est pas « Sister Ray » ou « Metal machine music » …

« New York », c’est le genre de disque qui aurait pu paraître n’importe quand bien avant ou bien après 1989. Du classic rock intemporel comme à peu près tout le monde semble en avoir perdu la recette. A ranger à côté du second disque éponyme du Band …

Chef-d’œuvre qui ne doit rien à personne, sinon au talent retrouvé de Lou Reed. Son successeur, avec son ancien complice du Velvet John Cale pour un hommage à Andy Warhol (« Songs for Drella ») confirmera leur bonne forme …



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