« Les dessous chics …
C’est ne rien dévoiler du tout,
se dire que lorsqu’on est à bout, c’est tabou » (premier couplet de « Les
dessous chics », paroles et musiques Serge Gainsbourg, sur l’album « Babe
alone in Babylone » de Jane Birkin). Bon, la chanson de l’habitant de la rue
de Verneuil n’avait rien à voir avec « Autopsie d’un meurtre », mais
elle aurait pu …
Parce que les dessous chics de
Laura Manion, lorsqu’ils vont apparaître dans le prétoire de la salle d’audience,
vont avoir un rôle déterminant pour l’issue du procès.
Un type à l’apparence cool,
arrive de la pêche au volant d’un cabriolet un peu cabossé dans un petit bled. C’est
Paul Biegler (joué par le toujours au minimum excellent James Stewart, et ici
il est grandiose), ancien procureur, maintenant avocat sans conviction et sans
clients. Il est célibataire, et son truc, c’est donc la pêche à la ligne (son
frigo est rempli, mais vraiment rempli, de truites), jouer du piano, et boire
quelques verres en compagnie de son vieux pote McCarthy (Arthur O’Connell, star
des seconds rôles), avocat comme lui et n’ayant pas traité la moindre affaire
depuis une éternité, ce dont il se console en étant bourré du matin au soir.
Pour mettre un peu d’ordre dans le frigo, materner les deux potes alcoolisés et
j’menfoutistes, et accessoirement répondre au téléphone du bureau si par hasard
il venait à sonner, Maida Rutledge (Eve Arden, elle aussi des dizaines de seconds
rôles à son actif).
Et justement, ce jour-là, il a
sonné le téléphone. Une femme appelait l’avocat. Rendez-vous est pris immédiatement.
Et là se pointe une jeune bimbo allumeuse et aguicheuse, qui trouble et met mal
à l’aise Biegler. Elle a une affaire à lui proposer. Elle s’appelle Laura
Banion, elle a été tabassée et violée à la sortie d’un bar, et quand son mari militaire
s’en est rendu compte, il est allé vider son chargeur sur le quidam, il se
retrouve forcément en taule, et de toute évidence au moins pour un bail, sinon
la chaise électrique (même au pays de la NRA, faire justice soi-même est plutôt
mal vu par les tribunaux). Laura Banion (Lee Remick dans ce qui est sans doute
son meilleur rôle, toute en électricité sensuelle) veut que Biegler défende son
mari, gagne le procès et le fasse sortir de taule, rien que ça … Comme son
dernier client vient de quitter la ville en oubliant de le payer, Biegler
accepte l’affaire bien qu’il la considère comme perdue d’avance.Stewart & Remick
Les rencontres avec le mari
embastillé (Ben Gazzara dans un de ses premiers rôles) ne laissent pas présager
d’une excellente collaboration. Le bidasse est plutôt soupe au lait, et faut pas
compter qu’il fasse profil bas. Quant à sa femme, comme si de rien n’était,
elle continue d’aguicher tous les mâles dans les clubs. Biegler s’en aperçoit
alors qu’il est allé taper le bœuf avec le pianiste de l’orchestre (Duke
Ellington, à l’écran pour une courte scène, mais surtout compositeur de la B.O.).
Mais enfin, avec l’aide de son staff (son vieux pote et sa secrétaire), Biegler
va tenter le coup.
A ce moment-là, on en est à un
peu moins d’une heure de film. L’heure et demie qui suit va se passer quasi
exclusivement dans la salle de tribunal. Biegler devra démontrer le viol, perpétré
par le gérant du bar (dont le serveur et une énigmatique gérante ne sont à
priori pas là pour l’aider), et plaider le crime passionnel sous l’emprise d’une
démence passagère (« impulsion irrésistible » ils disent dans le
film) pour obtenir la non-culpabilité de son client. Tout en étant face à un
vieux juge à qui on ne la fait pas, et à l’accusation, représentée par le
procureur qui lui a succédé, assisté d’un jeune avocat déjà très renommé (un
des premiers rôles de George C Scott, qui une dizaine d’années plus tard
défraiera la chronique du tout-Hollywood en refusant l’Oscar qui lui a été
décerné pour son rôle dans « Patton »).
