LOU YE - NUITS D'IVRESSE PRINTANIERE (2009)

 

Bizarre love triangle(s)

Bon, « Nuits d’ivresse printanière » n’a rien à voir avec la chanson de New Order (ni avec le nanar franchouillard où s’agitent devant la caméra Balasko et Lhermitte). C’est un film « interdit » du Chinois Lou Ye. Qui récolta à Cannes (where else ?) la palme du meilleur scénario. Meilleur scénario ? Ouais, si on veut …

Wu Wei, Tan Zhuo, Lou Ye, Cannes 2009

« Nuits … » est un étrange mix de plein de films déjà vus. De « Jules et Jim » (influence principale selon Lou Ye), « My own private Idaho », « Macadam cowboy », « Brokeback Mountain », les œuvres de Larry Clark ou Harmony Korine. Dans « Nuits … » sur fond d’amours homosexuelles, d’improbables ménages à trois, on a un portrait de la jeunesse de la génération post Tien-An Men, dans une ville de province chinoise. Même si quand on parle d’un bled de province en Chine, c’est pas exactement Châteauroux ou Epinal. L’action se situe à Nankin (sept ou huit millions d’habitants dans les terres, à trois cent bornes de Shangaï).

Lou Ye, dont peu de choses ont été remarquées en « Occident », est un cinéaste suivi de près par la censure chinoise. Son film précédent « Une jeunesse chinoise » en 2006, lui a valu un « bannissement culturel » (la Chine est un pays de libertés, on ne censure pas … et on ne ricane pas non plus), soit une interdiction de sortir des films pendant cinq ans. Hors de question de demander donc du fric à l’Etat, Lou Ye en est réduit au do it yourself. Pour faire un film, il faut des moyens. Techniques et financiers. Pour la technique, on va faire simple, petite caméra numérique au poignet, équipe réduite au strict minimum, acteurs amateurs et/ou inconnus. Pour le pognon, un petit tour de table permet de trouver l’argent à Hong-Kong (ville certes rattachée à la Chine mais plus ou moins autonome, surtout côté business) et en France (le CNC).

Ils ont pas l'air heureux ensemble ...

Bon, un film fait à la sauvette sans moyens, a forcément peu de choses à voir avec un Marvel. Tout est filmé en extérieurs, et donc l’histoire est forcément contemporaine. L’histoire ? Ou plutôt les histoires, il y a un personnage hyper central autour duquel gravitent quatre personnages secondaires et une paire de troisièmes couteaux. Au début deux jeunes mecs sont en voiture sur une route de campagne. On comprend qu’ils sont amants, ils rejoignent une villa isolée, font l’amour (avis aux pervers qui auraient lu jusque là, on est en Chine, le mec Lou Ye est interdit de tourner, donc les scènes de baise, y’en a plein, mais elles sont soft, no boobs, ass, or dicks), se baladent dans les sous-bois, puis retournent à Nankin. Il s’est passé six minutes et pas une parole n’a été prononcée. « Nuits … » est un film plutôt taiseux, ce qui donne encore plus d’impact aux scènes dialoguées. Remarque : j’ai l’impression que son et image ont été enregistrés par la caméra numérique, quand il y a du bruit extérieur, les dialogues sont tout juste audibles, et la V.F. suit la V.O. sur ce point (je me demande si c’était nécessaire, si on entend mal en V.O., c’est pas fait exprès). Bon, et tant qu’on est dans l’aspect technique (je déteste çà) et là je pense que c’est voulu, mais j’ai pas saisi pourquoi, les scènes en intérieur ont une image à gros grain, quasi en noir et blanc. Autrement dit, pas la peine d’investir dans un home cinéma 7.2 et dans un support 4K pour regarder « Nuits … ».

Revenons à l’histoire. Un des deux gars travaille dans une bibliothèque ou une maison d’édition, l’autre est marié. Sa femme qui se pense trompée le fait suivre par un détective, et découvre assez vite la double vie de son bisexuel de mari. Excellente et terrible scène de ménage, elle envoie bouler son mec. Pas de bol pour lui, il se fait larguer par le bibliothécaire qui replonge dans son hédonisme passé (son truc, c’est se travestir en femme et faire du karaoké dans les boîtes de nuit). Fin du premier triangle amoureux, même si le mari et la femme réapparaîtront plus tard chacun leur tour. Entrent alors dans la danse le détective et sa petite amie, qui vont entamer une étrange relation de copinage-amour-haine avec le travelo bibliothécaire.

Eux non plus ...

Même si ces histoires ne sont à mon sens là que pour montrer autre chose, une jeunesse chinoise de la classe moyenne inférieure à la dérive (les protagonistes ont la vingtaine, au max trente piges), et une société chinoise qui malgré tout le flicage et la rigidité du pouvoir, tourne effrontément le dos aux valeurs « saines » du communisme. Les personnages du film évoluent à Nankin, mais ça pourrait être dans n’importe quelle autre ville du monde, l’homosexualité et les couples qui partent en quenouille sont des thèmes universels. Le mérite de Lou est de montrer que ça existe aussi en Chine.

C’est aussi le problème de « Nuits d’ivresse printanière ». On a déjà beaucoup vu ce genre d’histoires, avec des scénarios plus étoffés, de meilleurs acteurs, et un rendu esthétique beaucoup plus travaillé (au hasard et en Chine aussi « Adieu ma concubine »).

Regarder « Nuits d’ivresse printanière » tient à mon sens beaucoup plus de l’acte militant (soutien aux LGBT, aux artistes censurés, à la jeunesse brimée et muselée, … liste inépuisable, y’a tellement de cause de cause plus ou moins perdues à défendre) que d’une curiosité de cinéphile. C’est plutôt bien vu, ces histoires et ces gens qui s’imbriquent (ouais, c’est de mauvais goût, mais je m’en balance), mais c’est sûrement pas le film du siècle …



Bande annonce de qualité déplorable par le distributeur français. Si même lui fait pas le job ...