Soutenir l'artisanat local ...
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Shawn Mullins ne
fait pas partie des people du rock. A peu près inconnu en France et en Europe,
et un petit statut de gloire locale chez lui, en Géorgie. Statut qui a mis
longtemps à se dessiner… Mullins a commencé dans la vie active par une pige
dans l’US Army, ce qui n’est pas forcément le métier le plus rock’n’roll qui
soit. Ensuite il a entamé une carrière folk à la Woody Guthrie (lui, sa guitare
acoustique, et la route, dans le meilleur des cas au volant d’un van pourri). Il
vire ensuite folk-rock avec une bande de potes qui l’accompagne, et se fait remarquer
par Sony. Le sweet smell of success lui parvient aux narines, mais ça se
concrétise pas, Sony laisse tomber ce péquenot dont le grand public ne veut pas,
et Mullins échoue chez Vanguard, le mythique label de jazz, puis de folk, mais
là, au début du XXIème siècle, un peu beaucoup à la ramasse commercialement et
artistiquement.Shawn Mullins
Entre-temps, le groupe de potes s’est étoffé, a
enregistré une paire de disques, obtenu un petit hit local (« Lullaby »)
et tourné (oh pas des stades, juste des petites salles qui veulent bien d’eux).
Voulant profiter de sa petite gloire locale, Mullins et son band passent à
l’exercice live. Quand on est d’Atlanta comme lui, y’a un nom qui fait rêver,
le Variety Playhouse. Une « petite » salle de 1000 places à l’acoustique
fabuleuse, l’endroit idéal pour enregistrer un disque live … Certes à Atlanta,
il y a des salles plus célèbres comme le Fox Theatre où a été capté le « One
more from the road » de Lynyrd Skynyrd, des habitants plus célèbres (ils
n’y sont pas nés mais y ont formé le groupe) comme les Black Crowes, Atlanta
est actuellement la capitale du rap US, et James Brown y a enregistré le
mythique faux live « Sex Machine ». Et la Géorgie est le dernier Etat
à traverser avant d’arriver en Floride, un des Etats grand pourvoyeur du rock
sudiste (Lynyrd, Blackfoot, 38 Special, Molly Hatchet, …) sans oublier Tom
Petty … Tout ça pour situer le contexte, qui prend toute son importance avec
Shawn Mullins.
Le contexte, y’a aussi la photo de pochette qui peut donner des indices parfois utiles. Et qu’y voit-on sur celle de ce « Live … » ? Le Shawn Mullins occupé à besogner une gratte acoustique. Il ne s’en déparera pas tout du long du concert. On le voit aussi en chemise à carreaux de bûcheron. Un look breveté par quatre porteurs iconiques. Kurt Cobain (rien à voir avec Mullins), John Fogerty (pas grand-chose, Mullins donne dans le rock, mais pas n’roll), mais par contre, pour ce qui concerne Springsteen et Neil Young, là on y est en plein dedans… Du Loner, Mullins reprend l’agencement du concert, où alternent titres acoustiques et électriques, et du New Jersey man, Mullins a le goût des histoires de l’Amérique d’en-bas …
Et celle rondelle, ducon, elle donne quoi ? Ben c’est
pas mal, voire mieux. D’abord parce que c’est pas une bouillasse sonore. L’acoustique
du lieu est réputée, ça sonne quasi comme en studio. Et je pense pas que ça ait
été beaucoup retraficoté ensuite. Parce que Mullins, c’est un petit vendeur et
donc pas un type pour lequel une maison de disques dépense sans compter en
overdubs. Si l’on en croit la setlist manuscrite du concert dans le livret,
tout a été gardé, soit une prestation d’un peu plus d’une heure.
Trois parties dans ce concert. Au début électrique, du
rock, du folk-rock. Un cœur de concert en solo acoustique, et un final plus bruyant.