« Autopsie d’un meurtre »
est tiré d’un best-seller du même nom sorti l’année d’avant. Son auteur, sous
le pseudo Robert Traver, est John D. Voelker, avocat passionné de pêche, et le
bouquin est inspiré d’une affaire qu’il a réellement plaidée. Etrange boucle …Scott, le juge & Gazzara
Derrière la caméra, un
atypique, Otto Preminger. Le gars a commencé comme acteur et metteur en scène
de théâtre en Autriche, a fui la montée du nazisme (il considère que la
mentalité viennoise en est le terreau intellectuel et idéologique), a commencé
comme « employé » de Darryl Zanuck à la Fox, avant d’envoyer bouler
les majors et de devenir le propre producteur de ses films. Si les thématiques
de son œuvre apparaissent aujourd’hui banales, à leur sortie ses films ont
divisé et souvent choqué le milieu du cinéma, « L’homme au bras d’or »
sur la drogue, « Bonjour tristesse » adaptation du premier roman jugé
scandaleux de Françoise Sagan, « Carmen Jones », relecture du Carmen
de Bizet avec des acteurs Noirs, « Sainte Jeanne », sur la
résurrection de Jeanne d’Arc, … Preminger est un directeur d’acteurs … euh, on
dira très dur, sa technique de l’image est parfaite (référence majeure de Tavernier),
c’est un dandy toujours tiré à quatre épingles, ne se déparant que très rarement
du costard-cravate, et grand amateur d’art et de culture française (le type a
plusieurs Picasso).
« Autopsie … » est un
film rigoureux. Les sujets qui y sont abordés, le viol, le meurtre, la psychologie
et la démence étaient jusque là bannis au cinéma (le fameux code réactionnaire Hayes),
ou au mieux traités de la façon la plus elliptique possible. Dans « Autopsie
… », on parle de spermatogenèse, d’acte sexuel accompli, de culottes
déchirées, dans des scènes où les arguments sont développés. Preminger s’est
entouré de médecins, de psychiatres, pour présenter à l’écran des discussions
et interrogatoires scientifiquement crédibles. Un soin encore supérieur a été
accordé à la partie purement judicaire (le procureur est un vrai juriste et le
juge un vrai juge de l’Etat du Michigan, où se déroule l’action et où a été
tourné le film).Stewart, Ellington & Remick
Preminger n’ayant pas vraiment
la réputation d’un joyeux boute-en-train, on pourrait s’attendre à quelque
chose d’hyper pointu, hyper technique, hyper sérieux dans les thèmes abordés et
le jeu des acteurs tant la trame du scénario n’incite pas à la franche rigolade.
Bon, on n’est pas chez les Tuche, mais ces deux heures et demie, sans être légères,
offrent des respirations bienvenues, et nombre de scènes et de situations
drôles (Lee Remick est too much en allumeuse sexy, et son clébard boit de la
bière avant de s’endormir), même au tribunal (le savant jeu de positionnement
de Scott qui veut empêcher Gazzara et Stewart d’échanger des regards, et la désopilante
gymnastique de ce dernier qui en découle).
Une fois qu’on est rodé au
difficile ballet de la procédure judicaire américaine (comment, vous avez
jamais vu « 12 hommes en colère » ?), on se passionne pour l’intrigue,
qui est, comme le chef-d’œuvre de Lumet, un polar à l’envers, parce que l’on
reconstitue l’affaire par les témoins et les propos des avocats, et petit à
petit, on déroule l’écheveau de la tragique soirée. Bizarrement, et c’est assez
surprenant parce qu’on n’en était pas à dix minutes près, le film fait l’impasse
sur les plaidoiries de Biegler et de la partie civile, ce qui nous prive de ce
qui aurait sans nul douté été un grand numéro de Stewart.
Stewart qui au titre d’acteur
sera une des sept nominations du film pour les Oscars. Le film n’en obtiendra
aucun, surprenant au vu de sa qualité, pas tant que ça si on repositionne ses
thématiques dans la fin des années 50 américaines, trop de sujets jusque là tabous
étant abordés de façon frontale. Je sais pas si dans la vénérable académie, il
existe une catégorie dédiée au générique, en tout cas mention particulière à
celui de « Autopsie … », signé comme souvent chez Preminger par Saul
Bass, animation basée sur la déstructuration tant des formes que du lettrage,
le tout accompagné par un thème de Duke Ellington.
Novateur voire avant-gardiste par
ses thématiques lors de sa sortie, « Autopsie d’un meurtre » est
aujourd’hui à juste titre considéré comme un immense classique …