C’est au milieu qu’on finit par trouver le temps long. Mullins n’est ni Dylan,
ni Neil Young, ni Bruce Springsteen. Il s’en inspire, mais n’est pas à leur
niveau. Pas de compos renversantes, pas de grands textes, et une voix plutôt
limitée. Et là, quand t’es tout seul avec ta Gibson acoustique, pas moyen de
tricher. Soit t’es dans la cour des grands, soit tu n’y es pas … C’est pas
insupportable, mais bon, manquent et la flamme et l’étincelle …
Il n’en demeure pas moins que ce « Live … » s’il
ne rentrera pas dans les livres d’Histoire est un disque agréable. Mullins et
ses potes sont six sur scène, et comme certains sont multi-instrumentistes, on
peut avoir deux guitares électriques, batterie et percussions, piano, Wurlitzer
et Hammond, ou entendre quelques notes de mandoline. Pas de virtuoses là-dedans
(inutile d’attendre le solo hendrixien, de batterie, ou des numéros à la Jimmy
Smith au Hammond), une bande de potes qui assure plutôt bien et se contente de
l’essentiel, dans le genre less is more, ce qui n’est pas forcément une tare …
Quelques titres surnagent. Les deux premiers lancent
idéalement le concert, le petit rock nerveux à la Tom Petty & the
Heartbreakers (influence qu’on retrouvera souvent) « Beautiful wreck »,
et le classic rock mid tempo avec des couplets qui se peuvent se fredonner
comme dans un bon Dylan (« All in my head »). Mullins, c’est de l’americana,
du classic rock, de l’AOR, appelez-ça comme vous voulez, mais y’a pas tromperie
sur la marchandise, pas de disgression saugrenue, tout ça est cohérent de la première
à la dernière note. On trouve aussi un morceau à la Dire Straits, « The
ballad of Kathryn Johnston » qui fait penser au « Down to the
waterline » de Knopfler et sa clique, et un sympathique « Santa Fe ».
Dans la partie acoustique, « Home » me paraît
au-dessus du lot, et « Lonesome, I know you too well » est peut-être
le titre de trop …Mullins & Band at the Variety Playhouse
Acoustique et électrique se mélangent sur « Twin
Rock, Oregon » et assurent la transition vers le final plus bruyant, mais
sans excès (fans de Metallica, y’a rien pour vous dans cette galette). On retrouve
la patte Petty (« Shimmer »), l’axe Springsteen et plus encore
Mellencamp sur « Cabbagetown » (la nostalgie du petit bled du
grand-père), l’assez curieux « Cold black heart » (du hillbilly joué
à la mandoline, qui donne un côté gaélique tendance Chieftains au titre, seule petite
originalité sonore de l’ensemble). Le concert s’achève sur le seul (petit) hit de
Mullins, le « Lullaby » déjà évoqué quelque part plus haut (phrasé à
la Lou Reed sur les couplets, refrain très FM, pour moi loin d’être le sommet
du disque, mais si ça a fait gagner une poignée de dollars à Mullins, tant
mieux pour lui …). Le rappel est la seule reprise du concert. Pas n’importe
quel titre. « The house of the rising sun ». Classique de chez classique, traditionnel
titre folk (Guthrie, Seeger, Van Ronk, Odetta, Dylan, …), parfois en version
blues (Nina Simone parmi beaucoup d’autres). Les Animals en ont donné une
version définitive et de loin la meilleure, elle aussi maintes fois déclinée
(ah que Johnny …), avec son inoubliable ligne d’orgue Vox. C’est la version des
Animals qui est ici reprise. Qu’il me soit permis d’émettre deux réserves :
remplacer le Vox par le Wurlitzer est très « voyant » et gratte aux
oreilles et surtout, Mullins n’a pas le gosier d’airain de Burdon …
« Live at the Variety Playhouse » ne figurera jamais
dans la liste des live mythiques. Il n’en reste pas moins que si on veut écouter
en public du classic rock américain, il fera amplement l’affaire …
Quand les types de l’ombre font sinon mieux du moins
aussi bien que les stars …